Marcel ce héros. 5 aventures du célèbre chimpanzé

Marcel ce héros. 5 aventures du célèbre chimpanzé
Anthony Browne
Kaléidoscope, 2021

 Marcel en action

Par Anne-Marie Mercier

Édition anniversaire, première anthologie réalisée en France, ouvrage d’hommage au célèbre héros, ce volume est tout cela. Réunissant les histoires relatant les aventures de Marcel, il est le premier d’une série (le second rassemblant les « hommages » de Marcel à l’art, aux livres, à ses rêves).

On y voit Marcel « la mauviette » se body-buildant pour ressembler aux gorilles qui l’impressionnent, mais qui reste « le rêveur », Marcel le champion, qui met tout son cœur aux différents sports qu’il pratique, mais… ce n’est que par hasard qu’il défait Pif la terreur en combat. Marcel l’ami quand il rencontre Hugo qui comme lui passe son temps à s’excuser, Marcel le magicien, quand il réalise un exploit au foot, sans ses chaussures magiques, oubliées à la maison.

On retrouve d’un épisode à l’autre le célèbre gilet, le canapé ou le fauteuil, les silhouettes, la ville, les parcs, tout ce qui fait son univers.
Le fait d’avoir ces histoires réunies rend plus sensible l’extrême cohérence, proche d’un joli ressassement. Les textes d’Anthony Browne et Christian Bruel qui clôturent l’album résument cette unité : pensée magique, solitude, sentiment d’infériorité, vulnérabilité, Marcel est l’ami de tous ceux qui ne se sentent pas « bons à grand-chose », les rêveurs et les amateurs de livres qui rêvent d’être champions pour séduire l’être aimé qui n’en demande pas tant.

L’Arche que Noé a bâtie

L’Arche que Noé a bâtie
Henri Galeron
Les Grandes Personnes, 2022

Et tous ses animaux

Par Anne-Marie Mercier

L’Arche que Noé a bâtie est un petit bijou qui devrait figurer dans toutes les bibliothèques des lieux où il y a des enfants. D’abord parce que c’est un album du merveilleux Henri Galeron, qui fait de si belles images. Ensuite, parce que c’est un livre total, tout en étant très court : un livre objet à rabats, montrant la même image de l’arche dans toutes ses pages, mais chaque fois en ajoutant un nouvel animal, et s’achevant sur une foule d’animaux faisant une grande fête pour oublier leur dispute. C’est aussi une histoire, des chamailleries qui commencent avec le rat qui veut grignoter le riz que Noé va embarquer, chahuté par la chouette, qui elle-même est chassée par le chat ; le pélican pique le chat, etc. Jeu d’assonance, texte à empilement, proche de la comptine et du poème, différents animaux qui vont entrer dans l’arche y apparaissent, plus ou moins par ordre de taille.
Et tout se termine en chansons, avec Noé à la batterie, avant le grand départ, dans une image saturée de détails.

Voir l’animation sur le site de l’éditeur.

 

 

 

 

Découpe

Découpe
Rascal
L’école des loisirs, Pastel, 2022

Coup-coupe !

Par Anne-Marie Mercier

Dans ce petit album carré, chaque page est une proposition de jeu : jeu de découpe ou jouer avec les découpes.
Le cercle se fait horloge, ou bonhomme, ou ballon ; le triangle se fait cornet de glace, tipi ou tout autre chose, le rectangle pourra être, selon comme on l’accommodera, porte d’entrée, tablette de chocolat, etc.

À ces formes s’ajoutent des couleurs belles et franches, qui jouent à leur tour un autre jeu.
L’ensemble est beau et gai, et donne envie de prendre un main ses ciseaux tout de suite : gare au livre s’il n’y a pas de feuille à portée de main !

Le Souffle du géant

Le Souffle du géant
Tom Aureille
Sarbacane, 2021

Dans les méandres des contes

Par Anne-Marie Mercier

Un enfant part en quête pour trouver le remède qui sauvera sa mère. Voilà un schéma de conte bien connu. Il a été illustré entre autres par la comtesse de Ségur dans « Le bon petit Henri », dans lequel un petit garçon, conseillé par une fée, part chercher en haut de la montagne la plante de vie. Après bien des épreuves et des rencontres effrayantes (géant, loup…) il réussit ; il revient victorieux et riche de présents reçus en récompense de ses bonnes actions.
De cette base traditionnelle, Tom Aureille a fait une histoire très originale. Il n’y a pas un enfant héroïque, mais deux, et ce sont deux filles, deux sœurs qui tentent de trouver et tuer un géant de la montagne, dont le souffle doit ressusciter leur mère.
Leur parcours est semé d’embûches, les humains étant aussi monstrueux que la sorcière qui les accueille sous l’apparence d’une gentille vieille dame (comme dans « Hansel et Gretel »). Ils sont en outre suivis par un homme mi protecteur mi hostile dont on ne comprendra les raisons que plus tard. Tout est empreint de magie, les personnages comme les lieux.
La fin de l’histoire, loin de ressembler au conte de la Comtesse, célèbre la solidarité, celle des deux sœurs comme celle des peuples qui les accueillent. Elle met aussi en cause l’héroïsme, chose rare, et l’influence des croyances, donc des contes.

Tout cela est magnifiquement raconté, les images crépusculaires de la quête alternant avec le récit plus clair de ce qui l’a précédée, le récit se dévoilant peu à peu à travers une belle dynamique, dans un suspens permanent.

Sable bleu

Sable bleu
Yves Grevet
Syros, 2021

Anticipation ?

Par Anne-Marie Mercier

Depuis la trilogie très réussie de Méto, Yves Grevet fait partie de ceux dont on attend beaucoup dans le domaine relativement peu fréquenté de la science-fiction pour la jeunesse. La série de Nox lui avait permis, à travers des points de vue alternés, de mettre en scène non pas des garçons comme dans Méto, mais un garçon et une fille. Ici, c’est le point de vue d’un personnage féminin qui conduit l’histoire, personnage particulièrement éveillé et actif, contrairement au héros de Méto.
Tess a été adoptée. Elle vit avec des parents aimants mais qui ont du mal à communiquer avec elle et sont un peu perdus face à ses choix. Elle ignore ses origines et n’a jamais cherché à les connaitre. Elle en fera la découverte, difficile et douloureuse.
Adolescente, encore au lycée, elle s’interroge sur l’amour. L’un des fils conducteurs de la première partie du roman est sa découverte de la passion et du plaisir avec une autre fille, une étudiante un peu plus âgée qu’elle.
Tess fait partie d’un mouvement de militants pour la protection de la planète qui tente par tous les moyens d’alerter la population et de forcer les politiques à changer de méthode : manifestations, sabotages, affrontements, toutes les manières de faire sont abordées et le roman est une belle description de l’action de ces groupes. Le premier chapitre nous plonge dans une énigme : des vols sont commis chez elle, ses parents la soupçonnent un temps, mais ces vols sont répétés dans d’autres lieux, partout en France et dans le monde et semblent porter la marque d’une action d’un groupe militant pour une vie plus saine : des médicaments, des produits alimentaires industriels douteux, des substances toxiques disparaissent tandis que le pétrole est devenu inutilisable, contraignant les humains à une sobriété nouvelle.
Tandis que les autorités traquent les mouvement écologistes soupçonnés de ces actes, l’héroïne perçoit la présence de forces invisibles, et seuls quelques jeunes gens dans le monde ont ce pouvoir… Une policière qui croit comme elle en l’action d’extraterrestres tente d’agir tout en la protégeant. Parallèlement, des milliers de jeunes gens disparaissent un même jour de juillet, et parmi eux l’amour de Tess…
Ainsi, de multiples fils se nouent dans un roman ambitieux qui brasse beaucoup de questions, sans doute trop. Celle de l’orientation sexuelle est un des éléments qui apparaissent un peu plaqués sur les autres intrigues, d’autant plus que la tentative de Grevet pour rendre compte du plaisir féminin et relater les moments d’intimité entre les deux filles est marquée par l’utilisation d’un langage qui peut sembler souvent hétéronormé. Mais ses extraterrestres sont originaux ; l’avenir radieux qu’ils annoncent est une autre originalité et l’on va de surprise en surprise, notamment avec ce sable bleu, témoin de l’origine de Tess, qui pose encore d’autres questions…

 

 

Nox, t. 1 : Ici-bas et Aerkaos, le retour

Pleine Mer, Plein Soleil

Pleine Mer
Antoine Guillopé
Gautier-Languereau, 2018

Plein Soleil
Antoine Guillopé
Gautier-Languereau, 2018

Pleines pages

Par Anne-Marie Mercier

Pleine Lune, Pleine Neige, Plein Soleil, Pleine Mer…  Antoine Guillopé a créé toute une série de grands albums chez Gautier-Languereau, beaux et variés, avec peu de texte. La magie de ces albums réside en partie dans ce laconisme et dans la solitude de ses personnages. Issa, seul à l’aube dans la savane, comme Jade, en plongée dans l’océan tropical, poursuivent chacun un but secret. L’album, page après page, en montre les étapes, sans que le lecteur sache jusqu’à la toute fin, ce qu’il trouvera à la fin du parcours.

 

Les papiers découpés font partie du charme particulier de ces albums : ils découpent les noirs et blancs intenses de Plein soleil, où apparait parfois le disque doré du soleil, les bleus et verts de Pleine mer, éclairés par le maillot de Jade et ses palmes fuchsia, les coraux, les poissons aux couleurs lumineuses. On s’y plonge et on y avance avec délice.

Noël et Léon

Noël & Léon
Eleonora Marton
Grasset jeunesse, 2022

L’un rit, l’autre pas

Par Anne-Marie Mercier

Noël, Léon, le même nom inversé (un palindrome, donc). Cet effet de miroir se lit dès la couverture où les deux visages, celui du clown Noël et celui du squelette Léon sont tête-bêche et s’opposent en tout : tignasse frisée de l’un, crâne chauve de l’autre, couleurs chez l’un, noir et blanc chez l’autre…
L’histoire développe cette thématique des contraires : l’un vient d’une famille où l’on fait rire, chez l’autre on doit faire peur. Celui qui doit faire rire est mélancolique ; celui qui doit faire peur est d’un naturel gai. Que faire ?
La rencontre de ces deux personnages pose et résout le problème, et tout cela en pages pleines de couleurs et de fantaisie.

À l’école, Léon !

À l’école, Léon !
Emile Jadoul
L’école des loisirs, Pastel, 2022

L’école,  l’inconnu

Par Anne-Marie Mercier

La veille de la rentrée, l’inquiétude monte chez Léon : l’école est trop loin, et si Francis n’y va pas, Léon ne voit pas pourquoi il devrait y aller, même chose pour son frère Marcel, et pour maman. Et si on a envie de faire pipi ? et où sera son doudou ?
A toutes ces questions, sa maman puis son papa ont des réponses : Francis est un poisson et les poissons ne vont pas à l’école, Marcel est trop petit, il ira à l’école l’année suivante, quant aux, mamans elles ne vont plus à l’école, etc.
En revanche les pingouins y vont, puisque Léon en est un, comme toute sa famille. Cela permet de dédramatiser la question et ce petit Léon en forme de patate juste un peu plus grande que celle qui représente Marcel et plus petite que celle qui représente sa mère ou son père est attendrissant et drôle.
Et à la fin, tout va bien, bien sûr, c’est mieux en le disant, n’est-ce pas ?

 

Cornichonx

Cornichonx
Yves Grevet
Syros (« Oz »), 2020

Du fantastique en bocal ou le X magique ?

Par Anne-Marie Mercier

Nous voilà entre le conte de fées, le récit loufoque, le roman réaliste, et bien d’autres choses, mais surtout le fantastique, vu le nom de la colection : Angélina a des soucis : elle se trouve trop petite, moche ; aucun garçon ne s’intéresse à elle, etc. Ses parents sont un peu bizarres et font tout le contraire de parents ordinaires, se comportent de manière totalement infantile et ils entendent bien qu’elle se comporte de même. Ce n’est pas un problème pour elle : elle accepte leurs clowneries avec philosophie (le lecteur peut penser qu’elles sont traitées de manière un peu excessive et répétitive).
Les légumes sont donc interdits (et les fruits) puisqu’ils sont prescrits par les gens raisonnables. Or, un jour, poussés par une force mystérieuse, les parents achètent un bocal de cornichons un peu bizarre, où est inscrit le mot « CornichonX ». Cet objet se rapproche de ce que serait un vase plein de petits génies capables d’exaucer nos souhaits ou de répondre à nos questions. Mais chaque jour Angélina constate que si le problème qu’elle a exprimé en mangeant un cornichon, est résolu cela pourrait être le fruit d’une coïncidence. Magie, hasard, qui sait ? Ce court roman est distrayant et très facile (à tous points de vue).

Un Si petit jouet

Un Si petit jouet
Irène Cohen-Janca, Brice Postma Uzel
Éditions des éléphants, 2022

Comment parler de l’enfance dans la guerre ?

Par Anne-Marie Mercier

À partir d’un petit objet, d’autant plus petit qu’il semble sans importance (un jouet), ce petit album carré soulève une grande question, celle de l’enfant et de ses propriétés, de ce qu’il peut emmener ou pas avec lui quand il est obligé de changer de domicile, et de tout ce que la présence ou l’absence de ces choses représente d’inquiétude et de souffrance.
La première voix est celle d’une fillette qui possède une poupée minuscule, pas plus grande qu’un pouce, qu’elle a appelée Léo. C’est une poupée qu’on peut emmener partout avec soi (même à l’école) en la cachant, et dont on peut s’occuper partout, en la transportant dans une boite d’allumettes, en la lavant, la nourrissant avec des riens.
Avant, raconte la fillette, elle habitait dans un autre pays, bien différent et avait un ours en peluche aussi grand qu’elle. Un jour, les avions (qu’elle appelle les croix de fer) sont arrivés et ont plongé le ciel et la terre dans le chaos.
La petite fille a fait l’expérience de la fuite, pour elle, et de l’abandon, pour son ours. Si la guerre revient, elle sera prête. Dans son nouveau pays, elle rencontre une autre fillette qui possède une toute petite poupée, mais dans son cas c’est à cause du divorce de ses parents : elle a deux maisons et se déplace constamment de l’une à l’autre.
Le jouet dit bien des choses, sans pathos, de la vie des enfants déracinés qui tentent de trouver des moyens de s’adapter à une nouvelle vie.
Les images sont elles aussi pudiques et ne montrent que les silhouettes des enfants, montrés de profil. Seules les poupées nous regardent, petites et fragiles. Les pages offrent de beaux contrastes entre couleurs complémentaires, fonds blancs, hachures grises, saupoudrages argentés, formes au pochoir ou dessins délicats. L’ensemble est beau, simple et bouleversant.