Ma Vie en vert, tomes 1 à 4

Ma Vie en vert, tomes 1 à 4
Michel Van Zeveren
L’école des loisirs, Pastel, 2021-2022

Vert… comme un martien

Par Anne-Marie Mercier

La science-fiction est rare dans les ouvrages pour le jeune public, surtout la bonne SF. On avait eu la belle surprise de la BD de Zita la fille de l’espace, de Ben Ben Hatke, chez
Rue de Sèvres (voir nos chroniques pour le tome 1 et les tomes suivants) et depuis il semble que les ouvrages drôles, inventifs et traitant de sujets sérieux se multiplient dans ce genre, notamment sous la forme de séries.

 


Ma vie en vert présente la vie d’un enfant terrien après que sa planète a été envahie par des petits hommes verts : eh oui, les clichés ont du bon quand ils sont utilisés avec humour, mais on pense forcément aussi à l’occupation allemande en France pendant laquelle les soldat de l’armée ennemie étaient appelés « les verts-de-gris » (couleur de leur uniforme).
Ces nouveaux martiens sont donc entièrement verts et ne possèdent qu’une patte (original !). À cause de cela, ils obligent les habitants à ne manger que des choses vertes (ce qui les colore en vert, eux comme leurs habits) et à se déplacer à cloche-pied. Mais la résistance s’organise… Les habitants sont confinés, arrêtés… mais ils triomphent bien sûr (mais tout de même un peu par hasard) à la fin des méchants.
C’est drôle, plein de belles trouvailles et les dessins sont parfaits.

 

 

 

 

 

 

Zita, la fille de l’espace

Zita la fille de l’Espace, t. 2 et 3

 

Si seulement Lucie

Si seulement Lucie
Vincent Engel 
Mijade, 2021

Et si ton sourire me cueillait demain à l’aube?

Par  Christine Moulin

Nous voici devant un roman choral où alternent les voix de deux narrateurs, Jim, qui vit seul avec sa mère dépressive, et Lucie, qui vient de déménager dans son immeuble et s’adresse à un « tu » mystérieux: ses parents se disputent sans cesse et on apprend très vite qu’avant, elle dessinait… Avant ? On ne sait pas trop avant quoi…

Les deux adolescents tombent vite amoureux mais un obstacle de taille va les séparer: Lucie est persuadée qu’elle porte malheur à ceux qu’elle aime.

Cela va donner lieu à une histoire bien menée, quoique très simple, qui rend attachants les deux héros, dont les sentiments passionnés, tendres et profonds sont évoqués avec justesse. La pesanteur du passé, du silence, des secrets « qui sont des cancers » crée une attente intéressante et débouche sur un voyage initiatique à la fois vraisemblable et signifiant, plein d’espoir. Si seulement Lucie est un roman d’une humilité lumineuse: il ne cherche nullement à en jeter plein la vue au lecteur et du coup, parvient à l’atteindre et à l’émouvoir.

 

 

Papa partout

Papa partout
Emilie Chazerand illustrations de Sébastien Pelon
L’élan vert 2022

L’absence, la voilà…

Par Michel Driol

Dès le début, la mort du père est là, à peine euphémisée : Maman dit qu’il est au ciel désormais, puis énoncée directement, en une phrase non verbale qui sonne comme un couperet : Mort. Au début, pour le narrateur, il n’y a que le vide et le chagrin, le souvenir des choses qu’ils ne feront plus. Puis c’est la découverte de la présence du père dans tous les objets, vêtements, même ces objets intangibles que sont l’ombre sur la plage et le reflet des yeux dans le miroir.

Voilà un bel album bouleversant, plein de simplicité, pour dire différentes phases du deuil vues à hauteur d’enfant, de la colère et du sentiment de l’injustice profonde jusqu’au retour du sourire et de la paix intérieure, ce que l’on nomme résilience. L’album sait éviter l’écueil du pathos par une écriture qui sait être à la fois métaphorique et enfantine pour exprimer ce que traverse l’enfant. Il est question de l’oreiller salé au réveil et du cœur haché menu, par exemple. Les anaphores disent la répétition des marques de l’absence, mais surtout celles des signes de présence avec la série des groupes nominaux qui commencent par « Dans… », façon de rendre concrète l’universalité de cette présence mystérieuse de l’absent. L’illustrateur a su jouer aussi de la simplicité et de l’expressivité, semblant prendre au pied de la lettre certaines expressions comme « il est au ciel », ou donnant à voir une vision du jeu de Puissance 4 comme une sorte de prison derrière laquelle est caché l’enfant, dont seul l’œil cherche à voir au delà du jeu. Quant aux aplats de couleurs, ils se réchauffent progressivement, allant jusqu’au jaune éclatant de la plage et de la maison finale. A noter que les pages de garde reprennent aussi ce code de couleurs.

Un bel album, mélange de tendresse, de fragilité et de force, pour évoquer les étapes du deuil lié au décès le plus éprouvant qui puisse affecter un enfant.

Compte avec Olivia

Compte avec Olivia
Ian Falconer
Seuil Jeunesse, 2022

Ou sans

Par Anne-Marie Mercier

Publié auparavant sous le titre « Olivia sait compter », voici ce petit livre d’apprentissage de retour avec un autre titre, plus dynamique, impliquant l’enfant (on voit les stratégies marketing comment les théories pédagogiques sont à l’œuvre). Mais à part cela, rien de nouveau : les chiffres apparaissent sur chaque page accompagnant des objets ou personnages tirés de l’univers d’Olivia. Les dessins sont comme toujours drôles, masi le vocabulaire choisi laisse rêveur : le mot « accessoires » pour désigner des objets comme un collier, une casquette, des lunettes, un collant est-il le meilleur (ça sent la traduction) ?
Pour les fans (et on les comprend) d’Olivia.

Aggie Morton, reine du mystère, t. 1 : l’affaire du grand piano23

Aggie Morton, reine du mystère, t ; 1 : l’affaire du grand piano
Marthe Jocelyn, Isabelle Follath
Traduit (anglais, Canada) par Marie Leymarie
Gallimard jeunesse, 2020

Le Masque en Gallimard jeunesse ?

Par Anne-Marie Mercier

Une série policière, ce n’est pas nouveau, mais une série qui se réclame aussi ouvertement des romans d’Agatha Christie, c’est plus rare : l’héroïne, Aggie, s’appelle de son prénom complet Agatha, son ami s’appelle Hector Perrot et, comme Hercule Poirot, il est belge et méticuleux à l’extrême quant à l’hygiène et à la bienséance.
Les similitudes se poursuivent avec le type d’intrigue (le roman à énigme), la poursuite de l’investigation (de multiples suspects, pour finir par trouver comme assassin celui auquel on n’a jamais pensé (enfin, ça dépend du « on »). Aggie dresse un portrait de jeune fille sûre de son talent et de son futur d’enquêtrice qui pourra séduire son public, Hector est un peu effacé.
Tout ça a le charme d’un bonbon anglais, un peu acidulé, mais tout de même bien sucré, l’original avait le mérite d’être plus bref. Aggie a une excuse quant aux longueurs de l’ouvrage : elle se voit déjà écrivaine de romans de mystère et elle double le récit des événements et les dialogues par une ébauche de narration de son cru assez comique tant la recherche des effets est visible et tâtonnante.
L’humour du pastiche peut-il être perçu par un lecteur/ lectrice qui ne connaitrait pas les romans d’Agatha ? Ce n’est pas sûr.

Au début

Au début
Ramona Badescu, Julia Spiers
Les grandes personnes, 2022

Quand la fin est dans le début

Par Anne-Marie Mercier

Au début, on aurait pu être prévenu par la couverture qui disait clairement qu’il allait être question d’oiseaux, d’arbres et de fleurs. Mais l’automatisme est là : dès qu’on voit des personnages humains on pense que ça va être leur histoire. Dans cet album, ce n’est qu’en partie vrai. « Au début », ils sont nombreux « dans l’ombre fraîche du vieux néflier ». Journée d’été, rencontre de personnes d’âges différents dans un jardin: des voisins, une famille ? La réponse vient petit à petit.
La suite n’éclaire pas mais perd encore un peu plus : la date, présente sur chaque double page, recule dans le temps. On voit une éclosion d’œuf, un œuf entier, un couple d’oiseaux… puis un bébé, puis une jeune femme enceinte : l’histoire se rembobine.
Elle va jusqu’au début de tous ces débuts, l’été 1952, quand une troupe d’enfants incarnée par le « on » du narrateur, rentre assoiffée de la plage et va chiper des nèfles pour se désaltérer. Ils en rapportent dans le jardin où le néflier n’a pas encore poussé, crachent les noyaux par jeu. On devine la suite.
Alors, on reprend l’album pour tourner les pages en sens inverse et on découvre qu’il a deux pages de couverture et deux pages de titre, une au début et une à la fin. On voit les différentes étapes de la croissance de l’une des pousses issues des noyaux du départ. Parallèlement on voit l’histoire de l’un des enfants du groupe, son adolescence, sa solitude, la rencontre d’une fille, le mariage, les enfants, les petits enfants et on reconnait le narrateur dans l’homme aux cheveux gris du début. Ainsi, le sujet principal est le temps, le temps de pousser, de vivre, d’engendrer, de savourer la vie – et le temps de la lecture et de la relecture.

Les aquarelles illustrent très joliment cette histoire et la portent avec efficacité dans cet album avec très peu de texte. Elles recréent une atmosphère d’enfance et de jeu : formes rondes, couleurs tranchées, simplicité, avec une petite allure « vintage »  années 50.

Ma petite maison ronde

Ma petite maison ronde
Bolormaa Baasansuren
Rue du monde 2013

Avoir un an en Mongolie

Par Michel Driol

Entre documentaire et fiction, cet album raconte la première année de la vie de Jilu, fils de nomades mongols. Porté par la voix de Jilu lui-même, de façon naïve et enfantine,  le récit évoque la naissance,  le premier jouet, la rencontre avec le grand père, les quatre  campements, au fil des saisons, et l’enfant qui grandit.

A la façon de Jilu, le jeune lecteur occidental découvre, à travers le texte et les illustrations, ce mode de vie rude et tellement éloigné du nôtre. L’album se tient sur une ligne de crête entre la poésie du texte (qui reprend souvent le symbole du cercle protecteur et le lien avec la nature environnante) et une dimension ethnographique réaliste, portée en particulier par les illustrations qui, tout en s’inspirant fortement de l’art populaire, donnent à voir de nombreux détails de la vie quotidienne (objets, rites, coutumes, vêtements).

Une belle façon de faire découvrir d’autres façons de vivre et l’amour familial, la bienveillance comme valeurs universelles.

Ma cabane

Ma cabane
Guillaume Guéraud illustrations Alfred
La Martinière jeunesse 2022

Comme un écho au Baron perché…

Par Michel Driol

Dans le jardin de ses grands-parents, Youri et Olga, le narrateur s’est construit une cabane dans les arbres. Faite de bric et de broc, elle devient pour l’enfant un refuge que son imagination transforme en navire, en hélicoptère, en palais ou en igloo, perdus au milieu de la savane, d’un cimetière ou d’un territoire jamais exploré…

Qui n’a jamais rêvé d’avoir une cabane dans les arbres ? Lieu protecteur, extraordinaire, il est le reflet de celui qui l’a construit de ses mains. C’est bien cet imaginaire-là, celui de Robinson perdu sur son ile, celui de l’arbre maison de Claude Ponti, que convoquent Guillaume Guéraud et Alfred. Car il est difficile de dissocier dans cet album l’auteur de l’illustrateur. Avec fluidité, le texte fait passer de la description de la cabane aux rêves, avec une formule récurrente : Parfois je me dis… Et le narrateur d’entrainer le lecteur dans des univers pleins d’aventure, de risque, de dangers, bien loin de la tranquillité du lieu où prennent source ces rêves. La cabane devient alors un extraordinaire terrain de jeu pour cet enfant que l’on voit toujours seul, et qui se réfugie dans son imagination durant tout un été passé avec ses grands-parents. Se conjuguent alors l’expérience intérieure de l’enfant et le vaste monde, bien au-delà des limites du jardin familial. Très colorées, les illustrations évoquent la luxuriance de la nature, et jouent sur les perspectives. Souvent vue en contre plongée, la cabane se détache du ciel et prend des dimensions variées, minuscule ou géante, avant de s’envoler dans le ciel, portée par un nuage. Suspendue entre ciel et terre, la cabane est à la fois une base solide et fragile, comme un tremplin pour l’imaginaire, mais aussi un tremplin vers le futur, tout en portant les traces du passé incarné ici par les grands parents ( le grand père qui a appris à faire les nœuds, et le parasol de la grand père). C’est cette série d’entre-deux que cet album illustre magnifiquement.

Avec finesse, avec une pointe d’humour, avec réalisme mais aussi avec  poésie, cet album est une belle ode à l’imagination.

Rue de la peur

Rue de la peur
Gilles Baum –  Illustrations d’Amandine Piu
Amaterra 2021

Freaks !

Par Michel Driol

Une petite fille sort de chez elle, et, pour aller à la maison de son grand-père, doit longer la rue de la peur. Dans chacune de ces maisons habite un monstre redoutable, que l’on aperçoit si l’on ouvre la porte ou les fenêtres. Un cerbère, un cyclope, une pieuvre… et enfin le grand père, dont on découvre avec surprise les trois yeux, et qui serre sa petite fille dans ses bras, avant de lui montrer l’arrière du décor. Et l’on apprend alors que le yeti adore les légumes surgelés, que les fantômes aiment défiler… et que la petite fille a aussi trois yeux, pour mieux voir le monde ?

C’est d’abord un beau livre objet, en forme de maison, qui se déplie comme un leporello, donnant à voir la totalité de la rue de la peur, tandis que l’autre côté montre les monstres dans leur intimité, pas effrayante du tout ! Voilà une belle façon de jouer avec les peurs enfantines, représentées ici par la petite fille pas très rassurée tout au long de son parcours, courant, marchant sur la pointe des pieds, ou sifflotant, l’air dégagé… Chaque maison, plus inquiétante que la précédente, renvoie aux imaginaires des cauchemars et des personnages inquiétants, pour le plus grand plaisir du lecteur. La seconde partie du voyage, la visite guidée que propose le grand-père, est d’une autre facture. Il s’agit d’un réel apprentissage, apprentissage de la diversité, de la tolérance, et découverte des autres dans ce qu’ils ont de positif au-delà de leur apparence repoussante. Ainsi chaque personnage devient sympathique et quelque part, a son grain de folie, mais peut aussi être la victime de sa propre monstruosité, comme une infirmité. Toutes les angoisses éprouvées par la fillette se renversent alors en sympathie pour les personnages dont le grand-père donne à voir la vérité profonde au-delà de l’apparence. Si tous les archétypes de la peur sont bien présents, c’est pour être mieux déconstruits dans la seconde partie par l’adulte bienveillant. Après tout, tout n’est qu’affaire de regard et de point de vue. Ainsi nous lecteurs avons nous été bernés par la représentation de profil de la fillette, et ne découvrons qu’à la fin qu’elle fait aussi partie des monstres. Peu de textes dans cet album, mais fortement encadrés par deux expressions qui en disent toute la philosophie : Parfois l’enfer mène au paradis, et Merci Papy tu m’as ouvert les yeux !

Un beau livre objet pour jouer à se faire peur, mais, au-delà de ce jeu, un album qui aborde le thème de la différence avec un humour indéfectible !

Sombre

Sombre
Patrice Favaro
Le calicot 2022

Ce qui reste de l’enfance

Par Michel Driol

Le narrateur vit avec ses grands-parents dans une ville du sud de la France. Il prend des cours d’orthographe avec une jeune étudiante. Un jour, il est la cible d’un pédophile au scooter jaune. Apeuré, pour se défendre, il récupère le révolver de ses grands-parents, en parle à un de ses copains qui l’incite à aller, avec lui, attaquer quelques homosexuels. Puis le copain, qui garde le révolver, attaque un commerce… Quelques années plus tard, écrivain, il revient sur les lieux de son enfance.

Le narrateur donne toujours un nom aux gens qu’il rencontre. Sombre, c’est lui, la Ridée et le Trembloteur ses grands-parents… Des surnoms qui disent en fait la vérité profonde de ceux qu’il croise. Victime du divorce de ses parents, il se souvient des jours heureux, se dédouble parfois : je et il. Deux rencontres le marquent : celle de Clara l’étudiante, comme un premier amour inavoué, celle de Flamme, l’homosexuel, qui trouve les mots pour lui parler et le faire progresser. Grandir  sans ses parents, pris dans une ville sans intérêt, solitaire, quand on est Sombre, mais qu’on va aller vers la lumière et la reconnaissance finale de l’écrivain, voilà le parcours que propose dans une écriture dépouillée et expressive ce petit roman, plus complexe qu’il n’y parait à premier regard. Complexité des thèmes qu’il aborde : solitude de l’adolescence, l’enfant victime d’un sadique, des préjugés du copain, confronté à l’homosexualité, à d’autres différences. Complexité de l’écriture, en particulier dans les incipits des chapitres, phrases courtes, groupes nominaux, allant à l’essentiel. Complexité du regard de l’adolescent sur le monde, marqué en particulier par les surnoms sans complaisance qu’il donne à son entourage.  Complexité du temps qui passe, qui évoque aussi bien le passé glorieux de docker du grand père que la réussite du héros dans un domaine où on ne l’attendait pas. Le dernier chapitre, en particulier, après une belle ellipse, le conduit à décrire ce qui a changé dans cette ville du sud en quelques années.

Un beau roman dans lequel nombre d’adolescents, solitaires, mal dans leur peau, sombres eux aussi, dans des familles désaccordées, se reconnaitront, pour les inciter à réfléchir et leur donner l’espoir de la lumière à venir.