Moi à travers les murs

Moi à travers les murs
Annie Agopian et Audrey Calleja

Rouergue, 2015

Naissance d’un conteur

par François Quet

moiatraverslesmurs « Des fois ma chambre est une punition ». C’est ce que dit le personnage principal au début de son histoire. « Des fois je déteste ma chambre », ajoute-t-il un peu plus loin. La chambre, c’est un espace de réclusion, « forteresse triste », qui isole, qui sépare, de la classe de neige ou de la chambre des parents. C’est l’espace du « Moi tout seul », expression qui revient souvent, l’espace du « malgré moi », de l’ennui et de la contrainte. Cependant, le dessin d’Audrey Calleja, à la façon parfois d’un gribouillage enfantin, peuple la chambre solitaire d’une foule de personnages : monstres verts, héros à la mode, Spiderman en pleine action, lapins aux grandes oreilles, animaux préhistoriques, créatures endormies ou sages fillettes aux yeux mi-clos.

Car le moi tout seul et exilé est aussi le roi « absolu » de cet univers et la chambre « d’aventure et de rêve » lui permet de s’évader « à travers les murs » mieux que ne le permettraient une porte ou une fenêtre ouverte. Plusieurs références à Sendak laissent penser que Moi à travers les murs est une réécriture moderne de Max et les Maximonstres. L’enfant puni (ou même reclus dans le secret) s’invente un monde d’aventures, de voyages et d’exploits : superhéros, monstres domptés, ménagerie endormie. Un jour les histoires auront grandi et le moi mélancolique de la chambre connaitra d’autres murs, d’autres pays, d’autres aventures réelles ou imaginaires.

Ni le récit, ni les images de cet album ne sont très conventionnels, et la syntaxe un peu heurtée de l’illustration comme du fil narratif gêneront peut-être le lecteur adulte. Il est probable que l’enfant, au contraire, flânera, plus à l’aise, dans cette imagerie chaotique, et trouvera son chemin singulier entre les lignes du récit et les figures du décor.

Marche ou rêve

Marche ou rêve
Sika Gblondoumé, Tom Haugomat
Dans le ventre de la baleine, 2012

  éventail de rêve

Par Anne-Marie Mercier

Ce livre acmarcheourevecordéon cultive la simplicité pour arriver à un grand raffinement : imprimé sur papier fort en quatre couleurs sur blanc (bleu, sépia, rouge, noir), combinant formes géométriques et ondulations, il nous propose d’entrer dans un rêve, celui de Tim qui part à la recherche des rêves de sa mère.

Il trouve des espaces oniriques infinis qui s’enchainent en longs paysages dépliés au fils de l’accordéon. Il les parcourt avec des chaussures rouges qui font penser à celles de Gerda dans La Reine des neiges, il prend quelques objets au fil de son parcours, qui l’aideront à se défendre contre une femme inquiétante et indestructible, proche de baba Yaga, enfin, il trouve ce qu’il cherche : une boite avec à l’intérieur un livre accordéon dans lequel on voit Tim regarder par la fenêtre sa mère qui dort, image multipliée comme à l’infini grâce au jeu sur la typographie et l’emboitement des images.

Une belle réussite, rêveuse et mystérieuse, impeccablement réalisée. Décidément, il ya de bien belles choses dans le ventre de la baleine !

La nuit quand je dors

La Nuit quand je dors
Ronald Curchod
Editions du Rouergue, 2014

Rêve à interpréter ?

Par Michel Driol

lanuitUn album sans texte – mis à part quelques rares et minimalistes « hou hou » ou « tic tac » perdus dans les images, en apparence sans lien entre elles, si l’on exclut la présence récurrente d’un petit personnage, et la similitude de la première et de la dernière  image (une chambre où dort le personnage), en pleine nuit traitée en sépia au début, en couleurs à la fin, marquant le retour au jour.

C’est le dormeur dont on va suivre, tout au long de l’album, le rêve…  à moins qu’il ne s’agisse d’un cauchemar auquel il essaierait d’échapper, car, le plus souvent, on le voit courir d’une page à l’autre, d’une image à l’autre, à la rencontre des animaux ou des monstres échappés des contes ou de son inconscient : des animaux comme un renard de feu, un monstre poilu mangeur de poils, un oiseau à pattes et une sirène (femme oiseau), un ours blanc, des chats…

Le monde dépeint est inquiétant : il a perdu ses mesures, les radis ont la taille de la maison, qui semble réduite à une fournaise. Il a perdu son orientation (une maison est toit en bas), les hybrides s’y multiplient (vêtement en peau d’ours / pardessus à pieds…), parapluies accrochés à côté d’une chauvesouris à tête humaine.  Il a perdu ses repères géographiques : l’ours blanc porte des fleurs tropicales sur le front, et le pingouin côtoie les Africaines au milieu de plantes exotiques. D’une page à l’autre, les métamorphoses se multiplient : le volcan devient usine. Comme dans le rêve, on se déplace : on gravit une montagne, on en redescend accroché à un parapluie pour se retrouver près d’un gratte-ciel. Nature et culture, tout se mêle : les champignons ont d’étranges couleurs radioactives.  Petit à petit, un univers urbain prend la place de la nature.

A partir du milieu de l’album, c’est l’œil qui devient la figure inquiétante par excellence : l’œil du personnage, de plus en plus ouvert, démesuré, l’œil des personnages (la femme aux chats), l’œil du chat, l’œil de la grenouille, l’œil de la pieuvre, autant de regards fixés sur la proie qui fuit…

Graphiquement, l’album est magnifique, porté par un imaginaire que ne renieraient pas les surréalistes ou Magritte. On suivra y avec attention la logique – ou les logiques – qui font se succéder une page à une autre et qui créent – comme dans le rêve – des séquences qui ont leur cohérence propre. Et peut-être se prendra-t-on à jouer au psychanalyste ? Ou plus modestement à se laisser porter, en toute sécurité, par ce flot menaçant et continu d’images, d’hallucinations, mais bien enfermées dans les pages d’un album… De quoi rassurer finalement les jeunes lecteurs : ils ne sont pas les seuls à faire des cauchemars.

Bonne nuit Eddie

Bonne nuit Eddie
Amélie et Estelle Billon

Grasset jeunesse, 2013

L’empire des rêves

Par Anne-Marie Mercier

bonne_nuit_eddie_couvEddie sait « se faire oublier », d’après ses parents ; il ne comprend que peu à peu les pièges de ce « talent ». Mais l’album développe sa revanche : à travers son imagination, Eddie piège le réel, l’apprivoise, le met en pages : à gauche, le texte, tracé d’une main enfantine à la plume, à droite, l’image, aux superbes noirs de Chine et blancs, traçant un univers enfantin entre désarroi et maîtrise; domptant les rêves et les thèmes de l’imaginaire (dinosaures, cochons ailés, machine anti-matière…)

Émile veut une chauve-souris

Émile veut une chauve-souris
Vincent Cuvellier, illustré par Ronan Badel
Gallimard Jeunesse (Giboulées), 2012

Les folies d’Émile

Par Catherine Rivat & Justine Vergély master MESFC Saint-Étienne

Émile, petit garçon capricieux, s’est mis en tête d’acquérir comme animal de compagnie… une chauve-souris ! Quelle drôle d’idée ! C’est dans cette tonalité comique que l’auteur nous transporte dans l’univers d’Émile, un univers où réalité et onirisme cohabitent. Le jeune garçon imagine les différentes postures et attitudes qu’il pourrait adopter avec son animal, que l’on retrouve dans la disposition des illustrations. Apparaissent alors en filigrane, les codes de la bande dessinée, tel que la bulle qui symbolise le monde du rêve.

La figuration des parents est absente. Néanmoins, la figure de la mère se manifeste par la représentation d’objets stéréotypés ainsi que par ses arguments sous la forme du discours rapporté. Le désir transgressif de l’enfant tout-puissant est sans cesse ramené à la réalité par la mère. Émile, par sa volonté grandissante, nous dévoile une philosophie de la naissance du désir et de son renouvellement. Il ne cessera de clamer son désir tout au long de l’histoire, jusqu’à ce que le lecteur découvre la chute, à la fois drôle et surprenante. Une histoire qui s’adresse aux touts petits et qui amène facilement l’identification, au même titre que le premier album de la série, Émile est invisible.

La nuit

La Nuit
Olivier Charpentier,
Seuil (Clac book), 2011

Dormir, c’est rêver un peu

par Christine Moulin

Dans la même collection que l’album de Philippe-Henri Turin, la collection « Clac book », voilà un ouvrage bien plus abouti. Il raconte, par le seul truchement de l’image, gaie, dansante, fantasque et colorée (ce qui est un comble puisque tout se passe la nuit !) le voyage d’un petit loup dans ses propres rêves. Il est accompagné d’un doudou lapin (rouge), qui le rassure, ce qui est la moindre des choses pour un doudou, mais va également gagner du galon et devenir un personnage à part entière.
On pouvait a priori douter que le fantastique pût se décliner pour les tout-petits : et pourtant… A la fin de son périple, le héros rapporte des contrées qu’il a visitées, présentées comme imaginaires, une rose, bien réelle, elle (tel le grelot de Boréal Express, de Chris Van Allsburg), qu’il offre, petit prince plein de tendresse, à sa maman.

New York en pyjamarama

New York en pyjamarama
Michaël Leblond, Frédérique Bertrand
Rouergue, 2011

Images magiques

Par Anne-Marie Mercier

 New York en pyjamarama.gifUn livre gris… et magique !

Un enfant en pyjama se couche et rêve de New York ; il s’y promène comme on vole. Il y a un peu de la Cuisine de nuit de Maurice Sendak, à ceci près que le pyjama reste en place… Avec l’enfant, on s’émerveille devant la foule, les gratte-ciel, le trafic, le vent dans les arbres, les lumières. Et aussi à ceci près que rien n’est statique. Tout bouge : les lumières clignotent, les roues tournent, les voitures circulent, les gens passent et les feuilles volètent.

Tout cela, grâce à la grille rayée (comme le pyjama!) que l’on peut passer devant les images pour les faire s’animer: une merveille d’astuce graphique (l’ombro-cinéma), sans batterie, sans souris, qui illustre un pouvoir inattendu – et pourtant ancien – du livre.

Le prochain ouvrage de la collection, Luna Park en pyjamarama sera certainement décoiffant !

démonstration sur You tube :