Petit Ours

Petit Ours
Else Holmelund Minarik, Maurice Sendak
Traduit (anglais) par Agnès Desharte
L’école des loisirs, 1970, 2016

La perfection dans la simplicité

Par Anne-Marie Mercier

petit-ours-else-holmelund-minarikPublié aux Etats-Unis en 1957, cet album réunit de très courtes histoires ; un petit ours en est le héros, et une maman ours le deuxième personnage ; quelques comparses (copains — canard, poule etc.) apparaissent dans l’une des histoires mais dans la plupart ils sont seuls; tout part et revient à la maison,dans la cuisine ou la chambre.

Maurice Sendak est ici illustrateur, mais on est frappé par la parenté de certains épisodes avec Cuisine de nuit : le petit ours cuisine tout seul au-dessus d’une grande marmite, il perd ses vêtements, s’envole dans la lune (ce qu’il croît être la lune); il fait des rêves fous que l’illustrateur rend réels.

Ce joli livre a la simplicité des objets parfaits : la littérature de jeunesse doit décidemment beaucoup aux petits ours bruns…

Le Caméléon et les fourmis blanches

Le Caméléon et les fourmis blanches
Emmanuel Bourdier

La Joie de lire (encrage), 2015

Un épisode pour L’Instit : l’enfant sans papiers

Par Anne-Marie Mercier

le-cameleon-et-les-fourmis-blanchesLe caméléon, c’est Issa, jeune malien sans papiers, élève de primaire dans la classe d’un instituteur qui porte le nom de Casimir Feunard, mais que ses élèves surnomment « Pokémon ». Casimir est miné par un chagrin d’amour et par sa lassitude vis-à-vis de son métier qu’il a choisi un peu par hasard. Bien malgré lui, Casimir hébergera Issa lorsque le père de celui-ci se sera enfui pour échapper aux gendarmes, et il sera à la fin du roman mis en garde-à-vue pour cela.

Le récit se fait en voix alternées, chaque chapitre étant narré par l’un des deux personnages. Il débute juste avant la rentrée, avec les états d’âme de Casimir et les jeux d’Issa, et se poursuit jusqu’aux vacances de la Toussaint, avec de beaux portraits d’élèves et de moments de classe, les récits d’Issa sur sa vie avec son père, sur sa grande sœur, partie vivre ailleurs pour des raisons qu’on apprend au fil du roman.

Le temps de la cohabitation est raconté avec humour comme un apprivoisement lent et difficile, qui parvient à faire sortir chacun des protagonistes de sa paralysie. Une belle histoire, avec de belles personnes malgré leurs faiblesses…

Cuisine de nuit

Cuisine de nuit
Maurice Sendak
L’école des loisirs, 2015

 Classique de la censure

Par Anne-Marie Mercier

cuisine-de-nuit_Publié en 1972 par L’école des loisirs, deux ans après la parution américaine qui avait fait scandale, ce grand classique ressort chez le même éditeur, la définition d’un classique venant, entre autres, de ses rééditions et de sa stabilité dans le paysage littéraire.

Cuisine de nuit est un album important en littérature de jeunesse, non seulement parce qu’il est l’œuvre d’un auteur majeur mais aussi parce qu’il a fait l’objet de censure, comme le célèbre Max et les maximonstres. Ce qui est en cause ici, c’est la nudité du personnage, le jeune Mickey qui, réveillé par un bruit, « plonge dans la nuit et perd son pyjama ». Il s’envole, tombe dans la pâte à pain que brassent trois cuisiniers jumeaux (qui ressemblent à Oliver Hardy – Stan Laurel n’aurait pas le physique de l’emploi, qui veut des rondeurs): Mickey, pour venir en aide au trio, fabrique un avion en pâte, prend du lait dans la Voie lactée au-dessus d’immeubles – boites de céréales ou de sucre qui donnent à la ville une image de cuisine géante, leur apporte l’ingrédient manquant et, mission accomplie,  retrouve enfin son lit (et son pyjama).
Ce déroulé qui imite celui des épisodes de Little Nemo – on retrouve le même lit dans les premières et dernières vignettes – est donc un épisode de rêve orienté autour des plaisirs des sens, celui du goût bien sûr avec la présence obsédante de la nourriture, mais aussi du toucher avec le pétrissage, de l’odorat, de l’ouïe avec le vacarme et les cris, et bien sûr de la vue avec les ciels étoilés, la blancheur des vêtements, des ingrédients et du corps de l’enfant, et les couleurs des carrelages, emballages, confitures. Par dessus tout cela, le dynamisme des mouvements, associé à celui de la tourne de page, qui permet au lecteur de s’envoler avec Mickey, en plein rêve d’envol…

Blanche Neige et Grise Pluie

Blanche Neige et Grise Pluie
Grégoire Solotareff, Nadja
L’école des loisirs, 2015

Blanc et gris au pays des nains

Par Anne-Marie Mercier

blanche-neige-et-grise-pluie_Après Le Petit Chaperon Vert, La Laide au Bois Dormant, Barbe-Rose et autres « anticontes de fées », Solotareff et Nadja s’attaquent à celui de Blanche Neige. « S’attaquer » n’est pas un mot en l’air : il y a de la démolition dans l’air : Blanche Neige est très jolie mais très bête. La marâtre a une fille, laide et intelligente – les deux noms génèrent des images intéressantes et sont de bons exemples de noms générateurs de personnages –, les nains ne sont pas très sympathiques. Ils contraignent les  demi-soeurs à effectuer les travaux ménagers chez eux (finie l’époque où les Blanche Neige balaient en chantant…).

C’est très drôle, pas toujours subtil mais raconté avec verve et de façon relativement fidèle à la trame générale du conte.

Un Jour il m’arrivera un truc extraordinaire

Un Jour il m’arrivera un truc extraordinaire
Gilles Abier
La Joie de lire (encrage), 2016

Les Oiseaux/ Psychose

Par Anne-Marie Mercier

« J’ai toujours su qu’un jour il m’arriverait un truc extraordinaire. Depuis que je tiens debout, j’ai la conviction que je suis né pour accomplir un miracle. Ce n’est pas possible autrement. Sinon, comment expliquer la contradiction entre les rêves qui me dévorent et le corps dont je dispose. »

un-jour-il-marrivera-un-truc-extraordinaireLe narrateur, treize ans, en paraît neuf. Il a peur de tout, et écrit et dessine des aventures au lieu de les vivre. Son quotidien est apparemment celui d’un adolescent normal dans un collège normal, avec les interrogations écrites, les brutes locales, les amis attentifs, les blagues, les soirées chez l’un(e) ou chez l’autre… jusqu’au jour où il découvre qu’il se transforme petit à petit en oiseau : un jour c’est un nez qui semble forci, un autre, c’est un orteil qui disparaît… jusqu’au moment où, après avoir pensé longtemps qu’il devenait fou, il se considère prêt à s’envoler.

Ce qui pourrait être un récit fantastique (assez réussi tant le suspens est bien maintenu) est un excellent roman de psychologie, montrant comment la honte et la gêne sont surmontés sur la question du symptôme mais non sur ce qui l’a causé: le narrateur parle avec ses amis, qui eux ne voient rien, la famille s’aveugle: le dessin permet de faire partager son angoisse, mais la folie finit par submerger le narrateur jusqu’à l’explication finale, peu attendue et toute psychologique.

Les Trois Petits Cochons

Les Trois Petits Cochons
Noëlle Revaz, Haydé

La Joie de lire, 2015

Au loup !

Par Anne-Marie Mercier

trois_petits_cochons_rvb2Dans ce texte, écrit pour le théâtre pour quatre à cinq personnages plus une voix, on rejoue la fable des petits cochons. L’incertitude sur le nombre de quatre ou cinq tient au fait que la mère joue aussi le rôle du loup et est organisatrice cachée du jeu : en début du récit, elle annonce aux enfants qu’ils partent seuls en vacances sur une île car elle est trop occupée à se peindre les ongles (le lundi en blanc, le mardi en violet, le mercredi en bleu…) ou à se parfumer chaque jour avec un parfum de fleur différent (le lundi la pâquerette, le mardi la violette, le mercredi la clochette…). Tout le texte est marqué par des effets de listes, de  reprises et variations et en est ainsi très joueur et rythmé.

Les enfants jouent le conte en attendant un loup qui se fait attendre puis est peu enthousiaste, ce qui endort leur méfiance, avant de ressembler enfin à celui de la tradition, leur procurant une grosse peur… dégonflée brutalement.

Ils se comportent comme des petits cochons (avec le plaisir de se rouler par terre et de se salir), et en fonction de leurs âges différents : le plus jeune craintif et écervelé, l’aîné meneur mais prudent, le troisième… entre les deux). C’est une très jolie variation sur ce conte bien connu et un texte savoureux, accompagné de dessins expressifs et drôles.

La Piste cruelle

La Piste cruelle
Jean-François Chabas
L’école des loisirs, 2014

Sans les Indiens

Par Anne-Marie Mercier

la-piste-cruelleChaque livre de Jean-François Chabas est une surprise. Celui-ci l’est en partie par sa narration et en partie par sa fin ou plutôt son absence de « fin ».

Le récit débute in medias res : un grand oiseau se pose près de trois enfants qui marchent seuls dans le désert ; l’aîné, le narrateur, essaie de le tuer avec le revolver que son père lui a laissé et échoue. Affamés, assoiffés, perdus depuis que leurs parents ont disparu, les trois enfants, deux garçons et une fille (entre 11 et 8 ans) tentent de suive la direction qui doit les mener à San Francisco, par un chemin peu fréquenté.

Les circonstances qui les ont amenés là, en 1879, depuis leur pays de Calabre, les choix quant à l’itinéraire, l’achat des armes, les projets, les rencontres, accompagnés de leurs parents puis sans eux, la folie de la mère, tout cela est rapporté petit à petit. Quelques scènes inquiétantes comme la rencontre d’une horde d’animaux enragés et celle d’indiens immobiles et muets en font un récit d’aventures.

Mais ce sont surtout les personnages des enfants qui sont intéressants : l’aîné sérieux, voulant garder son autorité mais doutant de lui et de ses décisions, le second en révolte, la troisième dans une posture proche de celle de la mère, tantôt folle de peur, tantôt aidante. Enfin, le sauveur, Salomon Weismann, juif austro-hongrois cherchant une vie libre est une belle personne, simple et généreuse, un beau portait d’homme.

 

Les Neuf Vies de Philibert Salmeck

Les Neuf Vies de Philibert Salmeck
John Bemelmans Marciano, Sophie Blackall
(Les Grandes Personnes), 2014

8 façons de mourir extraordinaires + 1

Par Anne-Marie Mercier

les-neuf-vies-de-philibert-salmeckDans la lignée des enfants milliardaires insupportables, Philibert bat de loin Artémis Fowl. Il faut dire que, comme son nom l’indique, il est le descendant d’une horrible famille qui a été à l’origine de bien des malheurs pour l’humanité : le capitalisme c’est eux, la déforestation, les génocides, le changement climatique… tout leur sert à asseoir leur fortune mais – bien mal acquis ne devant pas profiter –, ils meurent tous jeunes.

Philibert décide de vaincre la fatalité en se faisant greffer huit vies supplémentaires à partir de son chat (oui, les chats ont neuf vies et un dessin nous le prouve en montrant l’organe qui est à l’origine de cette particularité).

Le récit montre un enfant déchainé prêt à se lancer dans toutes sortes de sports ou de conduites à risque, jouant avec la mort de manière assez bouffonne et très vite rattrapé par le réel : lorsqu’il arrive (rapidement) à la fin de son capital, la peur s’installe –  leçon de La Peau de chagrin de Balzac pour les plus jeunes?.

Entre humour grinçant et fable philosophique, ce petit récit est illustré de manière très expressive et caricaturale en noir et blanc ; il pose la question de la vie et de la mort, du prix que l’on oublie d’accorder à l’une et des différentes façons d’arriver à l’autre, tantôt en négligeant les conseils avisés de l’entourage tantôt en les prenant trop à la lettre. Surprotection et exposition au danger sont les deux chemins qui mènent le personnage à sa perte.

Le Mur. Mon enfance derrière le rideau de fer

Le Mur. Mon enfance derrière le rideau de fer
Peter Sís
Grasset jeunesse, 2007, 2010

Une vie d’artiste – derrière le rideau

Par Anne-Marie Mercier

le-mur-mon-enfance-derriere-le-rideau-de-ferSur Li&je, nous chroniquons essentiellement les nouveautés, mais de temps en temps, lors de rééditions ou d’autres scircnstances, nous ne nous interdisons pas d’évoquer des classiques (cet été, Murice Sendak et Peter Sís).

Un peu comme dans l’album Le Tibet, Peter Sis propose une forme autobiographique ; mais ici il s’agit de ses propres carnets intimes et il s’agit du lieu où il a vécu durant son enfance : la Tchécoslovaquie communiste, et plus précisément Prague.

Les souvenirs d’enfance ne sont pas tous heureux, même dans les albums pour enfants, et celui-ci est aussi amer qu’il est instructif.

Pourtant, le récit est écrit à la troisième personne, comme pour mettre à distance ces événements et ériger un autre mur entre son passé et lui ; la postface fait la part du personnel et de l’inventé et montre que la vie de son personnage est emblématique de la vie du pays.

La présentation du contexte de la guerre froide et des événements qui l’ont ponctuée (soulèvement de Hongrie, construction du mur de Berlin, missiles de Cuba, guerre du Vietnam, printemps de Prague…) servent de toile de fond à la description de la vie quotidienne des tchèques et à l’histoire de la famille de l’enfant. Les images, tracées à l’encre noire sur fond blanc avec des touches de rouge et parfois quelques rares touches de bleu, plus rarement d’autres couleurs, sont entourées de vignettes, photos personnelles ou dessins. Ce qui est présenté naïvement comme des vérités est rapporté de manière plus distanciée au fur et à mesure que l’esprit critique de l’enfant s’éveille tandis que le pays s’ouvre (arrivée de la musique des Beatles, des Beach Boys…) puis se referme, avec les arrestations, tortures, délations…

C’est aussi l’histoire de la naissance d’un talent, depuis ses dessins d’enfant jusqu’à ses études et premières réalisations, conditionnées par une censure de plus en plus pointilleuse (il donne de nombreux détails très éclairants) et des rêves de liberté.

Médaille Caldecott (USA)
Grand Prix de la Foire de Bologne

Heu-reux!

Heu-reux!
Christian Voltz
Rouergue, 2016

Très-gay !

Par Anne-Marie Mercier

Heu-reux!La littérature de jeunesse (enfin, quelques albums, pièces, poèmes et romans…) a accompagné la reconnaissance du droit de chacun(e) à aimer qui il ou elle veut et a ainsi en partie accompagné la création du « mariage pour tous ». On aura entendu parler des protestations de certaines associations contre la publication et la présence en bibliothèque d’œuvres comme Jean a deux mamans, Tango a deux papas, etc. Les œuvres militantes ne sont pas toujours excellentes et lorsque un grand auteur s’y met, on ne peut que s’en réjouir.
Cette fois c’est Christian Voltz qui ajoute sa voix, en proposant une fable animalière joyeuse qui mêle fait de société, intertextualité et humour et prend la question à sa racine : la difficile révélation à la famille de l’orientation sexuelle de l’un des enfants (question traitée dans les Lettres de mon petit frère de Chris Donner, publié par L’école des loisirs, pionnière à cette époque…). En une période où le nombre de jeunes gens chassés de chez eux et se retrouvant sans toit pour cette raison a augmenté (chiffres de l’association Le Refuge pour 2015), ces albums ont le mérite de poser la question aux familles.

Le roi Grobull, un gros taureau, veut marier son fils unique, Jean-Georges : il convoque toutes les vaches du royaume qui défilent devant lui, toutes charmantes ; le prince n’en veut pas. Désirant par dessus tout que son fils soit heureux, le père convoque ensuite les truies, les chèvres etc., jusqu’à ce que, lassé par tous ses refus, il demande à son fils de choisir qui il veut.

L’art de Christian Voltz tient au parfait recyclage de situations bien connues et de matériaux divers, qui lui permettent de présenter des défilés très cocasses : elles sont bien mignonnes, toutes ces candidats refusées ! Et il est terrifiant, autoritaire et « viril » à souhait le papa taureau !

Et la maman, où est-elle? Pas très fort sur la parité, ce royaume.