Ce n’est pas très compliqué

Ce n’est pas très compliqué
Samuel Ribeyron
HongFei, 2014

Pas compliqué… et pourtant

par Anne-Marie Mercier

Ce n'est pas très compliquéDans un format assez grand, c’est une histoire simple qui nous est contée, pas compliquée en effet, celle de deux enfants qui jouent ensemble dans leur rue, puis sont séparés ; mais l’essentiel est ailleurs : dans les deux épisodes où le garçon cherche à savoir ce qu’il a dans la tête et se demande s’il a un cœur, et ce qu’il y a dedans. La réponse est belle, discrète et forte : les émotions vraies ne sont pas forcément celles dont on a conscience. Curieux, n’est-ce pas? C’est une façon de dire aux enfants qu’ils ne savent pas ce qui, dans les émotions ressenties, restera ou non gravé dans leur esprit, installé dans leur « maison » intérieure.

Les illustrations mêlant différentes techniques (papiers découpés, pastels, encres, aquarelles…), sur un fond beige, ont un style très original et les doubles pages sur ce qu’il y a dans la tête de l’enfant  (une forêt, sombre silencieuse, secrète, douce…) sont pleines de poésie et de mystère et invitent à se perdre dans cette forêt intérieure.

L’ami paresseux

L’ami paresseux
Ronan Badel

Autrement, 2013

Nouvelle aventure spatiale

Par Dominique Perrin

amiAu grand chagrin de ses amis de la jungle, un paresseux endormi sur sa branche est arrimé à un convoi de troncs en partance pour les zones industrielles dévolues à la grande consommation humaine.   Ce nouvel album muet de la collection « Histoire sans paroles » est placé sous le signe d’un simple et joli jeu de mots, qui en annonce la bonhomie espiègle. Qu’il soit question ici des paradoxes de l’amitié ou des moeurs étonnantes du petit animal congénitalement somnolent, le charme opère une fois de plus grâce au coup de génie d’une collection associant le long format à l’italienne à l’empire exclusif de l’image, vouée par là à occuper « toute la place » – comme chez René Char la beauté  et à assumer tous les devoirs.
Si la double-page fait ici l’objet d’un traitement moins ouvertement cinématographique que dans d’autres bijoux de la même collection, elle ménage cependant une puissante diversité de points de vue sur l’espace, et par contrecoup sur le monde et sur ce(ux) qui l’habite(nt) …sans pourtant que l’aventure se déroule hors du monde comme mystérieusement sphérique de la jungle même.

 

Comme des images

Comme des images
Clémentine Beauvais
Sarbacane (X’), 2014

 

La vie à pile ou « face »

 Par Anne-Marie Mercier

Comme-des-imagesOn sait la place que prennent les réseaux sociaux, Facebook, les mails, les échanges de vidéos et de photos dans la vie des adolescents. On sait aussi les ravages qu’ils peuvent faire. Ce roman a le mérite d’aborder ces thèmes mais aussi de les lier à une question plus complexe qui les sous-tend, celle de d’image de soi : celle qu’on construit, celle que les autres nous renvoient, celle qui se déchire et s’abîme de façon parfois mortelle.

Il est inutile de raconter l’histoire : la composition du roman, qui mélange les temps et les tempos est extrêmement efficace et le rend absolument captivant. Le contexte est celui du lycée Henri IV à Paris, d’une histoire d’amour qui tourne mal, d’une histoire d’amitié un peu tordue, de jumelles, d’icônes de la classe. Elle est racontée par un personnage apparemment secondaire, qui pourrait être un «confident» de personnages tragiques au théâtre et qui pourtant prend toute son importance dans la leçon finale : certains adolescents sont «comme des images», c’est-à-dire qu’ils ne sont rien d’autre qu’une image construite. On peut douter de cette conclusion mais elle contient une  part de vérité, vérité utile.

Le Suivant sur la liste

Le Suivant sur la liste
Manon Fargetton

Rageot, 2014

Le suivant sur la liste…des romans à lire

Par Matthieu Freyheit

LesuivantsurlalisteNathan est un mordu d’informatique, un petit génie et hacker prodigieux, fidèle à l’image fictionnelle du hacker. Morgane est une reine de popularité : ne pas l’aimer est semble-t-il impossible. Timothée, le cousin de Nathan, est protégé de son empathie maladive par les murs de la clinique des Cigognes. Izia, rebelle solitaire, et Samuel, rebelle solitaire (bis), ne sont pas tout à fait communs non plus. Vous découvrirez que tout cela n’a rien de naturel. Mais il ne faut pas attendre jusque là pour que s’emballent les choses : dans les premières pages déjà, on comprend que Nathan est sur la piste d’un secret dérangeant qui ne concerne pas que lui. Dans les premières pages déjà, la voiture fonce à vive allure, mettant un terme définitif (pense-t-on) aux recherches du jeune adolescent. Mystères, complots, faux accidents et courses-poursuites, la vie de cette poignée de collégiens bascule avec la mort de Nathan et l’envoi d’étranges emails posthumes… Dans ce roman palpitant, l’univers du thriller se mêle efficacement à celui de la science-fiction et du marvel. Un art du mélange et de l’hybridation (une association du fond et de la forme qui dans ce roman fonctionne parfaitement) que Manon Fargetton avait déjà initié dans Aussi libres qu’un rêve (2013).

Ici, la convoitise des uns fait le malheur des autres, et le potentiel révélé devient un fardeau à cacher, tandis que la solidarité du groupe est mise à rude épreuve. Ce qui n’empêche pas l’auteure de dessiner, parallèlement, les contours d’une belle et cruelle histoire tantôt d’amour, tantôt d’amitié. Tantôt de trahison. Le motif classique du superhéros, assez peu représenté en France, trouve ici une application intéressante parce que discrète : sans spectacle, Manon Fargetton crée du rythme, de l’aventure, de la tension, presque du cinéma, tant l’écriture restitue ici un mouvement continuel (des corps, mais aussi des sens).

C’est, en somme, un très bon roman qui confirme la qualité de la série Thriller de Rageot qui s’affirme comme une collection incontournable du thriller dans la littérature adolescente. Quant au roman de Manon Fargetton, il s’achève sur la promesse d’une suite, que l’on ne peut qu’attendre avec avidité.

 

 

Mon oiseau

Mon oiseau
Christian Demilly, Marlène Astrié
Grasset, 2014

Fragments d’une sagesse à longue détente

Par Dominique Perrin

9782246787112FS« Mon oiseau c’est mon oiseau / mais il n’est pas vraiment à moi. / Il n’est à personne, il est à lui. » Après une première double-page aux résonances moins immédiatement philosophiques (quoique… le texte suivant y apparaît : « Mon oiseau est doux, et quand / il vient picorer dans ma main, / il ne me pique pas », en regard d’une longue branche d’arbre porteuse d’un petit volatile noir au bec aussi contondant qu’éclatant), le timbre de ce très beau premier album se trouve et s’offre sans afféterie pseudo-enfantine.
Il s’agit, à touches patientes de tourne en tourne de page, du portrait d’une relation de confiance, d’estime et de tendresse entre un jeune oiseau et un tout aussi jeune humain. Les textes peuvent être isolés comme autant d’aphorismes ; l’image évoque, par des procédés d’aujourd’hui, la précision empathique d’un Albrecht Dürer peignant le monde végétal.
On est porté à laisser parler ici le texte plutôt qu’à gloser sa portée bienfaisante et polyphonique : « Parfois mon oiseau est triste / mais ce n’est jamais pour longtemps, / parce qu’il sait que ça me rendrait triste, / et ça, mon oiseau n’aime pas. // Mon oiseau est joyeux, la plupart du temps ; / il n’est pas joyeux pour un rien, non. / Il est joyeux parce qu’il existe (et un peu / parce que j’existe, aussi). »

Rose et l’automate de l’opéra

Rose et l’automate de l’opéra
Fred Bernard, François Roca
Albin Michel Jeunesse, 2013

Douceur robotique

par Sophie Genin

RoseetlautomateAprès l’opus de l’an dernier du célèbre duo, La Fille du Samouraï, magnifique mais très sombre, Fred Bernard et François Roca avaient envie de douceur. C’est réussi ! Quel plaisir de se glisser dans les chaussons de Rose pour visiter les coulisses de l’opéra et découvrir avec elle un vieil automate qui n’est pas sans rappeler celui de Hugo Cabret dont on retrouve ici l’ambiance !

L’héroïne est comme on les aime : combattante, elle ira jusqu’au bout pour faire entendre raison au directeur et faire danser l’automate mis au rebut et oublié dans un coffre. Le choix de la narration interne incarnant l’automate et ses sentiments sert admirablement le propos. Les personnages sont attachants et tendrement présentés, en particulier le vieux machiniste à moustaches, grand-père symbolique aidant Rose à réaliser son rêve.

Les illustrations de François Roca rappellent celle du fabuleux Jésus Betz : cet automate-tronc déambulant dans les bras de la jeune fille est une réminiscence betzienne! Un des tableaux en particulier, à la Degas, marque l’esprit du lecteur : les tutus blancs pendus sur leur cintre, comme suspendus dans l’air, fantômes émouvants.

L’atmosphère surannée et nostalgique de ce conte moderne fait rapidement effet : voyageant dans le temps sans quitter le nôtre, on sort de cet album un sourire tendre aux lèvres et on a envie de remercier les magiciens qui ont permis cette bulle volée à la vitesse, la consommation et à l’efficacité absurdes de notre monde. Voilà qui est fait : merci !

Les Fleurs parlent

Les Fleurs parlent
Jean-François Chabas, Joanna Concejo
Casterman, 2013

Le langage des fleurs ou Ovide revisité

Par Anne-Marie Mercier

lesfleursparlentPas de métamorphose dans ces trois récits de Jean-François Chabas, mais une rêverie sur la signification qu’on attribue aux fleurs, sur ce qu’elles évoquent. Les commentaires d’un ouvrage sur le langage des fleurs (de G. X. Geissmann, paru en 1899) sur la tulipe, l’œillet blanc et la pivoine sont autant de départs d’histoire. La valeur de la tulipe nous transporte aux Pays bas où un vieil inventeur d’une variété rare découvre la cupidité de ses semblables et la dureté du monde. L’œillet blanc est l’histoire d’une amitié entre deux enfants d’une tribu indienne d’Amérique que tout oppose, jusqu’à leur rencontre avec un grizzli. La pivoine orgueilleuse est l’image d’une très belle enfant, puis jeune fille puis femme, Narcisse au féminin si folle d’elle-même qu’elle se perd.

Le texte est complexe, la vision du monde désenchantée et sombre ; l’ouvrage ne s’adresse pas aux enfants mais à des lecteurs confirmés prêts à méditer sur les questions de signification, sur les apparences et leurs pièges. Les illustrations de Joanna Concejo, délicates, montrent à travers ces correspondances la fragilité des belles choses.

Une amie pour la vie

Une amie pour la vie
Laëtitia Bourget, Emmanuelle Houdart
Thierry Magnier, 2012

Union des contrastes

Par Anne-Marie Mercier

Une amie pour la vie Laëtitia Bourget, Emmanuelle HoudartAmour et amitié nourrissent les ouvrages de ce duo d’artistes. Le même cœur, plus proche de l’organe que de sa représentation stylisée, en parcourt les pages. Ici c’est un beau portrait d’une vie d’amitié entre deux filles, puis femmes, mères, vieilles femmes, à travers toutes les étapes de leur vie. Le texte est sans surprise dans la description de la perfection tandis que les images  d’Emmanuelle Houdart mêlent stylisation et réalisme, épure et surcharge, provoquent parfois le malaise, suscitent toujours l’émerveillement.

L’ouvrage foisonne de petits détails et notamment de titres d’ouvrages qui sont autant d’hommages à d’autres illustratrices et illustrateurs.

Le temps des ours

Le temps des ours
Rascal
Pastel, L’école des loisirs, 2013

Puisque personne ne m’aime…je pars

Par Lauren Fargier, MESFC Saint-Etienne

LetempsdesoursCet album présente la  quête d’un petit ours en peluche, qui  à cause d’un manque d’amour a décidé de quitter la maison. Il passe alors dans un nouveau monde avec l’espoir de rencontrer quelqu’un qui l’aime enfin. Sur sa route, il croise une fleur, un nuage, des pierres et une rivière, mais aucune de ces rencontres n’est concluante, excepté celle de la rivière qui parvient finalement à lui redonner le sourire.

Par une écriture simple et poétique et une illustration aux tendres couleurs pastel, Rascal transmet beaucoup plus qu’une histoire : ses intentions se traduisent par le choix du format qui convient à l’intime, et qui permet de faire ressentir un florilège d’émotions telles que la solitude, l’amour, l’espoir, la déception.

L’illustration semble cependant prendre la pas sur le texte, par la mélancolie qu’elle parvient à faire ressentir au lecteur. On peut lire sur le visage du petit ours un désarroi que les effets de cadrage renforcent, amenant le lecteur à éprouver compassion et empathie pour lui. Néanmoins, à chaque rencontre, l’auteur accorde une double page pour montrer l’importance de l’espoir qui naît chez le personage. Enfin cette évolution positive s’observe également au travers de l’évolution de la fleur qui est fermée sur la  première de couverture et ouverte sur la quatrième. Cette transformation de la rose rend compte de l’état émotionnel du petit ours du début à la fin de l’histoire.

Cet album est un véritable coup de cœur ! En peu de mots mais avec des dessins saisissants, à travers un personnage animalier à forte valeur nostalgique, Rascal réussit ni plus ni moins à nous parler du besoin de lien social et des émotions qui s’y attachent, tout en prévenant le jeune lecteur de la complexité des relations, ce que résume la rivière : « Je veux être ton amie, mais avant toute chose, je me dois d’être honnête avec toi… Sache que je serai différente chaque jour ! Selon mes humeurs, je déborderai ». Elle montre que ces liens construisent ce qui nous fonde, l’estime de soi.

Brunehilde d’en face

Brunehilde d’en face
Ingrid Thobois
Thierry Magnier (Petite Poche Premières lectures), 2012

Ce que m’apprend mon double

Par Claudy De Melo, MESFC Saint-Etienne

BrunehildedenfaceCe court roman pour enfants à partir de 7ans, dont la lecture est facilitée par les gros caractères, le format ainsi que le découpage en petits chapitres a un côté pratique et maniable. Petite fille surdouée de 6 ans, Brunhilde ne s’intéresse pas aux autres enfants de son âge. Elle préfère rester chez elle avec ses sœurs et ses parents.  Mais voici qu’un jour, une famille emménage à côté de chez elle, et cette famille ressemble beaucoup à la sienne : des parents de même profession, quatre filles dont la dernière de six ans se prénomme Brunhilde elle aussi. Il s’avère que rien ne différencie Brunhilde de Brunhilde d’en face, à part leur façon de voir le monde. Brunhilde qui n’aime pas la présence d’autres enfants de son âge trouve alors en Brunhilde d’en face quelque chose de passionnant : elle ne voit pas les choses de la même manière qu’elle, et rêve souvent les yeux dans le vague. Bien sûr, les autres élèves se moquent d’elle, mais Brunhilde la défend car elle est son amie.

Suite à une longue absence à l’école de Brunhilde d’en face, Brunhilde se rend compte que la cause de cette absence est la différence de son amie. Brunhilde d’en face est atteinte d’une maladie (comme le dit son père), mais pour elle, c’est simplement qu’elle n’est pas pareille.

C’est une histoire racontée avec beaucoup de simplicité, dans une écriture adaptée aux enfants de l’école élémentaire. Le début du roman s’articule autour de Brunhilde et de son quotidien, raconté avec quelques touches d’humour. La suite de l’histoire est consacrée à l’amitié et à la différence ; ainsi prennent place les sentiments et émotions qui touchent le lecteur. L’humour apparait avec parcimonie au début du roman, à travers un langage  parsemé d’expressions «de jeunes» : « Qu’est-ce que j’en ai à faire », « la honte » … et la façon dont la petite fille s’exprime, entre naïveté et profondeur : « je frôle la perfection », « bientôt je ferai le trajet toute seule à pied, dès qu’elle aura cessé de voir des pédophiles partout »… Cela rend l’histoire d’autant plus plaisante pour les enfants qui peuvent facilement  s’’identifier à Brunhilde.