Perlin, l’enfant qui faisait tomber la pluie

Perlin, l’enfant qui faisait tomber la pluie
Siegfried de Turckheim
Seuil Jeunesse 2022

Après la pluie…

Par Michel Driol

Perlin est né avec un don, celui de faire tomber la pluie. Cela lui permet déjà d’éteindre le grille-pain qui brûlait… Mais son père a d’autres ambitions pour lui, lui fait étudier le ciel et la thermodynamique. Dès lors Perlin répand la pluie à la surface de la terre, éteint des incendies, et connait la gloire. Mais, on le sait, les hommes préfèrent le soleil à la pluie, et, comme on s’habitue à ses exploits, Perlin n’est plus le héros qu’il était aux yeux de tous. Oublié de tous, il sombre dans la folie et décide de transformer le Sahara en océan, mais, ce faisant, engloutit un village. Voilà de quoi l’accuser. Lorsqu’une dernière larme coule, Perlin perd son pouvoir, mais découvre qu’après la pluie vient le beau temps.

Premier album de Siegfried de Turckheim, voilà un magnifique ouvrage à la fois par son texte (de véritables alexandrins réguliers) et par ses illustrations d’une précision étonnante. Sous la forme d’un conte, il questionne à la fois l’enfance (avec ses pouvoirs magiques) et notre propre rapport à l’eau, dont on a bien vu cet été à quel point elle peut manquer. Ce conte prend aussi les aspects d’une fable, dont la morale serait que l’excès en tout est un défaut : excès d’eau, excès de gloire, excès d’oubli, excès d’hubris peut-être aussi pour Perlin. Ce récit initiatique montre un enfant sauveur potentiel du monde par sa capacité à rendre toute terre fertile par l’eau qu’il fait tomber, et notre prodigieuse faculté à brûler ce que nous avons adoré, sans aucune espèce de rationalité. Il nous faut sans cesse du nouveau, et tout don peut se transformer en poids accablant celui qui le possède. Qu’est-ce qui motive Perlin ? Sans doute plus la volonté de plaire, de se faire des amis, d’être aimé et choyé par tous, d’être « populaire » qu’un véritable altruisme… Et lorsque cette popularité retombe, que tout son mode s’écroule, ne reste plus que la proposition d’un « coup médiatique » capable de « faire le buzz ». On le voit, c’est bien de notre propre rapport à la célébrité, à la gloire que parle aussi cet album polysémique. Le texte sait se réduire à l’essentiel (souvent 4 vers par double page) pour laisser toute sa place à une illustration de qualité qui fait la part belle à Perlin, à ses yeux, et surtout à ses mains pleines d’expressivité. Les décors sont particulièrement soignés et les couleurs, qui font alterner des fonds sombres et des pages colorées, montrent à la fois la grisaille de la pluie et les espoirs de Perlin dans des cadrages originaux et pertinents. On notera aussi en particulier la façon dont les illustrations racontent une histoire d’amour et de lien avec une jeune voisine grâce à un avion en papier décoré d’un cœur, envoyé comme une bouteille à la mer…

Un album qui, dans une langue poétique et prenant la forme du conte, autour d’un personnage attachant dans sa naïveté et sa bonne volonté pose la question des dons personnels, de leur utilité, de notre façon de les accueillir et de les faire fructifier pour le bien de toutes et tous.

Trois amis pendant la guerre – Alsace 1940

Trois amis pendant la guerre – Alsace 1940
Béatrice Mesnil
L’Harmattan 2022

Une enfance alsacienne pendant la seconde guerre

Par Michel Driol

Septembre 1940. A Thann, en Alsace, trois amis adolescents, François, Charles et Gauthier, ont du mal à supporter l’arrivée des Allemands, qui imposent une langue, de changer de prénom. Cette germanisation forcée va de pair avec un endoctrinement forcé. Chacune des trois familles va connaitre un destin différent. Celle de Charles se déchire entre le père pasteur démocrate et le fils ainé, acquis aux thèses des nazis. La famille de Gauthier est juive, et ses parents sont arrêtés. Mais lui réussit à s’enfuit. Quant à celle de François, le narrateur, elle entre dans la résistance.

Inspirée des souvenirs de Jean Eugène Muller racontés à l’autrice, voilà un récit qui tente de faire revivre, au plus près du vécu des personnages adolescents, ce qu’a été la guerre en Alsace, dans cette région qui, entre 1870 et 1918, avait déjà été allemande. Mais rien de comparable entre cette première annexion, dont, finalement, les protagonistes ne gardent pas de très mauvais souvenirs, et cette nouvelle occupation, marquée par la brutalité et l’idéologie nazie. Ce récit d’aventures vécues montre bien les façons de résister en secret, ou de se laisser endoctriner par la propagande. Il est vivant, et fait la part belle aux sentiments, émotions et peurs ressenties par le héros, permettant au lecteur contemporain du même âge de s’identifier à lui.

Un récit sobre, à la limite du documentaire narrativisé, pour mieux comprendre ce qu’a été l’occupation.

 

La Femme qui attendait un enfant à aimer et l’homme qui attendait un garçon

La Femme qui attendait un enfant à aimer et l’homme qui attendait un garçon
Alain Serge Dzotap – Illustrations d’Anne-Catherine De Boel
L’école des loisirs – Pastel – 2022

La petite fille dans les raphias

Par Michel Driol

Quelque part en Afrique, une femme est enceinte. Son mari, qui désire un garçon, lui ordonne de se débarrasser de l’enfant si c’est une fille. Alors que l’homme est parti travailler longtemps, elle accouche de jumeaux, un garçon et une fille. Bien qu’elle fasse tout ce qu’elle peut pour cacher et protéger la fille, son mari la découvre et la jette dans le torrent. Mais le conte ne s’arrête pas là, et nous conduit vers une fin heureuse et morale !

Reprenant les formes traditionnelles du conte, se coulant dans la voix du griot qui raconte simplement ce que dit le conte, d’où il vient et quand il s’arrête, Alain Serge Dzotap propose ici une histoire qui reprend les figures des contes populaires de tous les pays. Le désir du père d’avoir un garçon, la fille mal aimée et rejetée, recueillie par des gens simples et honnêtes, et qui finit par épouser le fils du roi… On a plaisir comme lecteur à retrouver ces fonctions essentielles du conte, telles que Propp les avait définies. Dans une langue qui fleure bon l’oralité, pleine de pudeur et de sensibilité, voilà une histoire universelle qui parle de ces petites filles abandonnées dans de nombreux pays simplement parce que nées filles, de ces pères sans cœur, mais aussi d’amour maternel. Un conte qui interroge sur la véritable fonction parentale : qui est le vrai père ? Le père biologique ou le père qui a élevé l’enfant. Bien sûr, les bons sont récompensés. Mais c’est aussi une histoire fortement inscrite dans l’Afrique, pas seulement par les magnifiques illustrations en double page, colorées, animées, vivantes, expressives qui donnent à voir de nombreux détails pittoresques d’une vie africaine traditionnelle : statues, fétiches, étoffes, costumes, instruments de musique… Le texte lui-même, dans ses formules, dans sa façon de dater le temps, connote l’Afrique, continent de naissance de l’auteur.

Un bel album à la fois intemporel et si actuel, qui dit la valeur de la générosité et de l’amour parental, qu’on soit parent biologique ou parent d’adoption, avec des personnages qui ont une réelle épaisseur psychologique dans leurs sentiments, dans leurs propos, et qui fait regretter, à la dernière page, que le « conte [soit] fini plus haut… »

Bulldozer

Bulldozer
Aliénor Deborcq – Evelyne Mary
Cotcotcot éditions

Quand décline la ville …

Par Michel Driol

La narratrice habite avec sa famille dans la banlieue de Detroit, ville sinistrée depuis la crise des subprimes et le déclin des usines automobiles. Contrairement à leurs meilleurs amis qui décident de partir ailleurs, pour avoir une vie plus stable, ils décident de s’opposer à la démolition de leur maison qui doit faire place à des parcs et à de la verdure, maintenant que le centre-ville de Detroit s’est gentrifié et rétréci. Pourtant, il faudra bien se résigner à partir…

Court roman facile et agréable à lire, Bulldozer aborde et rend tangibles des problématiques urbaines actuelles, en prenant l’exemple de Detroit, la ville qui rétrécit. On est au plus près de deux familles, celle de la narratrice, et celle de leurs amis, Nancy et Bob, et leurs enfants. Deux familles dans lesquelles les mères sont enseignantes, écolo. Deux familles qui habitent une banlieue de Detroit, aux maisons en bois et qui s’y sentent bien. Très pédagogique sans être pourtant théorique, le roman montre comment la disparition des usines automobiles  qui faisaient la prospérité de Detroit a changé le quotidien des habitants. Bob, d’ingénieur automobile, s’est retrouvé réparateur de voitures au noir, Nancy, dont l’école va fermer, va se retrouver au chômage. Il oppose assez vigoureusement un « eux » et « nous ». Eux, ce sont les agents du gouvernement, qui entendent rénover la ville, en faire un centre de services, entouré de parcs et de verdure, mais  sans considération pour les plus démunis, ceux dont la formation ne leur permettra pas de s’insérer dans ce nouveau projet social. Très mûre pour son âge, la narratrice a la force de s’opposer à eux, par la parole, par les actes aussi (belle scène de destruction–décoration symbolique d’un bulldozer). Très documenté, le roman aborde aussi les traditions locales, comme le défile du Nain Rouge auquel participe l’héroïne. Mais que peut David contre Goliath ? C’est par le départ de la famille de la narratrice que se clôt le roman, comme un aveu d’impuissance de tous les appels à résister, à lutter pour une société plus égalitaire et plus juste portée par les parents de la narratrice (on sait que son père se bat pour défendre les plus pauvres, mais sans vraiment savoir quel est son métier). Si le roman fonctionne bien, c’est à la fois en raison de son arrière-plan social, urbanistique et politique, mais aussi parce qu’il sait s’appuyer sur des personnages attachants, une narratrice pleine d’énergie et de fougue, d’illusions et de convictions aussi, et une galerie de personnages secondaires bien représentatifs de l’Amérique et de ses problématiques (soldats morts dans les conflits du Moyen Orient…). Le roman se clôt par un dossier documentaire, qui associe un dictionnaire des termes américains de l’ouvrage, et une histoire de la ville de Detroit. Bulldozer est illustré par Evelyne Mary qui propose des compositions assez minimalistes, souvent à base de figures géométriques, jouant sur le plein et le vide,  et donnant à voir l’essentiel de l’action des personnages ou des objets symboliques que l’on rencontre dans le roman.

On suivra avec intérêt la collection Combats de Cotcotcot,  qui aborde des thèmes d’actualité autour de l’écologie ou de l’économie,  enutilsant avec intelligence et sensibilité la fiction pour aborder ces problématiques.

Arnold – Tout ce que je suis

Arnold – Tout ce que je suis
Didier Lévy – illustrations d’Anne-Lise Boutin
Helvetiq 2022

C’est un sujet merveilleusement divers et ondoyant que l’homme

Par Michel Driol

Arnold, c’est un enfant tout petit devant l’immensité du ciel, et géant lorsqu’il parvient à s’exprimer en public, parfois timide, parfois colérique, parfois mollasson, parfois pressé… On le voit, sur chacune des doubles pages, exprimer un état d’âme différent, et pourtant conserver la même identité.

Voilà un album qui associe trois éléments pour parler des divers états d’âme éprouvés par l’enfant. D’abord un texte, très émouvant, à la première personne, à la fois très simple et très concret dans la description et l’évocation des comportements contradictoires du héros, qui fait qu’on les partage avec lui, de façon très empathique. Ensuite, au-dessus du texte, page de gauche, le prénom Arnold, écrit dans des typographies très différentes, expressives et représentatives de l’état d’âme décrit. On le sait, les enfants aiment écrire leur prénom, et voilà ici un beau travail graphique avec les lettres qui composent le prénom. Il y a là un subtil jeu entre l’identité incarnée par le prénom, la stabilité des lettres, et la variété des émotions, états d’âmes, sentiments qui traversent l’individu, qui se trouve être à la fois semblable et différent. C’est enfin une illustration sur la page de droite, pleine de fantaisie et à la limite de la caricature grossissant le trait de caractère évoqué, montrant le héros dans son environnement familier. Ce que dit aussi l’album, c’est la complexité des relations sociales ou familiales, la petite sœur qui rit ou qui pleure, les copains dont on reste éloigné par timidité ou qu’on étonne par des vantardises incroyables. Arnold aidera à mettre des mots sur le monde intérieur complexe de chaque enfant, qui découvrira ainsi qu’il n’est pas le seul à éprouver des émotions contradictoires ou à avoir des comportements opposés.

Un album ludique qui joue avec beaucoup d’originalité sur la graphie du prénom pour illustrer, avec joie, la diversité des façons d’être soi-même.

L’étranger

L’étranger
Chris Van Allsburg, trad. Christiane Duchesne
Editions D’eux, 2022

Et tous ses animaux

Par Christine Moulin

Un nouveau Van Allsburg! Tel qu’en lui-même le temps le change, car il est question de temps dans ce nouvel album. Celui qui passe et celui qu’il fait, bizarre, détraqué, sans que pour autant ses  incartades soient génératrices d’angoisse. Ce qui est d’autant plus remarquable qu’elles sont visiblement provoquées par un étranger qui arrive un jour chez un fermier américain, Monsieur Bailey. Cet étranger, très étrange, mutique et souriant, s’adapte à la vie de famille des Bailey sans que soit jamais révélée son origine: quelques indices bizarres laissent à penser qu’il n’est sans doute pas un habitant de notre monde. Quoi qu’il en soit, tout se passe dans l’harmonie. Mais nous ne sommes pas au pays des bisounours: l’étranger ne peut rester, et malgré la tristesse provoquée par son départ, il laisse aux humains que nous sommes un message rassurant, à rebours des cris nauséabonds qui emplissent notre monde. Un message qui parle de beauté, notamment celle des arbres, de fidélité, un message qui engage à accueillir ce que l’on ne comprend pas, qui promet que l’absence n’est pas l’oubli. Tout cela est amplifié par les magnifiques illustrations: autant de tableaux (au crayon de couleur) qui célèbrent la splendeur de la nature, surtout à l’automne, mais qui, comme toujours chez Allsburg, tout en étant minutieusement réalistes, interpellent le lecteur par des détails insolites et contribuent à l’atmosphère sereinement fantastique de l’ensemble. Un nouveau Van Allsburg, oui, et nous ne sommes pas déçus!

Le Tempo de Bamboléo

Le Tempo de Bamboléo
Clémence Sabbagh – Mylène Rigaudie
Casterman – Casterminouche 2022

Moderato, allegro, presto…

Par Michel Driol

Tout le monde sait que les escargots ne vont pas vite… C’est ainsi que quand Bamboleo arrive devant le carré de salades, les oiseaux les ont déjà dévorées, et que, lorsqu’enfin il se retrouve devant les carottes, le lapin est passé par là. De guerre lasse, il décide de voler… chose qui aurait pu tourner à la catastrophe. C’est alors que le lapin lui propose une promenade, à toute vitesse, sur son dos, et qu’il invite le lapin à découvrir le monde à sa vitesse. Et c’est le début d’une merveilleuse amitié…

A partir d’éléments très simples, un lapin, un escargot, un jardin rempli de fourmis et de plantes, voilà un album qui aborde des thèmes particulièrement complexes. D’abord celui de la compétition et de la concurrence. Faut-il aller vite pour réussir, manger, et être heureux ? Ensuite celui de l’identité. Comment s’accepter avec ses faiblesses et découvrir qu’elles peuvent  être des atouts : Bamboleo voit le monde autrement, s’ouvre aux autres malgré sa coquille qui l’enferme, et possède une riche vie intérieure. Ainsi Bamboléo est-il sensible à toutes les musiques du jardin, celle des fourmis, des grillons, du lapin… Toutes ces musiques qui se conjuguent pour faire entendre l’harmonie du monde comme résultat de l’apport de chacun. Bien sûr c’est de différence et de complémentarité qu’il est question ici : jusqu’à quel point peut-on être ami avec un individu autre, comment partager les plaisirs auxquels on n’a pas accès ? Par la parole et par l’échange, répond simplement l’album qui montre les deux amis côte à côte se racontant leurs mondes respectifs. Il y a là sans doute comme une mise en abyme de la littérature et de son rôle fondamental pour raconter des univers auxquels le lecteur n’a physiquement pas accès. L’album s’adresse parfaitement à des enfants, que la petite taille rapproche de choses auxquels eux seuls sont sensibles et devant lesquels passent les adultes qui ne les perçoivent pas. Il le fait dans un texte d’une grande simplicité, épousant le point de vue du petit, de l’escargot, et par des illustrations pleines de couleurs et de détails où règne une grande fantaisie. Ce jardin habité par une faune étonnante, luxuriant, où poussent les artichauts et d’innombrables fleurs est bien à l’image de la diversité de notre planète, et donne envie de s’y abriter pour regarder, comme les deux amis à la fin, le soleil se coucher…

Une fable pour apprendre à aller vers l’autre non comme un adversaire, mais comme un ami qui peut apporter beaucoup par sa parole.

Découpe

Découpe
Rascal
L’école des loisirs, Pastel, 2022

Coup-coupe !

Par Anne-Marie Mercier

Dans ce petit album carré, chaque page est une proposition de jeu : jeu de découpe ou jouer avec les découpes.
Le cercle se fait horloge, ou bonhomme, ou ballon ; le triangle se fait cornet de glace, tipi ou tout autre chose, le rectangle pourra être, selon comme on l’accommodera, porte d’entrée, tablette de chocolat, etc.

À ces formes s’ajoutent des couleurs belles et franches, qui jouent à leur tour un autre jeu.
L’ensemble est beau et gai, et donne envie de prendre un main ses ciseaux tout de suite : gare au livre s’il n’y a pas de feuille à portée de main !

La Fuite sans fin de Joseph Meyer

La Fuite sans fin de Joseph Meyer
Claude Gutman
Gallimard 2022

Chasse à l’enfant…

Par Michel Driol

Né en Pologne, Joseph a fui avec son père les pogroms qui ont tué sa mère et ses frères. En 1933, bon élève, il est reçu au certificat d’études, mais son père, brutal, veut qu’il soit tailleur comme lui. Et de le lui expliquer à coups de ceinturon. Joseph fugue, pour rejoindre son oncle fourreur à Paris, qui le fait héberger dans une ferme dont le propriétaire martyrise deux enfants placés par l’assistance publique. Prenant leur défense, Joseph donne un coup de bêche sur la tête du fermier, est arrêté pour vagabondage et, après quelques péripéties judiciaires, envoyé à la colonie pénitentiaire de Belle Ile en Mer, puis d’Eysses, dont il ne sort que pour faire ses classes et participer à la drôle de guerre. Il déserte l’armée en déroute, s’engage par amour dans la Résistance, est capturé et renvoyé à Eysses, devenu prison pour politiques. Parvenant à s’évader, il se retrouve à la Libération à Paris. On laissera au lecteur le soin de découvrir par lui-même le dénouement…

Avec un récit à la première personne, celle de Joseph, voilà un gros roman (plus de 300 pages) à l’écriture enlevée, alerte, qui se lit d’une traite tant on est  pressé de connaitre la suite de cette aventure dans laquelle la petite histoire du héros croise la grande histoire. On retrouve tous les ressorts de ce qui a fait le succès de la littérature populaire, au sens noble du terme. Un personnage d’orphelin, au grand cœur, avec ses rêves, en butte à l’hostilité du monde. Des péripéties nombreuses, qui font qu’à chaque fois qu’il croit toucher au bonheur, le tragique survient, qui l’empêche de trouver la stabilité et l’épanouissement. On songe à Hector Malo, mais aussi à Alexandre Dumas – et ce n’est sans doute pas pour rien que Joseph lit chaque fois qu’il en a l’occasion Le Comte de Monte Cristo, au point de choisir le pseudo de Dantès… L’arrière-plan historique et politique est soigné et particulièrement bien documenté, tant dans les conditions de vie des enfants dans les colonies pénitentiaires que dans leur vocabulaire. Violence insupportable, brimades, injustice, tout ce que dénonçait le Prévert de Chasse à l’enfant est présent avec réalisme dans le roman qui le rend d’autant plus sensible que c’est une victime du système qui le décrit. L’arrière-plan politique apparait petit à petit, avec ces surveillants qui lisent l’Action Française, où l’on trouve les échos des manifestations anti-républicaines. Puis c’est le Front Populaire, découvert à travers la figure d’un menuisier communiste. C’est enfin la guerre et la Résistance, dans laquelle le héros se retrouve un peu par hasard et par amour, avec ses mouvements non encore unifiés, que le héros croise, sans vraiment savoir dans lequel il est engagé. Car, d’une certaine façon, Joseph est le jouet d’un destin qui s’acharne contre lui. Parmi les figures de brutes épaisses et inhumaines se détachent pourtant quelques « justes », véritables points de lumière dans un univers déshumanisé. Un policier parisien, deux menuisiers à Eysses, un compagnon d’armes, une institutrice résistante, un couple de cheminots résistants…  Pas de manichéisme pourtant, car on retrouve dans le camp des bons, à la fin, d’autres hommes, juifs et résistants, aveuglés par leur propre idéologie et dont le comportement est tout aussi inhumain. C’est au final un beau roman d’initiation, picaresque et épique par certains côtés, qui montre comment se forge le caractère d’un adolescent à fleur de peau, impulsif, courageux qui découvre finalement ce que c’est qu’être un homme. C’est enfin un roman optimiste, à la fin presque heureuse, dans laquelle Joseph, revenu à son point de départ, trouve un nouveau sens à sa vie près une fuite sans fin.

Il faut dire enfin l’actualité de ce roman. Selon Lukács, un roman historique parle autant de la période historique qu’il décrit que de l’époque qui l’a vu écrire. Une époque où l’on trouve la justice des mineurs trop laxiste, une époque qui voit la montée des racismes – antijuif, anti-arabe, -, une époque qui voit la disparition des témoins directs de la Résistance, une époque qui constate, impuissante, la montée des extrêmes-droites en Europe… On ne saurait donc que trop en conseiller la lecture aux adolescents d’aujourd’hui et aux adultes.

Le Souffle du géant

Le Souffle du géant
Tom Aureille
Sarbacane, 2021

Dans les méandres des contes

Par Anne-Marie Mercier

Un enfant part en quête pour trouver le remède qui sauvera sa mère. Voilà un schéma de conte bien connu. Il a été illustré entre autres par la comtesse de Ségur dans « Le bon petit Henri », dans lequel un petit garçon, conseillé par une fée, part chercher en haut de la montagne la plante de vie. Après bien des épreuves et des rencontres effrayantes (géant, loup…) il réussit ; il revient victorieux et riche de présents reçus en récompense de ses bonnes actions.
De cette base traditionnelle, Tom Aureille a fait une histoire très originale. Il n’y a pas un enfant héroïque, mais deux, et ce sont deux filles, deux sœurs qui tentent de trouver et tuer un géant de la montagne, dont le souffle doit ressusciter leur mère.
Leur parcours est semé d’embûches, les humains étant aussi monstrueux que la sorcière qui les accueille sous l’apparence d’une gentille vieille dame (comme dans « Hansel et Gretel »). Ils sont en outre suivis par un homme mi protecteur mi hostile dont on ne comprendra les raisons que plus tard. Tout est empreint de magie, les personnages comme les lieux.
La fin de l’histoire, loin de ressembler au conte de la Comtesse, célèbre la solidarité, celle des deux sœurs comme celle des peuples qui les accueillent. Elle met aussi en cause l’héroïsme, chose rare, et l’influence des croyances, donc des contes.

Tout cela est magnifiquement raconté, les images crépusculaires de la quête alternant avec le récit plus clair de ce qui l’a précédée, le récit se dévoilant peu à peu à travers une belle dynamique, dans un suspens permanent.