L’inconnue des Andes

L’inconnue des Andes
Sylvie Deshors

Rouergue, (Doado Noir), 2011

Enquête en altitude

                                                                                                             par Maryse Vuillermet

    On retrouve dans ce roman policier le touchant personnage d’Agathe de Fuite en mineur, (voir article sur ce site), une jeune Franco-chinoise karatéka, son énergie, et surtout sa curiosité.  Elle voyage en Équateur en compagnie de son amie étudiante Lucia. Une curieuse rencontre avec une superbe inconnue aux yeux verts qui lui donne un bracelet en or va changer le cours paisible du voyage.Dans un Lodge en pleine Cordillères des Andes, elle trouve un morceau déchiré de son  passeport, ce qui lui fait croire qu’elle a disparu. Elle décide de partir à sa recherche.

Une course enquête à travers les paysages somptueux et dangereux des Andes, de nombreuses et belles amitiés entre jeunes  Américains du sud, Québécois, jeune policier lyonnais, un style efficace, une réalité sociale bien prise en compte (misère, violence, pillage de tombes, suite des tortures, disparitions et assassinats en Argentine), tous ces ingrédients bien dosés font de ce roman une lecture  dépaysante, engagée, palpitante et souvent émouvante.

Rico et Oskar, t.1 : Mystère et Rigatoni

Rico et Oskar, t.1 : Mystère et Rigatoni
Andreas Steinhöfel

traduit (allemand) par Barbara Fontaine
Gallimard Jeunesse, 2010

Les Mystères de Berlin: policier et handicap

 Par Anne-Marie Mercier

Andreas Steinhöfel,Gallimard Jeunesse,handicap,amitié,surdoué,ville,Anne-Marie Mercier   On ne sait si dans ce premier volume d’une trilogie l’histoire policière est la part la plus importante. C’est aussi un récit autour du handicap. Le narrateur, Rico, est un jeune berlinois qui se décrit comme « maldoué ». Toute l’histoire est vue à travers son regard étonné, souvent naïf, et son caractère à la fois craintif et ombrageux. On voit comme des symptômes ses difficultés face aux chiffres et à l’espace, ses problèmes face à l’implicite, ses rêveries devant les bizarreries de la langue, ses définitions de dictionnaires re-bricolées avec sa propre logique.

Le récit commence comme son journal de ce qui s’est passé durant ses premières journées d’été. On découvre les habitants de son immeuble, son quartier parmi lesquels se cache un ravisseur d’enfants qui terrorise Berlin. La rencontre d’Oskar, surdoué craintif et hardi, ouvre les perspectives de Rico et le conduit à découvrir le criminel. Le portrait du jeune garçon est touchant, les dialogues savoureux, et les rencontres toutes assez déjantées (à croire que Berlin est un condensé d’originaux…).

On retrouve ici des éléments qui ont fait le succès du Bizarre incident du chien pendant la nuit, enquête policière menée par un enfant autiste. Andreas Steinhöfel ajoute à la greffe policier+handicap un zeste de sociologie urbaine et beaucoup de fantaisie naïve.

Seuls dans la ville

Seuls dans la ville
Yves Grevet

Syros, 20011

L’atelier d’écriture enquête

Par Anne-Marie Mercier

Seuls dans la ville.gif   La qualité du roman précédent de Yves Grevet, Méto, trilogie de science fiction, créait une attente et c’est sans doute l’une des raisons d’un léger sentiment de déception à la lecture de ce nouveau texte. Il y a une certaine originalité, ce n’est pas mal écrit, mais l’ensemble est moins inventif, moins orienté vers la réflexion critique, et, bizarrement, moins crédible… En effet, Yves Grevet quitte ici le genre de la SF pour le policier, un genre qui demande davantage d’ancrage dans le probable.

L’idée de départ est séduisante : une enseignante de français propose à ses élèves de se répartir dans différents lieux de la ville pendant une heure et de décrire ce qu’ils voient, en choisissant leur manière de raconter. Le résultat est assez cocasse et pourra inspirer certains enseignants à la recherche de sujets d’ateliers d’écriture. Certains élèves choisissent le descriptif, d’autres le narratif, le biographique, le poétique, le politique, etc.

Tous donnent des indices qui vont permettre aux deux héros de résoudre le crime qui a été commis juste à ce moment là. L’intrigue est ralentie de façon excessive par les temps de collecte et de lecture des textes des autres élèves et le récit policier est entrecoupé de scènes familiales convenues et d’épisodes scolaires et sentimentaux que les adolescents d’aujourd’hui trouveront sans doute un peu tièdes (contrairement à ce que laisse penser la couverture).

Le Petit Sommeil

Le Petit Sommeil
Benjamin et Julien Guérif
Syros (rat noir), 2011

Petite forme

par Anne-Marie Mercier

Le Petit Sommeil .gif    Un stage peut mener loin, même (ou surtout ?) si on le fait à contrecœur et dans un lieu aussi peu propice à l’aventure qu’une maison de retraite. Pierre vit seul avec sa mère, n’a de goût pour rien et d’énergie pour rien. Dans son stage, il tombe sous la coupe d’un vieil homme asocial et tyrannique qui l’entraine dans une succession de transgressions de plus en plus douteuses et dangereuses.

 Si le début du roman est une peinture assez classique d’une adolescence à la dérive, la fin le rattache au roman noir, comme le suggère son titre qui évoque le film de Hawks (ou le roman de Chandler). Mais il n’a de rapport avec ses illustres devanciers, même en petit, que ce titre et la fascination pour l’argent et le luxe qui y est développée en est à des années lumières.

Les Poisons de Versailles

Les Poisons de Versailles
Guillemette Resplandy-Taï

Gulf Stream éditeur (courants noirs), 2011

Sombres jardins

Par Anne-Marie Mercier

Les Poisons de Versailles.jpgLe titre pourrait faire croire que le roman s’inscrit dans la liste de ceux qui se passent à Versailles au cours de  » l’affaire des poisons  » dans laquelle madame de Montespan a été mise en cause (voir les romans d’Annie Jay, Complot à Versailles et d’Annie Pietri, Les Orangers de Versailles et leurs suites).

L’action se passe un peu plus tôt, en 1672, au moment où les rumeurs sur les poisons commencent. L’héroïne est, comme c’est souvent le cas dans les romans de ses devancières, guérisseuse et un peu rebouteuse et a été appelée pour ces talents au service de la reine. Qu’elle soit originaire de Catalogne, de Prats-de-Mollo où sa famille a été décimée par les dragons du roi et que son frère, seul autre survivant, ait pris le maquis avec l’intention de se venger ne fait pas peur au roi ni à son épouse.

Dans le cadre du château en construction, des jardins et du potager de la Quintinie, on voit évoluer la famille royale et les maîtresses, Bontemps le valet et La Reynie le policier, Vauban, Molière, Lenôtre, les savants Sydenham et Lémery… dans une affaire des poisons avant la lettre qui frappe les survivants du régiment de dragons.

Des annexes présentent un résumé d’événements historiques et traits anthropologiques de Catalogne et surtout quelques pages qui auraient mérité d’être placées en préface tant elles sont à la source du livre, sur les plantes et la médecine de l’époque, et sur l’introduction du quinquina, mais aussi sur le galéga, la mandragore, le pavot, la digitale… L’auteur est pharmacienne et s’est servie de ses connaissances pour ce roman, un peu plus noir que ceux qui ont paru sur ce sujet en édition jeunesse. Cette noirceur et cette précision lui donnent un peu d’originalité.

Cherub, vol. 1: Cent jours en enfer

Cherub, vol. 1: Cent jours en enfer
Robert Muchamore

Traduit (anglais) par Antoine Pinchot
Casterman, 2011

Petit manuel de machiavelisme pour les enfants

Par Anne-Marie Mercier

michael gerard bauer,moby dick,timidité,persécution,école,parole,éloquence,concours,cancer,castermanLe premier tome de la série « culte » de Cherub est publié en poche… Enfin, direz-vous ? Hélas, plutôt… Bien sûr, ce sont des romans d’action bien menés ; bien sûr le jeune héros, James, petit délinquant qui ne pense qu’à jouer à la PlayStation et à regarder la télé et qui est sauvé par l’ »organisation » Cherub peut séduire certains.

Mais l’école de Cherub ressemble beaucoup à un camp d’entraînement (le titre, « 100 jours en enfer », désigne le programme d’entraînement intensif des futurs agents-espions), la discipline est menée à coup de punitions humiliantes, l’enseignement présenté comme un enseignement d’élite pour une élite (10 élèves par classe).

Enfin, sur le terrain, les jeunes gens ont une activité d’espions : mensonge, dissimulation et trahison sont leur domaine. Le seul interdit (« ne pas nuire à des innocents ») est hardiment franchi au prétexte que « on ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs ». La volonté d’entrer dans la complexité est intéressante, mais

Le succès de la série montre-t-il que le nouveau rêve des adolescents n’est plus d’être un hardi policier, ou sorcier, ou voleur, mais d’être un enfant soldat ? que l’école dont ils rêvent est un pensionnat-prison militaire ? ou bien est-ce juste pour se faire peur ?

Le prétexte est que ces héros eux aussi « sauvent le monde », mais au bénéfice de qui ? Dans ce premier volume c’est au bénéfice des compagnies pétrolières contre les hippies et les écologistes. Bien sûr, les uns agissent en toute légalité et les autres pas… mais si la littérature pour adolescents se met à donner la primauté au Droit contre la Justice, il y de quoi s’interroger.

Enfin, que je sache, les écologistes – fussent-ils terroristes (?) – n’ont jamais commis d’attentats sanglants. Que le livre fasse croire le contraire n’est pas innocent.

Quant à l’écriture, elle est d’une platitude sans nom.

Pour aller plus loin, lisez la chronique- coup de gueule parue sur le blog de Patrice Favaro.

Et lisez plutôt Grande école du mal et de la ruse de M. Walden (oui, les héros sont des affreux jojo délinquants, mais au moins c’est drôle) ou Jimmy Coates de Joe Craig, A comme Association de Bottero et L’Homme (surtout les deux premiers), éventuellement Spy High (série, pas excellente, mais moins inquiétante, pour ce que j’en ai vu). Et, pourquoi pas, les Langelot (Lieutenant X/ Vladimir Volkoff), romans d’espionnage pour la jeunesse bien conservateurs mais écrits avec style.

La princesse et l’assassin

La princesse et l’assassin
Magnus Nordin
Rouergue (doAdo Noir), 2010

Les amourettes suédoises…

par Michel Driol

Un beau début de roman noir : « Il avait plu toute la journée, une bruine désolante typique de l’automne, mais, peu après minuit, la pluie avait cessé. Même si Fredrick n’était que légèrement habillé, le froid était à cet instant le cadet de ses soucis ».

Mais, même si la quatrième de couv’ met l’accent sur le côté thriller (au deuxième assassinat, chacun va devoir abandonner ses mensonges et ses secrets) et souligne que ce roman, d’un auteur suédois reconnu de thrillers et de romans d’horreurs pour la jeunesse, a reçu pour ce roman le prix du meilleur thriller pour la jeunesse… le thriller et les frissons tardent à venir.

En fait ce roman hésite entre deux ou trois genres : le thriller, certes, mais en pointillés. Le roman sentimental pour ados. Le roman social.

Du thriller, on garde l’atmosphère et les constantes du genre (la nuit, la pluie,  le tueur qui rôde et menace les ados, l’enquête policière, la fausse piste), mais, au fond, ce n’est pas vraiment cela qui intéresse Nordin, ni peut fournir un moteur à la lecture. Le point de vue n’est pas vraiment ici celui de la victime potentielle, comme c’est le cas dans ce genre.

Ce qui se développe surtout, c’est le roman sentimental, plus proche des émois d’ »Hélène et les garçons », ou des séries télévisées ayant comme cadre un lycée (d’Australie ou d’ailleurs…) que du roman de Flaubert. Sexe, mensonge et tromperies façon lycéenne. Découverte de l’amour pour Nina, l’héroïne, pour le beau chanteur d’un groupe de musique en vogue, aimé aussi par Lenita. Et Markus, trop timide pour avouer son amour pour Nina, ou choisir entre l’amitié et l’amour… Chronique d’une année scolaire, une de plus… la dernière, en tous cas, puisqu’il s’agit de terminale !

Reste le côté critique sociale, qui me semble rester le parent pauvre de ce livre, comme une dimension  effleurée mais non aboutie, malheureusement. Le lycée que fréquentent tous les héros est caractérisé par sa mixité sociale, et l’auteur met en présence deux mondes, deux quartiers : un quartier populaire (celui de Markus et de Nina), et un milieu très huppé, celui de Lenita. Or, autant les descriptions des lieux mettent l’accent sur ces différences (maisons identiques d’un côté, superbe propriété de l’autre), autant les dimensions sociales et psychologiques sont peu traitées. Au fond, tous ces ados se ressemblent !

Et s’ils se ressemblent tant, c’est peut-être que leurs parents sont absents… Le père de Nina déménage sans cesse, traite sa fille de « Princesse » et cache un secret qu’on découvrira à la fin du roman. Les parents de Lenita sont absents du livre : leur fille  est ivre lors de sa fête… La mère de Nina est malade. Pas d’adulte positif dans ce livre (ni du côté parental, ni du côté professoral), sauf, peut-être, du côté policier. De fait, la micro société des ados fonctionne avec ses règles, ses codes, ses transgressions.

Un livre donc qui pose de sérieuses questions sur les limites de la littérature pour la jeunesse : à quelles conditions écrire un thriller pour les jeunes ? De quelles images du monde des adultes doit-elle être le reflet ? Quel public viser : celui de l’amateur de thriller ou celui du roman d’amour ?