Les vrais filles et les vraies garçons

Les vrais filles et les vraies garçons
Audren
Editions Thierry Magnier 2025

Y’a pas d’raison

Par Michel Driol

Nouvelle élève dans une classe de CM2, Aretha découvre à la fois une maitresse proche de la retraite et une classe de CM2 dans laquelle filles et garçons forment deux clans bien séparés. D’un côté les Pipelettes, de l’autre les Machos, à la tête duquel il y a Merlin, le pire de tous, délégué de classe comme elle. Pourquoi est-ce ainsi ? Filles et garçons sont–ils si différents ? Comment réconcilier tout le monde, et découvrir alors dans la maitresse une ancienne du MLF… et fonder le club des MAJ, pour Mise à Jour…

Le clin d’œil orthographique du titre l’annonce bien : il sera question d’identité, de stéréotype et de genre… avec humour, quitte à transgresser les règles.  C’est un roman qui joue de l’alternance des points de vue, celui d’Aretha, celui de Merlin. Certes, celui de Merlin a un côté plus stéréotypé, plus caricatural que celui d’Aretha. Mais on comprendra à la fin quelles blessures lui font tenir ces propos et ces discours. Quant à Aretha, Miss Licorne en raison de l’animal qui décore son sac à dos, elle s’avère  beaucoup plus en quête de compréhension de ce qui sépare et pourrait réunir filles et garçons.  Le challenge de ce roman est de ménager des rebondissements sur un fil narratif qui, a priori, ne s’y prête guère. C’est là qu’interviennent les personnages secondaires, Mme Lancien, la maitresse, et surtout Fergus l’écossais, qui vont, petit à petit, entrainer les garçons dans le camp des filles, faisant perdre à Merlin son pouvoir. Mais c’est aussi un roman où l’on explique, où l’on réfléchit au partage des tâches en famille, au choix des vêtements, à la façon d’échapper aux déterminismes, au sens de la liberté, sans que cela ne prenne un côté didactique ou abstrait. Les situations et les réflexions sont bien incarnées, dans le désir de convaincre l’autre (le lecteur et la lectrice, aussi, par conséquent) et de progresser ensemble vers cette mise à jour des comportements souhaités par l’autrice.

S’il y a beaucoup de sérieux, dans la façon en particulier de prendre les enfants comme des êtres capables de réfléchir, de monter ensemble des projets, si l’autrice connait bien la réalité (voir, par exemple, comment des parents d’élèves s’insurgent contre ce qu’ils estiment être de l’endoctrinement de la part de la maitresse), il y a aussi beaucoup d’humour, en particulier dans la façon dont cette dernière sanctionne, par un tampon FF (faute de français) les propos non normés de ses élèves !

Un roman engagé, engageant ses lecteurs dans la voie d’une réflexion sur les stéréotypes de genre, pour changer petit à petit comportements et mentalités, que les Editions Thierry Magnier ont eu la bonne idée de republier.

Nuit comme jour

Nuit comme jour
Sophie Grenaud- Anouck Boisrobert
Rouergue 2026

Berceuse pour enfant insomniaque

Par Michel Driol

Que peut dire une mère à son enfant pour qu’il s’endorme, alors qu’il a envie de tout autre chose ? Il veut jouer, dessiner, ou qu’on lui dessine quelque chose. Elle aimerait parler du temps qui passe.

Voilà un album qui évoque une expérience que tous les parents, sans exception, ont connue, celle des enfants qui ne veulent pas s’endormir, et trouvent tout un tas de choses à faire. L’album dit bien cette situation, et ce qu’il faut de patience pour parvenir à ce qu’un enfant glisse paisiblement dans le sommeil. Il dit aussi comment, au matin, on se réveille, après avoir dormi dans le même lit que l’enfant. Qui cavalera à la fin, toute la journée qui vient ? Non pas l’enfant, mais la mère après ce temps de repos écourté…

Si cette expérience est bien partagée par tous, ce qui l’est moins, c’est la poésie avec laquelle le texte évoque ce moment particulier, temps suspendu entre le réveil et le sommeil. Le texte dit l’opposition entre deux désirs. Celui de l’enfant, inscrit dans les  tu veux, tu voudrais. Celui de la mère, introduit par les j’aimerais, j’aimerais t’apprendre, te dire…Et, pour finir, le texte dit l’amour, avec ce cœur dessiné par les baisers et le pêlemêle des corps endormis.

La poésie de l’album vient d’abord du type de lien créé entre le texte et les images. Le texte évoque tout ce que l’enfant voudrait que la mère dessine, et les illustrations montrent comment ces dessins sont créés avec les étoiles ou avec la lune. Cette complémentarité est déjà une façon de construire un imaginaire partagé, dans lequel le réel, les désirs et le cosmos s’entremêlent tendrement  Mais elle vient aussi en particulier au cœur de l’album avec les paroles non dites de la mère, dans lesquelles se développe une belle métaphore entre les courses de la grande et de la petite aiguille de l’horloge et la mère et l’enfant, dans une rêverie autour du temps. Illustration et texte se fondent alors en un calligramme disant la fuite du temps, dans un travail syntaxique jouant des reprises, des répétitions, particulièrement réussi.

Les illustrations font la part belle au ciel, qu’il soit de nuit ou de jour, ciel sur lequel se détachent en bas le lit de l’enfant et les deux personnages, dans des couleurs pleines de douceur et de lumière.

Un bel album plein de délicatesse, pour dire avec une poésie touchante  tout l’amour qui se glisse dans l’anodin, dans le quotidien, le banal, pour dire aussi notre rapport à la perception du temps, et ce désir profond de transmission. Pour évoquer enfin ce sentiment complexe éprouvé entre un temps qui passe trop vite et le désir de voir s’endormir un enfant.

Alexander von Humboldt, Explorateur de l’extrême

Alexander von Humboldt, Explorateur de l’extrême
Rocio Martinez
Saltimbanque 2025

Faire l’expérience de la nature avec ses émotions

Par Michel Driol

Ce documentaire assez particulier rend vivante la figure d’un explorateur assez méconnu en France, Alexander von Humboldt. Avec une formation d’ingénieur des mines, il a été aussi bien naturaliste que géographe ou géologue. Ses voyages l’ont conduit en Amérique, entre sommets volcaniques et fleuves comme l’Amazone ou l’Orénoque, entre la côte de l’Atlantique et celle du Pacifique, mais aussi aux confins de la Chine et de la Russie. Il a cartographié, herborisé, et passé sa vie à tenter de comprendre les interactions entre les forces naturelles, autour du début du XIXème siècle.

Très classiquement, l’album retrace de façon assez chronologique la vie de Humboldt, trois pages mettant l’accent sur ses grandes intuitions, la connexion du monde par l’eau, l’air et la terre. Chaque page associe, comme de coutume dans ce type d’album, des textes  offrant des explications, courts, agréables à lire, et des illustrations.

L’originalité est ici double. D’abord elle vient du format choisi, un format très allongé et très étroit, mais, quand on l’ouvre, les pages permettent de déployer deux rabats, proposant ainsi des pages d’un format assez gigantesque, à l‘image du monde à découvrir, du monde parcouru par cet explorateur aussi hors norme que l’album.  La seconde originalité vient de l’esthétique choisie pour les illustrations. On est loin d’un dessin qui se voudrait scientifique ou neutre. Il s’agit plutôt ici de reprendre les couleurs, les codes des peintures aztèques ou mayas. Très fouillées, très complexes, les illustrations sont à explorer sur chacune des pages, mettant ainsi la sagacité et la curiosité du lecteur en éveil, à la façon de l’homme dont il retrace la vie et les découvertes. On notera que par ailleurs les cartes, bien volontairement, ne respectent pas forcément les distances, n’ont pas les codes habituels pour être beaucoup plus dans l’esprit des cartes anciennes laissant une part importante à l’imaginaire dans une représentation plus naïve du monde.

Un album qui replace bien Humboldt dans son époque, ne cherche pas à faire de lui un précurseur, ne cherche pas à monter de façon explicite tout ce que nous lui devons (la notion d’isotherme, ou  encore la mise en évidence des différentes interactions entre les éléments naturels, dont l’homme…), un album qui fait le portrait d’un homme de son temps, un savant encyclopédiste, héritier des lumières et très sensible à la dignité des hommes, et révolté par toutes les formes d’esclavage.

Bulles de savon

Bulles de savon
Emma Giuliani
(Les Grandes Personnes) 2015

Je me souviens…

Par Michel Driol

Sur le modèle des « Je me souviens »  de Georges Perec, Emma Giuliani propose ses « Je n’ai pas oublié », comme une manière de signifier la présence du passé. Un passé lié à l’enfance, bulles de savons, cerises, sapin à décorer ou cerf-volant. Autant de petites choses, de petits rien à la fois éphémères, intemporels et gagnant ainsi une sorte d’éternité.

Ce sont autant de phrases courtes, qui juxtaposent les groupes nominaux du souvenir,  dans une forme de poésie soulignée par les rimes qui assurent un écho entre les réminiscences. Les propositions suivent les saisons ; l’été avec les cerises, la rentrée avec les fournitures scolaires, les marrons de l’automne, l’hiver avec la neige et Noël, le printemps avec le cerf-volant, et, à nouveau, l’été. Eternel recommencement des temps de  l’enfance, remplis de découvertes, de plaisirs variés et de douceur… Tout ceci culmine avec les promesses muettes échangées avec un amoureux un jour de fête d’été, comme une ouverture vers le futur. Le texte se veut une célébration des temps e l’enfance, de l’insouciance, du bonheur immédiat. On est tout à la fois dans l’intime et dans l’universel.

Mais l’album vaut aussi par son étonnante mise en page et les animations qui y sont proposées, à chaque double page. Une tirette… et voici les cerises qui rougissent. Une librairie, et voici un store à soulever, pour découvrir la devanture. Un fil tendu, et voici des fanions qui volettent. Un autre fil, et voici le cerf-volant qui s’envole à l’ouverture de la page.  A chaque page, sa surprise à découvrir, dans un graphisme très épuré et très coloré qui n’a rien de nostalgique, de figé, mais affirme la vie et le mouvement.

Un bel album animé pour dire la douceur des souvenirs d’enfance, dans ce qu’ils sont de minuscule et, quelque part, d’universel…

Vents de mémoire

Vents de mémoire
Yves Nadon – Nathalie Novi
D’eux 2025

52 drapeaux pour se souvenir

Par Michel Driol

A Dharamsala, un jeune garçon voit des drapeaux de prière flotter au vent. Cela lui donne l’idée de peindre sur des drapeaux les souvenirs de sa grand-mère, amnésique, et de les entendre sur des cordes dans le jardin de la résidence où elle habite. Des souvenirs que le vent lui porte.

Ecrit à la première personne, l’album articule trois dimensions complémentaires. Il y a d’abord l’amour de ce petit fils pour sa grand-mère, la sollicitude dont il fait preuve, et le désir de lui venir en aide pour qu’elle retrouve ses souvenirs. Il y a le présent de la grand-mère, au milieu d’autres personnes âgées comme elle, certes entourées de soignants qui prennent soin d’elles, mais  coupées de leurs racines. Et il y a enfin l’évocation de la vie extraordinaire de cette grand-mère, russe d’origine, émigrée au Canada.  De façon fine et intelligente, l’album fait alors la part belle aux illustrations de Nathalie Novi, le plus souvent sans texte, pour donner à voir les drapeaux peints illustrant la vie de la grand-mère, à travers des reproductions de photos, des objets  dans des tons pastels, comme s’ils étaient déjà à moitié effacés, ténus.

Yves Nadon propose un texte qui, dès les premières lignes, s’inscrit dans la thématique du souvenir, car le narrateur évoque l’été de ses dix ans comme époque de l’histoire racontée. Dans une belle mise en abyme, il évoque à travers ses souvenirs ceux de sa grand-mère, inscrivant ainsi une sorte de filiation, d’émouvante  transmission mémorielle intergénérationnelle. L’album prend aussi le contrepied du rôle que l’imaginaire fait habituellement jouer au vent, celui qui fait disparaitre le présent. Autant en emporte le vent… Ici, le vent rapporte le passé, l’anime, le fait revenir à la surface de la conscience, de façon à la fois magique et mystique. Cette magie, le texte la souligne, signalant bien le côté inexplicable du phénomène.

Nathalie Novi propose des illustrations en pleine page, pleinement en harmonie avec la poésie du texte. Elles dessinent plusieurs univers : celui de l’Inde, qu’elle connait bien, celui des drapeaux qui flottent ou qu’on fabrique, celui, déjà évoqué dans cette chronique, du passé de la grand-mère avant de faire flotter et danses ses personnages dans un mouvement plein de vie.

Les deux auteurs proposent ici un album poétique et sensible autour de la question des souvenirs, de l’oubli, et du lien intergénérationnel.

Merci mille fois

Merci mille fois
Didier Jean – Joséphine Onteniente
Utopique 2025

Gracias a la vida que me ha dado tanto

Par Michel Driol

Tout au long de l’album, la narratrice évoque certaines circonstances de sa vie dans lesquelles elle a dit merci. En pleine forêt, au milieu d’un orage, lorsque sa maman la console… Au garçon qui lui a envoyé son premier mot d’amour…. A celle qui l’a sauvée de la noyade… Au personnel de l’hôpital après une opération. Ce qu’elle évoque aussi, ce sont les mercis reçus, tant d’un garçon dans la cour de récréation que de celui à qui on tient la porte.

La première originalité de l’album est de montrer un personnage tout au long de sa vie, de son plus jeune âge, à table avec ses parents, à un âge avancé, se promenant avec  son bien-aimé, ses enfants et petits-enfants. Façon de prouver que dire merci, ce n’est pas réservé aux enfants, pour montrer qu’on est bien élevé, pas seulement un automatisme de politesse dénué de sens, mais que c’est un acte profond de gratitude envers l’autre. Ce qui se joue à travers ce mot, c’est une forme de lien interpersonnel  de reconnaissance, dans différentes circonstances. Les situations illustrées dans l’album vont du plus quotidien, le repas à table, le cadeau d’anniversaire aux situations les plus dramatiques, dans lesquelles la vie est en jeu. C’est bien là la seconde originalité de l’album, de redonner son sens plein et entier à ce petit mot qui entre dans le système du contre don après un don, à la condition qu’il soit humain, engageant, authentique. Ce que souligne aussi l’album, c’est qu’il n’est pas toujours facile de recevoir un merci, qu’on peut oublier de remercier, et que ce mot a pris un sens dévoyé, celui de licenciement.

En pleine page, pleines de vie et de douceur, les illustrations mettent l’accent sur le regard de la narratrice, un regard bleu, intense, profond, donnant une belle épaisseur à ce personnage et aux différentes étapes e sa vie. Une vie banale, ordinaire, avec des hauts et des bas de plaisirs et des deuils, un de ce vies minuscules, mais si proche de celle du lecteur ou de la lectrice. Un carnet de gratitude à remplir, en fin d’ouvrage, permet de garder trace des bons moments passés.

Donner un sens plus pur aux mots de la tribu, écrivait Mallarmé. C’est bien ce à quoi nous invite cet ouvrage, afin que des rapports de fraternité, authentiques, puissent se tisser entre nous.  Un ouvrage loin des ouvrages traditionnels de morale ou de politesse, mais qui milite pour plus d’humanité, pour plus d’attention les uns envers les autres. Un grand merci à l’auteur et à l’illustratrice pour nous le rappeler.

Ma maison jaune

Ma maison jaune
Catherine Girouard – Clémentine Pochon
D’eux 2025

Déménager – Partir – Reconstruire

Par Michel Driol

La narratrice habite une maison jaune, entre mare et forêt, près d’un magasin, à 83 pas de la maison bleue d’Eloi, son ami. Mais un jour elle doit déménager, et va habiter en ville, dans une maison blanche, entre un parc et une ruelle, entourée de maisons de toutes les couleurs.

Ce n’est pas le premier album jeunesse à parler de déménagement, de transition, de déracinement et d’enracinement, mais celui –ci le fait avec une grande originalité qui tient aux couleurs. L’album raconte en effet comment on passe d’un monde en deux couleurs – le jaune et le bleu – à un monde arc-en-ciel, comment, symboliquement, on passe d’un univers protégé, un peu clos, refermé sur lui-même, sur ce qu’on a toujours connu, à un univers dans lequel le blanc de la maison ne demande qu’à se parer des couleurs de la diversité du monde. Le texte parvient à créer une atmosphère poétique, liée au travail sur les sonorités (rimes ou assonances), liée aux répétitions, répétitions de quatre qualificatifs associés aux couleurs – le jaune, le bleu, le blanc -, mais aussi répétition des structures initiées par « il y a »  afin d’évoquer les alentours des maisons, répétition aussi des motifs en écho, celui du parc en écho à la forêt, celui du boulanger en écho au magasin. Cette construction en échos pleinement maitrisée est une manière de rassurer en trouvant du semblable dans le différent, donc d’aller de l’avant sans perdre ses repères.

L’album commence un peu comme une énigme, l’illustration et le texte confrontant le lecteur à un caillou jaune, dont la narratrice prétend qu’il est sa maison. Caillou transitionnel, souvenir emporté pour ne pas oublier, que l’on retrouve ensuite dans la main du personnage, lorsqu’elle se retrouve en ville. Autre énigme, celle de l’âge de ce personnage, enfant solitaire dans la maison, dont on ne voit jamais les parents, allant seule dans les magasins, mais cherchant la compagnie d’enfants. Façon de dire que les déracinements peuvent arriver à tout âge, surtout lorsqu’on n’en est pas responsable.

Les illustrations, encre noire, encre aquarelle et crayons de couleur sont d’une grande douceur. Elles jouent finement sur  les cadrages, la composition, les couleurs bien sûr pour rendre sensibles les sentiments éprouvés par la narratrice, toujours paisible, toujours calme, toujours revêtue de la même robe jaune, jusqu’à l’explosion de couleurs finale.

Se tenant toujours sur la ligne de crête entre nostalgie et nouveauté, l’album offre des perspectives intéressantes et touchantes sur la fidélité au passé, aux souvenirs, et sur l’ouverture nécessaire au futur, aux autres.

La Nuit est notre amie

La Nuit est notre amie

Zina Modiano – Caroline Péron

Gallimard Jeunesse 2025

Si, par une nuit d’hiver, deux enfants…

Par Michel Driol

Deux enfants malicieux refusent que la nuit entre dans leur chambre, et l’accusent d’être noire, froide, et méchante. Attristée, la nuit se met à pleurer des larmes qui se transforment en flocons de neige. Emerveillés par ce spectacle, les deux enfants demandent à la nuit d’entrer.

 Cet album poétique entend rassurer les enfants qui ont souvent peur de la nuit, d’abord en la personnifiant. Elle devient un personnage à part entière, dotée de sentiments, au milieu d’un monde dans lequel le jour, la lune deviennent des entités mythologiques, qui ont leur propre sociabilité. Si elle est bien noire et froide, car elle vit dehors, la nuit n’est pas méchante. Elle s’avère sensible et désireuse d’être l’amie des enfants, à qui elle promet de beaux rêves. Poète, la nuit sublime sa tristesse pour en faire le plus beau des spectacles, celui de la neige luisant sous les étoiles. Avec beaucoup de douceur et de légèreté, le texte évoque cet instant de basculement entre le jour et la nuit, entre le noir de la nuit et le blanc de la neige, entre le refus de la nuit et son acceptation.

Les illustrations, toutes en ondulations, en courbes, contribuent à créer cette atmosphère de douceur. Réalisées au crayon de couleur, dans des dominantes bleues réchauffées par des touches de rose et d’oranger, elles donnent à voir une nuit calme, mais pleine de la vie d’animaux sauvages. Il s’en dégage une grande sérénité propre à lutter contre la peur du noir et de l’inconnu.

Longtemps, je me suis couché de bonne heure… Un album qui revisite l’instant du coucher, inscrivant celui-ci dans un cycle immuable, celui de l’alternance entre le jour et la nuit, comme pour dire qu’il faut accepter ce moment, ne pas en avoir peur, mais l’accueillir avec confiance pour laisser place aux rêves.

Dans ma petite maison

Dans ma petite maison
Suzie Morgenstern / Charlotte Pirotais
Gallimard Jeunesse – Enfance en poésie – 2025

Le poème comme une maison de mots

Par Michel Driol

10 poèmes dont les titres sont des éléments bien connus des maisons : lit, chaise, toilettes, table, étagère, commode, coffre, fauteuil, bureau, lampe. Poèmes tantôt en je, tantôt en tu, tantôt en il/elle, poèmes qui inscrivent en creux la figure d’un enfant dans un univers familier, un enfant curieux, joueur, rêveur, émerveillé par le monde.

Des textes pleins d’humour et souvent inattendus. Légèrement transgressifs, comme celui qui est adressé aux toilettes, proclamant l’utilité des objets, énumérant leurs contenus,  évoquant la famille ou les amis. Des textes qui parfois donnent la parole aux objets, qui effectuent un parcours qui va du lit  à la lampe qu’on éteint avant de faire de beaux rêves. On y croise les livres, objets familiers qu’on range sur les étagères ou, objets insolites dont on découvre l’existence dans le coffre à jouets. On y rencontre aussi, autour de la table, toute une famille élargie aux amis. Paradoxalement, on y joue peu, sauf avec les mots que les rimes apparient, de façon parfois cocasse : caca et délicat, bébé et mémé, parfois plus classiquement : nuage et voyage. La rime est l’occasion de voir que dans la réalité, la table ne rentre pas dans le cartable, alors qu’il en va différemment avec les mots.

Chaque poème occupe une page, illustrée dans un style enfantin et coloré par Charlotte Pirotais, qui mêle objets, enfants et animaux de joyeuses farandoles, entrainant dans un univers de fantaisie bien en harmonie avec les poèmes. Pour les plus grands, signalons aussi la préface de Guy Goffette qui invite à pousser la porte de la poésie pour faire exister ce qui n’existe que par les mots.

Un recueil qui montre – sans chichis –  que tout peut être mis en mots, pour peu qu’on s’intéresse aux objets et qu’on les regarde avec attention.

De moi à toi

De moi à toi
Julia Billet – Nadège Baumann
Editions du pourquoi pas ?? 2025

C’est un jardin extraordinaire…

Par Michel Driol

Un après-midi de pluie au jardin, au milieu ders bruits de la pluie ou de la poule, une petite fille entend quelque chose. Le bruit de la chute d’une girafe, qu’elle s’empresse de consoler. Commence alors un jeu de cache cache, puis un gouter qu’on partage.

L’ouvrage s’adresse aux plus jeunes. On retrouve ici un enchainement de schèmes d’action bien connus dès l’enfance : jouer, consoler, faire un câlin, gouter. A ceci près qu’on passe vite dans l’imaginaire avec la rencontre avec la girafe, animal assez incongru dans un jardin. Mais qu’à cela ne tienne ! Dans les albums, tout est possible ! Le texte est particulièrement travaillé : assonances et allitérations bien marquées, rimes, onomatopées donnent à entendre une langue à la poésie simple et accessible. Une autre de ses particularités est d’être écrit à la seconde personne du singulier. Ce n’est pas la fillette qui parle, c’est à elle que l’on parle, à elle, mais aussi, forcément, au lecteur à qui un adulte lit le livre, façon d’identifier le personnage et le destinataire de l’album.  Dès lors, le texte se fait invitation, invitation à écouter les bruits de la nature, invitation à regarder,  invitation à consoler par les mots, invitation à jouer, invitation enfin à gouter, et surtout à partager son gouter.  Au plaisir de sens (l’ouïe, la vue, le toucher, le gout) s’ajoute le plaisir du partage et de la convivialité.

Chaque page de texte est suivie de deux pages d’illustrations. La première pleine page, tandis que la seconde, découpée en 7 ou 8 vignettes, attire l’attention sur des détails de la page précédente, qu’elle reproduit. Cela peut ainsi devenir un jeu de cherche et trouve. Si le texte n’évoque qu’une enfant et une girafe, les illustrations montrent un jardin peuplé d’enfants qui jouent, observent, de jeux, des dominos aux quilles, et surtout d’animaux, de la girafe du texte au serpent en passant par les poissons, ce jardin devient un véritable paradis dans lequel le soleil succède à la pluie.

Un album qui, à partir de situations simples, d’illustrations pleines de vie et de couleur, est une invitation à aller de soi vers l’autre, pour tout partager, bananes et cornichons, dans un grand mélange de plaisirs et de saveurs !