La reine des glaces

La reine des glaces
Marie Diaz, illustré par Miss Clara
Gautier Languereau, 2010

Neiges de papier

par Anne-Marie Mercier

reine des glaces.gifLibrement adapté » du conte d’Andersen « la reine des neiges », lit-on en page de titre.  On se demande quel besoin s’est fait sentir : le texte est certes un peu plus long que celui des autres contes (est-ce pour cette raison qu’il figure rarement dans le anthologies ? ou bien l’histoire de la fille du roi des brigands fait-elle peur ?).

Le résultat est tout de même réussi. Il conserve la saveur de ce conte, l’un des plus beaux et des plus poétiques d’Andersen et il est merveilleusement illustré par Miss Clara, avec des scènes composées de petits personnages en papier, des décors qui évoquent d’ancienne gravures (voir le joli site de l’artiste : http://missclara.free.fr/)

Et alors ?

Et alors ?
Oleg Grigoriev, Vitali Konstantinov

traduit (russe) par Marion Graf
La joie de lire, 2011

Contes soviétiques à savourer 

par Dominique Perrin

Et alors ?, Oleg Grigoriev, Vitali Konstantinov, La joie de lire, 2011, traduit du russe par Marion Graf « Et alors ?« , la chose fait peu de doute, est la question emblématique des « douze petits contes » choisis par l’illustrateur Vitali Konstantinov au sein de l’oeuvre d’Oleg Grigoriev (1943-1992), artiste de l’ère soviétique malmené autant que connu et reconnu – notamment pour sa production dédiée à la jeunesse. Micha, le jeune personnage récurrent auquel le lecteur attribue vite  son propre visage, habite le monde bâti de main adulte sur un mode décidément interrogatif, volontiers perplexe ; dans son sillage, d’autres personnages prennent rapidement consistance, un étameur, un instituteur, un homme assis à l’arrière d’une camionnette, mais aussi toute une ronde d’enfants – Guena, Vova, Petia, Kolia, « un petit garçon », « un grand, l’air qui redouble ».

On comprend les plus attachants de ces protagonistes, Micha le premier, d’être dubitatifs : pourquoi l’étameur creuse-t-il un trou ? Au dernier moment, vaut-il mieux passer le portail de l’école, ou partir se promener ? La trottinette solitaire posée sur l’allée du parc  est-elle un bien dont on puisse s’emparer ?… Et aussi : que font un verre posé sur un verre, et sous ce verre, encore un verre ?

Le grand art des brefs contes réunis ici est d’être sans pourquoi, entre pied de nez optimiste et absurdité consommée ;  à la demande d’une suite, d’une chute, d’un dénouement engendrée chez le lecteur ou le jeune auditeur, ils répondent par un sain haussement d’épaules et invitent à tourner la page comme on jette l’éponge. Il est patent que l’illustrateur-éditeur – ici vraiment passeur et anthologiste – entretient une belle connivence avec les textes de son aîné : ses images cultivent la même simplicité efficace, puissamment suggestive, qui caractérisent la série d’histoires aigres-drôles présentée ici selon une progression qui semble à la fois arbitraire et subtile ; à des textes tout à fait épurés, elles confèrent, quoique en noir et blanc, les couleurs d’un monde relié, quoi qu’en dise la fantaisie revendiquée de l’ouvrage, à l’histoire de l’URSS.

L’Etoile de Man-Su

L’Etoile de man-Su
Sophie Guiberteau, Véronique Joffre
Chan-Ok, Flammarion, 2011

Beau conte coréen

par Sophie Genin

conte, Corée, Chan-OkCe joli conte en randonnée de facture classique est d’inspiration coréenne. Cette appartenance se note surtout aux illustrations (peinture aux traits apparents, découpages) : les personnages et les paysages sont asiatiques. Mais l’histoire a une portée universelle : en effet, tout lecteur prend plaisir à suivre une bande surprenante, composée, au fil de la narration, d’un orphelin en quête d’une maison rejoint par un chien, un coq et son amoureuse, une chèvre éprise de liberté rappelant celle de M. Seguin, un étourneau étourdi, un chaton esseulé mais aussi un petit olivier qui cherche une terre accueillante, un essaim d’abeilles chassé de son paradis vallonné et fleuri  par la culture du maïs et même un ruisseau qui leur indiquera le chemin de leur nouvelle demeure ! La fin idéale d’une famille choisie laisse rêveur comme tout bon conte.

Celui qui voulait changer le monde

Celui qui voulait changer le monde
Juliia, Célia Chauffrey
Auzou, 2010

« Trouver la voie de son royaume »

Par Christine Moulin

 changer monde.jpgCet album aux belles dimensions attire par sa couverture, envahie par un immense cœur rouge, sur lequel est juché un petit garçon à l’allure décidée. Le titre est celui d’un conte et de fait, on a bien affaire à un conte, initiatique. Le héros, qui a la beauté de sa mère et la force de son père, a malgré tout reçu d’eux en héritage un certain désabusement : sa mère chante, sans se lasser, il est vrai, la venue toujours repoussée du roi qui va changer le monde. Son père, qui a voyagé, ne lui cache pas l’horreur des « hommes qui se battent », des « femmes qui pleurent » et des « enfants qui ont faim ». Alors, les poings du jeune garçon, Simon, restent serrés. Jusqu’à ce qu’arrive un oiseau, qu’il va suivre et qui le mènera vers la seule véritable quête qui vaille.

Le propos, poétique, humaniste, optimiste ne peut qu’ouvrir à la discussion : on pourrait craindre qu’il célèbre une forme de repli sur soi. Mais, en fait, on comprend qu’il s’agit de hiérarchiser ses efforts : inutile de vouloir changer le monde, si on ne fait pas sur soi le travail nécessaire, si on ne s’ouvre pas à l’autre. Et surtout, il vaut peut-être mieux habiter le monde que le changer. Reste à savoir si ce message ne paraîtra pas un peu trop réformiste à certains.

Le site de Célia Chauffrey.

Ma Soeur-Etoile

Ma sœur étoile
Alain Mabanckou, Judith Gueyfier
Seuil Jeunesse, 2010

Dessine-moi un Petit Prince

par Christine Moulin

soeur étoile.jpgAu milieu des avatars médiatiques plus ou moins réussis du Petit Prince, cet album fait chaud au cœur. Le format en est conforme au propos : généreux. Les illustrations, aux riches couleurs nocturnes, font la part belle aux doubles pages et permettent de pénétrer dans un univers onirique peuplé de moutons. C’est qu’en effet l’intertexte de l’ouvrage de Saint-Exupéry est très présent : en dehors du célèbre ovidé, on retrouve l’Afrique (mais pas celle du désert), l’étoile et au-delà, la célébration de la foi en l’amour, qui triomphe du deuil, le mépris des richesses matérielles, le pouvoir de l’amitié. Seule manque au rendez-vous « l’absente de tout bouquet », la rose… A peine peut-on regretter un début un peu lent : mais c’est que cet album est sans doute plus poétique que narratif, au fond.

Vous pouvez aller visiter le site de l’auteur.

La petite taiseuse

La petite taiseuse
Stéphanie Bonvicini, Marianne Ratier
Naïve, 2010

Jacques Salomé pour les enfants

par Christine Moulin

stéphanie bonvicini,naïve,communication,silence,christine moulinA l’image des contes du célèbre psychologue, ce récit répand la bonne parole : « Heureux qui communique ». Mais reprenons : il met en scène cinq personnages, la Taiseuse, le Village (toujours présenté ainsi, comme une entité), le Meunier, le Vent et un chat, noir. Le Meunier fait la farine, la nuit, si bien qu’il ne parle jamais à personne. La petite Taiseuse se tait. Le chat l’adopte pour ne plus la quitter. Le Village suppute et papote. Un jour, meurt la Vieille mandatée par celui-ci pour aller porter des vivres au Meunier. La petite Taiseuse est toute désignée pour prendre sa suite. Grâce aux agissements du Vent, tout ce petit monde va bénéficier d’une leçon : « Apprends que tu peux ressentir tout ce que tu veux tant que tu l’exprimes ».

Et c’est là le hic : paradoxalement, ce livre est très bavard, démonstratif, didactique, même si’il se présente comme « une histoire où, à bien l’écouter, personne n’aurait le dernier mot ». Les symboles sont vite explicités si bien que l’on se prend à regretter que ne soit qu’à moitié réussi le programme que s’était fixé l’auteure : écrire « une histoire où l’on pouvait tout entendre, même ce qui ne se dit pas ».

La Petite poule rouge

La Petite poule rouge
conte de la tradition raconté par Anne Fronsacq et illustré par Madeleine Brunelet

Père Castor Flammarion, 2011

 Conte traditionnel remis au goût du jour

par Sophie Genin

9782081246560.gifLe fameux conte de la petite poule rousse, classique, traitant de la solidarité avec impertinence, revient mais… elle est rouge ! La couverture, avec cette toute petite gallinacée à la grande ombre, donne envie de redécouvrir cette histoire de poule faisant son pain toute seule, sans aucune aide de ses amis, paresseux et pas généreux. Les illustrations, colorées et vives, la réactualisent et la tournure répétitive choisie pour ce conte en randonnée le rend très accessible. Le Père Castor reste un incontournable pour les contes traditionnels et la volonté affichée de modernisation des illustrations fonctionne parfaitement dans ce nouvel opus !

Les carottes sont cuites pour le Grand Méchant Loup

Les carottes sont cuites pour le Grand Méchant Loup
Suzanne Bogeat, Xavière Devos
L’élan vert, 2010

Un enième loup végétarien

par Christine Moulin

suzanne bogeat,xavière devos,l'élan vert,loup,conte,petit chaperon rouge,trois petits cochons,intertextualité,stéréotype,christine moulinOn n’en sort plus : constater que le stéréotype du loup méchant s’est mué en stéréotype du loup gentil est devenu un poncif. Tant il est vrai que la veine est inlassablement sollicitée, avec son cortège d’allusions intertextuelles attendues : la Chèvre de Monsieur Seguin, les Trois Petits Cochons, le Petit Chaperon Rouge. Voici donc encore un loup condamné aux légumes, cette fois-ci à cause de son grand âge. Il va voir un médecin mais n’est pas Gotlib qui veut. Il reçoit l’aide de ses anciens adversaires et bien sûr, tout est bien qui finit bien.
Seule originalité : les illustrations nous montrent Violette, la fille du Petit Chaperon Rouge. Elle est bien mignonne, va…

Le conte des étoiles filantes

Le conte des étoiles filantes
Nicolas Marie, Jeanne Gomez

Le buveur d’encre, 2010

L’heure du conte

 par Christine Moulin

conte étoiles filantes.jpgVoilà un bon conte des origines, comme on n’en fait plus. Pas d’ironie, pas de modernisation, pas de second degré, pas d’intertextualité aguicheuse (ou du moins, s’il y avait quelque allusion, je ne l’ai pas vue !). Un conte qui commence par « Il était une fois » et qui se termine par « Depuis ce jour ». Avec un roi, une reine qui ne peut pas avoir d’enfants, de la magie, une forêt et tout et tout. Et même, en prime, des imparfaits du subjonctif ! Si !
Bref de la belle ouvrage. Un tantinet surannée, ce que confirment les illustrations délicatement aquarellées.
Un regret : pourquoi révéler par le titre que c’est l’origine des étoiles filantes qui va être expliquée ? Je crois que j’aurais préféré avoir la surprise. Question de goût.

Le Croqueur de lune

Gudule
Le Croqueur de lune

Mijade, 2011

« Ribaudes » et princesses font-elles des personnages de conte ?

par Dominique Perrin

Découvrir ou redécouvrir des contes de tous les pays est toujours prometteur de généreux plaisirs sensibles et intellectuels – plaisir de la fraîcheur et de la proximité, mais aussi plaisir de la réminiscence et de la réflexivité. Les contes rassemblés ici sont issus de continents et de pays fort variés, et ont en tant que tels des charmes très singuliers. Cependant, leur appropriation écrite par Gudule n’est sans doute pas à même d’emporter la conviction de tous les amateurs de contes, et des plus sensibles d’entre eux à leur valeur anthropologique de témoins d’une culture populaire radicalement différente de la culture lettrée dominante. Le sexisme bon teint (le plus souvent passives, les femmes sont souvent assimilables aux « âmes de geôlières » que les hommes redoutent en elles) et la condescendance sociale (la « ribaude » est opposée à la princesse avec une complaisance stylistique manifeste) ont ici la part fort belle. Ces deux caractéristiques récurrentes sont de nature à restreindre le plaisir annoncé, et ne s’accordent que mal avec la préface du recueil, placée sous l’égide de princesses sagaces, sensuelles et désirantes.