Tout autour de toi

Tout autour de toi
Meg Fleming – Richard Jones
Didier Jeunesse 2022

Tous les matins du monde

Par Michel Driol

Comme l’indique le titre, l’album s’adresse à un enfant, souvent représenté sur l’illustration sous différents aspects. Sous forme de conseils, de suggestions, le texte l’invite à observer finement ce qui  l’entoure, ce qui se cache sous les choses, les empreintes dans la neige, le feu de camp ou les couleurs du ciel. Forêt, monde aquatique, animaux, ciel, jour, nuit, hiver, été, intérieur de la maison… l’album organise une exploration assez complète du monde, de tout ce que l’on peut dessiner… avant d’inciter à regarder aussi à l’intérieur de soi.

Reviennent régulièrement, comme un leitmotiv, les mots « Oh merveille ! Quelle merveille ». C’est dire qu’il est question ici du merveilleux que l’on peut trouver dans les choses les plus quotidiennes, pour peu qu’on y soit attentif et qu’on sache l’observer. C’est un album qui invite à la contemplation du monde. Comme une leçon de vie, dans laquelle l’important est de saisir ce qu’il y a de magique dans l’instant qui passe, dans le petit rien, si banal, si quotidien, mais si porteur de vie cachée, à l’image de ces fourmis qui s’agitent sous la pierre, véritable microcosme de notre monde. Tout en sobriété, le texte joue sur la mode de l’évocation, de l’incitation, plus que sur celui de la description : des verbes, des noms plus que des adjectifs. A chacun de se faire ses propres images, ou de se perdre dans celles que donnent à voir les illustrations, extrêmement variées, tant par le choix des plans, des couleurs, des « merveilles » représentées, bien représentatives de l’extraordinaire diversité du monde auquel l’ouvrage veut nous rendre sensibles.

Un album qui tente de définir un art de vivre, dont la dimension poétique est indéniable, et qui, à une époque où les enfants sont souvent des zappeurs, veulent aller trop vite, les invite à prendre leur temps dans la contemplation.

Si le singe fait des singeries

Si le singe fait des singeries
Simone Mota – Elise Carpentier
Six citrons acides  2023

Animaleries…

Par Michel Driol

C’est à un drôle de mariage que les illustrations nous font assister, celui du coq et de la poule. On suit de page en page le cortège des animaux, jusqu’à la salle des fêtes où se tient la réception, où l’on boit, où l’on danse avant la photo finale.

Mais c’est à un autre mariage que le texte nous convoque, celui entre un nom d’animal et le même nom, augmenté du suffixe –rie.  Tout commence par l’inducteur du titre, si le singe fait des singeries, puis on part dans la création verbale la plus rigoureuse et la plus pure l’éléphant fait des éléphanteries et l’hippopotame des hippopotameries… Parfois, on croise, comme par hasard, des noms qui existent vraiment poissonnerie, coquetterie, chèvrerie… Parfois c’est le règne de l’à-peu-près, le phoque fait des moqueries, oups ! des phoqueries.

Voilà donc un cortège d’animaux, un bestiaire loufoque et inventif, créatif et joyeux. Il s’agit bien ici de jouer avec  la langue, en reprenant une structure de dérivation en -rie, génératrice de substantifs, bien établie en français, pour, à la façon des enfants qui explorent leur langue en créant des néologismes, proposer de nouveaux mots dont on cherchera un sens possible peut-être sur l’illustration. Cette dernière renforce les mots existants (la coquetterie du coq), donne des pistes pour zèbrerie (avec  ce zèbre peintre de rayures) ou hippopotamerie (avec cette façon qu’a l’hippopotame de manger des petites fleurs pour en expulser des grosses). C’est à une fête de la langue que nous sommes conviés, une fête qui repose sur l’attendu et l’effet de surprise, mais surtout sur le plaisir de la rime qui est ici un mariage entre des mots réels et des mots inventés. Il n’est que de lire, comme un étonnant inventaire à la Prévert, la liste des mots en rie prononcée par l’oiseau dans une des dernières pages, qui se clôt par « courgettes au riz ».

Il ne suffit pas de dire que la langue et l’orthographe sont des choses sérieuses… on peut être sérieux sans être ennuyeux, et mettre à distance la langue par le jeu, le rire, n’est-ce pas le meilleur moyen de la faire sienne ? Maitriser la langue, c’est savoir la prendre comme un superbe terrain de jeu, être capable de jouer avec les normes et de s’en affranchir. Tel est le parti pris par les éditions Six citrons acides dans leurs publications. On ne saurait que leur en savoir gré !

Pia

Pia
Jacques (Maes) & Lise (Braekers)
Format 2023

Une page arrachée

Par Michel Driol

La page la plus précieuse du livre de Pia a été arrachée (et, matériellement, elle l’est réellement dans l’album) et s’est envolée. La fillette part à sa recherche en rencontrant, page après page de personnages étonnants : la dame aux origamis, un homme enrhumé, une femme qui a un gros chagrin d’amour, un scaphandrier… dans des lieux surprenants : un coffre-fort, un etui à guitare, des poubelles… Mais lorsqu’elle retrouve sa page, tous les personnages qu’elle a rencontrés l’accusent de la préférer aux histoires qu’ils auraient pu lui raconter, et déchirent la précieuse page. Pia ne se décourage pas, elle reconstitue le puzzle. Ce n’était pas la page d’un livre, mais d’un carnet sur lequel elle a fait un dessin qu’elle s’apprête à offrir à son meilleur ami, immobilisé sur un lit d’hôpital…

 Adoptant la structure d’un album en randonnée, voici un album qui conduit le lecteur de surprise en surprise. Surprise d’abord de ces personnages que croise Pia, personnages dont la fantaisie est accentuée par l’illustration qui tend à la caricature, exagère, grossit le trait, ou laisse percevoir des détails amusants qu’on laissera à chacun le soin de découvrir. Surprise ensuite du texte, qui associe, sur la page de gauche, deux éléments. L’un est narratif et court, faisant avancer l’action, avec une forme plus ou moins rimée. L’autre, en bas de page, ce sont les propos tenus par le personnage, propos à chaque fois versifiés, mais dont le dernier mot est tronqué. Le système des rimes permet de le reconstituer, mais c’est aussi le signe que Pia n’écoute pas, et qu’elle est déjà passée à la suite. La chute présente une double surprise qui invite à réinterpréter l’album. Qu’est-ce qui a de la valeur ? le bout de papier qu’on recherche ou les histoires, les vies, la rencontre avec les autres ? surtout quand ces autres sont malheureux (souffrant d’un rhume énorme), atteints d’un grain de folie (les origamis), comme cabossés par la vie (souffrant d’un chagrin d’amour), en danger (le scaphandrier ou la dame prisonnière du coffre-fort), et toujours présentés dans leur solitude. Légitimement, ils se regroupent et accusent Pia d’un certain égoïsme, de surdité face à leurs besoins. La seconde chute montre au contraire l’empathie de Pia pour son ami victime d’un accident, dans le dessin qu’elle lui a fait, dans sa quête de ce dessin envolé. Entre les deux chutes, une page pleine de signification montre l’incompréhension de Pia face à la destruction de sa page, l’incommunicabilité entre Pia page de gauche et les autres qui partent, page de droite. Au fond, c’est de cela que parle cet album, de la façon dont nos préoccupations – fussent-elles légitimes et altruistes – nous empêchent de voir les autres et de prendre du temps pour eux.

Un album rythmé et enlevé qui fait la part belle à l’imaginaire, à la fantaisie, à la poésie pour évoquer la relation entre une fillette et un ami victime d’un accident, mais aussi pour évoquer la question des rapports avec les autres, comme un puzzle toujours à reconstituer, avec empathie.

Le Garçon en pyjama rayé

Le Garçon en pyjama rayé
John Boyne, ill. Olivier Jeffers,
trad. Catherine Gibert
Gallimard Jeunesse, 2023

  Les camps de concentration vus par un enfant

 Maryse Vuillermet

Pour ceux qui, comme moi, ne l’avaient pas lu à sa sortie il y a dix ans, cette réédition pour les 10 ans illustrée par Olivier Jeffers et préfacée par l’auteur est un cadeau car le roman opère encore avec puissance.
Il raconte l’histoire d’un jeune allemand qui mène une vie heureuse à Berlin avec sa sœur et ses parents dans une très belle maison, mais c’est la guerre et le père est militaire, d’ailleurs, ils reçoivent parfois à dîner le fourreur. Le père, par une promotion intéressante est envoyé très loin à la campagne.  La famille doit déménager dans une maison assez sinistre, à proximité d’un camp entouré de barbelés.
Le héros, Bruno, voit de la fenêtre de sa chambre dans le camp, des silhouettes en pyjama rayé.  Il s’ennuie, regrette ses amis de Berlin, n’aime pas ses cours particuliers et cherche toujours à mener de petites enquêtes.  Ainsi, il se rend près des barbelés et rencontre un enfant de son âge, en pyjama rayé, très triste et très maigre.  Une amitié se noue entre les deux jeunes.  Bruno se plaint beaucoup de sa vie actuelle, le garçon en pyjama rayé ne se plaint pas mais lui demande de lui apporter à manger.
Un jour, Bruno aidé par le garçon en pyjama rayé, rentre dans le camp, il passe sous le fil de fer barbelé et la suite est inoubliable …
C’est un roman d’une très grande puissance, on comprend assez vite ce qu’est ce camp, et ce que sont ces silhouettes en pyjama rayé mais l’enfant lui, à son époque et dans son milieu, ne peut encore le concevoir. Son innocence est tragique.
Les illustrations d’Olivier Jeffers, en montrant des silhouettes effarées, maigres, isolées, des militaires grands et tout puissants, et l’enfant si seul et si petit, participent à notre sentiment d’horreur impuissante.

 

La Poésie, késako ?

La Poésie, késako ?
Thomas Vinau – Illustrations de Marc Majewski
Gallimard Jeunesse 2023

C’est quoi mon po – c’est quoi mon po – mon poème ?

Par Michel Driol

Qu’est ce que la poésie ? Voilà une question simple en apparence, mais à laquelle nombre d’auteurs, de poètes, de théoriciens ont apporté des réponses diverses. Au tour de Thomas Vinau de se livrer à l’exercice, mais, et on le sent dès le titre, avec humour et désacralisation. Tout au fil des pages vont se succéder des tentatives de définition, sous des formes différentes, mais toujours imagées et poétiques. Tantôt on aura l’accroche par « Si c’était… » un passage secret, un détective privé, un drôle de magicien.. Ou alors la comparaison est introduite par « Elle pourrait ressembler à »… un archéologue, un paysan.. C’est la métaphore qui suit, avec « Elle pourrait être »… une question, un secret… Sous forme de jeu de mot, c’est une notion essentielle qui est introduite « Elle garde la forme »… d’un hamac, d’une bouée.. Reviennent enfin les métaphores « C’est une grande table, un coloriage »… Et l’album se termine par un appel à chaque lecteur pour qu’il donne sa définition : A toi de voir. Ce court panorama permet déjà de mesure l’étendue et la diversité des champs lexicaux convoqués : métiers, objets, notions abstraites…

Au-delà du plaisir de la lecture, du plaisir des surprises nombreuses et variées que l’on rencontre dans ces pages, se dessinent quelques caractéristiques de la poésie. D’abord la difficulté de la cerner car elle intègre en elle des contraires et se nourrit de paradoxes. On en citera trois : parfois raccourci, parfois détour, un secret qu’on ne peut garder qu’en le partageant, le cadeau que le silence fait aux mots. Mais elle est aussi liberté, liberté d’apporter ce qu’on veut à la table, liberté de ne pas respecter les limites du coloriage. Elle ne passe pas à côté de ce qui est drôle (le mot blague revient souvent).  Au cœur de l’ouvrage se glisse la question de la forme, aussitôt posée, aussi éclatée dans un pluriel (toutes les formes), L’essentiel est dit, suggéré au lecteur, comme si la seule définition possible de la poésie ne pouvait qu’emprunter une langue elle-même poétique, faite d’images, de comparaisons, de rapprochements, comme s’il fallait rendre la poésie sensible par un langage oblique et non dans la sécheresse d’une approche plus théorisante. On trouvera ici des réponses à ces questions : qu’est-ce que la poésie ? A quoi sert-elle ? Quels effets produit-elle ? Mais ces réponses, formulées avec humour, un humour souligné par des illustrations pleines de malice, restent à interpréter pour se forger sa propre conception de la poésie. Le vocabulaire et les illustrations nous plongent dans les choses ordinaires (un magicien, une porte, des lunettes), mais ce réel, aussitôt posé est dépassé ou déplacé par la suite de la phrase – ou un détail de l’illustration –  pour associer le réel et l’imaginaire, le visible et l’invisible, le quotidien et l’extraordinaire. Il y a là une vraie ligne de force qui touche à la conception de la poésie de l’auteur, magnifiquement comprise par son illustrateur.

Un belle tentative poétique de proposer une approche sensible de la poésie, à travers l’humour, la langue, les situations, à destination d’abord des enfants, mais que bien des adultes pourraient lire :

Le projet hakana,

 Le Projet Hakana
Marin Ledun,
Rageot,  2023.

 Un roman d’aventures dans le temps et la réflexion sur la mort des civilisations

 Maryse Vuillermet

On est sur les îles Marquises en 1594, c’est-à-dire avant l’arrivée de l’homme blanc, 12 adolescents, garçons et filles appelés sentinelles, sept   scientifiques et deux légionnaires chargés de leur protection y ont été envoyés à titre expérimental par un programme scientifique de 2175 élaboré par l’Europe. Ce programme est destiné à trouver des endroits où l’homme occidental pourrait vivre puisqu‘il a détruit sa planète.
Mais tout ne s’est pas passé comme prévu, les jeunes sentinelles ont fraternisé avec les jeunes Marquisiens et Rim, la plus brillante et la plus belle, a eu une relation amoureuse avec Moana, un fils de chef, et elle est enceinte.
Et pour cette raison, elle ne peut pas être exfiltrée avec les autres à la fin de l’expérience.
Deux récits avancent en alternance, le récit du docteur Gauthier qui retrace les deux années passées sur l’ile et le récit de la guerre que vont se livrer les forces spéciales chargées de récupérer Rim et son bébé et la population marquisienne qui les protègent.
Rime et Moana fuient sur l’eau…
C’est un roman à la fois politique, écologique et d’aventures, plein de péripéties et de héros qui réussissent à changer leur destin et celui de leur peuple.
On peut dire que c’est aussi un roman féministe car la jeune Rim se bat à armes égales avec son compagnon et avec une intelligence rare
C’est encore un roman poignant et fort sur la destruction des civilisations hier et aujourd’hui.

Eveils

Eveils
Georges Lazarre
L’Harmattan 2022

Mon sonnet soignera tes secrets et tes maux

Par Michel Driol

Trois parties bien distinctes dans ce recueil de poèmes : Enfance, Nature, la Réunion. Sous une forme très classique, respectant les règles de la métrique (versification, rimes), voire des formes traditionnelles (sonnet), ces poèmes jouent sur divers registres.

On trouve ainsi un côté assez primesautier dans Enfance, dont les poèmes mettent souvent en jeu un certain rapport avec le temps qui passe, les jours qu’on attend et ceux qu’on préfère. Avec Nature, ce sont les animaux, les rivières, qui sont célébrés. Enfin, peut-être plus touchant, La Réunion, lieu de naissance de l’auteur, est l’évocation aussi bien des paysages, de la faune et de la flore de l’ile que de certains de ses grands hommes. Les vers savent jouer avec la métrique, allant du léger pentasyllabe au classique alexandrin, avec toutefois une prédilection pour les hexasyllabes et les octosyllabes Une langue simple, une poésie qui se veut accessible à tous pour dire la beauté de ce qui nous entoure, avec, parfois, comme une légère  une touche de créolité.

Eveils, pour s’ouvrir au monde.

Les chagrins

 Les Chagrins
Catherine Dolto, ill Colline Faure-Poirée
Gallimard Jeunesse (Giboulées), 2023

 Comment guérir les chagrins des tout petits

 Maryse Vuillermet

Comment reconnaître les chagrins ?  Comment savoir d’où ça vient et surtout à qui en parler car il faut en parler.  Les adultes aussi ont des chagrins, comment faire pour les consoler ?  Toutes ces questions autour du chagrin que se pose un enfant, le docteur Catherine Dolto y répond dans une langue pleine de simplicité et d’empathie.
Un recueil bien utile d’autant plus que les illustrations de Catherine Faure-Poirée sont pleines d’humour et rendent les situations même les plus tristes un peu cocasses.

 

Noir. Une histoire dans la nuit

Noir. Une histoire dans la nuit
Stéphane Kiehl
La Martinière jeunesse 2023

Voyage au bout de la nuit…

Par Michel Driol

Un jeune garçon ramène Sauvage, son cheval,  dans son enclos un soir d’orage terrifiant. Les lumières du village s’éteignent, et il doit traverser une forêt très sombre et une rivière qui a débordé. Il saute sur le dos de Sauvage qui le ramène, sain et sauf, à la maison.

Après Vert (voir la chronique d’Anne Marie Mercier), Blanc et Rouge Stéphane Kiehl continue son exploration monochrome. Noir, c’est la nature devenue sauvage, extrême, indomptable, avec cet orage démesuré, ces rivières qui débordent, tous les repères brouillés, et un animal, au nom symbolique, qui apparait comme le sauveur, capable de se repérer dans cette nuit de cauchemar. Le texte, très discret, assure la narration, comme la voix off d’un enfant terrifié, ne sachant comment retrouver son chemin dans un monde normalement familier, mais devenu hostile. Par ses illustrations, d’un noir et blanc magnifique, l’album à un côté cinématographique, renforcé par son grand format à l’italienne, qui n’est pas sans faire penser aux grands films noirs comme la Nuit du chasseur dans son esthétique. De larges plans d’ensemble d’abord, dans lesquels le cheval (et l’enfant) se détachent sur le ciel menaçant. Puis on se rapproche de la forêt, le cadrage se fait plus serré, la matière même des pages change : du calque, laissant entrevoir des animaux sauvages dans la brume, rendant le sentiment d’immersion dans la forêt encore plus aigu. C’est là que les ombres des troncs se font menaçantes. Puis c’est le blanc de la rivière qui envahit la page, et c’est enfin la sortie de la forêt, vers les lumières accueillantes des fenêtres de la maison. C’est comme un voyage initiatique, comme pour nous rappeler nos craintes et frayeurs ancestrales, celles de la nuit, celles du noir, celle de l’orage, mais aussi pour dire qu’au bout du chemin, il y a l’espoir d’une petite lumière.

Un album à l’illustration absolument magnifique, d’une conception très originale, à contempler longuement, pour continuer de questionner notre relation aux animaux et à la nature.

Mille nuits plus une

Mille nuits plus une
Victor Pouchet
L’école des loisirs, 2021

Shéhérazade en baskets

Par Anne-Marie Mercier

« C’était à Vaishali, faubourg de Jaipur, dans les jardins de Sheyhavan »… La référence à Flaubert n’est pas tout à fait gratuite : ce petit livre qui multiplie bien des genres est aussi un manifeste qui célèbre les pouvoirs du conte, aussi bien de l’histoire racontée (à l’exemple de celles de la Shéhérazade des Mille et nuits) que de l’histoire écrite : l’héroïne devra son salut au texte qu’elle a écrit sur son aventure, texte qui commence par la même phrase que le roman, avec un bel effet de mise en abyme.
On est cependant plus proche encore des récits populaires : la nouvelle Shéhérazade, Shakti, est la fille du jardinier du maharadja Sheyhavan. Par un hasard digne de Pretty Woman (ou d’histoires de bergères et de prince), elle épouse le prince, son fils. Shakti s’ennuie dans sa prison dorée et conquiert une certaine liberté en racontant ce qu’elle voit et ce qu’elle entend, la cour et ses alentours, les vices cachés, les ridicules et les petitesses ; elle poste le tout jour après jour sur internet. Tout maharadja ayant un méchant vizir, celui-ci ne manque pas d’en être informé et d’organiser l’assassinat de la princesse, ainsi Shéhérazade rejoint le monde contemporain, coupable du crime de la liberté d’expression. Elle le rejoint aussi en captivant ses assassins désignés successifs avec des histoires qui ressemblent aux grands récits populaires de notre temps : Peter Pan, Batman, Le Seigneur des anneaux, etc.
Enfin, elle le rejoint à travers l’évocation de monde des lettres actuel, de l’édition et d’une maison d’édition en particulier, l’école des loisirs qui en publiant son histoire sauve la vie de Shakti, autre mise en abyme…
De belles illustrations en pleine page, comme la couverture, mêlent imaginaire indien et conte noir, tradition et modernité.
Seule ombre au tableau, le personnage du prince, très absent et distrait, dirait-on.