Hors cadre[s], n° 25 

Hors cadre[s], n° 25 : emprunts et variations
Revue éditée par L’atelier du poisson soluble
Octobre 2019- mars 2020

Pastiche, plagiat, clin-d’oeil

Par Anne-Marie Mercier

La littérature de jeunesse, comme « la » Littérature, est traversée par l’intertextualité ; nombreux sont les récits (notamment les contes) qui ont été réécrits, détournés, pastichés. La revue Hors cadre[s] « observatoire de l’album et des littératures graphiques » propose des articles abondamment et bellement illustrés autour de cette question : les reprises du Père Castor comme L’Histoire de Perlette goutte d’eau devenue sous le pinceau d’Anne Crausaz Bon voyage (MeMo, 2010), les citations d’œuvres classiques par Tomi Ungerer, l’inspiration encyclopédique chez Anaïs Vaugelade (Comment fabriquer son grand-frère, L’école des loisirs, 2016) ou Katie Couprie (Le Dictionnaire fou du corps, Thierry Magnier, 2012), les œuvres qui ont inspiré Régis Lejonc (notamment pour Kohdja, Thierry Magnier, 2017) – saviez-vous que la plaque d’immatriculation de la voiture sur la couverture de Cœur de Bois (Notari, 2017) évoquait la classification d’Aarne-Thompson ? – les reprises par Blutch de BD célèbres, l’œuvre d’Emile Bravo avec ses Sept ours nains et son Boucle d’or (qui porte une ceinture à boucle dorée sur laquelle est inscrit « sept d’un coup »), le monde de la BD (pour adultes et pour enfants) et ses reprises, tout cela forme un ensemble drôle et passionnant.

On peut aussi lire une étude sur les littératures graphiques en Colombie, et fabriquer un petit livre, Pratiques courantes, en montant les feuilles créées par Marion Sellenet autour de le femme des sixties, que Moulinex était censé libérer.

En avril 2020, Hors cadre[s] changera de maquette et prendra du volume avec de nouvelles rubriques qui s’ajouteront aux existantes : des récits d’auteur/es et d’illustrateurs/trices (Daniel Pennac, Florence Cestac), des chroniques… À suivre !

La Chauve-souris

La Chauve-souris (Les sciences naturelles de Tatsu Nagata)
Tatsu Nagata [Dedieu]
Seuil jeunesse, 2017

Renversant !

Par Anne-Marie Mercier

Dans la liste des bêtes et bestioles croquées par Tatsu Nagata, la chauve-souris est un peu à part, tant elle cristallise de terreurs chez certains. L’auteur a choisi de dédramatiser ce rapport et de regarder l’animal avec un œil scientifique et factuel, après une introduction comique qui le montre surpris et effrayé, au diapason avec ses lecteurs : mode de vie, alimentation, déplacements, tout cela est dit très sérieusement avec des illustrations qui le sont moins, toutes superbes et drôles, en grands aplats de couleurs où les petits animaux ouvrent de grands yeux étonnés.

La Maison de Madame M

La Maison de Madame M
Clotilde Perrin
Seuil Jeunesse 2019

Toi qui entres ici, abandonne toute espérance

Par Michel Driol

Sur la couverture, une porte entrouverte laisse entrevoir un personnage inquiétant, une longue queue, des pattes d’araignées. Des os brisés, et une boite aux lettres portant un nom, la mort. Une fois entré, on suit le guide, qui s’adresse au lecteur, et lui fait visiter cinq pièces de la maison. Deux lignes en bas des doubles pages correspondent au discours du guide, discours saturé d’un lexique particulier : diablement, fatal, disparaitre, vie, mourir, tuer… A la fin, le lecteur préfère s’enfuir pour ne pas rencontrer cette hôtesse d’un genre particulier.

Etrange album qui plonge dans un univers encore plus étrange, en suivant un guide  à la fois rassurant et inquiétant. Les double pages sont remplies des mots et des icônes de la mort : un calendrier de l’éternité, une danse macabre, une horloge, des vanités, de la pourriture et du compost, Perséphone, un fantôme…  Par ailleurs, plus de 25 flaps et animations diverses permettent d’ouvrir les tiroirs, les portes, les valises, de faire surgir des monstres pour continuer d’explorer cet univers rempli de détails macabres.

Tout comme dans ses trois derniers albums, A l’intérieur de mes émotions, A l’intérieur des gentils, à l’intérieur des méchants, Clotilde Perrin propose un livre objet à explorer. Cette fois, c’est l’imaginaire de la mort en occident qui est convoqué,  imaginaire à la fois très traditionnel, mais aussi contemporain dans les vanités par exemple, où se côtoient hamburgers et smartphone. On s’attarde sur les détails, les titres des livres de la bibliothèque, et l’on découvre ainsi une véritable encyclopédie surréaliste dont l’esthétique, faite d’accumulation, qui n’est pas sans évoquer la représentation baroque de la mort.

Cet album fait penser à cette chanson de Ferré, sur des paroles de Jean-Roger Caussimon :

Ne chantez pas la Mort, c´est un sujet morbide
Le mot seul jette un froid, aussitôt qu´il est dit
Les gens du show-business vous prédiront le bide
C´est un sujet tabou pour poète maudit

Peut-on consacrer un album jeunesse à ce sujet ? Oui, répond sans hésiter 20Clotilde Perrin. Car si la mort flirte avec des parties de corps : squelettes, yeux, des insectes, mouches et vers, des instruments comme les couteaux, elle flirte aussi avec l’humour : élixir de jeunesse, crème anti ride, squelette se brossant les dents, petits angelots (variation sur le thème baroque des putti) que l’on cherche de page en page. L’album se situe sur une corde raide entre le terrifiant et le familier, entre le cauchemar et le frisson pour rire. Rien de métaphysique. La question de ce qu’il y a après la mort n’est pas posée : un long sommeil, une porte finale monstrueuse ouvrant sur une représentation d’un autre monde très breughélienne, peuplé de monstres. Mais le lecteur s’enfuit à temps. Il faut vivre, dit l’album, tandis, qu’en 4ème de couv’, un petit monstre assez sympathique dit « Reviens ! »

Un album « encyclopédique » qui, par sa singularité et son originalité, occupe une place à part dans la production actuelle, entre Halloween, grand guignol et Jérôme Bosch…

 

La Plus Grande Peur de ma vie

La Plus Grande Peur de ma vie
Eric Pessan
L’école des loisirs (« Médium »), 2017

Massacre au collège ?

Par Anne-Marie Mercier

Un roman court, une illustration pleine page en couverture, un titre qui semble pasticher un sujet de rédaction à l’ancienne… tout cela pourrait faire penser à un ouvrage pour les très jeunes lecteurs. Mais non, c’est un titre de la collection « Médium », qui est donc destiné à des adolescents.
La peur dont il est question est effectivement une grande peur, et elle est partagée par beaucoup : il y est question de massacre possible en établissement scolaire, d’un désir de vengeance chez un adolescent harcelé par d’autres, de secrets partagés, et de responsabilités de groupe, donc de questions lourdes. Elles sont traitées ici sans pesanteur, avec le point de vue d’un adolescent qui raconte ce dont il a été témoin. Il le fait de manière empathique : le manipulateur d’explosif est d’abord son ami, un élève fragile un peu perdu, un être pris par un engrenage de circonstances. Chacun pourrait occuper l’un ou l’autre des rôles dans cette histoire.
C’est aussi une réflexion sur la passivité qui nous empêche parfois d’agir quand on le devrait : « quand on est témoin […] on est contaminé par la honte et la colère. On s’en veut de ne pas savoir comment réagir. On aimerait se lever […] Et je ferais mieux d’arrêter d‘écrire « on » pour oser écrire « je », parce que ces pensées sont les miennes. Norbert a beau être mon ami, je ne l’aide pas. Je me dis qu’il doit trouver la solution tout seul. Je me dis que si je l’aide […] Alexandre me harcèlera toute l’année »

Le récit ménage le suspens, commencé avec un prologue dans lequel le narrateur se présente : un garçon ordinaire, avec juste une touche d’originalité par le fait qu’il aime écrire des histoires.  Il a une histoire à raconter, mais comme elle est vraie, il peine à la dramatiser et il cherche ses mots, il les pèse. Chaque étape semble rapprocher du drame ; des retours en arrière ralentissent la réponse à cette attente. La description de la montée de l’angoisse  chez les quatre amis, élèves de cinquième est très réussie et illustrée par des effets typographiques originaux et éloquents.

La rédaction est réussie, elle obtient une note maximale pour son art du récit et sa vérité, pour ses personnages très caractérisés, pour la peinture fine de leurs relations, avec le portrait d’une vie scolaire et la mise en scène de questions très contemporaines, et pour l’évocation de questions difficiles comme la prise de responsabilité, la demande d’aide aux adultes, et le prix – et le coût – de la solidarité.

Lire le début

Si l’on me tend l’oreille

Si l’on me tend l’oreille
Hélène Vignal
Rouergue (doado), 2019

L’alchimie des rebelles

Par Anne-Marie Mercier

Un monde qui semble appartenir à l’époque médiévale, un roi autoritaire, trois provinces, l’une maritime, une autre agricole, et la troisième, dite des Vents chauds, plus aride ; une décision du roi oblige les habitants à se cantonner à l’une des provinces, à rompre de ce fait tous les liens qu’ils avaient avec ceux qui vivent ailleurs et à renoncer à leur vie itinérante, pour ceux qui la pratiquaient (saltimbanques, marchands forains, artistes…). On pourrait se trouver face à un récit classique reprenant des motifs bien connus de contes, avec un ou des héros qui mènent une révolte, forcément victorieuse : les saltimbanques contre le pouvoir, etc.
Point du tout.
Il n’y a aura pas de héros victorieux, pas de victoire, juste une survie et un refus d’obéir chez une poignée de personnages : une diseuse de « bonne » aventure, une vieille, coiffeuse qui cherche à rejoindre son mari marin, un musicien ombrageux, un propriétaire-fabricant-animateur-sonorisateur de manège qui parle à ses animaux de bois, une enfant acrobate trouvée dans la forêt parmi les cadavres de ceux qui formaient sa famille… tous partagent pendant un temps la même roulotte, le même chemin ou le même abri et vivent la même précarité sous le regard hostile des sédentaires.
« Un mélange d’abattement et de colère, un cocktail de molécules incendiaires qui avait commencé à circuler dans leurs corps, passant par les kilomètres de vaisseaux, sous forme liquide ou gazeuse. Il était fait de bile, de sang frais et d’adrénaline, de vent iodé, de cortisol et de soufre. La chimie des Récalcitrants était en marche en eux et ils n’y pouvaient rien. Ils se croyaient abattus, vaincus et ils étaient en fait en cours de transformation et laissaient secrètement s’opérer l’alchimie des rebelles. Celle qui croît dans la solitude et le doute et ne connaît que l’évidence du refus pour la guider. » (p. 91)
L’histoire s’ouvre, après une brève présentation de la situation, par un viol, celui de l’héroïne, Grouzna, la devineresse, elle se poursuit avec la description de sa vie errante et solitaire, changée ensuite par la nécessité de s’unir pour survivre et arriver là où chacun le souhaite. Elle rencontre l’un après l’autre ceux qui formeront sa compagnie, sa famille de cœur. Dans leur route vers le littoral, chacun doit abandonner un peu de lui-même et devenir autre. Tous ne parviendront pas à bon port car ce monde est cruel pour les faibles. Le récit est inventif, sensible et poignant. Il est porté par des personnages originaux et attachants, et surtout par une belle écriture.
Cette petite troupe de Récalcitrants (comme les nomme l’administration) est portée par une chimie propre :

Pot d’âne

Pot d’âne, recette en verre
Sophie Tiers
CMDE (« Dans le ventre de la baleine »), 2016

Ingrédients : une princesse, un âne, un roi, un prince

Par Anne-Marie Mercier

Cette réécriture d’un conte de Perrault est un peu différente dans son principe de celle du Petit Poucet et des autres contes publiés au CMDE, réécrits par Marien Tilet (voir Chronique précédente). Autant qu’une variation sur le conte célèbre de « Peau d’âne », il s’agit ici d’un exercice de style, assez réussi, qui consiste à raconter (plus ou moins) la même histoire en n’utilisant que des mots pris  dans un livre de cuisine.
Il y a de la virtuosité, de l’humour, de la poésie même dans ces télescopages de mots et de sens. Ainsi la princesse s’adresse-t-elle à son père : « Mon roi./ Je te prends l’animal/ Te dénude de thon or/ Ce coffre cette nuit/ M’entoure de son pelage/ Tas bête se transforme et s’adapte/ À mets chairs/ À mets côtes/ Amont sors/ […] Je te laisse sans chemise,/ Parée de matière grise/ avant que tu m’écosse me rendre grosse ».
Elle attend le prince et prépare le fameux gâteau : « Dans ce palais Je ne suis plus reine/ De Saba je passe aux abats/ Et fond au rang le plus bas./ […] Les vapeurs culinaires/ Font marcher droit verre ailes / Les pas de l’étranger ».
Éloge de la forêt et des herbes, de la fuite et de l’errance, tout autant que louange  aux arômes et saveurs lourdes d’une cuisine d’autrefois, c’est un livre qui se savoure, et qui donne faim.

Les illustrations fragmentaires et délicates, allusives autant que le texte, composent un puzzle dont les morceaux, réunis dans la dernière page, complètent l’image de cette femme animale et invitent à refaire le chemin pour mieux le saisir : à repasser les plats, donc ?

Pour écouter ce livre et voir des images de la performance à laquelle il a donné lieu voir ici (patienter un peu, le départ est un peu lent)

Ogre

Ogre
Marien Tilet, Mac McGill
CMDE (« Dans le ventre de la baleine »), 2019

Un ogre en pleurs dans la forêt des contes

Par Anne-Marie Mercier

Étendu dans la neige, les orteils mis à nus par le Petit Poucet qui a profité de son sommeil pour lui voler ses bottes, l’ogre parle. Il se remémore toute l’histoire à travers un ultime chant de deuil dont voici le prologue :

 

«  Me voici, à l’orée de ma fin étendu
La neige en bon linceul a recouvert mes pieds
Eux qui toujours de cuir ont été revêtus
Et franchissaient sept lieues d’un pas décidé […]

Si la fin m’enveloppe, c’est vers mes filles que file
La somme de mes pensées qui cruelles et habiles
resteront jusqu’au bout à me tenir la main
Me rappeler encore quel geste fut le mien ».

Il déroule toute l’histoire, depuis l’arrivée des sept frères à la maison de l’ogre, l’apitoiement de sa femme grâce à l’éloquence du Poucet (« disant que, même ogresse, ma femme possédait l’âtre / caché au cœur de chaque enfanteuse de ce monde / qui se rallume d’un rien quand un tout petit tombe »), le meurtre de ses filles, la poursuite, l’assoupissement au cours duquel les bottes de sept lieues sont dérobées, et son attente de la mort, couché dans la neige. Tout cela est raconté en beaux alexandrins, où chaque mot a son poids, ses sons et son sens en harmonie avec l’histoire contée.
Le seul ajout à la tradition de ce conte est la prophétie en forme de supplication délivrée par les filles de l’ogre à leur père, à la veille du drame, et l’ivresse de l’ogre qui lui fait oublier sa promesse et ne pas reconnaitre ses enfants. Ogre moderne, tendre mais sauvage quand il a bu, et mourant de remord ensuite, c’est un ogre en pleurs que celui-là, bien noir, comme les illustrations qui marient l’encre de chine en à plats ou en volutes tourmentées (avec la technique entre autres, de la carte à gratter) et le blanc des stries et de l’espace, faisant de l’apparition de la neige, à la fin, une délivrance.
Parmi les œuvres qui revisitent les contes en prenant le point de vue du « méchant » (Le Géant de Zéralda, etc.) celle-ci est une belle réussite, qui ne s’adresse pas aux très jeunes lecteurs, mais aux lecteurs confirmés amateurs de contes, de réécritures ou de poésie.
Voir plus, sur le site du CMDE.
Ogre fait partie de la « trilogie de la forêt » publiée par Marien Tillet  au CMDE (collectif des métiers de l’édition)  lietje a rendu compte des deux ouvrages prprécédents :  rouge Chaperon Petit Le., Et Gretel .
Mediapart en parle : « L’infanticide ou la tradégie du conte de fée » Cédric Lépine.

Demain, on parlera de Pot d’âne de Sophie Tiers, paru également au CMDE.

Les Bottes

Les Bottes
Antonin Louchard
Seuil jeunesse, 2018

Pleut-il ?

Par Anne-Marie Mercier

C’est la récréation, il pleut, un petit lapin doit enfiler ses bottes pour rejoindre ses camarades et il n’y arrive pas, situation bien connue des enseignant/es de maternelle.
Cette scène dialoguée est racontée à la manière d’une pièce de théâtre. Unité de temps (durée d’une récréation), de lieu (on est devant les bottes que le lapin doit enfiler pour rejoindre ses camarades), de décor et de personnage (seul le lapin apparait, sur fond blanc, la maitresse qui dialogue avec lui est hors champ) et d’intrigue : double page après double page, un obstacle empêche la résolution du problème…
La tension monte progressivement : les « mon biquet », « mon chaton » de la maitresse font place à des « Raahhh » d’énervement et la typographie mime le ton de la voix qui monte (« je ne crie pas, je parle fort, d’accord ? » , dit la maitresse bien qu’elle ait « dix ans de yoga derrière elle ») jusqu’à la fin où un retournement inattendu et très drôle fait revenir au point de départ.
Chaque échange est à la fois comique et vrai ; les enseignant/es de maternelles et les parents reconnaitront toutes les situations, très variées, dans lesquelles l’enfilage de bottes est un cauchemar pour les uns et les autres ©; ce livre l’invite à le prendre pour une farce sans cesse renouvelée. Et la tête de ce lapin, tantôt triste, tantôt indigné est craquante.

 

Surf

Surf
Frédéric Boudet
MeMo (Grande Polynie), 2019

Orages sur Brest

Par Anne-Marie Mercier

Roman poétique, nostalgique, parfois furieux, plein des humeurs de la mer au loin, dans les décors ruinés de la ville portuaire ou ceux, mornes, de ses zones pavillonnaires, roman sombre, Surf est un livre sans surfeur hanté par cette image :

« Ce qui compte n’est pas de parvenir à surfer sur ces foutues planches, mais de déchiffrer ce qu’elles nous donnent à voir : des silhouettes dressées sur un morceau de carton, tentant de retenir l’eau qui fuit sous leurs pieds mais qui, découvrant soudain l’abîme, battent furieusement des bras et des oreilles pour se réveiller. Tu veux connaître la vérité ? Ces types n’oseront jamais aller jusqu’au bout du rêve — ce sont des canards qui ignorent qu’ils sont des anges. »

Adam, qui a abandonné pour un temps ses études et a quitté Paris pour rejoindre la maison de sa mère, son ami Nathan qui se fait appeler Jack et va de bagarres en abattement entre deux séjours à l’hôpital psychiatrique, Aeka la japonaise bruitiste, Katel, serveuse dans un bar de station-service, qui rêve de voyage, tous sont en équilibre instable, les uns en panne et tout proches de l’abîme, les autres sur une lancée encore incertaine.
L’amitié les réunit, ainsi que des passions communes autour du son. Cette amitié empêche Adam d’abandonner Nathan / Jack alors qu’il le devrait pour avancer enfin sur son propre chemin, comme elle pousse Jack à tenter de faire sortir Adam de son inertie, au prix de sa future solitude. La relation complexe qui unit Jack et Aeka, tous les deux murés dans leur singularité et tous les deux amateurs de musique concrète et bruitistes, l’amour qui nait entre Adam et Katel, le lien fragile qui unit douloureusement Adam à sa mère et celui qui le relie encore fortement à son père, tout cela tisse un réseau de douleurs intenses.
Quête du père (parti aux USA alors que le narrateur, Adam, était encore enfant), deuil (le livre s’ouvre avec l’annonce de la mort du père et la réception de trois lettres écrites par lui à différents moments de son éloignement), longue dépression de la mère, incapacité réciproque des adolescents et des adultes à se parler et à se comprendre, nostalgie de l’enfance, difficulté à rompre avec le passé…, le livre est riche de tous ces éléments et de bien d’autres (voir le bel entretien de Frédéric Boudet avec Chloé Mary). Il est surtout porté par une langue poétique, qui allie souplesse et densité, comme une vague : on est emporté.

Captain Mexico

Captain Mexico
Guillaume Guéraud
Rouergue (« dacodac »), 2018

Viva Zapata !

Par Anne-Marie Mercier

Paco vit au sud du Rio Grande, donc du « mauvais » côté de la frontière. Son père et beaucoup d’autres tentent de la franchir mais se heurtent à de nombreuses difficultés, notamment au mur érigé par le président des USA, Donald Trompette. Les enfants jouent à la révolution, jeu dans lequel invariablement les révolutionnaires conduits par Zapata triomphent du dictateur Huerta, contrairement à la vérité historique dont les enfants se moquent bien. Les filles, elles ne jurent que par les super héros américains modernes et se moquent d’eux.
Paco joue et réfléchit à ce qui se passe dans son pays : il n’y a aucun espoir pour ceux qui restent car les usines appartiennent aux américains, qui payent mal leurs ouvriers mexicains. Qu’aurait fait Zapata ? Pendant qu’il s’interroge et en vient à la conclusion « la révolution », un sombrero tombe du ciel. C’est un sombrero magique qui lui donne des supers pouvoirs, grâce auxquels il va aider les syndicalistes à prendre le contrôle de l’usine de jouets (Tiny Toys), résister à l’armée mexicaine, à l’armée américaine… La liste des pouvoirs qu’il découvre (ou ne trouve pas à sa grande déception) et la manière dont il les utilise est comique et ôte au récit ce qu’il pourrait avoir de trop guerrier.
Cette histoire mêlant loufoquerie et questions sérieuses est rondement menée, à la fois drôle et émouvante, et le combat entre héros historiques et super héros est très intéressant…