Rouli Rouli Roulette

Rouli Rouli Roulette
Cécile Bergame, Magali Attiogbé
Didier jeunesse, 2021

La victoire du petit pois

Par Anne-Marie Mercier

La fameuse galette de Roule Galette s’est ici transformée en petit pois et cette forme et cette couleur permettent de belles variations : pourchassé par la souris, puis le chat, le lapin, le cochon, etc., jusqu’au loup, le « petit pois sauvage » qui a échappé aux mains de Fillette a traversé la maison, puis la ferme pour arriver dans la forêt, revenir par le chemin… et se glisser dans un trou, où il germera et où Fillette le trouvera.

Le texte est idéal pour la lecture à voix haute, enchainant les lieux et les actions de façon dynamique. Les images sont vivement colorées, jouant sur les couleurs complémentaires, elles sont simples, tout en combinant différentes techniques dont certaines imitent les bois gravés.
C’est un album carré (forcément !) qui reprend joliment un grand classique. Et en plus l’histoire ici finit bien !

Le Cerisier de Grand-Père

Le Cerisier de Grand-Père
Anne-Florence Lemasson et Dominique Ehrhard
Les Grandes personnes, 2020

Un album aérien pour toutes les saisons

Par Anne-Marie Mercier

Un scénario tout simple sert cet album pop-up qui parvient à être magnifique et surprenant tout en étant lui aussi marqué par la simplicité.
Grand-père a un cerisier. Au printemps les oiseaux y chantent et font leurs nids, des oisillons naissent, les fruits murissent, mais voilà les cerises grignotées : Grand-Père sort l’épouvantail. Les feuilles jaunissent, arrivent les premiers froids (des flocons même sur l’image, ce qui est un peu tardif, mais c’est bien joli comme ça aussi), les oiseaux s’en vont.
Les oiseaux tout ronds et colorés sont charmants, le système les anime de diverses façons, fait éclore les oeufs, fait voleter les oiseaux (et les papillons); on les voit pointer le bec, s’agiter en tous sens.
Le décor est constitué comme il l’aurait été pour un un leporello : la première page montre le bout des branches de la moitié gauche de l’arbre, puis la suite de ces branches attachées au  tronc, puis l’autre moitié de l’arbre. Et ainsi on passe du printemps à l’été, puis à l’automne, puis à l’hiver.
Les tirettes sont simples à actionner, l’ensemble est solide et un enfant même petit (3 ans) peut s’en régaler, avec une aide au début pour voir comment éviter de maltraiter le livre; c’est si joli que les adultes ne manqueront pas de vouloir participer à ce parcours.

Un chien dans un jardin

Un Chien dans un jardin
Patricia Storms et Nathalie Dion

Traduit de l’anglais par Christian Duchesne
D’eux, 2022

« Manquer la joie, c’est manquer tout »

Par Matthieu Freyheit

Stevenson rendait hommage à la joie, cette forme économe du bonheur qui parvient à être à la fois contentement et étonnement. C’est ici une leçon de joie à laquelle invite Patricia Storms par l’entremise du chien César, auquel l’illustratrice, Nathalie Dion, prête à chaque instant un regard vif et satisfait. Il fallait bien le regard d’un chien pour donner à contempler le plaisir pris aux choses simples : entendre sa maîtresse se lever et faire mine de dormir encore, attendre sa voix qui l’appelle, partager son petit déjeuner et, surtout, franchir avec elle la porte de la maison pour l’accompagner au jardin, où attendent les haies, les feuilles, la terre à creuser et les fleurs à aimer, l’eau du tuyau d’arrosage…
Faut-il un esprit simple pour apprécier les choses simples ? Non, mais la non-parole du chien donne à cette journée au jardin une dimension contemplative et sobre que traduit volontairement la palette de Nathalie Dion. Une contemplation active, cependant, la vie de César au jardin se mêlant joyeusement aux activités de l’industrieuse jardinière.
Au bout du jour a été donné au chien César ce qui revient au chien César : la beauté, ici-bas partagée. Un album pour celles et ceux qui savent que cultiver son jardin – cette image qui n’est pas d’aujourd’hui – fait aussi le bonheur des autres.

Croque-Cochon

Croque-Cochon
Henri Meunier
Rouergue, 2022

Qui craint le grand méchant loup?

Par Anne-Marie Mercier

Ça commence comme un livre pour apprendre à compter : on prend cinq pommes (l’oiseau sait bien compter et il le dit d’emblée), on met trois cochons devant, que se passe-t-il ? Eh bien ils disent n’importe quoi, comptent de deux en deux, à l’envers… et mangent chacun une pomme, jusqu’au moment où un loup arrive, qui veut aussi jouer. Mais le jeu s’appelle à présent « croque-cochon » et le loup joue finalement en comptant deux pommes et trois chapeaux de cochons : 1, 2, 3, 4, 5, Bravo !

Le chapitre suivant propose d’apprendre les couleurs avec une poire, un bonbon bleu, des cerises… le suivant porte sur les formes géométriques, mais tout s’achève par un même résultat, avec l’arrivée du loup qui met fin au joyeux n’importe quoi des petits cochons roses, devant le regard accablé de la maitresse oiseau.
Ignorant tout de leur futur tragique, les cochons sont très gais, écorchent joyeusement la langue, feignent de parler anglais, chics et cools, enfin, on s’amuse bien avec eux !
Henri Meunier, auteur de la série Taupe et Mulot, met ici son humour au service des apprentissages fondamentaux, belle mission!

Les Choses à se dire

Les Choses à se dire
Pei-Chun Shih, Amélie Carprentier
Hongfei, 2022

Ce que vivent les roses…

Par Anne-Marie Mercier

Dans un jardin, chacun vaque à ses occupations : une abeille butine de fleur en fleur, un escargot passe de feuille en feuille, jusqu’au soir où il rencontre une fleur, si belle qu’il veut la maintenir éveillée pour pouvoir lui parler.

La fleur elle, regrette le départ de l’abeille, à qui elle avait encore tant à dire. Elle se réjouit de l’arrivée de l’escargot, mais il est tard et elle a tant à dire… Elle perd ses pétales un à un, tandis que l’escargot la rassure : « il est temps encore »… et il promet de recueillir ses mots pour les transmettre à l’abeille.
Ce joli récit nostalgique qui évoque le départ de ceux à qui on n’a pas assez parlé, que l’on n’a pas assez écouté, évoque l’écoute et la transmission. La dédicace à une grand-mère y prend tout son sens. Les abeilles et les escargots montrent deux façons de se mouvoir dans la vie et d’aborder les autres, quant à la fleur elle est la sédentaire qui attend… et contemple les belles abeilles tourbillonnantes.
Mais les images restent gaies, colorées, en gros plan sur les personnages et ceux-ci ont une bonne figure toute ronde et souriante, évacuant toute tristesse.

Violette Hurlevent et les fantômes du jardin

Violette Hurlevent et les fantômes du jardin
Paul Martin, Jean-Baptiste Bourgois (ill.)
Sarbacane, 2022

Le Jardin du temps perdu

Par Anne-Marie Mercier

Violette Hurlevent, qui nous avait tant charmés dans le premier tome est de retour. C’est une bonne nouvelle car ce Jardin Sauvage est un lieu infini de possibilités et d’aventures (voir la recension du premier tome) et Violette, accompagnée de son chien Pavel est une héroïne attachante.

Seulement voilà : Violette aborde ces nouvelles aventures sans son chien, et elles sont inextricables sans lui, ce qui fait que l’action piétine autour de plusieurs énigmes avant de pouvoir lancer enfin l’héroïne à l’assaut des obstacles, une fois son chien retrouvé/ ressuscité.
En « réalité », tout est difficile : Pavel est mort. Violette, la petite fille terrorisée du premier volume, a grandi, s’est affirmée, elle a vécu d’autres drames et la voici âgée, perdant sans doute un peu la tête d’après ses enfants et son petit-fils, et cherchant à retrouver le havre de son imaginaire d’enfant. Sautant dans le jardin, elle retrouve son corps de fillette et toute son énergie ; hors du jardin, rattrapée par la fatigue de l’âge, elle reste capable de lutter  pour convaincre, réparer, protéger : elle est en effet la « Protectrice » du Jardin et de ses habitants, plantes, animaux, « jardiniens », et jusqu’aux humains du monde ordinaire qui, comme elle, s’y sont incrustés.
Imaginaire, vie fantasmée ou réalité ? Tous ces niveaux sont entremêlés, à l’image de la ronce géante qui menace le Jardin. La tentation de fuir le réel et de réparer les pertes passées pour construire un « Jardin Parfait » que le temps n’atteindrait pas, attitude que refuse Violette, est incarnée par la présence inquiétante d’un adulte appelé le Baron, qui, monté sur un grand cheval noir, a mis le Jardin en coupe réglée et réduit ses habitants en servitude volontaire. Face à lui, Violette incarne l’acceptation du temps, de ses blessures, le pardon et l’amour de la vie, donc du désordre.
L’auteur fait ici le portrait d’un réel complexe qui imbrique différents niveaux de réalité et propose une réflexion sur les frontières du temps et de l’espace. Mais il y a aussi de beaux combats, des voyages qui donnent le vertige, des trouvailles originales, des êtres fantastiques hostiles, à qui Violette sait parler et dont elle arrive à capter les secrets.

Anne de Windy Willows

Anne de Windy Willows
Lucy Maud Montgomery
Monsieur Toussaint Louverture, 2022

Au gré des vents, cap sur le bonheur

Par Anne-Marie Mercier

On retrouve encore une fois (mais pas la dernière !) Anne « avec E », la petite orpheline pleine de rêves, devenue une adolescente, puis une étudiante, qui maintenant, dans ce volume, entre dans la vie d’adulte, fiancée et nommée comme enseignante loin de chez elle, et surtout loin de son amoureux.
Cela donne lieu à une particularité de ce volume qui montre comment l’auteure arrive à faire série sans trop se répéter : le récit est tantôt à la troisième personne, assuré par une narratrice qui, comme dans les volumes précédents, prend parfois une légère distance avec son héroïne, tout en pastichant parfois son style enthousiaste, tantôt mené par Anne elle-même, à travers les très longues lettres qu’elle écrit à Gilbert.
Celles-ci reflètent tout un art de la correspondance : celui d’Anne, à travers des récits vifs, mais aussi celui d’un style archaïque et guindé qu’elle emprunte à l’une des veuves chez qui elle loge, florilège de formules de tendresses chastes et respectueuses. Les lettres d’Anne sont chastes également : nous sommes prévenus du fait que certains passages, trop amoureux, seront supprimés, n’étant destinés qu’à une seule personne – petite illusion de réalité –, ce qui permet de montrer un personnage très amoureux et même passionné sans choquer les jeunes lecteurs (lectrices en l’occurrence).
Quant à l’intrigue, elle est pleine de péripéties : Anne arrivera-t-elle à gagner la confiance des habitants ? viendra-t-elle à bout de l’hostilité de ses élèves ? Que deviendra la pâle Elisabeth, fillette délaissée qui vit dans le jardin voisin du sien (ce personnage semble calquée sur l’enfance de l’auteure) : Anne parviendra-t-elle à lui faire retrouver son père ?
On retrouve le charme des volume précédents avec des dialogues piquants, des personnages secondaires étonnants (notamment l’étrange et contradictoire Rebecca Dew et son ennemi, le chat), la drôlerie des situations mettant en scène l’hypocrisie mondaine, le tragique des destinées de certaines des amies d’Anne à la jeunesse brisée, la poésie des lieux, notamment celle du manoir de Windy Willows, « une maison à la personnalité exquise », et surtout les rêveries typiques d’Anne (ou de l’auteure) sur le monde, les âmes sœurs et la couleur des vents.

Le Rat, la mésange, et le jardinier

Le Rat, la mésange, et le jardinier
Fanny Ducassé

Thierry Magnier, 2022

Un rat parmi les fleurs

Par Matthieu Freyheit

« Miroir, miroir en bois d’ébène, dis-moi, dis-moi que je suis… » Nous connaissons la suite. Mais le rat de cette histoire n’est pas la marâtre des frères Grimm. Convaincu de sa laideur, l’animal prend refuge dans un grenier où il aménage une maison de poupée, décorée à son goût. Pourtant, la laideur ici n’existe pas : Fanny Ducassé fait le choix d’un style naïf où dominent les fleurs et les couleurs. Pour ce rat qui ne s’aime pas, la laideur n’existe en effet que dans son miroir : partout ailleurs, son regard ne voit que de la beauté – ainsi de cette mésange qui lui apparaît, dans un éclat de lumière, « tel un hydravion ». La beauté trop consciente d’elle-même est cependant une beauté étourdie : alors qu’il emporte le rat dans les nuages pour voir le monde d’en haut, l’oiseau lâche le rat, qui quitte le ciel des autres et retourne à sa terre…parmi les fleurs.

Recueilli par un blaireau-jardinier, le rat est alors dorloté, soigné, choyé comme le sont les fleurs elles-mêmes : « Le rat se sentit alors précieux et délicat. » On se souvient avec chaleur que l’amitié qui lie monsieur Taupe et monsieur Rat dans Le Vent dans les Saules (1908) faisait écrire à Kenneth Grahame : « L’invisible était tout. » De fait, la tendresse du jardinier pour le rat opère et invite discrètement ce dernier à poser un regard neuf sur son reflet et sur le beau brun de son pelage.

Le rat comprend ainsi qu’il n’est plus en porte-à-faux avec la délicatesse des illustrations, et le soin à l’œuvre agit doublement : le soin apporté par Fanny Ducassé à ses dessins agit comme une projection du regard émerveillé que porte le rat sur le monde qui l’entoure ; le soin apporté par le jardinier au rat amène celui-ci à se sentir bénéficiaire, comme tout ce qui l’entoure, d’un soin plastique qu’il suffisait de regarder.

C’est bien un album sur le regard que propose l’auteure : un regard minutieux et attendri, au nom de l’attention que méritent les belles choses. Ce livre en fait partie : souhaitons-lui d’être vu, comme il donne à voir.

 

Un Petit Jeu de piste

Un Petit Jeu de piste
Adèle Jolivard
Les Fourmis rouges, 2019

Jeu au Zoo

Par Anne-Marie Mercier

Un matin, devant un bol de café un « monsieur » songe. Il sort et rencontre son voisin de palier et lui demande s’il sait ce qu’il y a autour d’eux ; il propose d’établir une carte. Bonne idée, non ?
C’est d’autant plus le cas que ce monsieur est Monsieur Rat, que son voisin est un lion et que l’on se trouve dans un zoo : armés d’une feuille et d’un crayon, ils visitent le voisinage : tortue, coq, crocodile, hippopotame, tous sont sollicités et les suivent pour participer avec enthousiasme… jusqu’au moment où intervient le chat.
Animal qui « s’en va tout seul », c’est lui qui sème le trouble dans ce projet en suggérant de représenter aussi l’extérieur et d’aller donc le découvrir.
On ne donnera pas la chute de cet album, tout à fait « renversante ».
Les petits croquis des animaux esquissés sur fond blanc avec quelques touches de couleur sont délicieux et les espaces visités et dessinés sont jolis, délicats, inventifs.

Dans la cité électrique, tome 1 : Le Cercle des Veilleurs

Dans la cité électrique, tome 1 : Le Cercle des Veilleurs
Sarah Andrès
Gallimard jeunesse, 2022

Ombres du XIXe siècle

Par Anne-Marie Mercier

Londres, 1899: deux orphelins sont éduqués dans un pensionnat anglais assez chic. Qui paye leur pension ? comment sont morts leurs parents ? Pourquoi semblent-ils n’avoir aucune famille ? Voilà les questions que se pose sans cesse Oscar, 12 ans, premiers mystères. Puis s’ajoute le sens de l’invitation reçue par Oscar, qui lui demande de passer à travers un miroir, sans préciser lequel, à une date et une heure données de façon très précise. Puis les relations entre le Londres qu’ils connaissent et ce Londinium dans lequel ils débarquent, noirci par les cheminées d’une révolution industrielle agressive et marquées, encore plus que celle que l’on connait par l’injustice.
Les enquêtes se succèdent, les révélations aussi, à un rythme endiablé. Les bêtises de la petite sœur d’Oscar se succèdent aussi, de façon un peu lassante pour le lecteur adulte, de même que les réactions de la fillette qui les accompagne, tout aussi prévisibles que des formules toute faites. Mais les jeunes lecteurs, d’abord attirés par une très belle couverture noire et or, y trouveront sans doute matière à rêver car les scènes où l’électricité entre en jeux sont… éblouissantes.