Le p’tit libé

Le p’tit libé 
Libération pour le 7-12 ans
Emilie Coquard (graphiste), Cécile Bourgneuf et Elsa Maudet (textes)

20 octobre 2017

« L’actu des grands expliquée aux enfants »… quel programme, surtout quand cette actu est « chaude » (pardonnez-moi la polysémie) : le dernier numéro évoque l’affaire Weinstein.
C’est sobre, pas racoleur ni sordide malgré le sujet, bien fait : voici l’accroche :

Un producteur américain de films, Harvey Weinstein, fait beaucoup parler de lui en ce moment. Il est accusé d’avoir fait beaucoup de mal à plusieurs actrices, pendant de nombreuses années. Il les a harcelées et agressées sexuellement. Ça crée un énorme scandale. Je t’explique ce qui est reproché au producteur américain, quels problèmes ça a révélé et comment tu peux réagir si quelqu’un te fait du mal. Lis ce dossier

La Passe-Miroir, t. 3 : la mémoire de Babel

La Passe-Miroir, t. 3 : la mémoire de Babel
Christelle Dabos
Gallimard jeunesse, 2017

Le labyrinthe des livres

Par Anne-Marie Mercier

Après l’enthousiasme provoqué par la lecture des deux premiers tomes (voir le 1 ou le 2), voilà une petite déception avec ce troisième volet. Tout d’abord parce qu’il n’est pas le dernier et que l’on espérait que tous les mystères seraient levés, ce qui n’est pas le cas. On a tout de même un début de réponse à la question « qui est Dieu ? », ce qui est important…

On retrouve aussi le talent de Christelle Dabos pour créer des espaces originaux, beaux, poétiques. La bibliothèque de Babel vue par elle est une petite merveille, une image de l’infini et la ville dans laquelle elle se situe prend corps nettement avec ses quartiers, ses monuments, ses moyens de déplacements, sa météorologie… L’école-pensionnat où Ophélie tente de gagner le droit d’entrer dans ce Mémorial est un micro univers sinistre à souhait, la compétition y est rude et ses efforts pour apprendre tout ce qu’elle ignore sont chaotiques.

Ophélie se bat aussi avec énergie pour retrouver Thorn et est longtemps déçue dans son attente, même lorsqu’elle le retrouve (la difficulté de communication entre ces deux-là va générer des volumes supplémentaires). Mais elle fait de nombreuses rencontres intéressantes, nous permet de méditer sur une civilisation où l’on veut gommer tout ce qui a trait aux guerres passées (thème curieusement assez fréquent dans les dystopies pour la jeunesse, voir par exemple Le Passeur de Lowry).

On devine enfin qu’au centre de tous les mystères il y a un livre pour enfant et que le « créateur » du monde des Arches (qui n’est pas ce Dieu là…) s’en est inspiré… Mais on n’en dira pas plus pour maintenir le suspens en attendant le(s) tome(s) suivant(s).

La Petite boîte

La Petite boîte
Eric Battut

Didier, 2015

L’art de la question

Par Dominique Perrin

Ah la petite boîte, qu’est-ce qui la fait ainsi talismanique ? Sa couleur bleue dans l’écrin d’un album aux rouge, orange, ocre, noir – et bleu – d’une magnificence typiquement battutienne ? Ou la constance du petit roi qui la transporte avec lui de lieu en lieu et d’heure en heure sans l’entrouvrir sauf au moment fatidique du coucher ? Sa petitesse, charmante et trompeuse, solidaire de celle du petit roi dans son immense baignoire, sur son trône démesuré ou dans son lit gigantesque ? Ou encore et enfin, de double page en double page, la curiosité de la voix qui chuchote, ou scande, ou s’impatiente mille fois en toutes lettres, tandis qu’un tout petit être vivant – mouche, ver, abeille…– semble la relayer, en fidèle compagnon : qu’y a-t-il donc dans cette petite boîte ? La réponse semble à la hauteur de cette fondamentale-enfantine question.

Dans la peau de Sam

Dans la peau de Sam
Camille Brissot
Syros (soon), 2017

Fille/garçon : échanges de corps, de rôles, de lieux

Par Anne-Marie Mercier

Prenez deux adolescents que tout oppose : fille/ garçon, Bien dans sa peau/ Mal à l’aise, populaire/ sans amis… Le versant positif, ou du moins favorable, est occupé par Charlie, jeune fille ordinaire, le versant moins favorisé par Sam, un garçon de sa classe dont elle se moque avec ses amies.

Tous deux se trouvent en même temps dans une fête foraine et entrent au même moment dans une machine qui provoque l’échange de leurs corps : chacun doit endosser la vie de l’autre, avec les aspects tragiques et comiques que l’on devine. Ils retrouvent l’inventeur de la machine et doivent attendre qu’il intervienne avant la durée fatidique des soixante-douze heures au-delà de laquelle la métamorphose sera irréversible…

Les relations entre garçons et filles, et plus précisément entre adolescents, sont un peu caricaturales mais néanmoins assez bien vues, comme leur vie scolaire et familiale, et la morale du récit est claire : se mettre dans la peau de l’autre permet de mieux le comprendre, de l’accepter ; chacun des deux apprend et le versant « positif » de l’histoire est bien remis en question.

Regarde-moi !

Regarde-moi !
Gabrielle Mattei et Pierre-Yves Cézard
éd. Utopique ("Alter Egaux"), 2017.

Regarde-moi !

Par Fanny Lignon

Créée en 2009, la « cabane » des éditions Utopique abrite des ouvrages jeunesse dont « l'ambition [est] de transmettre des valeurs et d'ouvrir le dialogue, en abordant avec sensibilité des sujets rares. » La collection Alter Egaux réunit quant à elle « des livres pour s'éveiller aux thèmes de la tolérance et du vivre ensemble. Des albums pour apprendre, comprendre, partager et débattre, à la maison comme à l'école ! » (ibid.) C'est dans ce contexte on ne peut plus clairement défini que s'inscrit l'album Regarde-moi ! écrit par Gabrielle Mattei et illustré par Pierre-Yves Cézard.

La première de couverture nous apprend, comme souvent, beaucoup de choses sur l'album qu'elle introduit. La scène se passe sur un terrain de football. Un enfant, vêtu d'une tenue rouge et or, s'apprête à frapper la balle sous le regard réjoui de ses coéquipiers mais réprobateur de son entraîneur. Le jeune joueur, situé au centre de l'image et au premier plan, est deux fois plus grand que les autres personnages en raison de la perspective. C'est visiblement le héros de l'histoire. Mais qu'a-t-il donc de si spécial pour que les regards qui se portent sur lui soient à ce point discordants ? Lui reproche-t-on d'être gaucher ? Sont-ce ses cheveux, roux et mi-longs, qui posent problème ? Et pourquoi demande-t-il qu'on le regarde alors même que tous les yeux sont déjà sur lui ?

La quatrième de couverture répond en partie à ces interrogations. On y voit, sur un fond bleu ciel (le lecteur attentif notera que cette image est la même que celle de la page 8 mais que le fond, initialement rose, est devenu bleu), le même enfant que sur la première de couverture. Il porte cette fois une salopette verte et s'amuse à même le sol avec une grue, une voiture et un camion de pompier. Les indices visuels ne permettent pas de déterminer son sexe avec certitude. Il faut lire le pitch de l'album pour comprendre de quoi il retourne :

"Quand Papa a vu sa fille à la maternité, son cœur s’est rempli de fierté. Après le fils aîné, il avait la petite princesse qu’il attendait.
– Et si on l’appelait Rosie ?
Oui mais voilà… Rosie a grandi, et elle n’aime ni le rose ni les poupées ! Elle préfère construire des avions, jouer aux voitures ou au ballon…"

Ce texte invite à reconsidérer les deux images que je viens de commenter. Il permet d'émettre des hypothèses quant aux raisons des tensions perceptibles sur la première de couverture. Il permet de se rendre compte que tout ce qui aurait pu amener le lecteur à identifier une petite fille a été soigneusement gommé, le dessinateur ayant par ailleurs utilisé sciemment des signes renvoyant au masculin. Autrement dit, les mots révèlent un problème qui à l'image ne se voit pas… suggérant par là-même que ce problème n'est peut-être pas un vrai problème.

A la lecture de l'album, on comprend rapidement que le malaise que ressent Rosie est dû au regard que son père (l'entraîneur) porte - ou plutôt ne porte pas - sur elle. Tous les autres personnages, en effet, que côtoie la fillette la respectent et l'apprécient sans se poser de questions. Sa mère, qui pour lui faire plaisir entreprend de redécorer sa chambre selon ses goûts, lui achètera, pour son anniversaire, la tenue de football qu'elle désire tant. Son frère, qui a plaisir à s'entraîner avec elle dans le jardin, l'intègrera par la suite dans son équipe. Les autres joueurs, tous des garçons, l'accueilleront avec enthousiasme, reconnaissant ses compétences.

Le père de Rosie, à l'inverse, très heureux au départ d'être papa d'une petite fille, va progressivement se détourner de son enfant. Déçu puis contrarié, il commencera par l'ignorer avant de la rejeter pour la seule et unique raison qu'elle ne correspond pas à l'idée qu'il se fait de ce que doit être une fille. Pour traduire cela, les auteurs de l'album jouent, entre autres, sur les couleurs. Au début de l'histoire, Rosie porte une grenouillère rose et dort dans une chambre rose. Lorsque le père comprendra que « sa petite princesse » préfère vivre dans une chambre bleue et jouer au ballon, il s'inquiètera de la voir revenir… avec des bleus. Ce n'est qu'au prix d'une longue maturation, et après qu'elle aura démontré son savoir-faire footballistique, qu'il se décidera à aimer sa fille pour ce qu'elle est. L'image qui clôt l'album le montre qui la regarde (enfin) et la prend dans ses bras, comme lorsqu'elle était bébé.

Le monde, pour Rosie, bascule lorsqu'elle voit ses parents se disputer à son sujet et entend son père la traiter de « garçon manqué ». Cette expression, qu'elle ne connaît pas, la blesse. Après un temps d'incompréhension (« Pourquoi est-ce qu'il me traite [traitait] de garçon ? ») et une période d'intense cogitation (« Et qu'est-ce qu'il me manque [manquait] ? »), elle arrive à la conclusion que son père considère très certainement qu'il l'a « ratée » et qu'elle est « nulle ». Cette explication lui paraît logique eu égard à son attitude, de plus en plus distante, alors même qu'elle ne fait rien de mal si ce n'est laisser libre cours à ses préférences ludiques. Les auteurs de l'album mettent ainsi à nu, par l'exemple et très simplement, une mécanique discriminatoire. Face à l'injustice, Rosie, plutôt que de réagir en miroir, va faire en sorte d'amener son père à réviser son jugement. Elle y parviendra pleinement puisqu'il finira par lui dire qu'elle est « drôlement bien réussie ». Expression là encore choisie avec soin, qui fait écho à celle qui avait précédemment choquée l'enfant sans pour autant nier qu'elle est un peu différente.

Le titre du livre, a priori ancré dans le concret, doit donc, également, être entendu de façon plus abstraite. Car en définitive, ce que Rosie attend de son père, lorsqu'elle lui dit « regarde-moi ! », c'est aussi et surtout, sans nul doute, qu'il regarde son moi, son être, sa personne.

Néanmoins, si l'album atteint les objectifs visés par la collection dans laquelle il est publié, deux points à mon sens atténuent la portée du discours. D'une part le fait que le père doive faire un effort surhumain pour changer d'attitude envers sa fille, d'autre part le fait que celle-ci doive faire montre d'un talent exceptionnel pour qu'il l'accepte enfin telle qu'elle est. Ces quelques réserves mises à part,« Regarde-moi ! » me semble un très bon outil pour aborder la question des stéréotypes de sexes avec des enfants, et ce justement parce qu'il n'est pas tout-à-fait parfait.

Lili et la louve

Lili et la louve
Elise Fontenaille – Alice Bohl
Grasset 2017

La petite fille dans la vallée …

Par Michel Driol

Lili vit avec sa mère bergère, son père guide de haute montagne, et sa chienne Neige dans une vallée isolée des Pyrénées. Pour ses sept ans, elle découvre qu’elle peut parler avec les animaux. Un jour, l’ourse Caramelle lui dit qu’elle a vu une louve. Courageusement,  Lili et Neige guettent la louve pour protéger les brebis, jusqu’au face à face avec l’animal redouté. Celle-ci se révèlera moins féroce que sa réputation.

Voici une histoire simple, qui s’ancre dans la réalité – les parents ont un métier bien identifié – mais qui glisse vite dans le merveilleux, pour célébrer un mode de vie, loin des villes, en communion avec la nature. Elise Fontenaille, dans ce récit d’amitié entre une fillette et des animaux, évoque ici avec bonheur  les pouvoirs magiques de l’enfance et le courage dans un conte optimiste et plein de fraicheur. Vaincre ses peurs, se confronter aux dangers, et, en même temps, être bienveillant et respectueux de l’autre, découvrir que la nature n’est pas hostile, voilà quelques-unes des valeurs que porte cet album. Les illustrations d’Alice Bohl – des aquarelles qui ne cherchent pas le réalisme à tout prix – entrainent aussi, sans mièvrerie, le lecteur dans l’univers coloré de ce conte, au cœur d’une montagne de rêve.

Un album pour inventer un paradis retrouvé…

Miss Ming

Miss Ming
Valérie Dumas – Jean-Pierre Blanpain
HongFei 2017

La pierre de rêve, ou la grand-mère retrouvée

Par Michel Driol

Lila revient chez sa grand-mère, la fameuse Miss Ming. Au-delà du champ d’Antonio, elle retrouve la maison inhabitée désormais, et ses souvenirs. Se dessine alors le portrait en creux de cette grand-mère, à travers les objets exotiques omniprésents qui évoquent celle qui a été une grande voyageuse dans sa tête. Lila se souvient de ses sept ans, de la fête d’anniversaire organisée par sa grand-mère, et de son cadeau, un étrange objet à la quête duquel elle se lance : une pierre de rêve qu’elle retrouve dans l’armoire rouge. Elle la regarde et y retrouve la figure bienveillante et initiatrice de sa grand-mère, accompagnée de la figure protectrice d’Antonio.

L’album tisse finement plusieurs fils : celui de la province française, avec son paysan, ses vaches et ses fromages et celui de l’exotisme, avec ses cerfs-volants, ses figurines chinoises ; celui du souvenir de la grand-mère, des jours heureux de l’enfance et celui du voyage dans la vie qui reste à parcourir ;.celui de l’ancrage dans le réel, avec la maison, la brouette, l’escalier… et celui du merveilleux avec les dragons, voire du fantastique avec cette bague qui apparait mystérieusement à la fin dans la main de Lila.  Le tout est rythmé par la voix de la grand-mère, qui résonne encore « Lila ma douce… » L’album ne manque pas d’humour, en particulier dans le portrait de cette grand-mère, Miss Ming. « Pas de doute, ici tout est Ming » assure le texte, tandis que l’illustration montre un éventail « Restaurant la baie d’Along » ou une carte « pour votre fête ». Se mêlent ainsi, au fil des pages, des chinoiseries, des porcelaines, un robot, des théières qu’on croirait sorties de chez Jérôme Bosch, des clowns, des poupées, des dessins d’enfant… jusqu’à l’épure finale de la pierre de rêve qui fait passer dans une autre dimension, plus orientale, avec les silhouettes des montagnes et la grue en vol.

L’illustration – à quatre mains – est particulièrement réussie et riche. Elle aussi mêle les aquarelles colorées  de Valérie Dumas aux linogravures  noir et blanc de Jean-Pierre Blanpain.  On prend plaisir à observer tous les détails, à pénétrer, comme par effraction, dans cet univers particulier qui porte la trace de la grand-mère disparue et d’un passé qui ne sont  plus.

Voilà un album plein de tendresse où il est question avec légèreté de dépaysement, de transmission, d’interculturel et de voyage immobile.

 

Pline, t. 2 : Les Rues de Rome

Pline, t. 2 : Les Rues de Rome
Mari Yamazaki, Tori Miki
Traduit (japon) par Bureau des Copyrights Français,
Casterman, 2017

Au cœur du sujet

Par Anne-Marie Mercier

Suite d’un premier tome qui prenait son temps, le second nous plonge dans le vif de l’action : les caprices de Néron, après ceux du volcan, sont tout aussi dangereux et le calme de Pline demeure olympien. Quant à Euclès, il découvre les rues de Rome, et leurs dangers, les conditions de vie des habitants, souvent misérables, livrés à la prostitution (à laquelle Néron participe) et à divers trafics, comme celui de l’eau qui promet des développements futurs pleins de rebondissements. Il tombe amoureux, de qui il ne faut pas évidemment.

Pline résiste aux fureurs de l’empereur, mais pour combien de temps ? On voit le philosophe subir des crises d’asthme, occasion de développer les différentes façons de le soigner ou pas. Quant à Néron lui-même, son histoire se déroule, allant vers davantage de sang et de toute puissance, tandis que Popée tente de se faire épouser (allez, une occasion de réentendre/ revoir  le magnifique couronnement de Popée de Monteverdi).

Le manga encyclopédie devient roman policier, développant une intrigue sombre, tandis qu’il propose de belles vues de la ville, de ses hauteurs à ses bas-fonds, et même ses souterrains… A suivre!

La Fête des fruits

La Fête des fruits
Gerda Muller
L’école des loisirs, 2017

Ronde des saisons

Par Anne-Marie Mercier

Gerda Muller a un talent pour créer des illustrations qui ont le charme de celles d’antan, entre documentaire et fiction, imagiers et encyclopédies. Chaque page de droite montre une scène champêtre plaisante, mettant souvent en scène des enfants ou adolescents qui s’affairent autour de plantes dont les noms sont Inscrits en dessous de l’image et au dessus d’un bandeau montrant les feuilles et fruits de cette plante.

Dans la page de gauche, on nous raconte l’histoire de Sophie, jeune citadine en vacances chez ses oncle et tante, qui découvre les cueillettes avec son cousin (fraises, groseilles, cerises, prunes…), puis écolière devant s’adapter à une nouvelle région, après avoir déménagé dans le sud, et la découvrant avec l’aide de sa voisine, de l’été jusqu’à l’automne (melons, abricots, raisins, grenades, figues, olives, citrons, mûres, châtaignes…). Le panorama des fruits est complété par un projet d’école sur les fruits : Sophie et ses camarades font de belles fiches illustrées sur la goyave, l’ananas, la papaye, la pistache… et Sophie rêve d’aller voir « en vrai » toutes ces choses – comme l’enfant qui aura lu ce livre?

En tout cas il aura fait une belle incursion dans un documentaire présenté sous la forme d’un récit, avec des personnages qui lui sont proches. Rien de très original, mais fait à la perfection.

Belle maison

Belle maison
Anaïs Brunet

Sarbacane

Objets inanimés, avez-vous donc une âme ?

Par Michel Driol

Deux enfants, Lise et Noufou, reviennent passer l’été dans la maison familiale, abandonnée tout l’hiver. Ils retrouvent leurs habitudes, leurs livres, la maquette commencée l’année précédente, la plage où l’on construit des châteaux pour accueillir les poissons. Une histoire ordinaire et simple certes, mais c’est la maison qui raconte, et devient le personnage principal de cet album.

La maison est située au bord de la mer. Elle a des amis : sur une ile, une vieille tour datant du moyen-âge, le mimosa, une famille de pies. Elle a ses coquetteries : elle ne dira pas son âge. Elle a aussi ses regrets, de ne pas avoir voyagé alors qu’elle un tempérament d’aventurière. Pour elle, le retour des enfants, c’est celui de la vie.

On pourra être agacé parfois par le ton précieux de cette maison, qui signe « votre Belle Maison »,  qui parle comme une grand’mère un peu traditionnelle dans son vocabulaire un peu désuet et sa syntaxe bien polie, et évoque « ses terres ».  On sera peut-être aussi gêné de la représentation de cette maison de la bourgeoisie provinciale, avec ses tomettes au sol, son portemanteau années 60, sa salle de bains début 20ème siècle, ses tapisseries à fleur. On sera peut-être aussi gêné par l’absence d’adultes et ces enfants qui vivent leur vie, seuls, en ce bord de mer. Mais c’est qu’au fond le propos de l’album est ailleurs : il faut prendre cette maison sur un plan métaphorique, et y voir le lien de la filiation, l’inscription des nouvelles générations dans une histoire familiale dont la maison garde trace et souvenir. C’est à la fois le retour au cocon – voire au ventre maternel – qui est célébré ici, mais sans que ce cocon ne soit écrasant : les enfants sont libres d’aller et venir, sans obligation de raconter leur journée. La maison souligne leur indépendance et les projette déjà dans leur futur au service des autres (restaurateurs ou médecins).

Finement, l’album oppose l’intérieur et l’extérieur, qui envahit la seconde partie. Scènes de plage qui deviennent vite des  scènes surréalistes mêlant monde sous-marin et monde terrestre, dans une véritable robinsonnade marquée par la construction d’une cabane au milieu des animaux sauvages, comme autant d’images d’une liberté possible d’une enfance qui peut, dans les dernières pages, retrouver ses racines à la cuisine et dans la chambre à coucher.

Un premier album d’une nouvelle auteure de littérature jeunesse à suivre.