Une Chose formidable

Une Chose formidable
Rébecca Dautremer
Sarbacane, 2023

A la recherche du souvenir perdu

Par Laure-Hélène Davoine

Dans cet album, on retrouve Jacominus Gainsborough, cet adorable lapin, dont nous avions déjà suivi les aventures dans Les riches heures de Jacominus Gainsborough, Midi pile et Une toute petite seconde.
Jacominus a jardiné toute l’après-midi et il s’autorise une petite sieste dans l’herbe, avant la venue de son ami de toujours, Policarpe. Juste avant de s’endormir, un souvenir enfoui, le souvenir d’une chose formidable, surgit tout à coup de sa mémoire, mais à son réveil… impossible de le retrouver ! Jacominus et Policarpe vont alors partir à la recherche de ce souvenir formidable. A force de réflexion et de concentration, ils extirperont cinq souvenirs de leur mémoire, des souvenirs qui leur permettront de retracer ensemble le chemin de leur belle amitié. Puis ils parviendront enfin à retrouver le souvenir ultime et insaisissable… le secret qui scelle le début de leur histoire.
L’histoire peut aussi s’écouter, car l’album est accompagné d’une version lue par l’auteur (CD ou QR code à scanner) et mise en musique et en bruitages. Comme le dit Rébecca Dautremer, dans le prologue qui s’adresse au lecteur « tu percevras ainsi la musique des souvenirs de Jacominus et de son ami, Policarpe ». Et c’est vrai que ces souvenirs ont une musique particulière, musique que l’on peut retrouver illustrée dans les 6 grandes double pages de l’album. Des images un peu déformées, décalées, oniriques comme des images oubliées, cachées, enfouies, qui peinent à retrouver une réalité.
Les illustrations sont magnifiques. Des couleurs vives pour les images du présent dans le jardin (Quelle merveille que ce cerisier en fleurs !) puis des teintes plus sépias pour les images qui suivent et plongent plus profondément dans le passé et les souvenirs lointains. Une magnifique palette !  On retrouve rapidement un rythme dans les pages de l’histoire, rythme qui aide l’enfant à tourner les pages de son livre, en en écoutant la version audio.  Sur fonds blanc, Jacominus et Policarpe, assis, se concentrent ensemble sur ces souvenirs qui leur échappent, se questionnent pour aider à définir le souvenir manquant. Une image en double page apparait ensuite, comme la pensée brouillonne de ce souvenir qui peine à émerger de leurs esprits connectés (dans le CD, il s’agit de plages musicales). Puis vient le récit du souvenir retrouvé, accompagné de l’image du moment évoqué, précis, réel. On recule avec Jacominus et Policarpe dans leur histoire, on les suit dans les moments forts de leur passé.
C’est une belle promenade dans les souvenirs que nous propose ici Rébecca Dautremer ainsi qu’un joli regard sur l’amitié. Un album complet, ravissant les yeux et les oreilles, qui nous invite à la réflexion et à la rêverie.
Pour écouter son interview sur France Culture à propos de cet album

À l’école il y a (encore) des règles!

À l’école il y a (encore) des règles !
Laurence Salaün, Emmanuelle Cueff, Gilles Rapaport
Seuil jeunesse, 2023

… mais on rit toujours autant !

Par Anne-Marie Mercier

À l’école, il y a des règles ! des mêmes auteurs, voilà une nouvelle liste… Le succès de l’ouvrage précédent est confirmé par les nombreuses vidéos que l’on trouve sur Youtube, pas toujours réussies… A contrario, j’en ai vu une, avec une posture que je trouve intéressante et qui illustre ce qu’il ne faut pas faire avec cet album :  on ne se moque pas des enfants, on n’insiste pas sur le fait que leur bonne volonté est souvent  insupportable (le texte le suggère assez), on est juste un peu sarcastique vis-à-vis des ruses des parents ; le tout est dit avec un ton un peu rigide, ce qui va bien avec le texte et fait un contraste comique avec la loufoquerie des images.

Que de règles à apprendre, pour les enfants ! Mais encore que d’humour, aussi bien dans le texte que dans l’image. On y lit l’exaspération des adultes devant les questions répétées, les injonctions ignorées, les inventions et drôleries moins drôles quand il faut en essuyer les conséquences. On y lit aussi tout l’apprentissage nécessaire pour devenir élève…
Au milieu d’injonctions simples, surtout en forme de négation, on trouve des conseils pour persévérer malgré la difficulté, à faire face à ses responsabilités et réparer les erreurs, faire confiance… et ne pas faire la leçon à la maitresse sur le brachiosaure !
Voir quelques pages sur le site de l’éditeur

Rappelons les chroniques de Christine Moulin sur les livres de Gilles Rapaport et Laurence Salaün, Alors, c’est quoi la vie? (2021) et des mêmes, avec déjà Emmanuelle Cueff, C’est quoi être un bon élève ? (2017)

 

L’Incroyable Petite Histoire du renard, du caca et de la fourmi

L’Incroyable Petite Histoire du renard, du caca et de la fourmi
Edouard Manceau
Seuil jeunesse, 2023

Incroyable !

Par Anne-Marie Mercier

Le titre ne ment pas : c’est une toute petite histoire, et c’est incroyable. C’est très drôle aussi. Les personnages du titre pourraient illustrer une fable de la fontaine, mais il y a un intrus : le caca. Cet objet célébré depuis quelques années par de nombreux albums est ici un personnage et il joue un rôle étonnant. C’est aussi un titre gigogne : la fourmi n’existe pas au départ, et en théorie il y a un duo et non un trio.
Le renard se promène et est pris d’un besoin pressant. Il se cache derrière un gros tronc d’arbre, puis il revient sur le devant de l’image, croyant être libéré. Mais non : voilà le caca muni de petites pattes qui sort de derrière l’arbre, et court à sa poursuite. La suite est tout aussi surprenante avec une métamorphose : le caca passé par une petite mare se transforme en fourmi. Est-ce sûr ? Ce ­pourrait être une substitution humoristico-scatologique. L’histoire (en est-ce une ?) s’achève dans le non-sens et l’évocation de petits bonheurs.
Les images en doubles pages, stylisées et réalisées avec des papiers ou des tissus collés sont d’une simplicité totale, comme sait si bien le faire Edouard Manceau. C’est ébouriffant de simplicité et de drôlerie.

La Saison des disparus

La Saison des disparus
Matthieu Sylvander
L’école des loisirs (médium), 2023

Flon-flons et enlèvements

Par Anne-Marie Mercier

Ce gros roman commence comme un pastiche savoureux de Jane Austen, très à l’honneur en ce moment, notamment avec de nouvelles adaptations de ses œuvres par la BBC, déclinées en mini séries (Raison et sentiments, Orgueil et préjugés…).
Donc le roman présente les ingrédients indispensables à cette atmosphère : deux sœurs, venant de la province, découvrent la bonne société londonienne au cours de la « saison », le temps des bals où les jeunes filles sont présentées à des jeunes gens fortunés, en espérant qu’elles feront un beau mariage. La critique sociale est allègre, souvent pimentée par des personnages secondaires qui font sourire : ici, les parents, la tante chaperon, un pasteur qui cherche l’âme sœur…

Ici le miracle arrive très vite (l’ainée rencontre le jeune home parfait, riche et amoureux), afin de couper court aux essayages de robes et autres futilités pour laisser place à l’aventure : la cadette, qui a fait la connaissance d’un jeune journaliste famélique enquête avec lui sur des disparitions mystérieuses d’enfants. Elles se sont produites dans un temps long et sur un espace géographique large. Des indices leur font penser que des enfants de Londres seront les prochaines victimes : on embarque avec les deux jeunes gens, accompagnés de l’ainée et de son soupirant, et de l’ami du soupirant (intéressé lui aussi par la cadette). Interrogatoires, enquête, cavalcades, enlèvement, poursuites… tout est là pour croiser le roman sentimental avec le roman d’aventures.

Histoires de Lou

Histoires de Lou
Natali Fortier
Rouergue 2023

Récits pour rêver…

Par Michel Driol

Voici Lou, une petite fille coiffée d’un chapeau de loup, qui rencontre un lutin, ensorcelé. Une sorcière l’a privé de tous ces rêves. Pour lui faire oublier son malheur, Lou lui raconte ses aventures. Et ce sont douze récits, qui mettent en scène un loup, un éléphant, un octopode, sa maman, un milliardaire, un escargot, Pinocchio… Douze récits qui entrainent discussion, commentaire entre des personnages de plus en plus nombreux qui rejoignant Lou et le lutin, qui, à la fin, on s’en doute, a retrouvé ses rêves et peut, à son tour, devenir narrateur. Mais ce sera peut-être l’objet d’un autre livre !

Ces histoires pleines de fantaisie, loufoques, imaginaires sont pleines de gaité. Lou s’y révèle espiègle, déterminée, polyglotte, pleine d’idées, y compris pour sauver la planète ! Elles nous entrainent dans des univers marins ou terrestres, où Lou et les animaux, quels qu’ils soient, vivent en bonne entente. Et, des animaux, on en croise beaucoup, et de toutes les espèces ! Le texte est plein de légèreté, d’humour. Il sait jouer parfois avec les rimes, souvent avec les jeux de mots (en particulier pour les noms des personnages) et va même jusqu’à déconstruire la langue par un zozotement qui change certaines consonnes. C’est bien tout l’univers quelque peu surréaliste de Natali Fortier que l’on retrouve ici, illustré tantôt de peintures à l’huile naïves et colorées (pour les récits), tantôt de dessins aux crayons de couleur pour les réactions de l’auditoire. Comme dans les Contes de Mille et une nuits, telle Shahrazade, Lou utilise le pouvoir du récit pour briser les sorts, redonner des rêves, comme un clin d’œil aux pouvoirs de l’enfance. Comme dans le Décaméron ou l’Heptaméron, ces récits enchâssés sont suivis de commentaires entre leurs auditeurs, ou de l’évocation de leurs réactions, elles aussi pleines de joie !

Un recueil de récits, que l’on lira d’une traite, ou que l’on savourera à petites doses pour entrer dans un univers enfantin souvent déjanté !

La Sourcière

La Sourcière
Elise Fontenaille
Rouergue épik 2021

Au pays des volcans endormis

Par Michel Driol

Un soir de lune rousse, la Brodeuse recueille une jeune fille enceinte, qui meurt en donnant naissance à une fillette à la chevelure rousse, Garance. Celle-ci se révèle savoir côtoyer les animaux, adopte une renarde, et a le don pour faire naitre de l’eau un été de sécheresse. Protégée par l’Archevêque, à l’abri derrière un voile d’invisibilité, la Brodeuse élève Garance, avec l’aide de la Gitane, du Luneux et du Vielleux. Mais près de là rode le terrible Saigneur et ses Moines rouges. Et Garance est si jeune et  belle…

On est dès l’abord séduit par l’écriture d’Elise Fontenaille dont les mots, les phrases courtes, souvent nominales, la façon de nommer les personnages, créent un univers à part, un univers à la fois bien réel, dans ses notations, son souci du détail et un univers merveilleux, par la magie omniprésente. Si les personnages ont des pouvoirs secrets, connaissance fine des plantes, pouvoir de métamorphose, s’ils ont un nom (Gallou, Garance), il sont surtout dénommés par leur activité, comme un surnom, et cela contribue à faire pénétrer le lecteur dans cette petite communauté en marge du monde, vivant de son art (la broderie, la musique…). Univers féminin pour une grande part, avec, en arrière-plan, les figures tutélaires des sorcières, guérisseuses et détentrices de savoirs, figures traquées. Mais quelques hommes ne manquent pas d’intérêt, comme cet aveugle, le Luneux, ou, mieux encore, l’Archevêque, un prélat qui a perdu la foi mais profite de sa position sociale pour protéger la Brodeuse et empêcher qu’on brûle des sorcières.

Personnages de conte, donc, inscrits dans un lieu de pierres noires, les abords de l’Abbaye de Chanteuges, dans un temps, le Moyen Age, inspirés de l’histoire locale (l’abbaye fut effectivement repère de brigands), personnages que l’on sent menacés sans cesse. La force de l’histoire est de faire pressentir le combat que devra mener Garance contre le Saigneur, combat étonnant qui lui révèlera à la fois son origine et rendra au Saigneur une partie de son innocence, comme une ultime rédemption. Dans cette histoire de communion des femmes avec la nature, les animaux jouent un grand rôle : une chouette, un chien, une salamandre qui, au fil de ce récit, prennent la parole pour se dire, donner leur point de vue sur les humains. L’ensemble, pleinement réussi, est plein de poésie, voire parfois d’un certain lyrisme dans l’expression des sentiments, montrés ou cachés.

Des femmes libres, courageuses, fortes d’une force pleine de mystère et de sources ancestrales, dans un univers de conte plus que de fantasy où rôdent les menaces, pour une histoire envoutante à la fois simple dans sa linéarité, et pleine d’humanité complexe.

Les 9 Vies extraordinaires de la Princesse Gaya

Les 9 Vies extraordinaires de la Princesse Gaya
Annie Agopian, Fred Bernard, Anne Cortey, Alex Cousseau, Anne Jonas, Henri Meunier, Ghislaine Roman, Cécile Roumiguière, Thomas Scotto et Régis Lejonc (aux dessins)
Little Urban 2023

De la Bavière au Mexique, en passant par la Chine…

Par Michel Driol

Sigrid est enceinte lorsque son mari, le roi Ulrick, part pour la guerre. Elle conclut un pacte avec la mort : la vie de son enfant à naitre contre elle de son époux. La mort accepte, mais permet à cette enfant de vivre 9 vies, comme les chats (récit signé Ghislaine Roman). Sous des noms différents, à des époques différentes, Gaya va vivre ces neufs vies, signées chacune d’un auteur ou d’une autrice différente.

Un mot d’abord sur la genèse de cet ouvrage exceptionnel à plus d’un titre. A neuf de ses auteurs et autrices préférés, Régis Lefranc a adressé une illustration, leur demandant d’écrire la vie d’une princesse victime d’un sortilège. Cette illustration imposait de fait un lieu et une époque. Après l’écriture, les auteurs se sont réunis pour vérifier la cohérence de l’ensemble.

Au gré des 9 vies, on se promène ainsi dans la Chine impériale (Alex Cousseau), en Grèce (Thomas Scotto), en Amérique du Sud (Fred Bernard), entre l’Angleterre et Nassau (Anne Jonas), à Saint Domingue (Annie Agopian), en Angleterre (Anne Cortey), en France peut-être (Cécile Roumiguière), et, pour finir, au Mexique (Henri Meunier).

Chaque autrice et auteur arrive avec sa marque de fabrique, son style d’écriture, ses thèmes de prédilection. Gaya change ainsi de nom (Gaya, Gawa, Gillian), est présentée à différents stades de sa vie (enfant, adulte, vieille femme), set confrontée à des problématiques différentes. Pour autant, à la différence de nombre de récits à plusieurs mains, celui-ci ne manque pas d’unité au-delà des diversités de lieux, d’époques, de destins qu’on a signalés. D’abord par les thèmes récurrents, dont, bien sûr, celui de la mort qui rôde depuis la première histoire jusqu’à la dernière, belle et profonde discussion de l’héroïne avec la Mort. Mais ce sont aussi des thèmes très actuels, comme la liberté des femmes, le mariage forcé, l’esclavage, le colonialisme, la maltraitance. Sous ses différentes incarnations, Gaya  fait preuve de force d’âme, de courage, même si, souvent, ses tentatives se soldent par des échecs (comme dans la terrible histoire centrale, où Gaya, enlevée et recueillie par des pirates, cherche à se venger de son père qui la renie). L’unité du recueil vient aussi du genre dominant, le conte, dans tous ses aspects. Motifs comme le pacte avec la mort, la quête, les forces mystérieuses de la nature, inscription dans des univers plus proches de la mythologie, d’Alice au Pays des Merveilles ou de Peter Pan, c’est le merveilleux qui traverse ces 9 récits, renouvelant ainsi toute une tradition qui fait de la petite fille l’héroïne des contes et la détentrice de secrets, ou de pouvoirs surnaturels.

L’unité vient aussi de Régis Lejonc, illustrateur unique, qui crée des mondes différents, mais traités dans une grande unité. Des images fortes, aux couleurs puissantes, en grand format, aux nombreux détails créent cette harmonie graphique qui, pourtant, emprunte à de nombreux univers (Miyazaki, sans doute, l’art nouveau, la ligne claire…).

9 vies, pour des lecteurs de 9 à 99 ans… Voilà bien le défi que relève superbement cet album hors-normes, à la fois par son format, son épaisseur, sa genèse, sa façon de faire la place belle à l’imaginaire et au rêve, pour entrainer ses lecteurs sur des chemins inattendus, mais qui tous parlent de nous, des femmes et de la condition humaine.

L’Arrêt du cœur. Ou comment Simon découvrit l’amour dans une cuisine

L’Arrêt du cœur. Ou comment Simon découvrit l’amour dans une cuisine
Agnès Debacker, illustrations d’Anaïs Brunet
MeMo (Polynie), 2018

Cœurs brisés dans une théière

Par Anne-Marie Mercier

Simone, la voisine âgée de Simon, son amie et autrefois sa nounou, est morte d’un arrêt du cœur. C’est Françoise, la concierge, qui l’a trouvée et a appelé les pompiers. Depuis Simon ne cesse de demander à Françoise de lui raconter encore et encore l’événement tel qu’elle l’a vécu. Sa présence/ absence le hante, jusqu’au moment où il. Se souvient d’un papier compromettant qu’il avait mis dans ce que Simone appelait sa « théière à vœux » : une vieille théière qui ne servait plus dans laquelle elle et ses visiteurs notaient sur des petits buts de papier ce qu’ils souhaitaient le plus au monde.
Aller dans l’appartement vide, subtiliser la théière, lire les petits papiers de tous, découvrir le secret de Simone, un secret nommé Farid, tout cela conduit Simon à une enquête sur la jeunesse de son amie : interrogatoires, recherche de témoins, plongée dans l’histoire… Et c’est une belle histoire qui s’y raconte, avec un superbe portrait de femme comme il y en a trop rarement en littérature pour la jeunesse : célibataire, ni mère ni grand-mère, amoureuse. La mort ici est un « arrêt du cœur » : la vie cesse quand cesse le lien avec l’être aimé. Émotion humour, tendresse, toutes les émotions se réunissent chez Simon et sa co-enquêtrice, la nièce de Simone.
Les belles illustrations d’Anaïs Brunet ajoutent au charme de l’histoire, avec ce qu’il faut de respiration, de distance, de stylisation, de réinterprétation et de couleur. Cet ouvrage a obtenu le prix Sorcières 2020.

 

Possession

Possession
Moka
Ecole des Loisirs Medium + 2022

Maison hantée ?

Par Michel Driol

Lorsque Malo, qui a environ 10 ans, revient chez lui après avoir passé deux mois dans une maison de repos, à la suite d’un épouvantable drame familial, il a du mal à renouer le contact avec ses parents et sa sœur ainé. Tous semblent sombrer de plus en plus dans la folie. Malo, quant à lui, est persuadé que la maison lui en veut : bruits inquiétant, formes bizarres, déplacements d’objets. Il s’en confie à une camarade d’école, Al, dont la sœur, aidée d’un curieux historien local, va mener l’enquête…

Comme tout bon roman fantastique ou d’épouvante, celui-ci s’ancre d’abord dans le réel. Les premiers chapitres, avec une forte dimension psychologique, nous plongent dans l’état d’esprit de Malo, dans le souvenir oublié d’une terrible tragédie dont personne, dans la famille, n’est sorti indemne. Ces premières pages ne présentent pas seulement les personnages. Elles contribuent à créer une impression oppressante, inquiétante, qui ne se dément pas. Tous les personnages de la famille, à l’exception de la grand-mère qui disparait vite du roman, semblent atteints par une folie insidieuse, celle du rangement pour la mère, phobie des réseaux et de la télévision pour le père. A cette famille anxiogène s’opposent d’autres personnages, en contrepoint bienvenu. Al, la petite copine, pleine de fantaisie et de désirs de métiers futurs, qui n’a pas la langue dans sa poche, Sa sœur, qui va petit à petit tomber amoureuse du jeune historien. Personnages pleins de vie, de légèreté, qui enquêtent sur le passé, sur le nom étrange de la rue où habite Malo, Rue de la Roue d’Abandon… La force du roman est de nous faire basculer petit à petit dans un récit d’épouvante, en semant des petits indices qui, d’abord, n’ont l’air de rien, mais en nous emmenant ensuite dans un univers de maison diabolique à laquelle il parvient à nous faire croire en maitrisant la montée de la peur, la montée du drame, la montée de la tension, la montée de la folie jusqu’à un climax terrifiant dans la plus pure tradition du genre.  Si le ressort dramatique est bien la peur – à la fois celle qu’éprouvent les personnages, celle qu’éprouve aussi le lecteur, en filigrane c’est aussi des dangers qui assaillent les enfants qu’il est question. Dangers qui rôdent depuis le moyen âge, comme une sorte de malédiction et qui rendent précieux les personnages comme la grand-mère protectrice et aimante, ou le couple d’amoureux qui se prennent de compassion pour Malo.

Un roman d’épouvante à lire d’une traite, avec des dialogues souvent savoureux qui équilibrent une atmosphère aussi terrifiante que possible !

Battlestar botanica

Battlestar botanica
H. Lenoir
Sarbacane (Exprim’), 2023

Space opera vitaminé pour jeunes lecteurs

Par Anne-Marie Mercier

Quel beau roman !
De l’espace (on saute d’une galaxie à l’autre en quelques secondes) et pourtant on reste en huis-clos (on vit à bord d’un vaisseau spatial, le Loquace, avec son équipage sans presque en sortir),
De l’humour et de la gravité,
De l’amour et de la méfiance,
Une intrigue qui avance tout en revenant à son point de départ,
Des mères manipulatrices, ce qui ne les empêche pas (peut-être) d’être aimantes,
De belles amitiés improbables et des jeux innocents.
Des contrebandiers de l’espace et des gardiens de l’ordre,
Des aliens gentils, des insectes géants, des chats…
Le livre commence avec une certaine simplicité : les personnages sont présentés avec leur portrait en pied, la liste des éléments marquants de leur vie, leur famille et leurs relations, leurs compétences, pour s’achever avec un pourcentage indiquant leur discrétion et leur efficacité. En somme, ils sont fichés et on devine vite qu’ils sont dans une situation aussi précaire que le Han Solo de Star Wars (film auquel renvoie le titre) aux commandes du vieux Faucon Millenium, accompagné de son fidèle Chewbacca, la solitude en moins.
La capitaine du vaisseau spatial a embarqué comme pilote sa fille de 17 ans, Kani : dans ce monde, seuls les jeunes sont capables d’entrer en symbiose avec le vaisseau (la symbiose ressemble à celle que l’on voit dans Astréa, paru la même année chez le même éditeur et destiné à des lecteurs plus âgés) et ils sont exploités et embrigadés pour cela. Avec eux naviguent une guide à l’apparence d’un grand oiseau de sexe féminin (genre dominant chez eux), un soldat braillard de 49 ans, un mécanicien appartenant à une espèce gigantesque d’insectes aux pouvoirs étonnants, espèce qui a décimé les terriens des siècles auparavant, son assistant mécanicien, gentil garçon de 19 ans, malentendant, qui casse parfois ses appareils auditifs, ce qui oblige tout l’équipage à utiliser la langue des signes, un biologiste humain calme, âgé de 44 ans, un assistant biologiste issu de la même espèce que la guide mais plus petit et surtout plus jeune, manipulé à distance par sa mère qui l’a chargé d’espionner l’équipage… À cette équipe s’ajoute une très jeune humaine qui a fui sa planète pour échapper à un enrôlement forcé dans un projet de reproduction de jeunes pilotes.
Ils ont une mission cruciale pour la survie des humains et de leurs alliés et devront pour la remplir lutter contre de féroces concurrents, pratiquer l’espionnage dans une Académie de formation de pilotes au cœur d’un empire raciste et spéciste, combattre jusqu’à la mort contre des flottes ennemies supérieures en nombre et en armes… assistés par leur chat Dagobert (eh oui, comme le chien du Club des cinq), maitre de tout de tous.
Les personnages sont attachants, même les plus étranges. Les relations entre les membres de l’équipage (sans oublier le chat) sont  riches malgré les différences et les difficultés de cohabitation ou de compréhension. De nombreux non-dits les irriguent, notamment entre les membres d’une même famille ou d’une même espèce. Admiration, tendresse, agacement, amour, haine… les sentiments à l’égard des uns et des autres fluctuent sans que jamais la trahison ne les abime. Enfin, le choix de raconter à travers des points de vue différents dans chaque chapitre donne à la narration beaucoup de relief, surtout lorsque le porteur du point de vue est un peu différent de l’humanité courante : le monde vécu par un sourd, par un oiseau, par être appartenant à une espèce dominée par les femmes, etc. apparait comme bien différent de l’ordinaire, et cela culmine lorsque c’est le regard du chat qui nous emmène. Le roman est drôle, toujours surprenant, attachant. H. Lenoir a fait paraitre chez le même éditeur Félicratie, un volume décrivant dans le même monde les batailles des siècles précédents ; il semble être lui aussi un petit bijou.
À ne pas manquer !