Pierre le voleur

Pierre le voleur
Yves Frémion
Le muscadier 2020

Voleur cévenol

Par Michel Driol

Pierre est voleur, ou plutôt kleptomane. S’il ne peut s’empêcher de prendre, il n’est pas menteur, et reconnait volontiers ses larcins. Du coup, il est parfaitement intégré dans son village des Cévennes, et par la population, et par la gendarmerie locale. Jusqu’au jour où un vol a lieu dans une résidence secondaire, dont les propriétaires sont moins compréhensifs que les autochtones.

Pierre le voleur est un roman sympathique, ce qui n’a rien de péjoratif ou de dévalorisant, la sympathie étant une des grandes qualités humaines, un véritable « feel good novel ». Il y est question de ruralité, mais de ruralité heureuse, d’un village cévenol à la fois replié sur lui-même et ouvert aux étrangers (voir le nom et l’origine des quatre gendarmes de la brigade !). C’est d’abord une galerie de portraits, de ces portraits des personnages traditionnels de la France profonde : l’instituteur, communiste peu orthodoxe, les deux bistrotiers adversaires, les gendarmes, le curé et le pasteur par exemple. C’est ensuite une énonciation dans laquelle le narrateur singulier s’efface derrière une communauté, par un « nous », signe de la collectivité unie pour défendre son original inoffensif, Pierre, d’origine kabyle par son père. C’est donc un roman de la bienveillance, de l’acceptation de l’autre dans sa singularité, de la tolérance, dont la fin optimiste donne envie d’aller s’installer loin des villes dans un village à taille humaine.

Sans doute le roman tient-il plus du conte, de l’apologue que de l’enquête sociologique. Les Cévennes dont il est question sont plus proches, sans doute, de la carte postale que de la réalité. Mais c’est là la force de ce texte, de passer par la fiction joyeuse pour redire la force du lien social, de l’empathie, de l’importance d’un langage de vérité qui permet d’établir la confiance.

Quand je suis toi & tu es moi

Quand je suis toi & tu es moi
Preston Norton
La Martinière jeunesse 2020

On a échangé nos corps

Par Michel Driol

Ezra Darvent est un garçon tourmenté, insomniaque, qui rêve d’inviter Imogen au bal de fin d’année. Fan de Johnny Depp, il anime une chaine Youtube parodique et très populaire, mais dont il ne parle pas à ses amis. A la suite d’une éclipse, le voilà qui change de corps avec  Wynonna, tout en gardant ses propres pensées. Ces changements de corps interviennent à intervalles plus ou moins réguliers, avec la crainte qu’ils ne soient définitifs. Vont-ils aider les deux adolescents, à l’aide du corps de l’autre, à régler leurs propres problèmes ?

Ce récit fantastique à la première personne pose la question du genre et de l’identité. Qui sommes-nous ? Comment se construisent nos relations avec les autres, amitié, amour, découverte de la sexualité. Au-delà de la découverte du corps étranger de l’autre auquel il faut bien s’habituer, le roman permet aussi de découvrir les fêlures secrètes, familiales, de ces deux adolescents, dans une petite ville américaine où tout semble lisse et bien réglé. La question du travestissement est aussi mise en abyme avec la comédie montée par la troupe de théâtre du lycée, La Nuit des rois.

Un récit original plein de rebondissements, de quiproquos pour aborder les questions de l’affirmation de soi, de la construction de l’identité et des relations entre garçons et filles.

Hunger Games : La ballade du serpent et de l’oiseau chanteur

Hunger Games : La ballade du serpent et de l’oiseau chanteur
Suzanne Collins
PKJ, 2020

« Cria Cuervos y te sacaràn los ojos » ;
ou : ceci n’est pas un livre pour la jeunesse

Par Anne-Marie Mercier

Mais à quoi sert la loi de juillet 49 ? elle interdit de « présenter sous un jour favorable le banditisme, le mensonge, le vol, […] ou tous actes qualifiés crimes ou délits ou de nature à démoraliser l’enfance ou la jeunesse ou à inspirer ou entretenir des préjugés ethniques ou sexistes ». Si ces deux défauts (sexisme ou racisme) sont épargnés au personnage principal de cette histoire, il accumule tous les autres, et même pire : assassinat, délation, hypocrisie, et trahison sont à ajouter au palmarès – il tuerait sa grand-mère bien aimée et prostituerait sa cousine s’il le fallait (je crois qu’il a fait  le deuxième, mais sans se salir les mains – l’auteur non plus ne se salit pas les mains par parenthèse, comprend qui veut, du moins au début du roman) .
Le jeune Coriolanus est a priori sympathique, comme tous les héros : orphelin, élevé par sa grand-mère (qu’il adore), et sa cousine (idem), il est mignon, très intelligent, volontaire, et il est certain d’avoir un grand destin, du fait de ses origines : il est le dernier descendant d’une lignée d’aristocrates de Panem, les Snow (tiens, ça rappelle Le Trône de fer). Panem vient de remporter la guerre contre les districts et d’établir les « jeux de la faim » pour rappeler cela aux vaincus. Tout le monde plus ou moins a entendu parler de cette dystopie et de ces jeux, je n’y reviendrai pas, et on sait que la lutte pour la vie y est terrible.
Coriolanus lutte aussi, non tant pour sa vie que pour sa place dans la société ; il est prêt à tout pour récupérer la place qui lui est due selon lui (tout en haut) sans en être tout à fait conscient ; toutes ses hésitations morales tournent vite court face à la nécessité, et se transforment en faux prétextes. Il est un vrai « salaud » au sens sartrien du terme (je suis allée jusqu’au bout du roman pour voir irait l’auteur (enfin, jusqu’où elle amènerait son personnage) et j’ai eu la réponse : très loin. Plus encore que tout cela, c’est la « banalité du mal » qu’il incarne qui est gênante.

D’où ma gêne et mon envie de ne pas recommander ce livre pour de jeunes lecteurs (ou lectrices) travaillés par l’identification, bien qu’il soit plein d’action et de retournements rapides, malin enfin. L’auteur est aussi habile : elle emporte son lecteur dans un jeu de faux-semblants, couverts de quelques voiles bien pensants où le bien et le mal deviennent flous jusqu’au dénouement et à la tombée des masques.
Pour de jeunes adultes, pourquoi pas, mais que fait la mention de la loi de 49 en page de garde ?

 

 

 

Cyril et Pat

Cyril et Pat
Emily Gravett
Traduit (anglais) par Rosalind Elland Goldsmith
Kaléidoscope, 2018 (MacMillan children’s Books 2018)

 Tu ne vois pas ?

Par Chantal Magne-Ville

Encore une histoire d’amitié impossible, direz-vous ? Eh bien oui, mais revisitée par l’humour d’Emily Gravett, qui peint la rencontre d’un écureuil avec…un rat, dont, dès les premières pages, elle s’amuse à souligner l’incroyable ressemblance. Ce qui explique que Cyril, pauvre écureuil esseulé dans son parc anglais, peine à se rendre à l’évidence, puisqu’il a enfin quelqu’un avec qui jouer.
Pourtant ses voisins, pigeons, canards, et oies,  s’emploient à le mettre en garde : « Enfin, Cyril, tu ne vois pas ? Ton ami n’est autre qu’un…. ». Mais totalement aveuglé, Cyril achève toujours la phrase avec ses propres qualificatifs, tous plus généreux les uns que les autres : « écureuil, tout comme moi ! » ou « pur génie !», « esprit généreux !», ou « écureuil très malin ! ». C’est finalement un petit garçon venu lui donner des cacahuètes qui prononce le mot fatal : « un rat », à partir duquel la réalité s’impose ; fini de jouer à cache-cache, d’effrayer les pigeons, ou de fuir le chien, et… retour aux tourments de la solitude. Les jeux qui étaient amusants deviennent risqués quand on est seul, ses voisins n’hésitant plus à l’agresser.
La structure du livre joue sur des effets dilatoires, la réponse aux phrases interrompues nécessitant de tourner la page, pour une surprise et un plaisir toujours renouvelés. Le texte s’efforce de rimer : « Pour être amis, c’est évident, vous êtes trop différents !» ; le mot « rat » résonne avec « malfrat », laissant ressurgir tous les stéréotypes sur le rongeur.
Emily Gravett  montre le rat comme un voleur, un morceau de pain dérobé aux canards caché dans le dos, ou se défaisant difficilement d’un chewing-gum. La mimique des personnages est toujours très expressive, comme la hargne du chien sur le point d’attraper l’écureuil, hargne qui se mue en terreur face à l’armée des rats.
Le lecteur est emporté par le dynamisme des images, qui occupent souvent la double page, s’amusant à suivre le parcours des protagonistes retracé en pointillés de couleur lorsque le chien les course. Les pages très colorées du début s’obscurcissent quand, une fois seul, l’écureuil poursuivi se retrouve dans les bas fonds où règnent les rats. Mais partout de petites touches d’humour évitent de dramatiser : les boutiques ont des noms amusants « Le piège à rats », ou « Drôle d’ami », le chien agresseur, à la fin, promène des rats dans un patin à roulettes…
La double page d’introduction se retrouve à l’identique pour clore le récit, mais transfigurée par la nuance rosée de l’amitié retrouvée.

Une lecture aussi réjouissante qu’instructive !…

 

 

La Classe aux histoires

La Classe aux histoires
Rémi Chaurand – Illustrations de Laurent Simon
Casterman 2020

A chacun son histoire

Par Michel Driol

Ils sont 11 dans la classe de M. Berflaut : de Fouillis à Castagne, de Proprelette à Cradô… Tous les matins, ils racontent une histoire. Chaque histoire tient sur une double page avec, à chaque fois un dispositif narratif original, à l’image de l’histoire racontée. Enfin, c’est M. Berflaut (beau nom en verlan) qui raconte son histoire, à l’aide de tous les enfants de la classe.

On l’aura compris, le livre vaut moins par les histoires racontées que par la façon de les raconter, en fonction de son propre caractère, de son propre vécu. Et ce sont autant de portraits d’enfants qui se dessinent sous nos yeux, portraits forment induits par le nom de chacun. On pourra peut-être reprocher à cet album son côté caricatural et stéréotypé, mais ce serait passer à côté de deux de ses grandes qualités : l’humour et le respect pour les enfants dont il fait preuve. L’humour est présent à chaque double page, que ce soit dans l’histoire racontée ou dans le graphisme qui l’accompagne, toujours adapté et révélateur, au service du récit de l’enfant narrateur. Quant aux histoires, elles sont bien le reflet des enfants, et révélatrices de leurs désirs secrets, de leurs blessures intimes, de leurs fantasmes, de leurs espoirs en un monde meilleur. A leur façon, elles en disent long sur chacun d’eux, et sont comme une incitation à prendre en compte l’imaginaire des enfants pour ce qu’il révèle d’eux-mêmes.

Si le plaisir de raconter et d’écouter des histoires est aussi vieux que l’humanité elle-même, ce livre parle des rapports entre l’auteur et son récit, d’un monde de paroles où les récits des uns et des autres se croisent, se juxtaposent, ou se fondent ensemble pour inventer quelque chose de nouveau et de collectif. Et tout cela avec un humour sans faille !

Le Noël de Rosetta

Le Noël de Rosetta
Nathalie Tuleff, Guillaume Lucas et Janna Baibatyrova (ill.)
Trois petits points, 2020

Mon beau sapin… du monde d’avant

Par Anne-Marie Mercier

Les éditions Trois petits points, spécialisées dans les livres audio, proposent avec Le Noël de Rosetta un album très coloré (malgré son thème), superbement illustré, avec un joli conte de Noël :
« Le royaume de Rosetta est tout gris. Il paraît qu’avant, la vie y était pleine de couleurs et de musique, surtout à Noël. Rosetta rêve de vivre cette fête. Son copain Lucien a envie de lui faire une surprise. Au son des hautbois, piano, sonnette hollandaise, noix de coco, ocean drum, tambourin, cor anglais, grelots, flûte irlandaise, il part en quête d’un sapin ».

On retrouve les thématiques du conte : une quête, plusieurs rencontres d’animaux serviables et d’un géant aimable qui a oublié qui il était (on devine qu’il était le Père Noël), événements magiques… et retour chez soi avec la résolution du problème : grâce à l’opiniâtreté de Lucien et aux larmes de Rosetta (bon, c’est un peu « genré », mais c’est elle la princesse, lui est fils de fermiers), le monde tout gris reprend des couleurs et Rosetta aura un sapin pour Noël.
C’est aussi un récit dans la tradition de Noël : recherche de décors pour le sapin, rencontre d’un Père Noël (certes amnésique), voyage à dos de renne volant… et extraits de musiques de Noël, notamment avec un joli jeu de clochette pour le final qui joue le traditionnel « Kling Gloeckchen » (celui de l’album est plus joli !)
Il y a aussi quelques traits de fantaisie (Rosetta est une princesse qui et vit dans un château mais va à l’école, et elle a la peau noire). L’histoire est guidée par une orientation écologique bien de notre temps avec une réflexion sur ce qu’il faut pour faire un arbre et sur ce qui a pu causer leur disparition. On pourrait objecter que la magie qui résout tout cela est un peu facile (mais c’est un conte et il ne faut pas désespérer les enfants) .
C’est aussi un récit parfait pour les petits, avec des énumérations des fruits et légumes d’autrefois, des couleurs des saisons (il ne pousse plus que des salsibagas et des potinambours grisâtres et insipides !). Les voix sont très expressives (l’abeille, l’écureuil et le géant ont chacun leur style et leur intonation). Flûtes graciles, arpèges de piano, une musique paisible et pas trop envahissante accompagne le voyage de Lucien avec Saint-Saens, Weber, Bizet, des airs traditionnels et des compositions originales.

Livre de 32 pages et CD de 36 minutes. Dès 4 ans.

Écouter un extrait sur le site de l’éditeur

 

Noël au printemps

Noël au printemps
Dedieu
Seuil Jeunesse, 2019

Comment pouvait-on rater la fête de Noël?

Par Christine Moulin

L’objet est magnifique: de grand format, il offre généreusement les splendides dessins de Dedieu, devant lesquels on s’étonne que quelqu’un qui a créé Yakouba, puisse, avec autant de talent, proposer des illustrations au trait aussi réaliste « où palpitent mille nuances de marron, au plus près de la matière enveloppant le vivant » selon les mots de Marine Landrot dans Télérama. Ainsi, dès la première double page, le lecteur fait connaissance avec une chouette, un rouge-gorge, un mulot, un hérisson et un écureuil, auxquels il est facile de s’attacher d’emblée, surtout quand s’annonce une belle histoire d’amitié: ces petits animaux, « unis comme les doigts d’une patte », on le sent bien, sont, comme si souvent en littérature pour la jeunesse, des substituts d’enfants, qui passent « leur journée à discuter, à jouer, à se déguiser. » Elle est donc d’autant plus poignante, cette page qui montre le hérisson de dos, au milieu de feuilles mortes: l’hiver, ou même pire, rôde… Il lui faut hiberner. Dedieu sait alors avec une infinie délicatesse suggérer le chagrin de ses amis, tous montrés de dos: la patte de l’écureuil, posée sur l’épaule du mulot, pour tenter vainement de le consoler, est d’une tristesse infinie… Une question taraude nos amis: « Comment pouvait-on rater la fête de Noël? » Le problème est posé: malgré plusieurs tentatives pour être présent, le hérisson s’endort et son absence est cruelle. La solution, dont nous pourrions en ces temps troublés sans doute nous inspirer, s’impose: il suffit de fêter Noël au printemps! Manque la neige: mais le mulot a une idée, que rappellent délicatement les pages de garde arrière. Le propos peut sembler ténu et pourtant, on ne peut que s’émouvoir devant cette histoire d’amis qui font preuve de tant d’inventivité pour surmonter les obstacles que la nature dresse devant leur volonté de partager toute joie.

A lire: la très belle analyse de Marine Landrot

L’Herboriste de Hoteforais

L’Herboriste de Hoteforais
Nathalie Somers
Editions Didier jeunesse 2020

Tenaces graines d’espoir

 Par  Chantal Magne-Ville

Les graines, ce sont d’abord celles qu’Ywen, dix ans, porte toujours sur lui, dans une pochette brodée. Fabuleuses, elles contiennent tout le savoir-faire de Flore, sa mère, une herboriste reconnue. Tous deux vivent isolés au fond d’une forêt reculée, où vivent des espèces étranges comme Léno, le caléméon de compagnie du jeune garçon, un animal à fourrure qui change de couleur, ou les rorsses, montures à trois pattes aux sabots triangulaires.

L’aventure ne cesse de surprendre : au moment où Ywen découvre la moitié de sa maison incendiée et toutes les précieuses herbes saccagées, il apprend que sa mère a été enlevée par les soldats du Duc sans en comprendre la raison. Accompagné de deux voleuses, il mène l’enquête qui lui permettra de découvrir le passé de sa mère et aidera la plus jeune à retrouver ses origines : une histoire de reconnaissance somme toute classique pour une histoire qui cependant ne l’est pas, car ce sont les pouvoirs inouïs des plantes d’Ywen qui permettent presque toujours au héros et à ses compagnons de surmonter leurs difficultés.

Dès le début, le lecteur est plongé dans un univers de pure fantasy, avec l’éclosion de la fleur d’Evi qui peut redonner la vie. La créativité de l’auteur surprend, avec des animaux composites comme l’équibout, mixte d’écureuil et de hibou ou la zoopipelette, plante qui ne pousse que tous les dix ans et permet de parler aux animaux pendant quelques instants.

Une quinzaine de planches délicatement illustrées, accompagnées de définitions précises, aident le jeune lecteur à ne pas se perdre dans ce monde surprenant où les humains également  peuvent avoir un aspect étrange, à l’image des créatures des bois à la peau d’écorce, qui souffrent de la déforestation voulue par Iram, le ministre du Duc, qui  a besoin de bois pour construire des bateaux en vue d’une guerre contre les Outremer.

Si les rebondissements nombreux tiennent en haleine, le ton est léger, quasi enfantin, soutenant un récit mené sur un rythme qui réjouira les lecteurs dès 9 ans, alors que des problématiques plus sérieuses comme l’écologie sont abordées au passage.

Elle s’appelait Camille

Elle s’appelait Camille
Lucie Galand
Didier Jeunesse, 2019

A la fin de cet été-là, je n’étais plus un enfant

Par Christine Moulin

Les premières pages laissent craindre qu’on ait affaire à ce qui, décidément, ne cesse de se déclarer comme un poncif en littérature jeunesse: les vacances imposées par les parents, qui s’annoncent désastreuses. Heureusement, tout s’arrange: Elle s’appelait Camille se révèle en fait un roman fantastique (puisqu’il y est question de fantômes) qui fait la part belle à l’analyse psychologique (puisqu’il s’agit en fait de la lourdeur d’une secrète culpabilité, mais aussi des relations tendues entre le narrateur, introverti et sensible, et son frère, « grande gueule » mais fragile). L’écriture sait créer le suspens avec, notamment, des chutes de chapitres qui n’ont rien de nouveau mais qui savent être aussi efficaces qu’une série américaine: « A ce moment-là, je suis véritablement qu’il se passait quelque chose, une certitude physique, urgente. J’ignorais, en revanche, à quel point cette lumière changerait ma vie. Plus rien ne serait comme avant. » (p.24). Finalement, le défaut qu’on pourrait trouver à ce roman, c’est qu’il laisse quelque peu le lecteur sur sa faim: on aurait aimé qu’il nous en raconte davantage. Il y a pire, comme reproche, non?

 

La Chanson de Martin – Martin’s Song

La Chanson de Martin – Martin’s Song
Jane Méry – lu et chanté par Camille Claris et Andrew Paulsen
Trois petits points 2020

Chanson engagée…

Par Michel Driol

Alors qu’elle rentre de New York avec ses parents, Rose, une fillette d’une dizaine d’années, se retrouve en plein champ de tournesols, face à Woody, un musicien qui lui apprend le premier couplet de la Chanson de Martin. De retour à Paris, elle doit faire un exposé en anglais sur un personnage. Bien sûr, elle choisit Martin, cet enfant noir né dans les années 20 dont Woody a commencé à lui chanter l’histoire. Plusieurs fois, Woody réapparait, lui parle de folksong, de protest song, elle découvre la ségrégation et la condition des Noirs aux Etats-Unis. Au lieu de faire son exposé, elle chante la chanson de Martin, qui s’est enrichie de nombreux couplets. C’est alors qu’elle apprend l’identité de Martin, sa fin tragique. Mais Woody est là pour lui donner une leçon d’humanité et d’espoir.

Sur un canevas somme toutes classique (la biographie d’un personnage célèbre présenté au travers de recherches et d’un exposé fait par un enfant), ce livre audio présente de nombreuses originalités. D’abord par l’utilisation maitrisée du fantastique, avec le personnage de Woody (hommage à Woody Guthrie) qui a la capacité d’apparaitre et de disparaitre, et surtout d’être un extraordinaire passeur. Ensuite par l’association faite entre un choix musical (le bluegrass, la musique folk) et la biographie de Martin Luther King. Martin’s song rejoint ainsi les grands classiques des protest songs, comme Song For Sonny Liston (que l’on retrouve dans la Chanson pour Sonny d’Ahmed Kalouaz ), Who Killed Davey Moore, ou encore la Complainte pour Angela Davis (Guillevic/ Francesca Solleville). La chanson pour Martin n’est pas donnée entière d’emblée, mais se construit couplet après couplet, faisant ainsi découvrir les épisodes marquants de la vie de Martin Luther King, comme autant de petits flashs (l’enfance, le soutien à Rosa Parks, la lutte pour les droits civiques…). C’est aussi tout l’arrière-plan ségrégationniste qui est évoqué (avec en particulier l’allusion à la chanson Strange Fruits de Billie Holiday). Au-delà de la musique folk américaine, l’album s’ouvre à d’autres musiques folkloriques, c’est-à-dire populaires, au sens fort du terme. On a ainsi l’évocation de la Commune de Paris, à travers le Temps des cerises, magnifiquement et sobrement interprété a capella à deux voix. Woody explicite et défend le rôle d’une chanson folk qui est de raconter la vie, le travail du peuple : on a alors une perspective universaliste et non simplement axée sur les Etats Unis ou la France. L’album est donc à la fois une initiation à l’anglais (la version audio fait le choix de ne pas traduire Martin’s song – parfois chantée par Rose dans un anglais au fort accent français), une initiation au contenu politique de la chanson engagée, et une ode à la diversité du monde, aux multiples cultures populaires.

Sur le livret d’accompagnement, on trouve à la fois le texte anglais de la chanson et sa traduction en français, mais aussi un lexique dans lequel sont commentés et traduits des mots américains que l’on entend dans l’album, mots liés à la ségrégation et à la lutte pour les droits civiques, mais aussi à la musique.

Un livre audio au contenu humaniste insufflant l’espoir dans un monde plus ouvert, moins fanatique, et qui s’inscrit avec bonheur dans une forme musicale juste et appropriée.

On pourra écouter un extrait audio sur le site de la maison d’édition  : http://www.troispetitspoints.audio/