Bien rangés à l’école

Bien rangés à l’école
Elo
Sarbacane, 2020

Range ta classe !

Le petit théâtre de l’école, c’est aussi bien la cour que le couloir, le dortoir, la cantine, la classe. Tous ces lieux sont représentés très colorés et très pleins : pleins d’enfants-patates aux nez pointus, de sexe indéterminé, de diverses couleurs (bleus, rouges, rose, vert…), très actifs et coopérants, quand ils ne sont pas rêveurs et contemplatifs, et plein de meubles, de décorations, d’objets de toutes sortes (aquarium, crayons, ciseaux et colle, papier hygiénique, gâteaux, chaussons..).

Toute cette animation sans parole se combine avec celle que propose le dispositif : un disque à faire tourner sur lequel apparaissent toutes sortes d’objets lorsqu’ils se trouvent face aux découpes de la page. Ainsi, il faut chercher où placer la chaussette qui se promène dans un endroit incongru, sortir les biscuits de la table où l’on dessine, découpe et colle, remettre le serpent dans le vivarium, attribuer à chacun son doudou, et ne pas mélanger les bottes et les bonnets…
Il y en a des choses à ranger, désigner, commenter ! Cet album est un support drôle pour nommer les choses, les apprivoiser… et peut-être apprendre à ranger en comprenant la logique de chaque classement. Malin !

Mercredi

Mercredi
Anne Bertier
MeMo (2010), 2018

Du jeu, de la géométrie, de la créativité : MeMo dans les pas du Père Castor

Par Anne-Marie Mercier

Bel hommage à Nathalie Parain, cet album carré, au format original (que l’on ne peut qualifier ni de petit ni de grand : que dire donc, sinon qu’il est parfait ?), propose les jeux de deux personnages : Petit Rond et Grand Carré. On l’aura compris, ce sont des formes géométriques, l’une est bleue et l’autre orange, couleurs complémentaires – mais rien à voir avec l’album Petit Bleu et Petit Jaune de Léo Lionni qui travaillait sur la couleur. Ici, seule la forme compte et elle est travaillée à merveille.
Il faudrait ajouter à la forme les mots, car c’est aussi un imagier associant mots et choses, formes graphiques et décodage de celles-ci : « Il leur suffit de prononcer un mot et ils se transforment aussitôt ». Grand Carré (il mène le jeu) lance le thème ; Petit Rond l’imite, d’abord en essayant de reproduire la même forme (un papillon avec deux triangles pour l’un, deux demi-cercles pour l’autre), une fleur, un champignon… On en aura une idée plus précise en feuilletant sur le site de l’éditeur.
Mais le jeu a des limites et on ne peut pas tout faire quand on est petit. Après une brouille, les deux amis coopèrent harmonieusement et longuement, preuve que le jeu en collaboration est plus intéressant que le jeu en compétition : ils forment ensemble un « i », un bonbon, un clown… et ce temps de jeu se termine bien évidemment par un goûter. Voilà une belle façon d’occuper les mercredis.

On retrouve ici les principes qui animaient Nathalie Parain et l’équipe des débuts du Père Castor : proposer de beaux albums, à la lisibilité travaillée (la typographie et la mise en page de l’album vont dans ce sens), qui sollicitent l’imagination et développent la créativité de l’enfant. Mercredi est une invitation à poursuivre en jouant au tangram, ou en créant de nouvelles formes, comme les tout premiers albums du Père Castor signés par Nathalie Parain, Je fais mes masques (Paris : Flammarion (Albums du Père Castor), 1931 / Mes masques, 2004 ; 2006) et surtout Je découpe (Paris : Flammarion (Albums du Père Castor), 1931 ; Nantes : MeMo, 2012).
Avec le même principe de collages, Anne Bertier a travaillé également sur les opérations arithmétiques, dans  la série « Signes jeux » de MeMo, pour « donner un sens graphique aux opérations de l’arithmétique élémentaire. Elle traite ainsi l’addition et la soustraction, mais également multiplication, division et égalité » (Je divise, Je multiplie, Je soustrais, C’est égal).
Saluons encore une fois le magnifique travail des éditions MeMo qui font reparaitre des classiques (ceux du père Castor, les albums de Sendak, etc.) et parfois les traduisent, ouvrant l’accès des français une histoire plus large de la littérature de jeunesse, et qui proposent également des albums contemporains inspirés de ceux-ci.
Les éditions MeMo ont également publié des monographies sur de grands artistes de ce domaine, comme Nathalie Parain, Paul Cox, ou Elisabeth Ivanovsky.

Billes

Billes
Laure du Faÿ
Sarbacane,  2019

Jeux infinis

Par Anne-Marie Mercier

Loin des récits mièvres sur le charme des jeux d’antan, et loin de l’austérité des documentaires, ce bel album, allongé en hauteur, offre le plaisir de contempler les merveilleuses couleurs et irisations de toutes sortes de billes : œil de chat, agate, pépite, perroquet, tortue, essence, sont les plus connues. Mais il y a aussi les abeille, flocon, galaxie, picasso. Selon leur taille elles peuvent être des calots, des mammouths, des mini billes… elles se déclinent en pierre, en verre, en bois, en acier, en os, en terre…
On découvre aussi comment elles sont fabriquées, depuis quand, où, et comment on y joue dans les différents jeux de billes : la tic, le bombardier, le mur, le pot… On pratique le troc, on construit des circuits, enfin il y a d’infinies possibilités.
Laure du Faÿ illustre tout cela en beauté, maniant les couleurs franches et les formes simples, alternant fonds blancs et fonds bleus, vues d’ensemble et détails, scènes et pages documentaires.

L’Art des Geeks

L’Art des Geeks
Floriane Herrero
De la Martinière, 2018

L’art pixelisé

Par Anne-Marie Mercier

Le titre peut tromper ceux qui n’ont pas suivi l’évolution du mot : désignant à l’origine des fondus d’informatique asociaux, le mot est devenu positif, et désigne aussi les adeptes des écrans. Parmi eux, des créateurs qui détournent les images de la culture populaire portée par la télévision, les animés, les jeux vidéo… mais aussi les produits dits dérivés. On y trouve aussi bien des icônes modernes comme Batman, Mario, les Simpson, les Playmobil… que des icônes religieuses, des personnages de contes (Cendrillon victime d’un accident de carrosse filmé par des paparazzi)…

L’ensemble est étonnant d’inventivité, de liberté joueuse, de détournements cocasses… que ce soit sous la forme de photo, d’objets, de meubles même (ceux imité de Star wars par Superlife et Eyal Rosenthal, par exemple). Il se présente comme un livre d’art : grand format, doubles pages, photos en pleine page, belle impression).

Bernie c’est mon ours

Bernie c’est mon ours
Janik Koat
Hélium, 2019

Un ours à l’infini

Par Anne-Marie Mercier

Six petits livrets dans un joli coffret, qui, posés à plat, forment un puzzle permettant de reconstituer la figure de… Bernie.
Il est partout, sur toutes les doubles pages, en pleine page, seul sur les cinq premières, tantôt jouant à différents jeux (ballon, toboggan…) , tantôt se déplaçant de différentes façons (en vélo, en trottinette, en avion… tantôt se cachant, changeant de couleur, comptant jusqu’à cinq… la sixième double pagede chaque volume le montre avec son ami, celui qui peut dire « c’est mon ours ».
Magnifique graphisme, « pépite » sur les ours, avec un ours imperturbable (et pour cause), quelle que soit la situation où son ami le met.

Un petit bijou à mettre sur l’étagère des beaux albums sur les (noun-)ours, par exemple avec Nours de Christian Bruel et Nicole Claveloux.

Anton X 3

Anton et les filles
Anton est-il le plus fort ?
Anton et les rabat-joie

Ole Könnecke

Traduit (allemand) par Florence Seyvos
L’école des loisirs, 2015 [2005], 2014, 2016

Des enfants et des jeux

Par Anne-Marie Mercier

La série des Anton est un régal permanent dont on ne se lasse pas. Son héros, toujours vêtu de blanc et rouge et portant un chapeau rouge, se confronte aux enfants de son âge, garçons et filles, ce qui met en lumière des comportements caractéristiques, souvent genrés, mais pas toujours, dans les jeux et les conflits.
Dans Anton et les filles, la question est de savoir comment s’introduire dans le jeu des autres, être accepté dans un groupe. Faut-il faire étalage de ses qualités, de ses possessions, de ses talents ? Faire « l’intéressant » ? Rien de tout cela, surtout, semble nous dire l’auteur, lorsque l’autre est une fille ou un groupe de filles. La réponse est en apparence simple, mais en fait assez retorse…
Anton est-il le plus fort ? met en scène deux garçons, Anton et Luckas qui se placent en compétition sur cette question cruciale et font assaut d’exagération et de comparaison, montrant qu’un assaut verbal est possible et efficace. Les propositions imaginaires sont inscrites en traits de crayons de couleur, rouge pour Luckas (qui est vêtu de bleu) et bleu pour Anton (toujours en rouge). La chute est comique et met les deux enfants à égalité, tandis que la fin montre que tout cela n’était que des mots, qu’un jeu…
Anton et les rabat-joie est sans doute le plus subtil. On est ici très proche de la psychologie enfantine, où le désastre de ne pas être accepté équivaut à la mort, où la mort est fantasmée (c’est quoi, être mort ? on ne bouge pas, on ne joue pas…) : Anton, refusé dans un jeu par ses amis habituels (Luckas, Greta et Nina), décide qu’il est mort et se couche. Luckas le rejoint bientôt, fâché avec les filles à qui il a emprunté une pelle (pour enterrer Anton, bien sûr) ; puis vient le tour de Nina, fâchée et enfin de Greta qui n’a plus personne avec qui jouer puisqu’ils sont tous morts. Les quatre enfants, couchés ne bougent plus… mais la pluie, mais les fourmis… Au calme succède l’explosion finale et les rires. Le récit se referme sur lui-même et sur le gouter proposé par Anton à ses amis.

 

Robinson

Robinson
Peter Sîs

Texte français de Paul Paludis
Grasset Jeunesse, 2018

Une île à soi

Par Anne-Marie Mercier

Cet album n’est pas une énième adaptation du Robinson de Defoe ; c’est à la fois une relecture et un souvenir de lecture, une mise en contexte, une relation entre l’enfant et le livre, et une superbe mise en image de la thématique de l’île où survivre.
D’après l’auteur, c’est une photo d’enfance qui a déclenché le souvenir et l’envie de réaliser l’album, tout y serait vrai, donc. Pourtant, sur la même dernière page il est affirmé que « cet ouvrage est un ouvrage de fiction. Les noms, personnages, lieux et circonstances sont issus de l’imagination de l’auteur, et toute ressemblance avec des personnes ou événements réels » (… etc.). Un peu comme dans Moi, Fifi de Solotaref, la photo devient alors un objet troublant, censé attester de la vérité de l’histoire dessinée, et tenant un discours double.
Le narrateur a des amis dans son quartier avec qui il joue aux pirates, matin et soir, partout ; ils transforment la ville, les rues et les squares en lieux imaginaires où vivre leur passion. Lorsqu’il s’agit de se déguiser pour un mardi-gras, tous ses amis viennent avec des habits de pirates, sauf lui, qui, suivant une idée (et une réalisation) de sa mère, vient en Robinson. Les moqueries et brouille sont suivies d’une forte fièvre qui l’emmène sur l’île de Robinson où, seul (mais avec son lapin), il explore, découvre des merveilles, apprend à survivre, se fait de nouveaux amis (des animaux), jusqu’au jour où les pirates débarquent…
Sur la dernière page, on lit encore : « Robinson a été réalisé avec des stylos, de l’encre et de l’aquarelle. Je voulais que les images et leur processus de création soient aussi libres que mon imagination d’enfant. L’histoire est avant tout un rêve. A travers les couleurs, le style et l’émotion de chaque page, j’ai essayé de recréer l’atmosphère onirique que j’ai ressentie lorsque petit garçon j’ai lu Robinson Crusoé ». De fait, si dans le récit cadre, réaliste, on retrouve le style habituel de l’auteur, la partie rêvée est fort différente : dans un style naïf, elle fait alterner pages sombres et pages claires, associe le vert de l’île et le bleu de la mer et du ciel, ou celui, plus profond, de la nuit, des formes exubérantes et des dessins plus sages, des doubles pages et des pages fractionnées… dans un rêve qui commence comme il a fini, de même que la brouille s’achève avec le partage d’imaginaires.

 

L’autre nuit au milieu des arbres

L’autre nuit au milieu des arbres
Lancelot Hamelin
Editions espaces 34 – Théâtre jeunesse 2018

En dehors du chemin, c’est plus intéressant

Par Michel Driol

Autour du Petit Héros, personnage principal et omniprésent, gravitent trois personnages : l’amimaginaire, le grand-père, le voisin. Dans une courte première partie, l’amimaginaire fait pénétrer le petit héros au-delà des bornes du chemin dans des maisons qui semblent s’emboiter les unes dans les autres. Puis, dans une deuxième partie, le grand père et le voisin évoquent la nuit qui tombe, et le petit héros découvre la signification de Fée Nomen. La troisième partie est un monologue du Petit Héros, adressé à l’amimaginaire : la nuit du Onge, où il est question du périple dans la forêt, des loups, du monstre, le Onge, qui l’emmène. Enfin, une quatrième partie, Est-ce que ça peut finir comme ça ? reprend le dialogue initial entre le Petit Héros et l’amimaginaire, sauf que, cette fois-ci, les rôles et les répliques sont inversés.

La pièce aborde de nombreux thèmes liés à l’enfance : la filiation et la transmission, l’envie de sortir du chemin tout tracé, de franchir les bornes, et les peurs. Dans un univers imaginaire davantage construit par la parole que montré sur scène, ces thèmes se croisent et se tissent pour construire progressivement l’identité du Petit Héros : il n’a pas de nom, se revendique comme un je et non comme un on, se définit par ses peurs. L’univers est celui des contes, petite maison dans la forêt, arbres, loups, monstres dévoreurs. Tout ici est jeu : jeu avec les mots, quand les adultes croient sérieusement que la nuit tombe, jeu avec l’identité, jeu avec le double qu’est l’amimaginaire, jeu avec les peurs, jeu aussi avec le théâtre car le Petit Héros se donne explicitement comme personnage de théâtre, sait qu’on est au théâtre et évoque le lieu même du théâtre, qui risque aussi d’être dévoré par les monstres. Mais ce jeu est celui des enfants, c’est-à-dire un jeu auquel on joue sérieusement.

La pièce parle donc du théâtre, boite noire, lieu de tous les possibles, lieu qui donne à voir au spectateur un double de lui-même, lieu de la parole et du merveilleux, de la magie, lieu où les peurs et les obsessions peuvent être dites et le monde convoqué par le simple pouvoir du verbe.

 

 

 

 

Foot mouton

Foot mouton
Pablo Albo, Guiridi
Didier jeunesse, 2018

Scoops

Par Anne-Marie Mercier

Première nouvelle, les moutons savent compter – le troupeau est composé de 71 individus. Deuxième nouvelle, quel que soit le nombre qu’on est, si c’est un chiffre impair, on peut jouer au foot, car cela fait deux équipes et un arbitre. Quant au ballon, c’est une pelote de laine (rouge, éclatante dans ces pages où presque tout est gris, noir ou blanc).
A partir de ce scenario, tout est possible mais pas la partie prévue : tout se ligue contre eux pour empêcher la partie, même le loup…
Scoop final : le foot serait d’abord et surtout un jeu, et non une compétition. Cet album en offre une belle démonstration.

Happa No Ko Le Peuple de feuilles

Happa No Ko Le Peuple de feuilles
Karin Serres
Rouergue 2018

Dystopie et main verte

Par Michel Driol

Dans un futur où les hommes n’ont qu’à jouer, où les machines contrôlent tout, où la ville est omniprésente, Madeleine, du quartier France 45-67, découvre que ses mains sont devenues vertes. Au Japon, Ken fait la même découverte. Les mains vertes donnent le pouvoir de voyager dans l’espace (ainsi Ken peut venir en France et Madeleine aller au Japon) ou dans le temps (ainsi on pourra retrouver le grand-père de Ken qui avait aussi les mains vertes). Ils découvrent d’où vient le sentiment de bonheur de leur monde : de l’exploitation à outrance des Happa no ko, le peuple de feuilles, créatures constituées d’énergie, communiquant par télépathie, capables de se transformer, et de se rendre visibles sous une sorte de pelage fait de feuilles.

Comme nombre de romans de science-fiction actuels, celui-ci confronte le lecteur à une dystopie : un univers urbain, d’où la nature est absente, et où l’on croise des machines-docteurs, des machines-police, des machines-repas. Bien sûr, et c’est l’un des ressorts des dystopies, il est nécessaire que des individus, d’une façon ou d’une autre, prennent conscience de la réalité du monde sous ses apparences et tentent de changer quelque chose. Dans cet univers totalitaire, on n’a plus besoin de travailler : l’école survit, mais c’est une école où on apprend à jouer. Gare aux dissidents : un couvre-feu est instauré, les machines-police surveillent tout car les moindres faits et gestes sont enregistrés. Loin de cet univers, les deux ados découvrent un autre monde, celui du passé, et cette relation particulière avec la nature, sous la forme du peuple de feuilles, capable de redonner de l’énergie, un bonheur non artificiel. Le roman conduit donc à s’interroger sur notre futur : est-ce vers un monde de plus en plus virtuel, artificiel, dans lequel le jeu devient une aliénation, la seule obsession des individus que nous souhaitons aller ? On ne révèlera pas bien sûr la fin du livre : on dira simplement qu’elle est forte et qu’elle reste heureusement ouverte.

Une fable poétique, inspirée de la culture japonaise, à la fois légère et grave, pour retrouver le plaisir d’une promenade en forêt et l’odeur des champignons dans un monde qui tend, de plus en plus, à les oublier.