A un poil près

A un poil près
Stéphane Botti
Calicot 2022

Ce changement-là…

Par Michel Driol

Le narrateur, élève de 5ème, s’aperçoit qu’il a un premier poil pubien qui pousse. Fasciné, il passe ses journées à le toucher, l’entourer autour de son doigt. Cette nouveauté à la fois le fascine et l’inquiète. Garçon solitaire, il n’a pas d’ami à qui en parler. Il voudrait bien que ses parents ne le sachent pas. Jusqu’au jour où sa mère dit qu’il a un long poil…

Voilà un court roman qui aborde la question des transformations du corps masculin lors de la puberté. Thème peu encore abordé en littérature jeunesse. Le héros est un garçon ordinaire, dans lequel nombre de lecteurs se reconnaitront sans doute. S’il connait les termes crus pour parler du sexe masculin, il répugne à les employer. Il semble fils unique dans une famille très classe moyenne : la mère est comptable à domicile, et le père président bénévole d’un club de natation. Il connait les problèmes des ados de son âge, aime qu’on le laisse tranquille, répond parfois par monosyllabes, et goute peu les efforts. Bref, il a bien un poil dans la main ! C’est sur cette méprise finale que se clot avec esprit le roman, plein d’humour dans sa façon d’aborder la difficile communication entre parents et ados sur la question de la sexualité et des métamorphoses du corps.

Un roman plein original, plein de finesse, pour aborder la question de la puberté masculine.

L’arbre m’a dit

L’arbre m’a dit
Poèmes de Jean-Pierre Siméon – Encres et pastels de Zaü
Rue du Monde 2022

L’homme qui écoutait les arbres

Par Michel Driol

Près d’une cinquantaine de poèmes-phrases, dont l’incipit est invariablement le titre du recueil : l’arbre m’a dit. Les textes forment une sorte de double dialogue muet dans la mesure où les propos de l’arbre sont répétés par un « je » anonyme, qui mettent en quelque sorte en abyme la sagesse de l’arbre, comme s’il y avait là une double confidence, celle de l’arbre au poète, celle du poète au lecteur. Confidence dans laquelle on entre un peu comme dans cette forêt que Zaü propose sur la couverture du livre, à la fois claire et obscure, dans laquelle la multiplicité des arbres s’oppose au singulier du titre : l’arbre.

L’arbre m’a dit, c’est déjà toute une conception de la poésie comme un secret à partager. Secret d’une sagesse venue non pas des hommes, mais de la nature, comme si l’arbre ici se montrait comme un modèle à suivre. Secrets pour résister à la solitude, secrets pour grandir, secrets pour garder l’espoir. A chacun d’écouter cette leçon de sagesse. Les mots de l’arbre nous parlent dans un langage à la fois simple et imagé, nous confrontent à l’arbre et à ses caractéristiques : son immobilité face à notre désir de voyager, sa permanence victorieuse face à la neige qui revient chaque année. On est dans une poésie de la nature qui est en fait celle de l’attention aux moindres choses, aux plus minuscules détails (l’ombre qui rafraichit, la fleur qui devient fruit, le sourire de l’enfant qui cueille) à laquelle elle donne sens. Cette confrontation entre l’humain et l’arbre ne tourne pas, on s’en doute, à l’avantage du premier. L’arbre se révèle un puits de connaissances,  un être pétri de générosité, de patience et renvoie parfois par de simples questions l’homme face à lui-même, à son ignorance de la nature, à son impatience, à sa solitude.

Ces textes sont magnifiquement intégrés aux pastels de Zaü, monochromes évoquant l’arbre dans différents contextes, l’hiver, le brouillard, le bord de l’eau, accompagné parfois d’oiseaux ou d’un enfant.  Ces illustrations résonnent avec subtilité aux  propos de l’arbre : ainsi ce tas de bois coupé accompagnant L’arbre m’a dit : celui qui me coupe perd un ami. Trois doubles pages colorées, sans texte, apportent comme une respiration au recueil, donnant à contempler une nature vierge dont l’homme est absent. La verticalité de l’arbre est encore soulignée par le format très allongé de l’ouvrage.

Jean Pierre Siméon et Zaü revisitent les rapports entre les arbres et les hommes dans une leçon de sagesse apaisée et apaisante, donnant à voir et à sentir une autre relation au temps ou à l’agitation, et peut-être redéfinir ce qui donne sens à notre existence pour découvrir, comme le suggère le dernier poème, que « finalement, tu n’es qu’un arbre qui parle et qui marche ».

Le Roi de la blague

Le Roi de la blague
Thomas Scotto – Illustrations de Vanessa Hié
A pas de loups 2022

Tel est pris qui croyait prendre

Par Michel Driol

Le héros est un Pique-Bœuf qui, nettoyant les dents de différents animaux de la savane, piaille qu’il voit leur culotte jusqu’au désert, voire jusqu’au Pôle Nord. Et chacun, Hippopotame, Crocodile, Gnou, Caméléon, Girafe, de se sentir affreusement gêné. Mais, lorsque c’est au Lion qu’il entend faire sa blague, couic… C’est la fin du livre et du farceur.

Voilà une histoire en randonnée autour d’un personnage bien impertinent. Le texte est enlevé, rythmé, et on le lira de préférence à voix haute pour apprécier les multiples onomatopées qui le parsèment. Tic tic, slurp… On entend le Pique-Bœuf facétieux faire son office, et réitérer sa blague qui ne fait rire que lui… et le lecteur, bien sûr ! De fou rire en fou rire, le héros ne se sent plus de joie ! Tout semble permis à celui qui se moque des autres, veut leur jouer un mauvais tour, les mettre dans l’embarras avec ce qu’ils ont de plus intime et qui devrait rester caché. Jusqu’à ce pas de trop, ce Lion qui n’a pas le sens de l’humour, et affirme ne jamais porter de culotte… Ne reste alors plus du Pique-Bœuf qu’une plume dans les mains du Lion. C’est une fable, animalière et traditionnelle, avec une morale explicite qui veut rester dans la tonalité légère et humoristique de l’album : Les plumes courtes d’un Pique-Bœuf blagueur sont toujours les meilleures. Morale explicite et décalée qui masque sans doute la vraie morale, que chaque lecteur aura soin de construire par lui-même, où il sera bien sûr question d’humour et de pouvoir. Mais ceci est une autre histoire ! Les illustrations de Vanessa Hié répondent bien à la légèreté du texte : il n’est que de voir les yeux rieurs du Pique-Bœuf, son bec qui esquisse des sourires, et les autres animaux anthropomorphisés. La palme revient-elle au maillot de bain-salopette rose de l’Hippopotame ou aux tee-shirts du Crocodile ou du Gnou ? La savane devient ainsi une espèce de Club Med où il fait bon vivre, jusqu’à la rencontre avec le Lion.

Oui, comme disait Pierre Desproges, on peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui… Le Roi de la blague est un album cruel et pourtant léger, aux images hautes en couleur, malicieux, humoristique et que l’on prendra plaisir à lire à haute voix !

C’est ce soir

C’est ce soir
Clémence G
A pas de loups 2022

Objectif lune

Par Michel Driol

Une poule pleine d’entrain part à la rencontre de ses amis, 1 oie, 2 ours, 3 cochons… jusqu’à 12 lapins, sans oublier une centaine de fourmis et leur donne rendez-vous ce soir. Mais pour quoi faire ? Pourquoi, dans leurs galeries, les fourmis transportent-elles des tubes plus longs qu’elles ? Et quel est le rôle de cet oiseau fantaisiste qui fait l’acrobate d’une page à l’autre sur les fils électriques ? Tout ce petit monde se retrouve donc le soir, pour un compte à rebours suivi d’une magnifique pyramide d’animaux en direction de la lune, les tubes des fourmis servant à construire l’échelle.

C’est d’abord un album à compter les animaux jusqu’à 12, mais aussi jusqu’à 100 pour les fourmis. C’est ensuite un album en randonnée et à énigme, invitant le lecteur à se questionner sur ce qui va se passer ce soir, secret partagé par tous, sauf le lecteur ! C’est enfin un album  sur l’entraide qui permet grâce à l’union de réaliser ses rêves et de tenter de toucher la pleine lune. L’album est porté par un graphisme plein de couleur, de vie et de fantaisie. Les doubles pages en format paysage regorgent de détails à découvrir, comme ce minuscule escargot récurrent. Il faut enfin déplier un volet pour découvrir dans son ensemble la majestueuse pyramide. Le style plutôt naïf de la représentation des animaux, les paroles sagement enfermées dans des bulles donnent à lire une sorte de bande dessinée au dénouement inattendu, poétiquement absurde.

Autour d’un personnage exalté, un album qui suit le rythme d’une journée, joue sur les variations des modes d’invitation, sur l’attitude des différents animaux, pour célébrer les plaisirs de l’entraide et rendre hommage à la nature.

La Boutique de Ya foufou

La Boutique de Ya foufou
Patrick Serge Boutsindi – Illustrations Sue Levy
L’Harmattan 2022

Grandeur et décadence du petit commerce de proximité

Par Michel Driol

Voici le 7ème opus des aventures de Ya foufou, le héros récurrent de Patrick Serge Boutsindi, un gros rat prédateur, une sorte de putois. Il s’est mis dans la tête d’ouvrir une boutique dans son village de Bikeri, au Congo. Dans un premier temps, il rencontre tous ses amis, qui sont des animaux vivant en Afrique, pour les informer de sa décision, et annoncer ce qu’on trouvera dans sa boutique. De rencontre en rencontre, la liste s’allonge… Le chef du village donne son accord. La boutique ouvre, et Ya foufou accepte aussi les commandes. Mais a-t-il vraiment vendu de la vraie vodka, et les layettes commandées en France viennent-elles vraiment de la Redoute ? A la suite de cela, la boutique fait faillite.

L’univers africain de Ya foufou tient du conte et de la fable. Les personnages sont en effet le Chimpanzé, l’Hippopotame, le Lion, et bien sûr le Lièvre, protagoniste traditionnellement  rusé et malin. Ils sont à la fois des animaux et des hommes : ils stockent de l’herbe à manger, mais boivent de la vodka, de la limonade et de la bière et mangent spaghettis, riz et confiture… La première partie se présente comme un conte en randonnée traité sous forme vivante de dialogue, avec la rencontre de chaque personnage qui accueille avec plaisir le projet de Ya foufou. On lui donne des conseils avec bienveillance (ne pas faire crédit, avoir des fétiches pour protéger sa caisse), et on assure de devenir client. On retrouve là toute l’oralité du conte. Et les affaires marchent bien sans que le héros ne prenne la grosse tête ou change de comportement. Quand le lièvre l’accuse d’avoir vendu de la fausse vodka, et de la layette fabriquée au Congo, a-t-il tort ou raison ? Le livre semble dire qu’il y a des preuves de la tromperie. Mais la Redoute peut bien vendre des vêtements fabriqués à bas cout dans les pays d’Afrique.  La chute est conforme à celle des autres aventures de Ya foufou, qui montrent l’échec du personnage, sans doute moins honnête qu’il n’y parait…

Un conte africain plaisant et plein de vie invitant à réfléchir sur la question de la confiance dans les affaires, illustré par de magnifiques portraits d’animaux hauts en couleurs, en pleine page.

Aponi et le peuple minuscule

Aponi et le peuple minuscule
Bernard Villiot – Illustrations de Mariona Cabassa
L’élan vert 2022

La petite fille dans la forêt amazonienne

Par Michel Driol

Chez les Wayanas, peuple installé sur les rives du fleuve Maroni, les enfants vivent libres jusqu’à un rite de passage, qui consiste à supporter la morsure de fourmis. Une fillette, Aponi, vit en contact avec les insectes qu’elle protège. Lorsqu’un groupe de chercheurs d’or vient s’installer, détourner la rivière, elle tente de sauver le plus d’insectes possibles, et, malgré elle, inonde les cultures du village. Lors de la cérémonie de son initiation, les fourmis la reconnaissent et l’épargnent, puis, avec l’aide des insectes, elle chasse les chercheurs d’or.

Dans la collection Pont des Arts, voici le premier volume consacré à un objet rituel d’Amazonie, sur lequel on trouvera, à la fin de l’album, une riche partie documentaire qui permet de mieux comprendre les peuples Wayana et Apalaï dont il est question dans l’histoire d’Aponi. Sans chercher à imiter la nature fidèlement, ou à s’inscrire dans une vision ethnographique, les illustrations, pleines de vie et de couleur, donnent à voir une espèce de paradis où hommes, plantes et animaux vivent en harmonie au sein d’une nature luxuriante. Quelque part, on retrouve une vision rousseauiste, celle du bon sauvage menacé par la « civilisation » qui détruit tout, incarnée ici par les dix prospecteurs armés de leurs fusils. Il n’est, bien sûr, pas indifférent que le héros soit une héroïne, et que ce soit avec l’aide de la nature, des insectes, qu’elle réussisse à chasser les intrus. Par là, le récit devient quelque peu conte merveilleux, tout en permettant au lecteur occidental de mieux pénétrer dans les coutumes des peuples d’Amazonie qu’il contribue à faire connaitre. C’est aussi la question des rites de passage que pose cet album. Rite en apparence sévère et cruel ici, puisqu’il s’agit de résister aux morsures de fourmis (pas si cruel en fait, dit le documentaire), rite qui accompagne le fait universel de grandir, de quitter l’enfance et de mériter de prendre place dans la communauté des adultes. Nul doute que cet album invitera les jeunes lecteurs à s’interroger sur nos rites de passage et sur ce que signifie devenir grand, en Europe, aujourd’hui…

Un bel album pour mieux comprendre les peuples amazoniens, certaines de leurs formes d’art et de leurs coutumes

Le Livre coquin, Le livre qui a bobo

Le Livre qui a bobo
Le Livre coquin

Ramadier et Bourgeau
L’école des loisirs, 2021 et 2022

Jouer avec le livre ou être joué ?

Par Anne-Marie Mercier

Voici les 7e et 8e de la série.

En effet, « Le » livre a eu bien des aventures. Ramadier et Bourgeau ont eu le talent de lui faire vivre beaucoup de moments qui font de lui un miroir de l’enfant : avoir peur, s’endormir, être en colère, aller à l’école… toutes ces expériences ont été vécues par le  livre – et par son lecteur.

Et voilà que celui-ci se rebelle… un peu : le coquin se cache, il faut l’appeler, il joue à faire peur, le voilà devenu le compagnon de jeu de l’enfant… accompagné de l’adulte.
Dans le livre qui a bobo l’enfant est conduit à imiter les adultes qui le soignent quand il est malade : on joue au docteur pour soigner ce pauvre livre.

Toutes ces propositions qui demandent au lecteur d’agir avec le livre et suggèrent une interaction sont portées par le graphisme minimal et très expressif du « visage » enfantin attribué au livre, sur un fond de couleur tramée, couleur presque constante dans chaque volume : bordeaux pour l’un, vert maladif puis jaune soleil pour le deuxième. Un livre gai et en bonne forme !

Anne et sa maison de rêve

Anne et sa maison de rêve
Lucy Maud Montgomery
Traduit de l’anglais (Canada) par Laure-Lyn Boisseau-Axmann
Monsieur Toussaint Laventure, 2022

 

A la recherche du grand roman canadien

Par Anne-Marie Mercier

Anne poursuit sa vie dans ce nouveau volume qui la montre jeune mariée et installée avec Gilbert dans une petite maison chaleureuse au bord de la mer, à Four Winds le bien nommé, « un rivage qui connaissait la magie et le mystère des tempêtes et des étoiles ».
Si la maison est isolée, elle est cependant souvent pleine, grâce aux amis qui s’y retrouvent, ceux qui forment « le « clan des bons ». Il y a le Capitaine Jim, un vieil homme qui a vécu de nombreuses aventures extraordinaires, vraies pour la plupart, et qui les raconte volontiers au coin du feu. Il s’extasie à propos de tout : sur les peupliers (« si on choisit les érables pour passer le temps, on choisit les peupliers pour la compagnie »), sur la lune (« avec cette lune qui brille sur Four Winds, je me demande ce qu’il reste au Paradis ») et sur bien d’autres sujets, tout en pleurant secrètement sa fiancée Margaret, disparue en mer. Mademoiselle Cornelia est un personnage comique, avec son refrain « c’est bien typique des hommes », ses préjugés sur les méthodistes et les presbytériens, les gens de gauche et les conservateurs et son humour caustique qui lui fait trouver drôles les avis nécrologiques locaux. Il y a Susan, la servante célibataire qui pense que son heure viendra, ou pas, d’être heureuse. Il y a la belle Leslie, nouvelle âme sœur d’Anne, dont la conquête est ardue. Il y a enfin les gens de la ville et du village, prompts à se déchirer à propos de tout, dont les ridicules égaient les conversations.
L’histoire de Leslie, pétrie de malheurs qui l‘ont rendue amère et distante, est le défi de ce volume. Dans chaque tome Anne sauve au moins une personne d’un destin de souffrance et il semble que les défis deviennent de plus en plus difficiles : ici, le lecteur ne voit pas par quel miracle Anne pourra résoudre le problème de Leslie, à moins de souhaiter la mort de quelqu’un, ou de devoir s’en réjouir si cela arrivait, ce qui n’est guère chrétien et donc pas dans l’horizon de la série qui cultive les bons sentiments, du moins chez ses héros (notons au passage que la pudeur reste la règle et que les bébés y arrivent de façon « poétique »). Pour faire que Leslie sorte de sa vie conjugale cauchemardesque (ici encore l’auteure en occulte certains aspects, tout en les laissant deviner au lecteur adulte à travers des silences, des gestes), l’auteure a recours à une idée originale et pour le moins romanesque… elle fait ainsi pleuvoir les bonheurs après avoir abreuvé son lecteur de noirceur et de cruels chagrins, chagrins auxquels Anne elle-même n’échappe pas.
L’intérêt essentiel du roman, outre la peinture d’un milieu qui fait parfois penser à la causticité de certains romans anglais du XIXe siècle, réside dans la peinture des instants, de la nature, de ses changements, des jours, des nuits, des saisons. On y lit des réflexions sur la mer (« les bois nous appellent de leur centaine de voix, quand la mer n’en a qu’une ; une voix puissante qui noie nos âmes de sa majestueuse musique : les bois sont humains ; la mer est de la nature des archanges », sur un paysage de neige propre à susciter l’admiration mais non l’amour (« dans cette splendeur éblouissante ce qui était beau semblait dix fois plus beau  et en même temps moins attirant ; et ce qui était laid semblait dix fois plus laid ; et tout était soit l’un soit l’autre. […] Les seules choses qui conservaient leur individualité étaient les sapins, car ce sont les arbres du mystère et de la pénombre – ils ne cèdent jamais face à l’invasion brutale de la lumière ».
Enfin, on voit se poursuivre la réflexion sur l’écriture entamée dans les autres volumes. Anne sait sur quoi elle est capable d’écrire : « le fantaisiste, le féérique, le mignon », mais affirme qu’il lui manquerait le talent pour écrire « un grand roman canadien ». Il y faudrait, dit-elle, un style vigoureux, un talent de psychologue, un caractère d’« humoriste et de tragédien né ». Si son roman n’a pas l’ambition d’être sans doute un grand « roman canadien », ce n’est pas par manque de ces qualités, qui éclatent dans bien des pages où se mêlent tragique et drôlerie, mais sans doute par les limites qu’elle s’est elle-même imposées.

 

Hokusai et le Fujisan

Hokusai et le Fujisan
Eva Bensard, Daniele Catali
Amaterra, 2022

 La montagne, la peinture, le monde, la vie

Par Anne-Marie Mercier

Il fallait bien un bel et grand album pour célébrer le souvenir d’Hokusai , le génial « fou de dessin » comme il se désignait lui-même. Il fallait aussi un grand témoin, et pourquoi pas le mont Fuji lui-même : c’est lui qui raconte. Il voit les choses de haut et de loin et ne donne que les grandes lignes de la vie de l’artiste, avec quelques anecdotes saillantes.
La vie d’Hokusai est consacrée à l’art, avec son talent pour les dessins gigantesques ou minuscules, son obsession dans la deuxième moitié de sa vie, pour la nature et notamment la montagne, qui a suscité son œuvre la plus célèbre (avec « La vague ») : les « Trente-six vues du mont Fuji ».
Sans se livrer à un pastiche complet, Daniele Catali propose des clins d’œil, dans des images superbes, dépouillées, sur un beau papier où les encres et l’aquarelle se marient avec de multiples nuances, où les esquisses alternent avec les vaste paysages et où la couleur rare tranche sur le blanc quand elle n’envahit pas toute la page.

Le Livre de ma jungle

Le Livre de ma jungle
Alice de Nussy, Estelle Billon-Spagnol
Grasset jeunesse, 2022

Chaos coloré

Par Anne-Marie Mercier

Quelle jolie idée ! Elle vient sans doute de l’auteure du texte, Alice de Nussy, car elle est l’auteure de la surprenante Malédiction des Flamants roses (chez Grasset jeunesse également), qui sollicitait fortement le lecteur, tant dans l’interprétation que dans l’action (avec des propositions de découpages). Elle pourrait aussi venir d’une collaboration, car l’illustratrice, Estelle Billon-Spagnol, a créé l’album Crocky, original lui aussi dans son jeu avec les genres et les formes.

Esthétiquement, ça ne plaira pas à tous, mais ça risque bien de ravir les enfants : les couleurs sont vives, semblent mises un peu n’importe comment (mais c’est le but), les formes sont enchevêtrées, enfin chaque image est un gros fouillis joyeux. En un mot, c’est la jungle !
Dans la chambre de l’enfant, dans le bus qui l’emmène à l’école, à l’école, à la piscine, à la bibliothèque, au square, à la table du diner, dans son lit… la jungle (c’est-à-dire un joyeux désordre) règne.
Dans tout cela il faut retrouver un doudou peluche chat et deux petites formes rondes avec des yeux et des pattes. Ce n’est pas trop difficile, mais tout de même. Et à la fin on nous offre une feuille dessinée dans le même style, à colorier, et là il y a du boulot !