Que fais-tu, Sissi ?

Que fais-tu, Sissi
Xio Mao (texte) – Li Chunmiao et Zhang Yanhong (illustrations)
HongFei – 2015

Une petite fille immobile dans un monde en mouvement

Par Michel Driol

sissiDans un parc, des enfants jouent. Seule Sissi reste assise sur son banc, indifférente. Les autres s’interrogent sur son attitude : est-elle fâchée ? A-t-elle mal ? Ils l’appellent, mais elle ne bouge pas. La dernière page révèle le secret : Sissi pose pour un dessinateur qui réalise son portrait.

En double page, les illustrations très colorées,  pleines de vie et de tendresse montrent les jeux des enfants, les activités des adultes, en opposition à Sissi, seule sur son banc. Cet aspect- là est souligné par le texte, qui répète page après page Des enfants… ; seule Sissi reste assise. Et comme dans Où est Charlie, on cherche, page après page, la petite fille et sa robe bleue, car le cadrage se déplace pour montrer différents aspects du parc de jeu, où tout le monde cherche à se distraire. Sur chaque double page, une ou deux bulles attirent l’attention sur une mini saynète, illustrant les réactions des enfants face à Sissi. Le lecteur ne peut que s’attarder sur les illustrations, chercher à tout voir et imaginer qui sont ces personnages et leur propre histoire, car chacun d’eux, seul ou dans un petit groupe, fait quelque chose dans une pose très expressive.

Cet album  permet au lecteur français de découvrir les jeux et friandises chinois (à la fois représentés sur les doubles pages et expliqués dans les trois  pages documentaires finales).  Encore une fois, les éditions HongFei proposent un album de qualité, permettant de découvrir la culture chinoise, ainsi que des illustrateurs et auteurs chinois de talent.

Modèle vivant

Modèle vivant
Carole Fives
L’école des loisirs (medium), 2014

L’art, l’amour, la haine…

Par Edwige Planchin

 Carole a quinze ansModèle vivant. Elle est séparée de son frère par le divorce de leurs parents : chacun a gardé son enfant préféré. Pas facile pour elle de trouver sa place dans sa nouvelle famille avec une belle-mère qui essaie de l’évincer. Le temps d’un été, Carole va faire l’expérience de l’amour, de la haine, de la mort et de l’art.

Loin de toute stéréotypie, ce roman aborde avec force, subtilité et justesse des thèmes difficiles comme le divorce, mais du point de vue des ados, la pulsion criminelle (sans passage à l’acte et contre sa belle-mère), la mort et l’entrée dans une véritable démarche artistique. Carole prend des cours de peinture depuis un an. Cet été là, elle rencontre José, qui a quitté ses études pour se consacrer à la peinture. La puissance de leur histoire et la disparition tragique du jeune homme amènera Carole à chercher la vérité, puis à lâcher prise, ce qui lui permettra de voir surgir, sous son crayon, et à son insu, la profondeur des choses. L’été de ses quinze ans, Carole est devenue une autre.

 

Le sort en est jeté

Le sort en est jeté
Delmot Bolger
Flammarion, 2015

Le prix d’un voeu

Par Christine Moulin

CVT_Le-Sort-en-Est-Jete_9493Le premier chapitre est à l’image du livre entier, mouvant, trompeur, intrigant : l’action est datée de 1932, alors que tout le roman se déroule de nos jours, en Irlande ; la narration est à la troisième personne, alors que le narrateur, dans les deux autres chapitres, est Joey, le héros (cette alternance sera la règle) ; il présente un personnage qui réapparaîtra et jouera un rôle essentiel, sans pour autant être toujours sur le devant de la scène, Thomas; il introduit le thème du jazz, « la musique du diable » et le mythe du « changeling », « créature maléfique qui ne serait ni vraiment morte ni vraiment vivante » ; il met en place un des lieux importants, le Hellfire Club, diabolique… en diable (Hell : l’enfer, fire : le feu, n’est-ce pas ?) et raconte une des histoires clés du livre, celle d’un débauché, Dawson, qui, dit-on, aimait à parier avec le diable, justement. C’est dire combien ce premier chapitre installe une atmosphère quasi gothique.

Le contraste est d’autant plus fort avec le chapitre suivant : Joey prend la parole et laisse deviner sa triste histoire. On l’apprendra peu à peu, son père, un musicien raté, est mort dans un accident de voiture ; sa mère, qui lutte avec les séductions de l’alcool, l’élève seule ; il a déjà rencontré des problèmes dans les établissements qu’il a fréquentés. Stradbrook College, où il vient d’arriver, est le lycée de la dernière chance. Un autre nouveau lui vole la vedette : Shane, dont l’air d’ « assurance amusée avait quelque chose de fascinant » et qui « donnait l’impression d’avoir tout vu ». Shane semble connaître la fille que Joey a tout de suite repérée, Aisling. C’est avec lui que Joey devient ami, contre toute attente.

La suite du roman va permettre de connaître le passé de chacun des personnages et même de leurs ancêtres. La figure de Shane va devenir inquiétante, ambiguë : ce jeune homme sûr de lui est si séduisant a été malheureux et timide. Est-il vraiment un ami pour Joey ? Menteur, il mène une double vie, dans laquelle il entraîne Joey. Celui-ci ne devrait-il pas suivre les conseils d’Aisling et se méfier de Shane ?

Et progressivement, ces éclairages sur le passé vont se rejoindre dans le présent. Les chapitres, très courts pour la plupart, entrelacent les intrigues et délivrent des indices savamment disséminés, qui inquiètent, assombrissent et obscurcissent le personnage de Shane, Grand Meaulnes satanique, et tiennent en haleine le lecteur, l’obligeant à reconstituer la vérité, à l’instar des personnages embarqués dans cette histoire noire et passionnante. L’unité est maintenue à la fois par la solidité de l’ensemble et par l’entrecroisement de certains thèmes, musicalement introduits dans le roman : la phobie de l’eau, la musique, l’amour, le voyage…

Mais si ce roman fascine, c’est surtout parce que les caractéristiques du genre fantastique (il ne manque rien, pas même la maison hantée ; le fiacre dont les chevaux se sont emballés est devenu une voiture volée, mais qu’importe, l’effet est le même) ont été mises au service d’une évocation à la fois juste et terrible des tourments de l’adolescence : comment être accepté ? Comment se détacher de ses parents tout en continuant à les aimer ? Comment être soi-même en se libérant de ce qui nous a été transmis, et qui nous entrave ? Quel prix faut-il accepter de payer pour réaliser ses rêves ?

Bref, on se dit que ce livre a réussi ce que Twilight n’avait même pas tenté.

La Déclaration des droits des filles

La Déclaration des droits des filles
Elisabeth Brami, Estelle Billon-Spagnol
Talents hauts, 2014

Par Anne-Marie Mercier

Il est d’La Déclaration des droits des fillesutilité publique de rappeler certains points évoqués par ce petit livre qui propose 15 articles de cette « déclaration des droits » : le droit d’aimer, de jouer, de travailler, etc. en suivant son goût, à égalité avec les personnes de l’autre sexe.

Mais qu’une déclaration des droits propose sur le même plan des libertés fondamentales et d’autres qui ne le sont pas interroge:

  • L’affirmation du droit de ne pas savoir coudre ou tricoter n’est sans doute pas très approprié à notre époque.
  • On présente comme un droit une activité qui dans certains contextes est proscrite, même aux garçons, cela se discute. Par exemple, être débraillée, hurler, n’être « pas géniale en français » (signe d’indépendance des filles, à encourager ?), se battre, pratiquer des activités à risques…
  • Enfin, l’ouvrage commence par « Les filles comme les garçons ont le droit de… », cela signifie-t-il qu’être une fille libre, c’est être comme un garçon ?

Questions sérieuses, et sans doutes déplacées pour ce petit livre humoristique où les dessins d’Estelle Billon-Spagnol affichent un refus des convenances bien assorti au propos : mais est-ce là sa visée principale ? En tous cas, il aura le mérite de poser des questions… s’il y a un interlocuteur pour y répondre.

La vie rêvée des grands

La vie rêvée des grands
Géraldine Barbe
Rouergue

Grandir ou ne pas grandir…

Par Michel Driol

viereveRose a dix ans, des tonnes de secrets, s’est inventé un frère imaginaire, et rêve d’avenir. Elle se sent à part. Elle vient de changer d’école, et évoque son ancienne maitresse, son maitre, les copines de la classe qu’elle a réussi à se faire, et le garçon qui lui plait. Elle évoque aussi ses rêves, ses réflexions, ses pensées, sa conception de la vie, les films qui l’ont marquée.  Elle raconte quelques scènes avec un réalisme (la scène finale de la première boum, avec les filles d’un côté et les garçons de l’autre, personne n’osant danser ou faire le premier pas, est une belle réussite).

Dans une suite de chapitres courts, chacun tournant autour d’un thème, c’est le portrait sensible d’une petite fille timide que dresse Géraldine Barbe (dont on avait apprécié un précédent roman, L’Invité surprise).  L’écriture est  assez proche de celle d’une fillette  d’une dizaine d’années : phrases courtes, marques d’oralité, et fait une place importante à l’imaginaire. Deux figures tutélaires parcourent l’auto-analyse psychologique  à laquelle se livre Rose : celle du sphinx, belle façon imagée d’évoquer la timidité et ses mystères, et celles des  canards – à l’image du vilain petit canard – figures doubles représentant le moi présent – réel – et le moi futur – encore transparent, en gestation, rêvé.  Ces deux figures aident Rose à se percevoir et à se questionner  autour de la question de grandir. 10 ans, c’est un peu un âge charnière. Qu’est-ce grandir ? Que perd-on et que gagne-t-on à devenir adulte ? Rose se voit encore enfant, alors que dans sa classe, d’autres filles sont déjà grandes… Faut-il se presser de franchir le pas ?

Ces questions, ce roman a le mérite de les poser dans une langue et à travers des situations accessibles à des enfants d’une dizaine d’années, qui y trouveront un écho à leurs propres interrogations.

 

La Fille et le cheval blanc

La Fille et le cheval blanc
Chun-Liang Yeh – Illustrations Minji Lee-Diebold
HongFei

Aux origines de la soie en Chine

Par Michel Driol

filleUne jeune orpheline, bien imprudente, promet  à son magnifique cheval blanc de l’épouser s’il lui ramène de la guerre son père vivant. Ce que fait le cheval. Mais la jeune fille ne tient pas promesse…

Chun-Liang Yeh adapte un conte étiologique du IVème siècle, où se mêlent l’amour (de la fille pour son père, du cheval pour l’héroïne) et la mort – (mort du cheval, mort de la jeune fille). Mais la peau du cheval et la jeune fille s’unissent pour se métamorphoser en un cocon, d’où nait le premier fil de soie. Le récit, écrit dans une langue volontairement très sobre,  touchera les jeunes lecteurs : promesse absurde et transgressée, réaction quasi humaine du cheval, qui attend sa récompense, violence de la fille dans sa façon de se moquer de la dépouille du cheval jusqu’à ce que la punition terrible s’abatte sur elle, punition qui semble venir de la nature elle-même.

Les illustrations – de superbes broderies aux couleurs vives – évoquent souvent  la Chine traditionnelle, mais savent aussi la transcender en étant parfois très proches de Chagall, dans les couleurs, ou dans la représentation de personnages du conte.

A la fin du livre, un petit dossier documentaire évoque les origines de la soie, et sa place dans le monde. On y explique en particulier les idéogrammes « fil » et « soie ».

Au delà d’un récit merveilleux sur les origines de la soie, ce conte cruel aborde, comme tous les contes traditionnels, la question des valeurs morales et du sens de la parole donnée et ouvre au lecteur un vaste champ d’interprétation et de rêve.

Fantoccio

Fantoccio
Gilles Barraqué
Ecole des loisirs, 2015

Fantastique Pinocchio !

Par Anne-Marie Mercier

fantoccioOn croyait avoir fait le tour des réécritures de Pinocchio, des bonnes comme des mauvaises, en revenant toujours au constat qu’il valait mieux retourner à l’original. Avec ce roman on a affaire à une belle surprise : Gilles Barraqué réussit le tour de force d’être très fidèle à l’esprit de l’œuvre tout en faisant radicalement autre chose.

Récit merveilleux à l’origine (un pantin qui s’anime, des animaux qui parlent, des enfants métamorphosés en ânes,… tout cela ne heurte aucun personnage dans le roman de Collodi), l’histoire de Pinocchio est ici traitée sur le mode fantastique.

Une sorcière est à l’origine de tout. On ne sait pas exactement comment ni pourquoi, car l’histoire de Fantoccio est racontée à la première personne. Elle commence au moment où il s’éveille à la conscience, découvre qu’il comprend la langue des autres et peut parler, qu’il a des terreurs innées et des sensations. On assiste à l’éveil d’un être, un peu comme dans les fictions épistémologiques du dix-huitième siècle. Combinant les sensations et les idées cette petite statue qui s’anime (c’est l’image utilisée par Condillac) accède progressivement à l’intelligence et à l’autonomie.

Très vite, Fantoccio a la pleine conscience d’être pour son maître, Giuseppe, ancien charpentier devenu fabricant et montreur de marionnettes, un « fantoche, pantin, celui qu’on manipule, qui n’a pas de volonté ni d’agissements propres ». Il fait le pantin et vit caché, donc en plein mensonge pour fait croire à la virtuosité de Giuseppe qui l’exhibe sur des tréteaux de commedia dell’arte, à Sienne. Ne dormant pas, saisi par l’ennui, relégué dans un coffre, ou caché, il apprend de son maître le métier et, à sa demande, la lecture. Par ses questions et les livres il découvre progressivement le monde : à l’abécédaire de Pinocchio s’ajoutent une encyclopédie et des contes persans (notamment l’histoire d’Aladin).

A l’évasion par la lecture succède la fugue. S’acoquinant avec deux voyous qui deviennent ses amis après avoir été ses tortionnaires, tombant amoureux de la belle Livia, semant la pagaille dans le Palio de Sienne, Fantoccio accède à l’indépendance. Il n’y aurait pas de Pinocchio sans nez qui grandit : les changements de nez auxquels, apprenti expert en menuiserie, il procède lui-même marquent les étapes de son évolution : tantôt petit nez rond de marionnette, tantôt appendice grotesque de mascarade ou substitut viril, il désigne son hésitation entre les divers états auxquels il aspire et ses interrogations sur son identité : Pourquoi est-il au monde ? Qu’est-ce qui fait qu’il est garçon plutôt que fille ? Quel âge a-t-il ? Quels liens peut-il construire avec ses semblables ? Qu’est-ce que l’amour ? Quel lien les unit, Giuseppe et lui ?

Roman sensible et poétique, récit d’apprentissage amoureux, Fantoccio propose aussi une belle incursion dans la vie et les paysages de Sienne et dans la culture des tréteaux : le parcours de Fantoccio et Livia de la commedia dell’arte au théâtre de Goldoni est à l’image de la métamorphose du pantin en être humain, comme ce changement est à l’image d’un passage d’une enfance passive à une existence libre.

L’Apache aux yeux bleus

L’Apache aux yeux bleus
Christel Mouchard
Flammarion

Herman, ou la Vie Indienne

Par Michel Driol

lapache-aux-yeux-bleusEn 1870, au Texas, le jeune Herman – 11 ans – est enlevé par les Apaches. Considéré d’abord comme un esclave, il est ensuite jugé digne d’être un Indien, un guerrier,  sous le nom d’En Da, Garçon Blanc, en dépit de l’hostilité du chamane. Dans la seconde partie de l’histoire, on le retrouve 9 ans plus tard, en plein conflit contre les Texas Rangers, à l’époque où les Indiens sont  parqués dans des réserves. Finalement, les Apaches sont vaincus, et le chef comanche Quanah, d’origine blanche lui-aussi, le reconduit dans sa famille.

Le roman est tiré d’une histoire vraie, celle d’Herman Lehmann, qui a écrit sa propre autobiographie. Les personnages – celui d’Eti la jeune Apache, de Chiwat, du chef indien Carnoviste – sont tous bien réels. De facture très classique, ce roman d’aventure – western, roman de la frontière – épouse le point de vue d’Herman, véritable « tête de pioche », et montre comment il adopte une autre famille, une autre façon de penser tout en découvrant, grâce à l’amitié d’Eti et de Chiwat, les coutumes et la culture des Apaches, devenant à son tour adversaire des Visages Pâles.

L’un des intérêts de ce roman est sans doute qu’il ne cherche pas à donner de leçons et ne se veut pas manichéiste. Si les Indiens commettent un enlèvement, traitent Herman comme un esclave, sont voleurs de chevaux, se veulent guerriers, ils ne sont pourtant pas cruels, recherchent la paix et vivent à l’écoute de la nature, en harmonie avec elle, avec les esprits, accordant une grande place aux rêves. Les Blancs, avec leurs cultures et leurs sillons tirés au cordeau, leurs armes redoutables, leur volonté de parquer les Indiens dans des réserves, n’incarnent pas non plus que des valeurs positives (celle de l’amour maternel est partagée par les deux « mères » d’Herman). Même ambigüité du côté du personnage du Chamane, tout puissant, prompt à voir en Herman un bouc émissaire, et pourtant respecté par le clan. Les trois personnages principaux sont eux, au contraire, des héros positifs, par leur valeur, par leur courage, par leur amitié, par leur respect mutuel, par leur volonté de voir les autres s’en sortir – quitte à en souffrir. Subsiste à la fin l’espoir de voir en Herman un intermédiaire, un Blanc respectant et connaissant les Indiens, à une période où les Etats Unis cherchent à en finir avec eux.

Un roman qui montre comment un jeune garçon peut facilement changer de camp, mais qui plaide aussi pour une meilleure connaissance entre civilisations.

Les Rêves rouges

Les Rêves rouges
Jean-François Chabas
Gallimard (Scripto), 2015

Pourquoi les humains aiment-ils les monstres ?

Par Anne-Marie Mercier

« On ne sauvelesrevesrouges pas les gens malgré eux », ces mots clôturent le premier chapitre et l’on croit qu’ils s’appliquent à l’un des personnages, mais tout le roman diffracte ensuite cette affirmation sur chacun d’entre eux. Ce qui commence comme un roman mi sentimental-mi policier avec un zeste de fantastique s’avère être une réflexion sur ce thème de l’impuissance et de la culpabilité, tout en ouvrant une voie vers l’espoir.

Le « Méchant du lac », autrement dit Ogopogo, ou N’ha-a-itk comme le nommaient (et le nomment encore secrètement) les natifs, indiens du Canada, existe-t-il ? Ce monstre aquatique est-il si méchant ? pourquoi semble-t-il vouloir ne se révéler tout d’abord qu’aux deux adolescents qui sont au cœur de cette histoire, le narrateur, Lachlan, indien par sa mère et celle dont il est amoureux, Daffodil, fille aux yeux mauves venue d’Ottawa, qui souffre de trichotillomanie : elle s’arrache littéralement les cheveux. Cela fait d’elle une souffre douleur au collège, notamment pour la bande de petits voyous qui jusque là étaient les amis de Lachlan.

Tous les personnages sont fortement typés : les parents de Daffodil, maniaques eux aussi, mais dans un autre sens, la mère du narrateur, Flower Ikapo, forte femme qui a rompu avec les siens, Edward le pervers, Farren le drogué, un masseur tatoué accompagné de son  fils énorme et simplet, une pseudo-écossaise, une policière abrupte… Et les sentiments de Lachlan explosent comme la chaleur qui écrase les jours et les nuits de la petite ville et de son lac endormi…

Si Lachlan ne sait toujours pas à la fin du roman qui est son père, il en sait pourtant un petit peu plus ; si Daffodil n’est pas guérie de sa manie, on en découvre les raisons ; si les mères de l’une et de l’autre ne sont pas sauvées elles sont sur la bonne voie, quant aux anciens amis de Lachlan, ils lui montrent qu’on ne connaît jamais vraiment les autres : chacun a quelque chose à cacher et le dévoilement, tout en apportant la honte, ouvre une possibilité de libération : c’est ce que fait Ogopogo.

Oui, mais qu’est-ce qu’un rêve rouge? au delà de la symbolique populaire des rêves (« voir rouge », exprimer une frustration ou une passion, la violence…), on peut y voir une référence à la « couleur » de Lachlan et de sa mère, indiens en marge de la société des natifs comme de celle des blancs, mais rattachés au passé par le mythe, et inventant un avenir meilleur à travers lui.

Le 1er…

Le 1er… c’est canard
Olivier Douzou
Rouergue, 2014

Petite merveille !

Par Anne-Marie Mercier

Un canard, sur la page de couverture, c’est le canard_douzou_couv_mpremier forcément. Mais non, le livre est conçu comme une succession et l’on voit sur la page de gauche qui suit le même canard barré : « non, non quelqu’un est devant canard », tandis que sur la page de droite on lit sous l’image d’une oie « C’est oie la première à ce jeu ».

« C’est moi, dit-elle »… et tout l’album est à l’avenant : jeux de mots, clins d’oeil (à Alice avec le lapin consultant sa montre, à La Fontaine avec le renard et le fromage, etc. ), questions de logique (avec l’œuf et la poule), inversions, … Une inventivité infinie pour un album infini : la dernière de couverture s’enchaine avec la première pour un éternel recommencement qui convient parfaitement à ces animaux à l’allure de jouets mécaniques défilant sur des pages qui proposent un circuit fléché.

voir l’article de Sophie van der Linden