Un Monde de cochons (la totale)

Un Monde de cochons (la totale)
Mario Ramos
L’école des loisirs (Pastel), 2021

On révise les classiques (1)

Par Anne-Marie Mercier

Ce recueil posthume de Mario Ramos réunit l’histoire-titre (publiée en 2005), qui montre l’entrée d’un petit loup dans une école peuplée uniquement de cochons (maitres comme élèves), L’École est en feu et Le Trésor de Louis dans lesquels on retrouve le duo constitué de Louis (le petit loup) et Fanfan (son ami, un petit cochon), qui s’est constitué dans la première histoire.
Le monde de cochons, c’est celui de l’école avec tout ce qui l’entoure (les trajets où on peut faire de mauvaises rencontres, comme celle des trois grands cochons pour Louis), le refus d’école et ce qui peut l’adoucir, les récrés et la solitude, parfois partagée… et le dessin volontairement un peu cochonné et drôle.
Le volume s’achève avec les croquis préparatoires pour un autre récit, qui aurait pu être intitulé « La pirate ». Cette dernière partie est tout à fait passionnante et montre comment Mario Ramos travaillait, elle illustre son style rapide et les hésitations qui le nourrissent.

C’est un régal, comme d’habitude avec les histoires de Ramos, pleines de clins d’œil, d’humour et de justesse.

Ma musique de nuit / La danse des signes et Uni vert / Remous

Uni vert / Remous
Stéphanie Richard, David Allart

Ma musique de nuit / La danse des signes
Marie Colot, Pauline Morel
Éditions du Pourquoi pas, 2020

Par Anne-Marie Mercier

Dans cette collection, « faire société », deux récits sont réunis, tête bêche, dans un même volume et se répondent. Dans Uni vert et Remous, on imagine un monde changé : il devient vert, totalement vert et les couleurs autres ont disparu, en dehors de la mémoire et de l’imagination des hommes : que va-t-il advenir ? Ou bien il devient mou et seuls certains arbres restent solides : c’est là qu’on doit se réfugier.

Dans Ma musique de nuit et La danse des signes ce n’est pas le monde qui est changé, mais la perception du personnage : l’une est aveugle, et veut jouer de la musique ; une autre est sourde et voudrait danser en rythme avec son ami : comment faire ? Tout est possible, avec la passion et l’amitié. C’est un beau message et un ebelle ouverture.

Les quatre récits s’achèvent avec une page de questions, questions au lecteur, sur son interprétation du texte, question à l’humain, sur ce que cela lui dit de la vie, question au citoyen sur un engagement possible, le sien ou celui des autres, qui serait peut-être déjà là : Pourquoi pas ?

Tempête

Tempête
Sandrine Bonini, Audrey Spiry
Sarbacane, 2015

Tempête dans l’album

Par Anne-Marie Mercier

Que d’ambitions dans cet album ! images superbes et décoiffantes, explosions de couleurs, scenario surréaliste, mêlant réalisme social et onirisme, quadruple et triple pages déployant des scènes fantastiques et superbes sur un réel trop sage… Autre aspects exceptionnels : le format est plus haut que la normale et les couleurs et les ombres sont si bien rendues qu’on se croirait devant un original…
Tout commence pourtant sagement avec une fête d’anniversaire, par un jour gris dans une banlieue pavillonnaire cossue, grise elle aussi : le narrateur, un adolescent, remâche son dégoût :
« les jours s’y succédaient, tristes et brumeux, comme si le cœur des habitants s’était retiré très loin dans leur poitrine. »
Il s’inquiète pour les enfants qui l’entourent « Avec leur façon d’exister si intensément, ils n’arrivaient pas à se faire à tout ce gris qui commençait à leur rentrer sous la peau. Moi, ça ne m’a jamais fait peur mais je me faisais du souci pour ma sœur Félicie, si petite et déjà transparente comme une eau gelée. »
La fête d’anniversaire, traditionnelle elle aussi (ballons, invitation des voisins et des voisins des voisins avec leurs enfants dans le jardin), est très chic (orchestre, discours, buffets avec serveurs, multitude de gâteaux spectaculaires).
Elle est progressivement troublée par un vent de plus en plus fort, qui fait fondre les gâteaux, dérange les coiffures, soulève les robes, fait enfin souffler un vent de folie : une femme en tailleur strict se retrouve vêtue en vamp, le père du héros chante un air d’opéra alors qu’il ouvrait la bouche pour protester contre le désordre, les vêtements se couvent de pois colorés, tout glisse, y compris la route et les bâtiments de la ville, tous et tout partent en tous sens, tout rit.
Les enfants, réfugiés à l’abri sur une colline, regardent de loin en attendant que cela se calme (quand la folie gagne les adultes, mieux vaut s’éloigner et ne rien en voir).
Et tout redevient normal, mais chacun se souvient… et le souvenir s’inscrit dans l’image du triste réel. Entre violence et poésie, déchainement et sagesse, réalisme et déformation du réel, cet album a tout pour étonner et marquer.
Il a reçu le Prix Chrétien de Troyes en 2015.

Sandrine Bonini a bien des talents: elle est l’auteure et l’illustratrice de la série de petits romans d’initiation scientifique Clarence Flute (Autrement jeunesse) et surtout du Grand tour (Thierry Magnier), un beau roman d’initiation, d’aventures, de voyages et de  fantasy, de l’album  Dans mon petit monde, dont Michel Driol, dans sa chronique, relevait la belle ambition, de Lotte fille pirate (chez Sarbacane, avec la même illustratrice), etc.
Elle a aussi illustré de nombreux ouvrages, notamment Ma Soeur est une brute épaisse (Grasset).

Le Clown masqué

Le Clown masqué
Rozenn Desbordes
Editions courtes et longues 2022

Pour vivre heureux, vivons cachés ?

Par Michel Driol

Atteinte d’une rare maladie, Zélie voit son visage s’enlaidir de jour en jour, au point que sa propre famille l’a abandonnée, et que ses amies se détournent d’elle. Petite fille solitaire, rejetée et bannie de tous, elle découvre un jour dans une gare abandonnée une valise contenant un costume de clown, avec masque et perruque. Après l’avoir essayé, elle monte un premier numéro qu’elle va jouer à la gare voisine. Puis va animer la fête de l’école, et se rend de plus en plus souvent au parc où se retrouvent tous les enfants, ravis de jouer avec ce clown si inventif. Jusqu’au jour où le masque tombe par hasard, et où Zélie se retrouve encore plus ostracisée qu’avant. Heureusement, un petit cirque passait par là, dans lequel tous les artistes, qui ont une particularité physique, acceptent Zélie telle qu’elle est et lui promettent un bel avenir de clown.

Epousant au plus près le point de vue de Zélie, le roman plonge le lecteur dans les sentiments d’une petite fille de neuf ans que personne ne protège ou aime, mais qui aime tout le monde et n’a qu’un souhait, celui d’être acceptée par les autres. Le roman expose la cruauté ordinaire des adultes et des enfants, prompts à se détourner de ce qui est différent, ou leur fait peur. Cette violence est particulièrement bien montrée, avec ses répercutions psychologiques au travers du vécu d’un personnage attachant qui hésite, exprime son désarroi. SI le costume du clown masque celle qui le porte, il révèle aussi, comme un miroir, les réactions du public. Tout n’est-il qu’affaire d’apparence ? C’est ce que semble montrer le roman, qui met l’accent sur l’incapacité des habitants du village à s’intéresser aux sentiments, aux émotions, à la personnalité de Zélie pour ne s’en tenir qu’au rejet de la fillette et à l’acceptation du clown qui leur procure du plaisir dans sa maladresse, sa coquetterie, sa façon d’exagérer des traits de comportement. Si Zélie s’en tire, c’est grâce à son imagination, mais aussi à son amour des autres. Car il faut aimer les autres pour accepter de se mettre en danger, et de les faire rire. C’est ce que révèle à Zélie le clown du cirque qui l’accepte, dans une belle théorie du clown. Plus fondamentalement, le roman invite à s’interroger sur la place de Zélie : n’est-elle que parmi ceux qui vivent en marge, des circassiens tous différents, marginaux allant de ville en ville, ou dans la cité ? Jusqu’à quel point sommes-nous prêts à accepter ceux qui sont différents, et à nous enrichir de leurs différences ? Ce sont ces questions que le roman laisse à méditer au lecteur, sans y apporter de réponse.

Un roman juste et touchant, drôle et plein de sérieux, pour dire à hauteur d’enfant le poids du jugement des autres et de l’apparence, et inciter à accepter l’autre dans ses multiples différences..

Ma Vie en vert, tomes 1 à 4

Ma Vie en vert, tomes 1 à 4
Michel Van Zeveren
L’école des loisirs, Pastel, 2021-2022

Vert… comme un martien

Par Anne-Marie Mercier

La science-fiction est rare dans les ouvrages pour le jeune public, surtout la bonne SF. On avait eu la belle surprise de la BD de Zita la fille de l’espace, de Ben Ben Hatke, chez
Rue de Sèvres (voir nos chroniques pour le tome 1 et les tomes suivants) et depuis il semble que les ouvrages drôles, inventifs et traitant de sujets sérieux se multiplient dans ce genre, notamment sous la forme de séries.

 


Ma vie en vert présente la vie d’un enfant terrien après que sa planète a été envahie par des petits hommes verts : eh oui, les clichés ont du bon quand ils sont utilisés avec humour, mais on pense forcément aussi à l’occupation allemande en France pendant laquelle les soldat de l’armée ennemie étaient appelés « les verts-de-gris » (couleur de leur uniforme).
Ces nouveaux martiens sont donc entièrement verts et ne possèdent qu’une patte (original !). À cause de cela, ils obligent les habitants à ne manger que des choses vertes (ce qui les colore en vert, eux comme leurs habits) et à se déplacer à cloche-pied. Mais la résistance s’organise… Les habitants sont confinés, arrêtés… mais ils triomphent bien sûr (mais tout de même un peu par hasard) à la fin des méchants.
C’est drôle, plein de belles trouvailles et les dessins sont parfaits.

 

 

 

 

 

 

Zita, la fille de l’espace

Zita la fille de l’Espace, t. 2 et 3

 

Si seulement Lucie

Si seulement Lucie
Vincent Engel 
Mijade, 2021

Et si ton sourire me cueillait demain à l’aube?

Par  Christine Moulin

Nous voici devant un roman choral où alternent les voix de deux narrateurs, Jim, qui vit seul avec sa mère dépressive, et Lucie, qui vient de déménager dans son immeuble et s’adresse à un « tu » mystérieux: ses parents se disputent sans cesse et on apprend très vite qu’avant, elle dessinait… Avant ? On ne sait pas trop avant quoi…

Les deux adolescents tombent vite amoureux mais un obstacle de taille va les séparer: Lucie est persuadée qu’elle porte malheur à ceux qu’elle aime.

Cela va donner lieu à une histoire bien menée, quoique très simple, qui rend attachants les deux héros, dont les sentiments passionnés, tendres et profonds sont évoqués avec justesse. La pesanteur du passé, du silence, des secrets « qui sont des cancers » crée une attente intéressante et débouche sur un voyage initiatique à la fois vraisemblable et signifiant, plein d’espoir. Si seulement Lucie est un roman d’une humilité lumineuse: il ne cherche nullement à en jeter plein la vue au lecteur et du coup, parvient à l’atteindre et à l’émouvoir.

 

 

Papa partout

Papa partout
Emilie Chazerand illustrations de Sébastien Pelon
L’élan vert 2022

L’absence, la voilà…

Par Michel Driol

Dès le début, la mort du père est là, à peine euphémisée : Maman dit qu’il est au ciel désormais, puis énoncée directement, en une phrase non verbale qui sonne comme un couperet : Mort. Au début, pour le narrateur, il n’y a que le vide et le chagrin, le souvenir des choses qu’ils ne feront plus. Puis c’est la découverte de la présence du père dans tous les objets, vêtements, même ces objets intangibles que sont l’ombre sur la plage et le reflet des yeux dans le miroir.

Voilà un bel album bouleversant, plein de simplicité, pour dire différentes phases du deuil vues à hauteur d’enfant, de la colère et du sentiment de l’injustice profonde jusqu’au retour du sourire et de la paix intérieure, ce que l’on nomme résilience. L’album sait éviter l’écueil du pathos par une écriture qui sait être à la fois métaphorique et enfantine pour exprimer ce que traverse l’enfant. Il est question de l’oreiller salé au réveil et du cœur haché menu, par exemple. Les anaphores disent la répétition des marques de l’absence, mais surtout celles des signes de présence avec la série des groupes nominaux qui commencent par « Dans… », façon de rendre concrète l’universalité de cette présence mystérieuse de l’absent. L’illustrateur a su jouer aussi de la simplicité et de l’expressivité, semblant prendre au pied de la lettre certaines expressions comme « il est au ciel », ou donnant à voir une vision du jeu de Puissance 4 comme une sorte de prison derrière laquelle est caché l’enfant, dont seul l’œil cherche à voir au delà du jeu. Quant aux aplats de couleurs, ils se réchauffent progressivement, allant jusqu’au jaune éclatant de la plage et de la maison finale. A noter que les pages de garde reprennent aussi ce code de couleurs.

Un bel album, mélange de tendresse, de fragilité et de force, pour évoquer les étapes du deuil lié au décès le plus éprouvant qui puisse affecter un enfant.

Compte avec Olivia

Compte avec Olivia
Ian Falconer
Seuil Jeunesse, 2022

Ou sans

Par Anne-Marie Mercier

Publié auparavant sous le titre « Olivia sait compter », voici ce petit livre d’apprentissage de retour avec un autre titre, plus dynamique, impliquant l’enfant (on voit les stratégies marketing comment les théories pédagogiques sont à l’œuvre). Mais à part cela, rien de nouveau : les chiffres apparaissent sur chaque page accompagnant des objets ou personnages tirés de l’univers d’Olivia. Les dessins sont comme toujours drôles, masi le vocabulaire choisi laisse rêveur : le mot « accessoires » pour désigner des objets comme un collier, une casquette, des lunettes, un collant est-il le meilleur (ça sent la traduction) ?
Pour les fans (et on les comprend) d’Olivia.

Aggie Morton, reine du mystère, t. 1 : l’affaire du grand piano23

Aggie Morton, reine du mystère, t ; 1 : l’affaire du grand piano
Marthe Jocelyn, Isabelle Follath
Traduit (anglais, Canada) par Marie Leymarie
Gallimard jeunesse, 2020

Le Masque en Gallimard jeunesse ?

Par Anne-Marie Mercier

Une série policière, ce n’est pas nouveau, mais une série qui se réclame aussi ouvertement des romans d’Agatha Christie, c’est plus rare : l’héroïne, Aggie, s’appelle de son prénom complet Agatha, son ami s’appelle Hector Perrot et, comme Hercule Poirot, il est belge et méticuleux à l’extrême quant à l’hygiène et à la bienséance.
Les similitudes se poursuivent avec le type d’intrigue (le roman à énigme), la poursuite de l’investigation (de multiples suspects, pour finir par trouver comme assassin celui auquel on n’a jamais pensé (enfin, ça dépend du « on »). Aggie dresse un portrait de jeune fille sûre de son talent et de son futur d’enquêtrice qui pourra séduire son public, Hector est un peu effacé.
Tout ça a le charme d’un bonbon anglais, un peu acidulé, mais tout de même bien sucré, l’original avait le mérite d’être plus bref. Aggie a une excuse quant aux longueurs de l’ouvrage : elle se voit déjà écrivaine de romans de mystère et elle double le récit des événements et les dialogues par une ébauche de narration de son cru assez comique tant la recherche des effets est visible et tâtonnante.
L’humour du pastiche peut-il être perçu par un lecteur/ lectrice qui ne connaitrait pas les romans d’Agatha ? Ce n’est pas sûr.

Au début

Au début
Ramona Badescu, Julia Spiers
Les grandes personnes, 2022

Quand la fin est dans le début

Par Anne-Marie Mercier

Au début, on aurait pu être prévenu par la couverture qui disait clairement qu’il allait être question d’oiseaux, d’arbres et de fleurs. Mais l’automatisme est là : dès qu’on voit des personnages humains on pense que ça va être leur histoire. Dans cet album, ce n’est qu’en partie vrai. « Au début », ils sont nombreux « dans l’ombre fraîche du vieux néflier ». Journée d’été, rencontre de personnes d’âges différents dans un jardin: des voisins, une famille ? La réponse vient petit à petit.
La suite n’éclaire pas mais perd encore un peu plus : la date, présente sur chaque double page, recule dans le temps. On voit une éclosion d’œuf, un œuf entier, un couple d’oiseaux… puis un bébé, puis une jeune femme enceinte : l’histoire se rembobine.
Elle va jusqu’au début de tous ces débuts, l’été 1952, quand une troupe d’enfants incarnée par le « on » du narrateur, rentre assoiffée de la plage et va chiper des nèfles pour se désaltérer. Ils en rapportent dans le jardin où le néflier n’a pas encore poussé, crachent les noyaux par jeu. On devine la suite.
Alors, on reprend l’album pour tourner les pages en sens inverse et on découvre qu’il a deux pages de couverture et deux pages de titre, une au début et une à la fin. On voit les différentes étapes de la croissance de l’une des pousses issues des noyaux du départ. Parallèlement on voit l’histoire de l’un des enfants du groupe, son adolescence, sa solitude, la rencontre d’une fille, le mariage, les enfants, les petits enfants et on reconnait le narrateur dans l’homme aux cheveux gris du début. Ainsi, le sujet principal est le temps, le temps de pousser, de vivre, d’engendrer, de savourer la vie – et le temps de la lecture et de la relecture.

Les aquarelles illustrent très joliment cette histoire et la portent avec efficacité dans cet album avec très peu de texte. Elles recréent une atmosphère d’enfance et de jeu : formes rondes, couleurs tranchées, simplicité, avec une petite allure « vintage »  années 50.