Le Loup dans la nuit noire

Le Loup dans la nuit noire
Sandrine Beau – Illustrations de Loïc Méhée
D’eux – 2022

Jeux d’ombres

Par Michel Driol

C’est la nuit. Dans un lit se trouve un loup, qui petit à petit ouvre un œil, puis se lève, le tout avec une grande lenteur qui fait penser à la célèbre comptine Promenons-nous dans les bois. Puis il pousse une porte, et, après une page complètement noire, on découvre la vérité : le loup n’est une fillette qui sort des toilettes, après avoir dit « Maman, j’ai fini »…

Le texte, court, facile à comprendre, est réduit à des schèmes d’action qui commentent avec sobriété l’image. Il est saturé de l’adjectif noir, afin de créer une atmosphère liée aux peurs nocturnes. Tout est fait pour que le lecteur anticipe, sans savoir quoi. Que va faire ce loup qui couche dans un lit, vit dans un appartement ? Et la surprise finale est grande de découvrir que l’on s’est fait avoir par l’album, qu’il n’y a pas de loup, mais une fillette dont on peut penser qu’elle se prend pour un loup. Quant aux illustrations, elles ont surtout recours au noir, comme des ombres chinoises qui se détachent sur des fonds colorés passant d’un bleu reposant à un rouge inquiétant, puis à un jaune qui donne à anticiper la lumière finale.  L’album fait appel, avec intelligence,  à l’imaginaire et à la subtilité du lecteur. La surprise finale, qui fait passer de l’univers du loup, de la nuit, de la peur, à un univers familier et à une action quotidienne, conduit à s’interroger, à faire un effort de compréhension qui parfois désarçonne les jeunes lecteurs. La fillette est-elle le loup ? Est-ce le loup qui s’est transformé ? Les enfants peuvent ainsi émettre de nombreuses hypothèses avant de comprendre – ce qui ne va pas de soi – le jeu des ombres portées de la fillette et de sa poupée qui dessinent ainsi la silhouette du loup.

Un album qui expose les peurs primales du loup et de la nuit pour mieux s’en jouer, pour le plus grand plaisir du lecteur.

Qui a peur de la peur ?

Qui a peur de la peur ?
Milada Rezkovà (texte), Lukàš Urbanek, Jakub Kaše (ill.)
Traduit (tchèque) par Eurydice Antolin
Helvetiq, 2021

Une émotion vue dans les grandes largeurs (et en détail)

Par Anne-Marie Mercier

On trouve de nombreux livres plus ou moins bien faits sur les émotions, mais rarement un projet aussi élaboré et aussi abouti. Il est fait autant pour l’enfant que pour les adultes qui cherchent à l’éduquer et le rassurer, contrairement à la plupart, qui sont des livres conçus comme des supports d’éducation ou d’enseignement, et non comme des objets de plaisir, de curiosité, de réflexion et de jeu.
Pas de pensée simplette  ici : la peur est montrée comme un phénomène normal, naturel, qui touche tout le monde, même les adultes et les animaux. On apprend comment elle fonctionne, en quoi elle est nécessaire pour la survie, comment elle évolue avec l’âge et les expériences, comment elle diffère selon les individus, quelles phobies diverses peuvent affecter certains…
Mais ce parcours n’a rien d’un livre encyclopédique ardu car il sollicite sans cesse son lecteur par le jeu, l’imagination, la création (plusieurs pages vierges sont proposées pour y dessiner ou écrire comment on se représente la peur, ce qu’on en a vécu comme expérience). La peur elle-même s’adresse au lecteur, consciente de son rôle et montrant qu’il ne faut pas la craindre, mais la comprendre. Elle introduit le lecteur à toutes ses nuances (appréhension, anxiété, nervosité…) ; le vocabulaire est d’une extrême richesse et la traduction (du tchèque) d’un grand naturel. La peur donne aussi des secrets et petits trucs pratiques pour  dompter ou  contourner ses peurs.
Les illustrations sont souvent cocasses, parfois belles, elles sont dues à deux graphistes pragois. De courtes bandes dessinées proposent des situations bien connues des enfants et adolescents (par exemple la crainte de faire un exposé en classe). Le choix de gros caractères et d’images en grand format rend l’ouvrage facile à lire à plusieurs.
C’est donc le livre parfait pour tout comprendre de la peur, chez soi ou à l’école, débattre sans crainte, grandir sans appréhension. Et que de choses on y apprend (tiens, saviez-vous que les requins ont peur des dauphins ?).
Une critique et des images à lire et voir sur mômes.net

 

 

Doudou loup et le drôle de bruit

Doudou loup et le drôle de bruit
Stéphanie Bardy (ill.)
Casterman, 2021

Doudou y es tu?

Par Anne-Marie Mercier

Si l’idée d’offrir un petit carré de tissu représentant le héros de l’histoire (doudou loup) est intéressante et généreuse, on reste perplexe quant à sa présentation : n’est pas doudou qui veut et pour les petits cela pourrait relever de l’imposture, ou au moins du non-sens.
L’intrigue est mince: Doudou loup entend du bruit, il a peur et cherche d’où vient ce bruit étrange. Mais elle a deux qualités : elle permet une répétition des mêmes onomatopées qui rythmeront la lecture et elle invite le jeune lecteur à agir pour consoler ou rassurer doudou loup, en suivant l’exemple des livres de Bourgeon et Ramadier.
Pour que cela fonctionne, il faudrait que le personnage (Doudou loup) soit perçu comme tel, et qu’on puisse repérer ses oreilles pour les frotter, que l’on ait  envie de le caresser ; rien n’est moins sûr.
Les illustrations sont jolies, mais il leur manque de la lisibilité et il leur faudrait un scénario un peu plus convaincant, davantage  de cohérence et de pertinence et un vocabulaire un peu moins inutilement complexe. Est-ce la raison pour laquelle le livre est donné sans nom d’auteur pour le texte ?

Les rêves d’Ima

Les rêves d’Ima
Ghislaine Roman – Bertrand Dubois
Cipango 2020

Créer pour maitriser la peur

Par Michel Driol

Au bord du lac Titicaca vit une fillette, dont les oncles et tantes sont potier, tisserande, bijoutier. Mais chaque nuit Ima fait d’incroyables cauchemars. Chacun des membres de la fratrie tente de lui faire découvrir son art. Peine perdue. Jusqu’au jour où un vieil indien lui propose un bateau pour enfermer ses cauchemars. Mais, une fois les terreurs nocturnes enterrées, toute la famille perd son pouvoir créateur. Ima alors déterre le piège à cauchemars et devient, à son tour, une grande conteuse.

Prenant les allures d’une légende inca, voici un album qui tisse les liens entre les peurs et la création artistique. On retrouve bien sûr tout l’imaginaire des Indiens d’Amérique du Sud, les motifs tissés les poteries, les bijoux, la Terre-mère, Pachamama, que les illustrations de Bertrand Dubois rendent à merveille, toujours en grand format, soit en page simple, soit en double page. L’album est donc d’abord une invitation au dépaysement vers un autre continent, une autre culture. Mais, au-delà de ce pittoresque, il montre à quel point la joie de la création qui habite la fratrie est indissociable de la peur, peur des volcans, des monstres qui assaillent la fillette, comme s’il y avait là l’envers et l’endroit d’une même chose. Sans peur, la création devient insipide, sans âme, sans esprit, et le marchand d’art rejette sans pitié les productions artisanales. La peur doit être acceptée, comme faisant partie de la vie, et est la condition de la création, suggère l’album. Les récits merveilleux d’Ima, comme une mise en abyme de l’album, mêlent les forces cosmiques, les forces naturelles, et donnent des conseils, tracent des voies pour trouver son chemin dans la vie. Belle définition non seulement des contes, mais aussi de la force de l’art, et tout particulièrement de la littérature. Et on ne peut que songer au travail et aux thèses de Serge Boimare sur la question.

Un album qui parle des peurs de tout un chacun, pour apprendre à les dépasser, en particulier grâce à la littérature.

Gordilok

Gordilok
Taï-Marc Le Than, Christine Roussey
De La Martinière jeunesse, 2019

Grrrrrrrr !!!!!

Par Anne-Marie Mercier

oilà un monstre digne de rejoindre les Gruffalo et autres cauchemars de placard : il est vert, il a de très grandes dents acérées qu’il montre à tout bout de champ, il se cache partout : dans les bois, dans le noir, dans la salle de bain, dans la chambre, sous les lits…
L’album joue sur les peurs mais les images sont assez grotesques pour ne pas être effrayantes et l’accumulation des clichés permet de traiter cela avec humour.
Enfin, il propose à quatre reprises au lecteur de dire à voix haute une comptine. Ce côté interactif est bien venu, tout comme la surprise qui vient au milieu de l’histoire : dite un quatre fois, la comptine attire le monstre : ça y est, il nous a repérés…
Mais en dernière page une autre comptine répétée quatre fois permet de faire rentrer le monstre dans son trou. Le lecteur est sollicité et interpellé. Il peut mettre ses peurs à distance, les regarder de haut.
Le nom du monstre est bien trouvé sur le plan phonique, mais il ressemble curieusement au nom de Boucle d’or en anglais (Goldilocks). Étrange rencontre.

Onze ours

Onze ours
Nathalie Wyss, Pascale Breysse
L’initiale, 2019

 

Affronter ses peurs, mais pas tout seul

Par Anne-Marie Mercier

Les onze ours veillent sur l’enfant, « en peluche, en dessins, en tableaux, dans des cadres, en statuette » ; on découvre leurs noms en fin d’album : Malika Malabar, Valentine Vaillante, Colin Colosse (le plus petit), Diégo dégourdi… On peut les compter sur la couverture ou au fil des pages.
Mais ces images, doudous, etc, censés rassurer ne tiennent pas toujours face aux peurs. Celles-ci envahissent le blanc de la page, recouvrent les belles couleurs, dispersent les ours. Il faut l’intervention de la mère de l’enfant en ce cas. Elle rassure, rappelle la présence des ours tutélaires, mais on comprend que cette fiction ne tient que parce que la présence bien réelle de la mère les soutient.
Ce petit album se rattache à la collection des ouvrages philosophiques de l’Initiale (jeune maison d’édition installée à Marseille) avec son format carré. Mais il est surtout un superbe livre, aux illustrations qui mêlent délicatesse du trait et force des couleurs, les rehauts sombres à l’aquarelle tranchant sur les papiers découpés et crayonnés colorés et brillants. On peut feuilleter les premières pages sur calaméo.

Voir la fiche philo : http://linitiale.unblog.fr/peur/

 

La Nuit sous le lit

La Nuit sous le lit
Cécile Elma Roger, Matthieu Agnus
Dyozol, 2019

Il y a un cauchemar sous mon lit

 Par Anne-Marie Mercier

La chambre de Charlotte n’est pas très bien rangée : on y voit trainer un poulpe, un puzzle, une poupée. Sous son lit, il y a sans doute d’autres choses, dont on aperçoit un morceau dans la première double page. Avant de s’endormir, elle pense à tous les monstres qui pourraient l’y guetter : une forêt pleine d’animaux à grandes dents, le salon d’une sorcière, un cirque, une cuisine qui pue, une soucoupe volante avec un horrible extra-terrestre… une maison de poupée avec sa cuisine équipée, un loup, une scie…

L’angoisse arrivée à son comble elle finit par se lever et regarder grâce à la lumière de son doudou-veilleuse : rien !

Mais le lecteur, lui, voit bien, toujours sous le lit ou à côté, le poulpe, la maison de poupée, le loup, l’extra-terrestre du puzzle… Les tons bleus et sombres de la chambre font un beau contraste avec l’imagination colorée de Charlotte et ses cauchemars sont bien gothiques. Ce « voyage autour de ma chambre » nous emporte bien loin : le happy end enfermant n’enferme pas le lecteur qui reste face au mystère de la nuit, un peu comme dans le classique Il y a un cauchemar dans mon placard de Mayer.

La Maison de Madame M

La Maison de Madame M
Clotilde Perrin
Seuil Jeunesse 2019

Toi qui entres ici, abandonne toute espérance

Par Michel Driol

Sur la couverture, une porte entrouverte laisse entrevoir un personnage inquiétant, une longue queue, des pattes d’araignées. Des os brisés, et une boite aux lettres portant un nom, la mort. Une fois entré, on suit le guide, qui s’adresse au lecteur, et lui fait visiter cinq pièces de la maison. Deux lignes en bas des doubles pages correspondent au discours du guide, discours saturé d’un lexique particulier : diablement, fatal, disparaitre, vie, mourir, tuer… A la fin, le lecteur préfère s’enfuir pour ne pas rencontrer cette hôtesse d’un genre particulier.

Etrange album qui plonge dans un univers encore plus étrange, en suivant un guide  à la fois rassurant et inquiétant. Les double pages sont remplies des mots et des icônes de la mort : un calendrier de l’éternité, une danse macabre, une horloge, des vanités, de la pourriture et du compost, Perséphone, un fantôme…  Par ailleurs, plus de 25 flaps et animations diverses permettent d’ouvrir les tiroirs, les portes, les valises, de faire surgir des monstres pour continuer d’explorer cet univers rempli de détails macabres.

Tout comme dans ses trois derniers albums, A l’intérieur de mes émotions, A l’intérieur des gentils, à l’intérieur des méchants, Clotilde Perrin propose un livre objet à explorer. Cette fois, c’est l’imaginaire de la mort en occident qui est convoqué,  imaginaire à la fois très traditionnel, mais aussi contemporain dans les vanités par exemple, où se côtoient hamburgers et smartphone. On s’attarde sur les détails, les titres des livres de la bibliothèque, et l’on découvre ainsi une véritable encyclopédie surréaliste dont l’esthétique, faite d’accumulation, qui n’est pas sans évoquer la représentation baroque de la mort.

Cet album fait penser à cette chanson de Ferré, sur des paroles de Jean-Roger Caussimon :

Ne chantez pas la Mort, c´est un sujet morbide
Le mot seul jette un froid, aussitôt qu´il est dit
Les gens du show-business vous prédiront le bide
C´est un sujet tabou pour poète maudit

Peut-on consacrer un album jeunesse à ce sujet ? Oui, répond sans hésiter 20Clotilde Perrin. Car si la mort flirte avec des parties de corps : squelettes, yeux, des insectes, mouches et vers, des instruments comme les couteaux, elle flirte aussi avec l’humour : élixir de jeunesse, crème anti ride, squelette se brossant les dents, petits angelots (variation sur le thème baroque des putti) que l’on cherche de page en page. L’album se situe sur une corde raide entre le terrifiant et le familier, entre le cauchemar et le frisson pour rire. Rien de métaphysique. La question de ce qu’il y a après la mort n’est pas posée : un long sommeil, une porte finale monstrueuse ouvrant sur une représentation d’un autre monde très breughélienne, peuplé de monstres. Mais le lecteur s’enfuit à temps. Il faut vivre, dit l’album, tandis, qu’en 4ème de couv’, un petit monstre assez sympathique dit « Reviens ! »

Un album « encyclopédique » qui, par sa singularité et son originalité, occupe une place à part dans la production actuelle, entre Halloween, grand guignol et Jérôme Bosch…

 

Le Noir de la nuit

Le Noir de la nuit
Chris Hadfield et Kate Fillion, The fan Brothers (ill.)
Traduction (anglais) d’ilona Meyer
Edition des éléphants, 2016

« Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie »… (B. Pascal)

Par Anne-Marie Mercier

On a souvent de mauvaises surprises quand on ouvre un album signé par une « célébrité »,  vedette de la chanson ou du cinéma, de la politique ou du sport… Ici, la première surprise (quoique…) c’est que l’histoire est signée par un astronaute, Chris Hadfield, un peu aidé sans doute par Kate Fillion, dont le nom ne figure pas sur la couverture. La deuxième, c’est que le résultat est très réussi, combinant autobiographie et fantaisie.

Du côté de l’autobiographie, on nous montre le jeune Chris possédé à la fois par une passion de l’espace et par des terreurs nocturnes. Le dénouement associe ces deux éléments, le jour où il voit à la télévision Neil Armstrong et la mission Apollo 11 se poser sur la lune : il deviendra pilote et il se souviendra que rien n’est aussi noir que le noir de l’espace. Des photos en fin d’album montrent la cohérence de ces vies.

Le côté fantaisie est assuré par les illustrations, belles, drôles, rêveuses, qui évoquent tout à la fois un imaginaire de l’espace, comme dans les Tintin et les Caroline, et le monde de la nuit, rassurant par la représentation des parents, de la maison, du chien, inquiétant par les ombres qui prennent des allures d’extraterrestres et évoquent certaines créatures d’Ungerer ou de Sendak. L’infini des rêves et de l’espace se combinent pour faire rêver celui qui oublie d’avoir peur.

Ulysse 15

Ulysse 15
Christine Avel
L’école des loisirs (« neuf poche »), 2018

Partir, rester ?

Par Anne-Marie Mercier

Le héros s’appelle Ulysse, mais il n’a rien du héros, malgré les désirs de ses parents hyper actifs et amoureux de voyages. Ce petit roman raconte pourquoi et comment il est contraint de sortir de son apathie – et de sa coquille : son chat a disparu et il parcourt le quartier à sa recherche, interrogeant les uns, espionnant les autres, affrontant la bande qui le terrifie, se faisant des amis, etc. Jolie histoire : donnera-t-elle des idées à ceux qui sont plus amoureux des livres que du dehors ? En tout cas, le chat donne l’exemple.