Candor

Candor
Pam Bachorz

Traduit (anglais, Etats-Unis) par Valérie Dayre
Editions Thierry Magnier, 2011 [2009]

Dans Candor la rouge, pas un esprit qui bouge

Par Matthieu Freyheit

CandorPassez la couverture (fuchsia et vert fluo ????). Passez la quatrième et la pertinence de ses interrogations : « Peut-on abolir la passion, l’amour, la violence, et à quel prix ? », « A-t-on le choix de sa vie ? » Là, en général, je souffle. De dépit.  Enfin, ignorez les mots-clefs donnés par l’éditeur pour présenter les thématiques du roman : « opression [oui, l’oppression est telle qu’un tremblement a dû faire sauter le second [p]], résistance, libre-arbitre ». Si vous êtes comme moi saturés des clichés sur la nécessité de « résister », sur la liberté de choisir, sur les bienfaits de l’attitude contre-culturelle (un mythe, merci à Joseph Heath et Andrew Potter de l’avoir si brillamment montré), passez tout cela, et laissez-vous faire.

Car Candor est, malgré tout, un vrai bon roman, bien écrit, et plutôt efficace. C’est que Pam Bachorz, l’auteure, est de celles qui savent raconter. Voici les faits : Campbell Banks a fondé une cité nouvelle dans laquelle des messages subliminaux émis en permanence bornent les habitants au bonheur d’un ensemble d’attitudes (saines) et uniformes. Les familles heureuses, on le sait désormais, se ressemblent toutes. Oscar, fils de ce fondateur adulé, fait quant à lui l’impossible pour se tenir, secrètement, hors du contrôle de ces messages, tout en soignant son image de fils parfait et d’idole des jeunes (il y en a même qui l’envient). Une dualité difficile à maintenir, et mise à rude épreuve par l’arrivée à Candor de Nia, fraîche et « rebelle », dont Oscar tombe justement amoureux. Je ne vous révèle évidemment pas comment tout cela se termine.

C’est, en tout cas, rondement mené. À commencer par le fameux Oscar, qui n’a rien du résistant au grand cœur, mû par tous les nobles sentiments de sa caste. La face parfaite de ce séduisant Janus trouve une belle réponse dans le personnage avide et souvent cinglant qui nourrit son second visage. Une manière pour Pam Bachorz, une auteure à suivre, d’éviter certains clichés et d’appréhender, dans la double identité de son personnage, un peu de l’ambivalence des deux mondes. Pourtant, las !, Pam Bachoz aurait pu se montrer plus dérangeante et, peut-être, enfin, réellement anti-conformiste, en trouvant le moyen d’appuyer davantage, par le biais de ses différents personnages,  la thèse, précisément, du conformisme. Et d’assumer l’idée terriblement déplaisante qu’agir et penser comme les autres relève également du désir pas si conformiste – et pas si simple, surtout – de l’édification d’un projet collectif.

Reste la présence de Nia, caution artistique de l’affaire, qui passe du skate-board au tag tout en assénant, péremptoire : « L’art n’est jamais rien que de la craie », avant de vivre une jolie scène de reconstitution muséale qui rendra optimistes ceux qui espèrent voir leurs ados poser avec plaisir les pieds dans un musée.

Candor_cover_FINALCandorUKOn trouve sur le site de l’auteur des variations de couvertures intéressantes : américaine et anglaise ici:

Toute la vie

Toute la vie 
Jérôme Bourgine
Sarbacane (« exprim’ »), 2012

 Est ce que c’est une vie, cette vie qu’on vit ?

Par Anne-Marie Mercier

toutelavieD’abord il y a Michel, 13 ans , timoré, auto-centré et geignard, en manque d’amour, obèse, puis atteint d’un cancer. Ensuite il y a Isabelle, sa mère, abandonnée par les pères de ses deux enfants, aigrie, perpétuellement désagréable, incapable d’exprimer et même d’accepter des sentiments, enfin il y a Daniel, leur voisin velléitaire et sensible qui a raté sa vie dans les grandes largeurs. Et puis… il y a Hannah, présence lumineuse et fantastique change tout, tant au niveau des personnages que du roman.

Hannah est une télépathe surdouée de 12 ans qui prend à bras le corps les souffrances de sa famille et tente d’utiliser Daniel pour alléger celles-ci. Quand Daniel se prête au jeu, cela donne de très jolies scènes. Si  les relations entre Isabelle et lui sont torrides mais brèves, celles qu’il noue avec Michel sont délicates et exigeantes pour l’un comme pour l’autre, comme initier à la spéléo celui qui ne peut dormir sans lumière, construire une cabane dans un arbre, ou accompagner quelqu’un jusqu’au bout – et même au-delà – quand on a systématiquement abandonné tout et tout le monde toute sa vie.

« Toute la vie ». Pourquoi ce titre ? Est-ce parce que chacun des personnages agit comme il a agi toute sa vie et est sommé au moment de la maladie de Michel de rompre avec ce comportement ? Daniel apprendra le sens de la responsabilité, Isabelle acceptera l’amour de son fils et découvrira son amour pour lui, Michel se comportera avec courage et altruisme. Pourtant, ce n’est pas un conte de fées : les personnages demeurent avec leurs faiblesses mais vont jusqu’au bout d’eux mêmes pour dépasser celles-ci avant qu’il ne soit trop tard.

L’autre sens de ce titre tire le roman vers le fantastique : si les choses sont ainsi « toute la vie », eh bien il reste « toute la mort ». La voix de Michel commentant les événements depuis sa mort et les faisant se dérouler comme un film qu’on visionne, semble dire que la mort n’est pas une fin. Cela signifie-t-il un retour de convictions revivalistes, ou qu’il faut travailler à se perfectionner jusqu’à la fin ? Idée new age ou morale stoïcienne ?

La collection « exprim’ » de Sarbacane décidemment ne se prive de rien en se privant de la référence à la loi de 1949, et c’est tant mieux.

 

Fille des chimères (la marque des anges, 1)

Fille des chimères (la marque des anges, 1)
Laini Taylor
traduit (anglais-USA) par Anne Krief
Gallimard jeunesse (grand format), 2012

Ange ou démon ?

Par Anne-Marie Mercier

filledeschimeresCe roman est une belle surprise à l’heure où tant de récits proposant des anges et des démons encombrent la production pour adolescents et jeunes adultes. Le cadre tout d’abord se permet des fantaisies : Prague où se déroule l’essentiel de l’intrigue, une Prague à la fois pittoresque et réaliste (l’héroïne y est étudiante en art, fréquente des cafés gothiques, arpente les rues et les places), Marrakech ou d’autres endroits plus lointains comme le nord canadien sont des étapes évidemment contrastées et mystérieuses. La fin du roman invente un autre univers, un monde parallèle nocturne et inquiétant, où anges et démons se livrent une guerre sanglante.

L’intrigue est elle aussi très bien construite et l’on découvre très progressivement les personnages et les enjeux : Karou, dont le nom signifie « espoir », a une vie secrète dans la maison de créatures étranges, des « chimères », mi-animales mi-humaines, qui l’ont élevée ; elle est quant à elle d’apparence totalement humaine, en dehors de ses cheveux bleus, et ignore ses origines. Elle ne les découvre qu’à la fin d’un long parcours où elle résout le mystère des activités de Sulfure, son tuteur aux cornes de bélier, marchand de vœux. Sa curiosité provoque la catastrophe qui  le perd, la plonge dans la solitude et la culpabilité et menace de tout détruire.

Le roman recycle de grands mythes, mythes bibliques comme le combat des anges et des démons (ici, les chimères), ou les portes marquées par un signe qui donne vie ou mort, le mythe faustien de la connaissance et du pouvoir sur la vie et la mort. Il s’achève avec l’histoire de l’origine de l’héroïne dans une belle histoire fantastique d’amour et de mort, de trahisons et de résurrections pour s’ouvrir sur une suite qui se déroulera dans l’autre monde.

Le roman a été sélectionné dans la liste des meilleurs livres pour la jeunesse à sa parution par le New York Times, Publishers Weekly et Kirkus Reviews.

Le Manoir de l’Enfer (Un Livre dont vous êtes le héros)

Le Manoir de l’Enfer (Un Livre dont vous êtes le héros)
Steve Jackson
Traduit (anglais) par Michel Zénon
Gallimard Jeunesse (Défis fantastiques), 2012 [1982]

« L’art est un jeu d’enfant » (Max Ernst)

Par Matthieu Freyheit

lemanoirdelenferImpossible de résister plus longtemps. Devant la pile de Livres dont vous êtes le héros qui m’attend, je pensais procéder raisonnablement et garder, en adulte, le meilleur pour la fin. Mais rien n’y fait, je n’y tiens plus, plus du tout. Ahhh, quelle joie, quel plaisir, quel frisson de voir réédité non pas toute la série, mais CELUI-LÀ, Le Manoir de l’Enfer. Mon préféré étant enfant, vous l’aurez compris. S’il ne devait en rester qu’un, oui, ce serait celui-là. Exit Duncan MacLeod du clan Macleod, je n’ai d’yeux que pour Steve Jackson et son héros : moi. Enfin, vous. Enfin qui vous voulez, puisque c’est bien là le concept des Livres dont vous êtes le héros.

Petit rappel pour ceux qui, peut-être, ne se sont pas encore plongés dans la notice consacrée au Pirate de l’au-delà. Le Livre dont vous êtes le héros, c’est l’aventure au coin de la page, rien que ça. C’est l’occasion de mettre un livre sens dessus dessous, de balayer les codes habituels, de ne pas se bercer au confort de la succession des pages, de ne pas somnoler au long fleuve tranquille de la lecture, mais de trembler à l’idée de quitter définitivement une page pour, dans un bond terrible et enchanteur, ne jamais pouvoir revenir en arrière et, peut-être, soudain laisser la vie. Le Livre dont vous êtes le héros, c’est un livre où l’auteur accepte de ne pas être tout-à-fait auteur, de ne pas remplir jusqu’au bout son rôle, pour nous laisser l’occasion de mille et un scenarios. Bref, c’est un genre qui mérite le succès d’une future étude, aventureuse et foisonnante comme le serait son objet. Car si mon cœur ne battait pas la chamade pour Le Pirate de l’au-delà, je ne peux guère cacher l’enthousiasme retrouvé de mes heures de jeunesse passées à arpenter les couloirs du Manoir de l’Enfer.

Oui, mon cœur bat. De joie, certainement, mais pas seulement. Il y a là quelque peur qui l’accompagne, non sans raison. Le Manoir de l’Enfer, vous savez, c’est peu le Resident Evil de la génération 80’. Ceux qui ont passé des nuits à jouer, fébriles, tremblant, sursautant, haletant, seuls dans la demeure familiale me comprennent. La situation ? Une tempête, un accident de voiture, une étrange apparition, et un vieux manoir de campagne pour seul refuge à votre pauvre carcasse trempée. Ici, il pleure dans notre cœur comme il pleure sur le manoir. Et là, dans cette nuit qu’aucun rayon n’étoile, le Maître nous attend. Victor, certes, n’est pas au rendez-vous, mais enfin, il y a quelque beauté dans la simplicité de ces images pleines, dans un mélange de grotesque et de sublime, d’un romantisme noir. Sauf que le lycanthrope cède la place à un monstrueux bouc sanglant… Ne pas croiser.

Ce que Le Manoir de l’Enfer a de plus que les autres Livres dont vous êtes le héros ? L’écriture, déjà, en est plus réussie, et peut-être moins dépassée – parce que plus simple – que bien d’autres volumes. Par ailleurs, le livre est ici davantage tourné vers un travail d’atmosphère que vers une multiplication parfois ennuyeuse de rencontres avec des adversaires. Mais n’allez pas vous imaginer qu’il en sera plus facile à terminer pour autant. Pour les joueurs qui sont habitués à parler en durée de vie, Le Manoir de l’Enfer bat des records. Et pour les plus connaisseurs, c’est un peu comme si vous vous retrouviez soudain en face du Super Ghouls’n Ghosts du Livre dont vous êtes le héros. Plus de quinze ans après ma première approche du livre, j’en cherche toujours la solution, désespérément, fiévreusement, passionnément. Oui, foin des pudeurs, je finirai bien par le dire : voilà, à mon sens, le meilleur des LDVEH, celui qui vous retient malgré vous prisonnier de sa lecture et de son souvenir, aussi puissamment qu’il vous retient, héros, dans les dédales de ce sombre et merveilleux manoir. À vos dés, joueurs de tous poils, affirmés ou honteux : l’art, avec Steve Jackson, est certes un jeu d’enfant, mais d’enfant terrible !

Le Garçon qui volait

Le Garçon qui volait
Jean-Claude Mourlevat
Gallimard (folio junior), 2012

Par dessus les toits, loin du cirque du monde…

Par Anne-Marie Mercier

legarconquivolaitDans la grande tradition des enfants qui partent à l’aventure, le  jeune Tillmann Ostergrimm, s’enfuit et se retrouve dans un cirque  (on pense à Jean-Paul Choppart, à Pinocchio…). Il fuit à quinze ans son père autoritaire et le destin tout tracé qu’il lui impose.

La réalité du cirque s’avère très décevante. Il est montré comme un phénomène et y est malheureux, comme ses amis : la femme minuscule, la femme énorme, le colosse, la calculateur de génie… Révolte, fuite à nouveau, trahison, retrouvailles, l’histoire est pleine de péripéties et tout rentre dans l’ordre, avec de l’amour en plus du côté paternel.

La grande originalité de l’histoire réside dans le talent qui fait que le jeune homme est « recruté » (dans un café, comme on enrôlait autrefois les soldats), talent qu’il découvre au moment de sa fuite : il peut voler. L’alliance entre l’idée de fugue et celle de légèreté est belle. Le talent de Mourlevat fait qu’il sait ne pas abuser des scènes où le « pouvoir » du garçon est mis en œuvre. Ainsi, ce qui pourrait paraître comme une facilité est un ressort de poésie pour un récit initiatique charmant.

Le Pirate de l’Au-delà – Un livre dont vous êtes le héros

Le Pirate de l’Au-delà – Un livre dont vous êtes le héros
Steve Jackson, Ian Livingstone
Gallimard Jeunesse (Défis fantastiques), 2012 [1982]

Je ne suis pas un héros ?

Par Matthieu Freyheit

lepiratedelaudelaAttention : vous avez affaire à un fan. Après une jeunesse passée à explorer les manoirs, les ports et les cimetières, à se prendre au jeu d’écrire des aventures dont quelqu’un serait le héros, quel plaisir, oui, quelle joie de voir réédités les classiques de ces fameux Livres dont vous êtes le héros. Pour les nostalgiques de mon espèce et de ma génération, les titres sont autant d’appels à renouer avec d’anciennes sensations de quête, intime, filée au cours des pages. C’est également, pour tous, l’occasion d’observer le travail du temps sur des textes incroyablement marqués par l’esprit des années 1980…

C’est malheureusement l’un des écueils de cette (nouvelle) collection : replonger dans les Livres dont vous êtes le héros, c’est un peu comme re-regarder Conan le Barbare, on se demande si ça peut vraiment fonctionner avec ceux qui n’ont pas grandi à leur contact. Pour nous autres, en revanche, c’est un mélange d’amusement, d’affection, et, peut-être, une part d’ennui. C’est que, il faut bien le dire, Le Pirate de l’au-delà ne constitue pas le sommet du genre. L’écriture est certainement dépassée et, plus étonnant, le rythme lui-même semble appartenir à un autre temps.

Mais enfin, je brûle des étapes. Pour les nouveau-nés au genre, le Livre dont vous êtes le héros est un livre, un vrai, dont VOUS êtes le héros. Certes, je joue un peu sur la répétition, mais il est bon d’insister. Après une introduction (plutôt courte), sorte de scène d’exposition, il vous faudra effectuer une succession de choix qui vous renverront à chaque fois à un numéro. Ainsi, le livre dont vous êtes le héros est constitué d’une suite de paragraphes numérotés, et se lit dans un ordre tout-à-fait aléatoire d’un lecteur à l’autre et, plus encore, d’une lecture à l’autre. Car ne croyez vous en sortir du premier coup : vous affronterez la mort, et elle n’est pas sans conséquence, comme dans certains jeux vidéo. Pas de sauvegarde, il faut recommencer du début, et reprendre sa feuille de route. Feuille de route ? C’est un tableau situé au début du livre, avant que l’aventure ne commence, et sur lequel vous aurez à noter vos points d’endurance, d’habileté, de chance, éventuellement de magie, ainsi que l’ensemble des objets que vous transportez, les codes et mots de passe découverts, les pièces de monnaie récoltées… tant de choses, tant de choses ! Usage aléatoire, lectures multiples, prise de notes : Mac Orlan n’a qu’à bien se tenir, ici il n’est pas question de distinguer aventuriers passifs et actifs, car l’aventure est au coin de la page ! Simplement fascinant.

Revenons à celui qui nous intéresse. Six pages suffisent à dresser le tableau de votre nouvelle existence de héros du Pirate de l’au-delà. Les ingrédients ne sont pas follement originaux : un pirate terrible et maléfique, le massacre de votre famille, l’avènement de votre désir de vengeance. Inutile de vous en dire plus, si ce n’est que ce n’est pas parce que tout le monde raconte que le fameux pirate est mort qu’il a pour autant cessé ses méfaits. L’infâme ! Comme je le disais plus haut, ce n’est sans doute pas le plus inoubliable de la collection. Le texte est relativement simpliste et convenu, même attendu, et l’enchaînement qui devait nous faire haleter demeure un peu mou, et pas toujours savoureux. Ceci dit, l’actuelle veine des pirates offrira peut-être à ce volume plus de succès qu’il n’en mérite, tandis que d’autres volumes de la collection, plus réussis, passeront inaperçus. Mon désir profond étant, bien sûr, que les éditions Gallimard parviennent à travers cette collection à susciter quelques nouvelles vocations, et que des auteurs contemporains se lancent à leur tour dans l’aventure que constitue l’écriture de genre si particulier, si potentiellement riche.

Pour ma part, les autres classiques de Steve Jackson, Ian Livingstone et Joe Dever occupent ma table basse, et attendent que je m’y plonge pour vous en rendre compte. C’est que ce n’est pas désagréable, d’être un héros.

Des Yeux dans le ciel

Des Yeux dans le ciel
Jean-Marc Ligny

Syros (Soon), 2012

I see you. Or not

Par Matthieu Freyheit

desyeuxdanslecielAux allergiques d’Avatar et des créatures bleues qui disent I see you dans une planète où tout vous agresse, aux agacés des clichés sur Mère Nature et sur ces horribles occidentaux qui n’aiment rien mieux que détruire les arbres-maison, ne posez surtout pas vos yeux sur la quatrième de couverture, qui risquerait de vous faire fuir comme elle a failli me repousser. Ah, et tant qu’on y est, n’allez pas vous aventurer à lire la présentation de l’auteur. Quand on s’empresse de préciser qu’il « vit avec une licorne et plein d’animaux », je vis, je meurs, je me brûle et me noie. Ou, pour les mélomanes, je frémis, je chancelle. Bref, je craque.

À tous ceux-là donc, méfiance, car malheureusement l’éditeur ne rend pas justice à un livre étonnamment réussi. Oui, oui, mon introduction n’avait pas pour but de vous décourager définitivement, mais plutôt de rappeler que les éditeurs ne savent pas nécessairement trouver les mots pour nous convaincre, ou mettre en valeur les atouts des romans qu’ils publient.

Après quelques appréhensions, il m’a soudain semblé que Des yeux dans le ciel tenait davantage de Pierre Boulle que de James Cameron. Et c’est, eu égard à ma fascination immodérée pour La Planète des singes, un vrai compliment. Dans Des Yeux dans le ciel, l’humanité, après l’âge des machines, est retournée à un  mode de vie pastoral, dédiant un culte à la fois poétique et violent à Mère-Nature. Dans ce « nouveau » monde, chacun porte un nom de végétal, de Buis à Genêt en passant par Nénuphar et, enfin, Jasmin, le héros. Tout change pour ce dernier lorsqu’un inconnu, tout droit sorti des Âges machiniques de l’humanité, sorte de George Taylor (cf. La Planète des singes, le film), le sauve des griffes d’une panthère. Oui, d’une panthère. Et quand on le lit, c’est même pas ridicule. Quoi qu’il en soit, Jasmin est obligé de fuir – je vous laisse découvrir pourquoi –, de traverser la jungle qu’est devenue la Terre, et j’en passe. Un périple qui le mène jusqu’à… la planète Mars, où se développe une société hyper-technologique. Rien que ça.

Inutile que je vous en dise davantage. Si ce n’est que Jean-Marc Ligny porte fort bien son récit et échappe à nombre de clichés du genre, refusant le simplisme des utopies, quelles qu’elles soient. On lui en sait gré. Une très bonne surprise, en somme, que ce roman-là, à défendre dans le vaste paysage science-fictif destiné à la jeunesse – ou aux adultes, d’ailleurs.

A comme association, t. 8 : le regard brûlant des étoiles

A comme association,  t. 8
Le regard brûlant des étoiles
Erick L’Homme
Gallimard Jeunesse, Rageot Editeur, 2012

Magies  à gogo

Par  Maryse Vuillermet

acomme assoc tome 8 image Voilà le tome 8 de la série A comme Association. Cette série était écrite à deux mains par Pierre Bottero et Erick L’Homme mais la disparition de Pierre Bottero a obligé Erick L’Homme à terminer  et à terminer seul.

Ils s’étaient répartis le travail, Erick L’homme écrivait du point de vue du héros Jasper  les tomes 1 3 5 6 7 8 et Bottero,  du point de vue d’Ombe,  les tomes 2 et 4.   Jasper, est Agent stagiaire à l’Association, recruté pour son talent pour la magie. Âgé de 15 ans, il aime le caramel au beurre salé, les Doors, le philosophe Gaston de Saint Langers et a un humour très particulier. Toujours vêtu de noir, il est grand, maigre, très pâle  cheveux et yeux noirs. Il porte toujours sur lui un collier protecteur (fait de pierres précieuses enfilées sur un cordon piqué à sa mère) et sa besace, dans laquelle il trimballe tout son attirail de magie (pierres, plantes, grimoires et braseros…). Avec ses deux amis Jean-Lu, une force de la nature, et Romu, tout en calme et en longueur, il a monté un groupe de rock celtique   où il  joue de la cornemuse.

Jasper habite dans un duplex d’un immeuble haussmannien, rue Mauméjean. Il a été repéré par l’Association lors d’un jeu de rôles, et a été invité à rencontrer Walter, le directeur de la branche française de l’Association, au café Mourlevat. Les premières missions de Jasper ont démontré qu’il était capable d’une grande intelligence et d’un sang-froid hors du commun, mais aussi qu’il avait l’art de se faire des ennemis très puissants tel que Séverin, un maître vampire qu’il a gravement brûlé ou Siyah, un mage noir dont il a crevé l’œil… Au fur et à mesure que ses aventures continuent, dans les tomes suivants,  il se retrouvera dans des complots de plus en plus compliqués et dangereux

Au début du tome 8, il doit venger la mort partielle d’Ombe,  celle totale du Sphinx qu’on enterre, il est mal à l’aise avec Nina à qui il ment sur ses véritables sentiments, et il doit continuer à poursuivre sa quête d’identité.  L’histoire est impossible à résumer,  c’est une série  de combats entre trolls, et milice, une  fuite chez les trolls, puis dans les abattoirs où se tiennent  les vampires, un combat entre démons et mages et des révélations progressives distillées  sur la puissance et la technique d’un maitre démon  et sur les origines de Jasper, démon de la famille royale. Les personnages sont des garous, des lycaons, des vampires et toutes sortes de démons, de mages, d’esprits. La magie est omniprésente, les magies, devrais-je dire,  magie démonique,  magie démoniaque, magie noire….

Le héros Jasper est très attachant, car il porte en lui l’esprit de sa demi-sœur Ombe morte dans son corps. Elle commente assez drôlement ses actions, Jasper prend soin d’elle, regrette sa mort corporelle, parfois tente de lui cacher des détails, ou des dangers, de toute façon, il  ne manque pas d’humour, et sait aussi se moquer de lui-même.

La fin est très belle et poétique, Jasper « se meut avec agilité » comme dirait le poète Baudelaire, dans les deux mondes, celui des humains où il est un ado « presque normal », avec ses copains,  son groupe de musique et celui des démons où il retrouve Ombe et son père.

Une lecture agréable  pour des 8  12 ans !

voir nos chroniques pour les autres volumes:  7, 4 et 5

Nox, t. 1 : Ici-bas et Aerkaos, le retour

Nox, t. 1 : Ici-bas
Yves Grevet
Syros, 2012

Cadeau d’ados : SF en série

Par Anne-Marie Mercier

noxC’est une très bonne nouvelle que le retour d’Yves Grevet dans le genre de la science-fiction – plus précisément de la dystopie. Il renoue avec le talent qu’il avait montré dans la trilogie de Méto. Comme dans cette œuvre, il allie inventivité et simplicité, chocs de mondes et d’êtres peu fait pour se rencontrer, réflexion sur la société et l’exploitation des faibles par les puissants.

Le monde de Nox est peu attrayant et ressemble au monde que l’on nous promet si nos habitudes de consommation ne changent pas. Autant dire qu’il est un manifeste écologique « catastrophiste », tentant de convaincre, à la manière du « prophétisme catastrophiste » (voir les analyses de J-C. Dupuis) une humanité sceptique. Les pauvres vivent dans le monde de la « nox », perpétuel brouillard de pollution ; il s’y éclairent à la dynamo et l’on voit des patineurs acharnés, ou des cyclistes faisant du sur-place afin d’alimenter un éclairage, une machine… ils se dirigent aussi à l’odorat et survivent avec différents métiers comme policier, récupérateur, bricoleur, éleveur de rats, recycleur de cafards… Dans ce monde on meurt très jeune.

La société est organisée de telle manière que les enfants fassent le métier de leur père et épousent en général une fille qu’ils n’ont pas choisie mais qui a été déclarée leur « compatible », censée leur donner à partir de 17 ans de nombreux enfants. La société décrite est assez proche dans son organisation sociale et politique (en dehors de la misère et de l’inégalité) de celle des romans d’Ally Condie portés par une héroïne féminine, Promise et Insoumise. Le sort des femmes stérile est également « réglé » d’une façon qui fait frémir… En haut, vivent les puissants ; au dessus de la crasse, des nuages, ils connaissent la lumière, le soleil, le confort. Ils vivent cette aisance grâce aux efforts des êtres qui rampent en dessous ou qui pédalent dans les caves – ils les ignorent ou les méprisent.

L’intrigue se noue par une suite de rencontres et d’incursions du haut vers le bas et du bas vers le haut, avec tous les dangers que cela entraine ; on y trouve aussi des amours contrariées, des amitiés en péril dans un groupe de garçons tiraillés entre résistance, terrorisme ou participation à une milice de répression, et des conflits de loyauté : amis ou famille, justice ou vérité…

La seule ombre au tableau est le choix fait par Yves Grevet de chapitres proposant des points de vues alternés ; si ce dispositif fonctionne très bien au début et permet de découvrir le monde d’en haut vu par une jeune héroïne riche et le monde d’en bas vu par un fils de « récupérateur », amoureux d’une fille qui refuse d’être mère, et par d’autres jeunes gens de son âge, le récit s’essouffle un peu dans le milieu du roman : les personnages vivant les mêmes événements, la différence dans leur manière de les vivre n’est pas assez constante pour que l’on sente une vraie nouveauté. En revanche, les derniers chapitres, dans lesquels on voit exploser les couples, le groupe et les familles, et se fissurer la société, reprend une belle allure et laisse impatient de connaître la suite !

aerkaosEnfin, une autre bonne nouvelle pour les amateurs de science fiction : la réédition de la trilogie Aerkaos de Jean-Michel Payet, publiée chez Panama en 2006 et quasi introuvable depuis la fin de cette belle maison d’édition, est réédité chez la très belle maison d’édition qui a repris le flambeau (et plus encore), Les Grandes personnes.

La nuit des Pantheras

La nuit des Pantheras
Nina Blazon
traduit de l’allemand par Nelly Lemaire
Seuil, 2011

Deviens qui tu es

Par Christine Moulin

9782021041521Voilà un roman qui traite le motif de la métamorphose en animal de façon à la fois complexe et originale.

Les pantheras sont des créatures proches des félins. Ils en ont la force, la grâce, les goûts (pour les déambulations nocturnes, pour la viande, pour le combat, par exemple), les sens aiguisés (l’odorat notamment), les mœurs (ils se délimitent un territoire et gare à ceux qui y pénètrent indûment!). Le problème, c’est que l’on ne naît pas panthera, on le devient. Certains acceptent cette métamorphose, d’autres, à l’image du narrateur, résistent, car les épisodes de transformation (les « black outs ») s’accompagnent d’une perte de conscience affolante et dangereuse. Certains basculent du côté obscur et traquent, semble-t-il, jusqu’à leurs semblables, d’autres, sans être des anges, essayent de préserver l’essentiel de leur humanité. Et ce n’est pas simple car la plupart des pantheras semblent avoir dégringolé l’échelle sociale…

Les divers personnages incarnent ces différentes options. Nous partageons les doutes du narrateur, Gil, tout en adoptant aussi le point de vue, dans des épisodes narrés à la troisième personne, d’une « novice », Zoé, affublée d’une mère irresponsable et d’un demi-frère craquant mais encombrant. Cela nous donne l’occasion de comprendre ce qui déclenche la métamorphose: le stress, la colère, les émotions fortes. Zoé est extraordinairement douée pour la course, et pour cause, et elle espère que ce don lui permettra de partir loin de chez elle. Gravitant autour du couple, il y a aussi Irvès, séduisant, insaisissable, dont le douloureux passé se révèle par petites touches, et Gizmo, un geek qui vit de la vente d’ordinateurs volés et dont on ne sait s’il faut ou non lui faire confiance.

Le récit se noue autour d’une épidémie de meurtres qui affolent la petite communauté des pantheras, d’autant que la loi, venue de la nuit des temps, est claire: « Nous ne tuons jamais ceux de notre espèce ». Le narrateur mène alors une sorte d’enquête, malgré puis grâce à un personnage mystérieux, au charisme de chef, Rubio, le maître Yoda du roman, qui le mène progressivement vers certaines révélations. Les pantheras semblent bien avoir toujours existé et il faudrait relire les mythologies sous cet angle…

La trame, quoique haletante, n’est, au fond, pas l’essentiel. Ce qui importe davantage, c’est de vivre dans la peau d’un panthera et c’est bien le questionnement éthique permanent qui donne à ce roman toute sa profondeur. Le héros est rongé par un immense sentiment de culpabilité (on comprendra pourquoi vers la fin), qui lui fait prendre des risques insensés pour protéger Zoé. La découverte qu’il fera nous indique bien l’enjeu du thème de la métamorphose : se transformer, c’est choisir, quelquefois, qui l’on veut devenir.