Un Jour il m’arrivera un truc extraordinaire

Un Jour il m’arrivera un truc extraordinaire
Gilles Abier
La Joie de lire (encrage), 2016

Les Oiseaux/ Psychose

Par Anne-Marie Mercier

« J’ai toujours su qu’un jour il m’arriverait un truc extraordinaire. Depuis que je tiens debout, j’ai la conviction que je suis né pour accomplir un miracle. Ce n’est pas possible autrement. Sinon, comment expliquer la contradiction entre les rêves qui me dévorent et le corps dont je dispose. »

un-jour-il-marrivera-un-truc-extraordinaireLe narrateur, treize ans, en paraît neuf. Il a peur de tout, et écrit et dessine des aventures au lieu de les vivre. Son quotidien est apparemment celui d’un adolescent normal dans un collège normal, avec les interrogations écrites, les brutes locales, les amis attentifs, les blagues, les soirées chez l’un(e) ou chez l’autre… jusqu’au jour où il découvre qu’il se transforme petit à petit en oiseau : un jour c’est un nez qui semble forci, un autre, c’est un orteil qui disparaît… jusqu’au moment où, après avoir pensé longtemps qu’il devenait fou, il se considère prêt à s’envoler.

Ce qui pourrait être un récit fantastique (assez réussi tant le suspens est bien maintenu) est un excellent roman de psychologie, montrant comment la honte et la gêne sont surmontés sur la question du symptôme mais non sur ce qui l’a causé: le narrateur parle avec ses amis, qui eux ne voient rien, la famille s’aveugle: le dessin permet de faire partager son angoisse, mais la folie finit par submerger le narrateur jusqu’à l’explication finale, peu attendue et toute psychologique.

Fans de la vie impossible

 Fans de la vie impossible
Kate Scelsa (Trad. Faustina Fiore)
 Gallimard, Scripto, 2016

 

 

 Adolescents en souffrance

Par Maryse Vuillermet

 

 

 

 fans de la vie impossible imageCe récit nous fait entendre successivement et alternativement les voix de trois adolescents très mal dans leur peau.

Jérémy, passionné d’art, incapable d’entrer en relation avec les autres, abandonné par sa mère et élevé par deux hommes, Sebby, homosexuel déclaré en rupture d’études,  élevé par une nourrice de la DAS débordée, et Mira, pliant sous le poids de ses kilos et de sa dépression nerveuse.

Quand Jérémy rencontre Sebby au lycée, pour la première fois de sa vie, il ne se sent plus seul. Et comme Mira a besoin de Sebby pour tenir, ils vont former un trio inséparable. Seuls, ils sont vulnérables et en proie à leurs obsessions ou addictions même, mais ensemble, ils sont heureux, s’inventent des fêtes ou des rituels, peuvent même aider les autres.

C’est une description  très dure et réaliste d’une jeunesse à qui « on ne laissera jamais croire que c’est le plus bel âge de la vie ». Elle est faite sans aucun tabou sur l’homosexualité, la drogue, le suicide,  et sur,  d’un côté, une Amérique en perdition, et de l’autre, des familles bourgeoises accrochées à leurs préjugés sur les grandes écoles et la réussite sociale.

 

Perdus de vue

Perdus de vue
Yaël Hassan – Rachel Hausfater
Flammarion jeunesse

La vieille dame et l’enfant

Par Michel Driol

perdusPrivée pour un temps de sa dame de compagnie, Régine, vieille dame aveugle et cultivée, fille d’un marchand de tableaux, engage Sofiane, adolescent un peu perdu. Petit à petit, entre les deux, se partagent les joies, les visites, les promenades, et les blessures qui deviennent de moins en moins secrètes. Entre l’adolescent dont le père est parti et la mère a démissionné, et la vielle dame qui a tout sacrifié – y compris ses propres enfants – pour un père dont elle a découvert, après coup, qu’il ne l’aimait pas, les parcours de vie se croisent. Peut-on réparer les erreurs et reconstruire les vivants ?

Le roman est construit  selon les points de vue des deux personnages principaux, l’un écrit par Yaël Hasan (Régine), l’autre par Rachel Hausfater (Sofiane).  Sans doute peut-on lui reprocher parfois l’optimisme et la confiance en la culture (Sofiane découvre et adore Chagall, se reconnait dans l’Attrape-cœur de Salinger), la cécité de Régine disparaît à la fin, mais c’est à une belle rencontre entre deux univers différents qui vont apprendre, tous les deux, à faire un pas vers l’autre pour accepter les différences, s’enrichir, et finalement se réconcilier avec les monde des vivants. L’humour des deux personnages – le sens de la répartie de Régine qui fascine Sofiane – ne gâche rien au plaisir du lecteur. La petite histoire des personnages croise bien sûr la grande – sur fond d’holocauste, d’immigration et de couples qui se déchirent, de cités glauques et de trafics de drogue.

Un livre plein d’optimisme à lire en ces temps troublés où les liens sociaux ont plutôt tendance à se déliter, comme pour montrer que tout est toujours à remailler du monde.

Nous voulons tous le paradis – Le Procès

Nous voulons tous le paradis –  Le Procès
Els Beerten
La Joie de lire encrage 2016

Le chagrin des Belges

Par Michel Driol

nous1947 : Ward, jeune flamand  qui s’est engagé dans la SS, pour lutter contre les Russes, décide de rentrer en Flandre pour se constituer prisonnier. Il sait qu’il risque la peine de mort pour avoir été du côté des nazis. En prison, il apprend qu’on l’accuse en fait surtout d’avoir tué Théo, un membre de la résistance, avec lequel il entretenait pourtant des liens de sympathie. Le procès qui va avoir lieu pourra-t-il faire éclater une vérité dérangeante, et que personne, ni le vrai coupable, ni Ward, ne veulent révéler ?

On peut lire le tome 2 sans avoir lu le premier, mais, disons le tout de suite, cela donne envie de lire le tome 1. Voici un roman polyphonique choral ambitieux. Sans doute au début on a un peu de mal à saisir qui parle dans ces multiples narrations en « je » qui fragmentent la réalité, en donnent des échos et des points de vue forcément partiels. Entre la voix de Ward, qui raconte la guerre, le front russe, celle de Renée son ancienne fiancée, celle de Rémi, le petit frère qui ne comprend pas tout à ce monde d’adultes et de nombreuses autres voix, la vérité a bien du mal à se faire jour. Le lecteur y comprend la manipulation par les nationalistes pro-nazis du VNV, le clergé, qui font de Ward et de son idéalisme une victime plus qu’un bourreau, attaché à un sens de l’honneur qu’on lui a inculqué, et à un désir de protection des autres, de ses amis, au-delà des clivages que la guerre a produits. Où est le bien ? Où est le mal ? La force de ce roman est de montrer des personnages déboussolés dans un monde qui a perdu ses valeurs et ses repères. Seule la musique les relie peut-être, comme un ténu trait d’union, à l’image de la fanfare dans laquelle tous ont joué. Mais là aussi les choses sont fragiles : le local de répétition brûle. L’épilogue, en 1967, scelle dans un cimetière  le destin de ces personnages attachants, courageux, lâches, victimes, bourreaux… humains finalement.  Si tous ont voulu et cherché le paradis, qu’ont-ils trouvé ?

Un beau roman pessimiste qui s’adresse à la fois aux adolescent-e-s ayant quelques connaissances de l’histoire de la seconde guerre mondiale  et aux adultes. Mais, au-delà , un roman très contemporain et actuel qui invite à s’interroger sur le libre arbitre, les choix individuels et le poids des idéologies.

 

Sauveur et fils (saison 1)

Sauveur & fils (saison 1)
Marie-Aude Murail
L’école des loisirs, 2016

Cas cliniques entre Orléans et Martinique

Par Anne-Marie Mercier

sauveurSauveur Saint-Yves est psychologue; il reçoit en consultation des enfants et des adolescents, seuls ou avec leur famille, des adultes… Dans les séances que l’on voit se dérouler régulièrement, à raison d’une par semaine, on suit les problèmes de scarification, de maltraitance, de désamour, de familles recomposées (hétéro et homo), de folie douce ou furieuse, et tout çela est fort intéressant. Chaque séance est un épisode d’un feuilleton dont on n’a la suite qu’après avoir lu entre-temps celles des autres patients. Le sous-titre s’explique ainsi.

Sauveur Saint-Yves est père. Sa femme est morte depuis des années; il élève seul son fils, Lazare. Il lui donne beaucoup d’amour et d’attention, mais peu de temps, les pizzas surgelées comblant ce manque d’une part, les silences sur la mère disparue le creusant d’autre part. Lazare a découvert le moyen d’écouter en cachette les confidences des patients de son père. Il apprend beaucoup sur la vie en combinant ces propos avec ce qu’il trouve sur internet. Il a un ami, un seul, mais c’est une relation forte. Cet ami à une mère qui, divorcée, l’élève seule elle aussi, et s’intéresse à Sauveur. Les relations entre humains sont doublées de façon comique par les aventures du hamster de Lazare, madame Gustavia, et de sa portée.

Sauveur Saint-Yves est noir, d’origine martiniquaise. Lazare est un peu plus clair, sa mère était blanche comme les parents adoptifs de Sauveur. Les questions sur les origines, le racisme, le langage pour en parler sont diffuses tout au long du récit et explosent vers la fin.

Ce roman, doublement psychologique, est sous-tendu par une intrigue de thriller : des objets maléfiques issus de la sorcellerie martiniquaise sont déposés devant la porte des Saint-Yves, un homme rôde, Lazare est en danger de mort… Le dénouement passe par une scène pleine de suspens suivie du récit d’un séjour à la Martinique où le père fait découvrir au fils la culture, la faune et la flore de l’île, tout en lui révélant les secrets qui lui ont été cachés jusque là – et que le lecteur découvre avec lui.

Tous ces ingrédients se mélangent bien, le thriller prenant le relais lorsque les énigmes posées par les patients commencent à se résoudre. Les drames sont évoqués sans top de pathos, l’humour du psy, sa réflexion sur les mots et les postures créant une légère distance. C’est riche et passionnant, à tous points de vue.

Le Merveilleux

Le Merveilleux
Jean-François Chabas
(Les Grandes Personnes), 2014

Merveilleux/fantastique/étrange…

Par Anne-Marie Mercier

le merveilleuxLe « Merveilleux » de cette histoire, c’est un objet bien « réel » si on peut dire cela d’un objet romanesque ; c’est le nom que son découvreur à donné à une pierre précieuse, un saphir, minerai de la famille des corindons : «  espèce minérale composée d’alumine anhydre cristallisé, de formule Al2O3 et aussi parfois noté α-Al2O3 avec des traces de fer, de titane, de chrome, de manganèse, de nickel, de vanadium et de silicium ». Les corindons sont presque aussi durs que le diamant et sont donc d’excellents outils d’aiguisage des métaux.

C’est cette perspective qui irrigue les premières pages du roman : dans les montagnes du Cachemire indien, un vieux forgeron part, sans attendre la fonte totale des neiges, à la recherche de nouveaux outils. Il trouve une pierre énorme et revient à sa forge en risquant sa vie à plusieurs reprises, ne sachant pas si ces dangers sont un signe de malédiction ou si le fait qu’il en réchappe de justesse soit un signe de bénédiction. Ces premières pages sont belles, mêlant la vie du vieil homme (travaux, société, deuils, religion…) avec son parcours dans un décor naturel sauvage jusqu’à la découverte de la pierre, inquiétante et « merveilleuse » qui semble le fasciner de manière diabolique. C’est un homme droit : dans sa vie, « il n’y avait que des devoirs et chaque droit avait un prix ». Le restera-t-il ?

La suite du récit est moins poétique, plus aventureuse, et plus subjective : la pierre change de main, et chaque nouveau propriétaire prend la parole à son tour, ou capte un point de vue, un peu comme dans le film d’Ophüls, La Ronde, tiré de la pièce d’A. Schnitzler. Le second a une place importante, à travers un récit par lettres dans lequel il raconte son voyage en Inde, les circonstances dans lesquelles il a trouvé la pierre, puis son retour, riche, en Angleterre. Bizarrement, sa personnalité, ou du moins ce qu’il exprime dans ces lettres (on ne saisit pas bien pourquoi : son correspondant est son meilleur et seul ami), se modifie : il passe du langage de l’abruti parfait et sûr de la supériorité des occidentaux à des interrogations, puis à une réflexion plus nuancée qui aboutit à la décision de vendre la pierre à un prix moyen pour repartir vivre en Inde. Le « merveilleux » serait-il ce qui nous change, une force (celle du récit de fiction pour enfant, « positif » ?), qui permet à chacun de devenir autre, d’être muri en profondeur par des rencontres et des épreuves ?

Pour les personnages suivants, cette force joue dans un sens inverse en exacerbant leurs défauts, les poussant à l’humiliation, au meurtre, au vol, ou conduisant les plus purs à la faute. La pierre semble provoquer la mort dans des circonstances violentes (même pour un brochet qui avait déjoué toutes les ruses des pêcheurs : il se fait prendre après avoir avalé la pierre).

La fascination du bleu pur, le désir de richesse ou de pouvoir, tout cela se mêle dans une diabolique « ronde » dont on n’a pas la fin, à moins de considérer comme telle celle du forgeron qui clôt ce livre. On ne sait à quel point ce récit est bancal délibérément ; il laisse néanmoins une impression de radicale étrangeté et joue avec les catégories avec brio.

Les regards des autres

 Les regards des autres
Ahmed Kalouaz
Rouergue  2016,

 

 Affronter le harcèlement au collège

Par Maryse Vuillermet

 

 

 

les regards des auutres image A la différence du témoignage que je viens de chroniquer, Mauvaise connexion de Jo Witek, ce récit également  sur le même sujet et à la première personne,  d’une jeune fille Laure,  harcelée dans son collège de Lyon, me semble plus profond et plus touchant . Ahmed Kalouaz   décrit parfaitement le fonctionnement, une bande de filles qui s’attaque à une autre jugée plus faible, ou une bande de garçons qui s’attaque à un plus jeune parce qu‘il est gros ou à un Syrien parce qu’il est étranger, et ils le font pour se sentir forts.

 Et il démonte aussi  le mécanisme psychologique de la victime qui accepte  de se soumettre parce qu’elle a peur. Mais dès qu’elle relève la tête ou qu’elle en parle à des adultes, le mécanisme est cassé et le harcèlement cesse.

Mais ce qui rend ce texte fort, c’est le regard poétique, lumineux qui reste émerveillé   de la puissante sérénité de la montagne, du calme d’une promenade au pas des chevaux, et la beauté des images, par exemple,  quand Laure arrive enfin à parler à sa tante :

« J’ai parlé en retenant mes larmes, car elles venaient en même temps que les mots, finalement lâchés lentement entre ces rangées d’arbres qu’un vent léger courbait. Des mots parfois suspendus à la cime des sapins, entre ciel et terre. » p 70

« Il fallait que le flot intérieur se calme, retrouve son lit, comme après un gros orage qui charrie tout. J’avais brisé l’embâcle, repris le cours des choses un peu à ma façon. » p 74

Au début, les adultes, professeurs, CPE, parents,  sont perçus comme aveugles et indifférents, mais peu à peu, quand Laure relève la tête et trouve en elle la ressource de ne plus subir, ils deviennent attentifs et aidant, chacun à leur manière.

Un livre humaniste malgré le sujet.

 

Mauvaise connexion

 Mauvaise connexion
Jo Witeck
Talents hauts  2014,

 

 Un récit utile

Par Maryse Vuillermet

 

 

 

mauvaise connexion imageMauvaise connexion est le récit d’un harcèlement moral et d’une agression sexuelle,  par écran interposé,  mais bien réelle et dévastatrice. En effet, ce texte est le témoignage de Julie Nottin. Elle raconte qu’à l’âge de quatorze ans, passionnée par le monde de la mode et rêvant de devenir mannequin, elle a posté  sur le web des photos d’elle, sous le pseudo de Marilou.

Elle est alors contactée par un producteur  qui lui promet de l’introduire dans le milieu  et de la faire travailler. Sous ce prétexte,  il lui demande de prendre des pauses, puis de le faire en sous-vêtements puis nue,  et enfin, il demande de simuler des actes sexuels,  peu à peu, elle devint sa chose, sa victime consentante. Elle s’isole,  fuit ses amies et tait son secret.

Le récit montre bien l’emprise progressive établie par le prédateur, son habileté, il n’est autre qu’un pervers pédophile, et il n’en est pas à sa première jeune fille abusée. Nous comprenons que cette aventure peut arriver  à toutes, même à des filles intelligentes et équilibrées,  tant ces hommes sont habiles. Le récit narre ensuite la reconstruction psychique longue et douloureuse,  grâce à la famille, aux amies.

Ce récit simple,  qui se veut un avertissement,  est efficace et certainement très utile.

Tous nos jours parfaits

Tous nos jours parfaits
Jennifer Niven  
Gallimard, Jeunesse, 2015

 

Deux jeunes gens aux prises avec la mort

Par Maryse Vuillermet

tous nos jours parfaits image2 Violet et Finch se rencontrent sur un toit, tout en haut du clocher de leur lycée,  décidés tous deux à se suicider. Mais Finch réussit à sauver Violet, à la faire redescendre.

Finch est un original, une bête curieuse pour les autres, tantôt plein d’énergie, tantôt déprimé et suicidaire. Violet a tout pour elle, comme on dit, belle intelligente, populaire,  mais elle a perdu sa sœur dans un accident de voiture et depuis, s’isole et n’arrive pas à faire son deuil.

Sous le prétexte de travailler ensemble à un exposé sur les richesses à découvrir dans leur région, Violet et Finch apprennent à se connaître, s’apprivoisent peu à peu, partagent la même recherche de beauté, l’une en photographie, l’autre dans l’écriture et la peinture.

L’alternance stricte des points de vue des deux adolescents permet des suivre de l’intérieur leurs tourments et l’évolution de leur relation.

Et puis, un jour Finch disparaît mais laisse à Violet des indices pour le suivre dans sa quête. On comprend assez vite que Finch est un bipolaire, qu’il souffre d’absences, de trous de conscience vertigineux, qu’il ne dort quasiment pas mais que les adultes autour de lui, parents, psychologue, enseignants n’arrivent pas à le comprendre ni à percer ses mensonges.

L’atmosphère est étrange, à la fois poétique, car les deux jeunes sont artistes et sensibles, et qu’au cours de leurs recherches, ils rencontrent des personnages hauts en couleur, rencontres magnifiées par la beauté de l’hiver américain, et tragique, car la disparition de Finch est inquiétante et sa recherche haletante.

Un beau roman d’amour, de mort, des personnages de jeunes puissamment singuliers.

 

Sami, Goliath Oscar, Ousmane et les autres

Sami, Goliath Oscar, Ousmane et les autres
Claire Clément
Bayard Jeunesse Estampille 2013

Et Dieu dans tout ça ?

Par Michel Driol

samy_oscarSami et sa sœur Jeanne vivent avec leur mère, dépressive, dans une cité de banlieue. Le père est parti, avec une autre, laissant à Sami en compensation un lapin nain que ce dernier chérit plus que tout. Le drame arrive lorsque son copain Oscar est malade, qu’on doit le conduire à l’hôpital, et que le lapin nain est volé. Puis Oscar, enfant sans papiers élevé par sa mère, est attendu par des policiers à l’école, qui veulent qu’il les conduise chez lui. Oscar parvient à prendre la fuite. Nuit d’angoisse, où on l’attend, copains de classe, voisins, maitresse…  C’est alors que Sami apprend qu’il va avoir un petit frère, et que son père ne pourra pas le prendre.

C’est à la fois le quotidien d’une cité HLM et l’apprentissage de la vie par Sami que raconte, avec des mots simples, Claire Clément. Une cité multiculturelle, avec ses caïds (Volcan), ses français limite racistes (Boloss et son chien Ebène), et ses personnages positifs et attachants.  Le vieux sénégalais Ousmane, avec sa sagesse africaine. Sothy et sa sœur Chanthou, leurs problèmes avec leur frère ainé qui tourne mal, leur père reparti  travailler au Cambodge. Nadir le rappeur, dont les raps font un écho aux péripéties du roman et qui rentre régulièrement en Algérie, où sa grand-mère – poète – lui enseigne les mots pour  plaire aux filles. Oscar et sa mère Ayana, véritable mère courage, pourvoyeuse de beignets du matin. Auxquels il convient d’ajouter Rose, la maitresse d’école. figure bienveillante et protectrice.  Chacun, à sa manière, soutient Sami – Anselme de son vrai nom – au cours des épreuves qu’il traverse, répond à ses questions, lui donnant ainsi une leçon de vie. Sami découvre alors les religions – mais, entre Dieu et Allah, quel est le « bon » Dieu ? A-t-il ses chouchous ? Quel est le remords secret qui ronge Ousmane ? Pourquoi les lapins nains ont-ils un carnet qui leur permet de passer les frontières, et pas son copain Oscar, qui est pourtant humain ? Questions essentielles posées à hauteur d’enfant, et auxquelles les adultes  tentent d’apporter des réponses pleines de poésie parfois, de sagesses diverses (africaine, orientale) ou de réflexion sur la morale comme à l’école. Entre manifestations proches de RESF et coquillage magique, entre sentiments complexes  ressentis par les différents protagonistes et recettes pour être heureux, cet ouvrage est autant une galerie de portraits attachants qu’un regard plein d’humanité et d’humanisme sur notre société.

Une fois de plus, la littérature de jeunesse montre un monde où les enfants n’ont pas toujours le sourire : pères absents, morts, ou rongés de culpabilité, mères parfois déprimées et les laissant à l’abandon, grands-frères au chômage et livrés à eux-mêmes… Pourtant, rien de misérabiliste, et reste la question essentielle que pose ce livre : comment aider ces enfants à grandir ? Quelles solidarités se mettent en place dans la cité, à l’école, ou sur le terrain de sport ? Quels modèles pour leur permettre de se construire ?

Un livre qui illustre la fraternité, et qui sait être à la fois ancré dans le réel, émouvant et optimiste.