Un matin de rêve

Un matin de rêve
Christian Demilly – Illustrations de Clémence Pollet
HongFei 2022

Se souvenir des belles choses

Par Michel Driol

Premier matin des vacances, un enfant – le narrateur – se souvient des petits moments de bonheur qui ont marqué la veille : le dernier jour d’école, les portes qui ne claquent pas, son anniversaire, le film qu’on a regardé à la télé… De quoi faire d’aujourd’hui un matin de rêve.

Avec une grande sobriété dans l’expression (une simple petite phrase par double page, à la manière des je me souviens de Perec, ou d’un inventaire à la Prévert), l’album touche à ces petits moments de plaisir qui constituent la vie d’un enfant. Plaisirs simples, comme le voyage où l’on ne s’ennuie pas, ou plaisirs plus coupables, comme la dispense du brossage de dents. Ces plaisirs sont illustrés dans des grands formats (page simple ou double page) montrant l’harmonie familiale – grands parents, parents et enfants –  au sein d’une nature où l’on croise quelques oiseaux dans le ciel. Mais cette lecture, à laquelle beaucoup s’arrêteront sans doute, est peut-être trop simpliciste. Le dernier souvenir est « Hier, Benjamin m’a dit qu’il m’aimait » tandis que l’image montre l’enfant heureux, yeux fermés, aux côtés de sa mère qui lui caresse tendrement les cheveux, tandis que sur le sol trainent quelques pièces de puzzle, comme une incitation faite au lecteur à rechercher les pièces éparses dans l’album et à les rassembler. Qui est Benjamin, dont la seule occurrence du prénom est dans la phrase citée plus haut ? Sans doute ce garçon au tee-shirt jaune que l’on voit avec le narrateur, dans la première page, symboliquement au centre d’une sorte de labyrinthe tracé sur le sol. Puis celui qui vient rendre visite, un ballon sous le bras. Celui avec qui le narrateur regarde un atlas, pour fêter l’anniversaire, un puzzle cadeau devant lui. Celui qui s’en va, tandis que la famille part chez les grands-parents, et que le narrateur accompagne du regard, auquel il pense peut-être dans la voiture… Quant au chouette film qui passe à la télé, c’est Titanic, avec le plan iconique des deux amoureux comme volant à l’avant du bateau… Et si tout ceci était une façon de dire l’importance d’un je t’aime pour un enfant, peut-être une façon pudique de parler d’homosexualité masculine enfantine (mais ne serait-ce pas là un peu forcer l’album), à coup sûr une façon de parler de l’amour entre deux enfants, amoureux de vivre, à coup sûr !

Un album qui traite de sujets délicats avec une infinie délicatesse pour parler du bonheur, un album qui sait en dire autant par le texte que par l’illustration, très complémentaires, un album optimiste qui dit que le bonheur est à portée de main.

Zéphyr, Alabama

Zéphyr, Alabama
Robert McCammon
Traduit (anglais, USA) par Stéphane Carn
Monsieur Toussaint Laventure, 2022

La vie d’un garçon, Alabama, 1964

Par Anne-Marie Mercier

«  La grâce, c’est de pouvoir supporter une perte qui vous touche, de l’accepter et d’en retirer une sorte de joie ». p. 366

Quel beau roman ! Il est bien écrit, touche à de nombreux sujets, et offre aux garçons une lecture dans laquelle ils peuvent pleinement se reconnaitre ou se trouver. Le titre original, « Boy’s life » était sans doute plus fidèle à l’esprit du livre. En effet, on y trouve l’essence d’une enfance : promenades, parties de pêche ou de vélo avec les copains, premier bivouac, cinéma (de Tarzan qui les ravit aux Envahisseurs de la planète rouge qui les terrifie), bagarres épiques, premiers émois amoureux, soucis scolaires, histoires de voisinage, vie de famille… C’est toute une part d’enfance qui est représentée. L’ensemble est intéressant et charmant, la narration à la première personne sonne vrai : la traduction est sur ce plan (et les autres) impeccable. Si ce titre n’a pas été conservé c’est sans doute parce que les éditeurs ont voulu indiquer la spécificité de cette enfance, marquée par son décor et par les particularités de la région. Le héros a douze ans en 1964, c’est-à-dire au moment où les premières lois sur les droits civiques des Afro-Américains sont votées aux USA. Mais ce n’est qu’un début et le racisme est toujours très actif dans le Sud, en Alabama (et on en verra de sinistres et surtout médiocres exemples) ; le jeune héros découvre l’envers sombre de la vie à travers les photos du magazine Life : obsèques de Kennedy, bonze s’immolant, église brûlée par le Ku Klux Klan…

« En regardant les photos de l’enterrement du président Kennedy – le cheval sans cavalier, le salut de son petit garçon, les spectateurs alignés devant le passage du cercueil – je compris soudain ce qui éveillait en moi un sentiment d’inquiétude et de peur. Dans ces photos, on voit se développer des taches de pénombre […] les photos semblent s’emplir d’obscurité. Leurs coins sont rongés d’ombres noires qui déploient leurs tentacules sur les hommes en complet sombre et les femmes éplorées, et qui relient de leurs longs doigts ténébreux les voitures, les bâtiments et les pelouses pimpantes. […] Sur ces photos, on dirait que le noir est un organisme vivant, un virus qui se répand parmi les êtres, prêt à faire irruption hors du cadre de l’image pour poursuivre son entreprise d’engloutissement. »(p. 195)

Le garçon sera hanté par les photos d’un attentat contre une église baptiste dans lesquels des fillettes noires ont été tuées.
Mais les personnages de couleur ont dans la ville de Zéphyr et dans le récit une présence qui va au-delà de l’actualité. Ils ont encore des traditions fortes, de la mémoire de leur histoire, et des pratiques magiques. Une vielle femme mystérieuse, plus que centenaire, semble les diriger. La rivière est une autre divinité, avec de redoutables inondations et un monstre qu’elle cache. Toute cette vie est au cœur du roman et offre de belles pages. On voit aussi la difficile cohabitation entre les communautés, le prix de la solidarité, des personnages excentriques (le copain amérindien et sa famille, un pasteur fanatique qui tente de lutter contre la passion des jeunes pour les Beach boys, l’héritier du plus riche propriétaire qui se promène en ville nu, etc.).
Cet original joue aussi un rôle important : il est celui qui guide le héros, Cory, dans sa carrière littéraire. En effet, Cory invente des histoires pour ses amis, il sait capter son auditoire, et il finit par raconter un événement étrange dont il a été le témoin : un homme été assassiné dans sa voiture, engloutie dans le lac de Zéphyr, trop profond pour qu’on l’y retrouve. Il écrit cela dans une nouvelle qui sera publiée par le journal.
Ce meurtre, raconté dès le début du roman, hante bien des gens : son père, qui en a été témoin comme lui, mais n’a pas tout vu et qui meurt à petit feu de ne pas savoir comment apaiser l’âme du mort, la vieille reine noire qui entend elle aussi ce mort qui réclame justice, la rivière qui a recueilli le corps supplicié de l’inconnu, l’assassin lui-même… L’enquête bâclée, les tentatives pour éclaircir le mystère. Et enfin le dénouement donne à ce beau roman, poétique et parfois fantastique, une allure de thriller dans sa dernière partie. Pourtant, autant le reste du roman est original, intéressant et attachant, autant ces éléments sont un peu convenus. Il semble que McCammon ait subi le destin de l’écrivain dont il est question au cœur du roman, obligé par son éditeur à ajouter un meurtre dans son histoire pour la faire vendre et ainsi de la « prostituer »  :

« il a écrit un livre sur la ville et ses habitants, sur ceux qui en font ce qu’elle est. Il n’y avait sans doute pas une vraie intrigue là-dedans. Peut-être que rien dans ce livre ne vous saisissait à la gorge ou ne vous glaçait le sang, mis il décrivait la vie. Le flux des choses et des voix, ces petits riens du quotidien dont sont faits les souvenirs ». (p. 346)

Ces propos semblent décrire Boy’s life. Mais si cette intrigue parait un peu plaquée, elle apporte néanmoins de beaux moments de mystère et une cohésion au roman qui commence avec la découverte du meurtre et s’achève avec sa résolution. Au fil du temps, Cory a grandi, a affronté ses peurs, aidé sa famille, pleuré un ami et un amour, et compris que la confiance enfantine avait un temps. Un critique américain évoque le roman de Harper Lee, Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur, autre roman du Sud : on y trouve effectivement des personnages aussi surprenants et attachants, une vision sans concession du monde des adultes, un amour de la terre et de l’enfance, et la découverte par un enfant d’une dure réalité.

Les Boites aux lettres

Les Boites aux lettres
Gilles Baum
Amaterra 2022

Donne-moi de tes nouvelles…

Par Michel Driol

Depuis un an, Emile est sans nouvelles de son père, dont l’usine a fermé, et qui est parti lors de la fameuse nuit où il a giflé sa mère. Pourtant, Emile est persuadé que son père cherche à lui écrire. Mais pas à la maison, où il sait que sa mère détruirait les lettres. Alors, dès qu’il a réuni 13 euros et 60 centimes, il achète une boite aux lettres et va la clouer dans un des endroits préférés de son père, où les boites aux lettres vivent leur vie, accueillant des oiseaux, ou des mots d’amours entre deux amoureux.

Si l’arrière-plan social est grave : fermeture d’usine, chômage, dégradation des relations au sein du couple, violence familiale, le traitement, lui, est plein de légèreté et de fantaisie, parce que tout ceci est vu à hauteur d’un enfant qui vit dans son monde autant que dans le monde. Ainsi son vélo rose, vieux cadeau de ses parents, qu’il a baptisé Rosie, véritable personnage doté d’une psychologie, de sentiments, comme le serait un animal. Et que dire de la poésie et du merveilleux de ces boites aux lettres, disséminées dans la nature, jusqu’à cette gare improbable située au milieu de nulle part, une gare pour aller passer un jour à la mer ? L’univers d’Emile est à la fois plein de réalité (dans sa façon de se faire donner des mots d’excuse pour manquer l’école, ou de se faire transmettre les devoirs), plein d’amour à l’égard de ses deux parents (dans sa façon d’être là, de remplir les tâches dont celles qui, autrefois, revenaient à son père), et aussi plein d’imaginaire dans sa façon de percevoir le monde. C’est cet imaginaire qu’il a en partage avec l’auteur qui, d’une certaine façon, transfigure un univers qui pourrait être glauque et sinistre en autre chose, sans gommer ce qu’il y a de sombre dans la vie de cette mère qui fait des ménages et de son fils, mais en laissant toujours transparaitre un espoir, et une infinie confiance en l’homme. On voit cet imaginaire d’abord dans la polyphonie du roman. Le narrateur ? un coquillage, donné à Emile par un des anciens collègues de son père, Mojo, qui a dû quitter ses Caraïbes natales en emportant sa collection de coquillages. Imaginaire dans la polyphonie des voix narratives aussi, celle du père, celle de la mère, celle de Mojo, celle du coquillage qui, soit dans des retours en arrière, soit dans des adresses de l’un envers l’autre, donnent à entendre la totalité de l’histoire dans sa complexité humaine. Imaginaire enfin dans le dénouement, car on se doute bien tout au long de l’histoire que l’on va aller vers des retrouvailles entre ce fils qui garde soigneusement le premier cadeau de son père, un ours sur lequel est écrit « je reviens » et ce père qui s’est battu pour que son usine ne ferme pas. La force du roman est aussi que ce dénouement se lira sans doute de deux façons différentes, selon les lecteurs. L’une, merveilleuse, dans laquelle, comme par magie, les lettres du père, comme un journal intime adressé à sa femme pour se dire et se faire pardonner la gifle donnée, apparaissent. L’autre, moins explicite, liée à l’amitié et à la relation entre Mojo et le père, fournira un cadre rationnel à cette découverte.

Ce roman vaut aussi par la qualité de ses personnages. On a déjà beaucoup évoqué Emile. Il faudrait parler aussi de la relation entre les parents, Maria et Serge, et de ce que la dégradation du contexte social a eu comme conséquences sur la détérioration de leur relation, la difficulté pour Maria de pardonner le geste de Serge, et la fuite éperdue de ce dernier aux quatre coins du monde pour tenter de trouver du travail. Autre personnage fondamental, Mojo, qui agit dans le roman comme une sorte d’ange gardien d’Emile. Et que dire de la maitresse d’école, dont on découvre la vie secrète… Il faudrait aussi parler du rôle donné à l’écriture dans ce roman, à une époque où l’on se téléphone, où l’on envoie des SMS, écriture des lettres, du journal intime… Alors que certains lancent des bouteilles à la mer, Emile cloue des boites aux lettres en pleine nature : quel beau symbole du désir de communication et d’amour !

Un roman optimiste qui réussit le tour de force de s’inscrire dans notre société, au milieu des plus pauvres, des sacrifiés sur l’autel du profit, pour dire avec poésie l’importance de l’imaginaire et de l’amour, de la solidarité, pour réparer du monde ce qui peut encore l’être..

Nous, les enfants de l’archipel

Nous, les enfants de l’archipel
Astrid Lindgren, illustrations de Kitty Crowther
Traduit (suédois) par Alain Gnaedig
L’école des loisirs (Hors collection), 2022

Éternels étés dans l’île

par Anne-Marie Mercier

La première partie du roman, longue comme un jour d’été, commence en juin et s’achève à la fin des vacances avec le triste retour de la famille Melkerson à Stockholm. Leur séjour de vacances sur l’île de Saltkråkan (ou île du cormoran) aura été une belle parenthèse. Mais l’histoire continue : après un chapitre intitulé « le problème avec l’été, c’est qu’il passe vite » on est heureux de ne pas les quitter et de les voir revenir sur l’île à Noël, au printemps, encore à l’été… et pourquoi pas toujours ?
Chacun en profite à sa façon : le père, Melker, écrivain, est veuf et très soucieux du bonheur de ses enfants qu’il connait bien et comprend bien. Il tente de se faire bricoleur et cuisinier (avec un succès relatif et des scènes comiques à foison) et se lie avec tous les habitants du village ou presque. La fille ainée, Malin, tient lieu de mère aux enfants, tout en menant sa vie de belle jeune fille de 17 ans très courtisée. Johan et Niklas, adolescents pleins de vie, toujours prêts pour la baignade, sont très différents, l’un plein d’imagination comme son père et comme lui voué à une vie tourmentée, et l’autre « le plus heureux et le plus stable des Melkerson », solide et calme. Enfin, le petit Pelle est le personnage le plus attachant de la famille, ultra-sensible, posant sans cesse de curieuses questions : « Pourquoi avait-on envie de pleureur en entendant le bruit des fils du téléphone, ou quand celui du vent dans les arbres donnait l’impression qu’ils étaient tristes ? ». Très attentif aux animaux et n’en possédant pas, il adopte le nid de guêpe sous le toit en attendant mieux. Il forme un trio extraordinaire avec deux fillettes de l’île, Stina et surtout Tjorven (la batailleuse), enfant de 7 ans accompagnée d’un énorme chien appelé Bosco ; elle « semble avoir été créée en même temps que l’île » tant elle l’incarne, douce, et brute.
Les dialogues entre les enfants sont très drôles et l’on y retrouve de nombreuses situations classiques, toutes traitées avec sensibilité et drôlerie : la concurrence entre les deux petites filles (Pelle y est imperméable), l’adoption d’animaux et les problèmes de communication avec eux, les enterrements d’animaux pour lesquels Tjorven chante toujours le même cantique sinistre… Les enfants, petits et grands, affrontent difficultés, dangers, joies et chagrins, ils cultivent les secrets.
Ils ne sont pas inoxydables comme l’héroïne la plus célèbre de l’auteure, Fifi Brindacier, mais oublient vite les obstacles : « On vit dangereusement quand on a sept ans. Dans le pays de l’enfance, dans ce pays secret et sauvage, on peut frôler les pires périls et considérer que ce n’est rien de spécial ». Les illustrations de Kitty Crowther sont parfaites pour ce trio.
Douceurs de l’été, joies de l’hiver et du printemps, tous ces petits bonheurs sont égrenés au fil d’un beau récit, qui est aussi long (presque 400 pages) et captivant, dans lequel les rebondissements ne manquent pas : qui sera l’amoureux de la belle Malin ? le renard mangera-t-il le lapin de Pelle ? Que deviendra le phoque apprivoisé (enfin, pas tant que ça) de Tjorven ? Son Chien Bosco supportera-t-il qu’on lui préfère un phoque ? Sera-t-il abattu pour avoir attaqué l’agneau de Stina ? Enfin, la maison du menuiser qui les a abrités sera-t-elle vendue et détruite ?

L’été doit-il avoir une fin ? – et l’enfance ? Quelle que soit la réponse, Astrid Lindgren les fait revivre merveilleusement.

Il ne faut pas mettre les enfants au congélateur

Il ne faut pas mettre les enfants au congélateur
Michaël Escoffier – France Cormier
D’eux 2021

Petit manuel de cuisine pour les ogres

Par Michel Driol

C’est le chef Bronislav Haddendur qui accueille les lecteurs dans cet album. Depuis 50 générations, sa famille régale les ogres : n’est-il pas le mieux qualifié pour livrer ses recettes ? L’ouvrage commence par présenter les enfants, dire leurs dangers, préciser la différence entre enfants sauvages et enfants d’élevage, et donner les conseils pour la capture de seconds, bien plus gouteux ! Vient ensuite le chapitre consacré à la conservation des enfants. Et enfin trois recettes savoureuses : le rôti d’enfant, l’enfant brioché, le sandwich à l’enfant. Bon appétit !

Conçu sur le modèle des livres de recettes traditionnels, cet album est drôle et réjouissant à plus d’un titre. D’abord parce qu’il parodie les encyclopédies ou les émissions culinaires qui donnent des conseils avisés, tant sur le choix des produits que sur leur utilisation. Cela sera peut-être plus perçu par les adultes lecteurs que par les enfants. Ensuite parce qu’il présente une vision de l’enfance pleine de saveur : la moquerie toujours présente, les dents gâtées par les bonbons trop fréquents, les microbes qu’ils apportent avec eux, leur gout pour les frites ou les pizzas, leur aptitude à se chamailler ou encore leur manque d’hygiène… Chacun s’y reconnaitra, et mettre ces traits dans la bouche d’un ogre ne manque pas de piquant et introduit une distance entre le texte et la réalité qui permet de mieux la percevoir. Enfin par les recettes. Passons d’abord sur leur côté rabelaisien dans l’exagération des proportions. 10 kg de farine ou 3 kg d’oignons, pas moins ! Evoquons ensuite la précision du lexique culinaire utilisé : on a affaire à un spécialiste ! Certes, mais n’est pas trop transgressif de proposer ainsi des recettes dans lesquelles des enfants vont se faire rôtir, griller ? C’est là qu’il faut évoquer le rapport texte image, et observer finement comment, à chaque recette, l’image montre que l’enfant est plus malin pour glisser qui un nounours, qui une chaussure, qui un grille-pain à sa place dans le plat, alors que l’ogre n’y voit que du feu. Autre qualité attribuée aux enfants : la débrouillardise qui culmine avec la fuite de toute la troupe d’enfants, dans le dos de l’ogre. Comme une revanche de David sur Goliath ! Les illustrations, colorées, vivantes, expressives, sont pleines de détails à examiner avec attention.

Ce petit manuel de cuisine pour les ogres, album grand format, est un vrai portrait des enfants d’aujourd’hui, avec leurs qualités comme la débrouillardise, avec leurs défauts comme la gourmandise, avec leurs penchants à l’irrespect. Il est surtout d’une drôlerie irrésistible !

Griffes

Griffes
Malika Ferdjoukh
Ecole des Loisirs Medium + 2022

Au Service des Dossiers Insolites et des Intrigues Non Conventionnelles

Par Michel Driol

C’en est fini de la tranquillité de Morgan’s Moor, petit village du Northumberland, lorsqu’arrive la diligence avec, à son bord, une voyante extra lucide qui décrit le meurtre horrible du juge Apley et désigne du doigt son meurtrier, Horton Palace, le mercier… Et lorsqu’on découvre que le juge est bien mort comme le medium l’annonçait, il n’y a plus qu’à arrêter, juger et condamner le pauvre Horton. Et lorsque, quelques années plus tard, la sœur du juge meurt dans sa chambre fermée au loquet, Scotland Yard envoie le superintendant Tanybwlch et son jeune adjoint, Pitchum Daybright, qui assistent, impuissants, à d’autres meurtres, dont ils trouveront les coupables à l’aide de la fille de l’aubergiste, Flannery Cheviot, dont la langue bien pendue n’a d’égale que la curiosité et la perspicacité !

Ce nouveau roman de Malika Ferdjoukh sonne comme un hommage à Dickens et à Conan Doyle. Ne se situe-t-il pas, grosso modo, à l’époque de ces deux grands auteurs britanniques ? Difficile de résister au charme et suspens de ce roman, qui sait mêler différents genres. Roman policier, avec le classique meurtre en chambre close, thriller avec les menaces qui pèsent sur les personnages. Roman d’amours, avec deux intrigues parallèles et différentes : un amour avoué, assumé, contrarié, et un amour naissant entre le timide Pitchum, souvent aussi rouge que ses cheveux, et l’impayable Flannery, qui ne cessent de jouer au chat et à la souris ! Roman historique, avec l’inscription dans l’Angleterre victorienne de la fin du XIXème siècle, avec ses zones d’ombre comme ces hospices où venaient accoucher des jeunes femmes célibataires. Comme souvent chez l’autrice, on trouve des personnages vivants, de jeunes hommes amoureux figés, des jeunes filles impertinentes, pleines de débrouillardise, qui ne rêvent que de sortir de leur condition. Comme dans tout roman populaire, on croise des enfants abandonnés, retrouvés, des innocents persécutés, et une part de gothique fantastique qui rôde entre landes et brumes, signe des romans de cette époque, signe du mal toujours présent sous différentes formes dans nombre de romans de Malika Ferdjoukh, mais qu’on parviendra à vaincre. L’écriture est enlevée, révélant parfois de bonnes trouvailles dans l’expression ou les comparaisons, l’intrigue, complexe à souhait, est rondement menée, avec de nombreux rebondissements, et les personnages, qu’ils soient secondaires ou de premier plan, bien campés.

Un roman qui séduira les amoureux du roman policier historique, surtout s’ils sont fans d’humour anglais, et des noms de personnages improbables !

Le Grand Voyage

Le Grand Voyage
Olivier Desvaux
Didier jeunesse, 2022

A la recherche du Père Noël

Par Anne-Marie Mercier

Olivier Desvaux excelle à peindre la neige, dans la lumière rasante de l’hiver. Sous son pinceau, elle a de la consistance, de l’épaisseur, du relief, de la douceur…on aimerait s’y promener, comme les deux héros de cette histoire, un lapin et un renard.
Couple improbable, certes, mais c’est un livre pour enfants, habité qui plus est par l’esprit de Noël : les deux amis poursuivent quelque chose de rouge qui vole… un ballon portant la lettre d’un enfant au Père Noël. Le ballon ayant fait flop ils décident de porter eux-mêmes la lettre. De jour comme de nuit, dans le calme ou au cœur de la tempête, à pied, en lit-bateau, lit-bateau qui se transformera en traineau à l’arrivée, sur terre, sur l’eau, les deux amis arrivent au bout de leur quête et finissent par rencontrer le Père Noël lui-même, qui réalisera leur rêve le plus cher. Quel est-il ? un rêve de Noël, bien sûr !
Histoire simple, belles images qui font voyager, tout est en place pour que la magie de Noël opère.

feuilleter pour se régaler des images sur le site de Didier

La Fougère et le bambou

La Fougère et le bambou
Marie Tibi – Jérémy Pailler
Kaléidoscope 2022

Riches de nos différences

Par Michel Driol

Juste avant de mourir, un vieil homme sage lègue à son ainé, un garçon solide, une graine de fougère, et à son cadet, chétif, un graine de bambou, leur demandant de les planter dans la forêt. Ce qu’ils font, bien sûr, et très vite la fougère se met à pousser et à prospérer. Mais rien du côté du bambou, et pourtant le cadet ne renonce pas. Jusqu’au jour où, quelques années plus tard, le bambou sort de terre, et grandit à toute vitesse, et propose son ombrage aux fougères qui souffraient du soleil. Alors, en songe, le père révèle le secret de la vie aux enfants.

Marie Tibi adapte ici avec bonheur une fable orientale aux multiples significations. Il y est question en effet, de deuil et d’héritage, de courage, de volonté de poursuivre ses efforts quand bien même on ne voit aucun résultat. Il y est question de persévérance, mais aussi de découverte de soi, et peut-être surtout de la complémentarité entre la fougère et le bambou, entre les deux frères malgré leurs différences. Ne peut-on y voir comme la manifestation du Yin et du Yang dont l’union assure l’harmonie ? Mais il est aussi question de la différence de rythme entre les individus. Comme le bambou, le cadet a besoin de temps pour consolider ses racines. Porter, jour après jour, des seaux d’eau renforce sa musculature. Belle leçon pour les enfants « en retard », à qui le conte dit qu’ils sont en train de fortifier leurs racines, que la persévérance est récompensée, et que le lien familial, social, va au-delà des différences, et que chacun a sa place dans  le monde qu’il contribue à équilibrer, à rendre plus harmonieux, plus vivable. Cette allégorie de la fougère et du bambou est contée avec finesse dans une langue pleine de sobriété, qui s’attache à explorer le ressenti de chacun des frères, leurs émotions, les doutes qui les assaillent chacun à leur tour.

Cette histoire est portée par des illustrations somptueuses de Jérémy Pailler qui la situent dans un univers animalier, comme pour se rapprocher de l’univers des fables. Nous sommes donc chez des mulots, des mulots très humanisés, représentés avec une grande minutie de détails. Approchez vous. Scrutez les doubles pages où rien n’est laissé au hasard. Et vous verrez que la roue de la brouette est un bouton, qu’un seau percé est réparé par un sparadrap… Ce monde de mulots, miniature et poétique s’avère plein de vie. Il donne à entrevoir l’amour qui unit le père et ses enfants, et les deux enfants eux-mêmes.

Un conte d’origine orientale, la tradition de la fable, la poésie des images pour un bel album à la portée universelle.

101 façons de lire tout le temps, Thimothée de Fombelle

 101 façons de lire tout le temps
Thimothée de Fombelle, (Ill.) Benjamin Chaud
Gallimard Jeunesse, 2022,

 

 Un catalogue et un plaidoyer

 Maryse Vuillermet

 

 

Cet album est un répertoire, un catalogue de toutes les manières de lire chez les jeunes lecteurs.  Les positions les plus acrobatiques dans les lieux les plus improbables sont dessinées par Benjamin Chaud et accompagnées d’une petite phrase ou d’un nom, par exemple « l’étourneau oublie le temps », « la déménageuse dépasse les bornes ».  Les corps sont souples, déliés, adaptés à toutes sortes de lieux, d’environnements, de temps (sous la pluie, dans la neige), de circonstances (en cours, pendant le repas …)

Timothée de Fombelle explique qu’il a toujours été fasciné par les positions des enfants, et qu’il bénéficie d’un bon poste d’observation dans les médiathèques, les librairies où il présente ses ouvrages, mais aussi dans la rue, les transports en commun, partout.

Il confie que c’est en même temps un autoportrait, car il s’agit aussi de lui, du lecteur qu’il était enfant et du lecteur qu’il est toujours.

Ces positions acrobatiques dans des lieux improbables sont un signe de résistance de l’enfant, l’enfant est un bon lecteur, les enfants lisent de très gros livres, contrairement à ce qu’on dit toujours, à savoir qu’ils ne lisent plus.

Et il lisent dans un monde peu propice, agité, un monde d’écrans, de foules, c’est donc, vous l’avez compris, un magnifique hommage au lecteur qui sait  se perdre, qui sait que la lecture est un monde parallèle, pacifique et riche, que « les héros résistent à tout », que « les enchanteurs transforment le monde. »

Vous l’avez compris, un album délicieux à offrir, à contempler.

 

C’est Noël aujourd’hui

C’est Noël aujourd’hui
Hannah Barnaby – João Fazenda
Phaidon

Traditions de tous les pays

Sous la forme d’un compte à rebours des 10 jours qui précèdent Noël un sapin voit arriver des amis venus des quatre coins de la terre pour le décorer, qui de guirlandes, qui d’un coquillage, qui d’une pomme et de bien d’autres choses.

Voici un bel objet, un livre en forme de sapin qui s’ouvre pour former un arbre vertical que l’on peut poser sur une table. Chaque page correspond à un pays ou un continent, et permet ainsi de découvrir des traditions variés, plus ou moins anciennes, évoqués à la base du sapin. Page de gauche, le sapin voit venir un nouvel ami porteur de décorations ou de cadeaux, page de droite une partie plus documentaire replace la coutume dans son lieu d’origine. Les illustrations font aussi voyager d’un lieu à l’autre, découvrir les festivités et les rites de Noël qui vont bien au-delà de la simple décoration du sapin, car on découvre ainsi que certains sont liés à la faune, d’autres à la mer, d’autres à des cadeaux surprenants.  Toutefois, si l’on croise Casse-Noisette ou la Befana, pas de trace de l’origine chrétienne de la fête de Noël, et de rites comme celui de la crèche… signes d’une laïcisation de notre société.

Un objet original qui permet de découvrir les façons de fêter Noël sous les deux hémisphères… mais, au fond, de fêter quoi ? la joie, l’amitié, les sourires…