Ma petite maison ronde

Ma petite maison ronde
Bolormaa Baasansuren
Rue du monde 2013

Avoir un an en Mongolie

Par Michel Driol

Entre documentaire et fiction, cet album raconte la première année de la vie de Jilu, fils de nomades mongols. Porté par la voix de Jilu lui-même, de façon naïve et enfantine,  le récit évoque la naissance,  le premier jouet, la rencontre avec le grand père, les quatre  campements, au fil des saisons, et l’enfant qui grandit.

A la façon de Jilu, le jeune lecteur occidental découvre, à travers le texte et les illustrations, ce mode de vie rude et tellement éloigné du nôtre. L’album se tient sur une ligne de crête entre la poésie du texte (qui reprend souvent le symbole du cercle protecteur et le lien avec la nature environnante) et une dimension ethnographique réaliste, portée en particulier par les illustrations qui, tout en s’inspirant fortement de l’art populaire, donnent à voir de nombreux détails de la vie quotidienne (objets, rites, coutumes, vêtements).

Une belle façon de faire découvrir d’autres façons de vivre et l’amour familial, la bienveillance comme valeurs universelles.

Ma cabane

Ma cabane
Guillaume Guéraud illustrations Alfred
La Martinière jeunesse 2022

Comme un écho au Baron perché…

Par Michel Driol

Dans le jardin de ses grands-parents, Youri et Olga, le narrateur s’est construit une cabane dans les arbres. Faite de bric et de broc, elle devient pour l’enfant un refuge que son imagination transforme en navire, en hélicoptère, en palais ou en igloo, perdus au milieu de la savane, d’un cimetière ou d’un territoire jamais exploré…

Qui n’a jamais rêvé d’avoir une cabane dans les arbres ? Lieu protecteur, extraordinaire, il est le reflet de celui qui l’a construit de ses mains. C’est bien cet imaginaire-là, celui de Robinson perdu sur son ile, celui de l’arbre maison de Claude Ponti, que convoquent Guillaume Guéraud et Alfred. Car il est difficile de dissocier dans cet album l’auteur de l’illustrateur. Avec fluidité, le texte fait passer de la description de la cabane aux rêves, avec une formule récurrente : Parfois je me dis… Et le narrateur d’entrainer le lecteur dans des univers pleins d’aventure, de risque, de dangers, bien loin de la tranquillité du lieu où prennent source ces rêves. La cabane devient alors un extraordinaire terrain de jeu pour cet enfant que l’on voit toujours seul, et qui se réfugie dans son imagination durant tout un été passé avec ses grands-parents. Se conjuguent alors l’expérience intérieure de l’enfant et le vaste monde, bien au-delà des limites du jardin familial. Très colorées, les illustrations évoquent la luxuriance de la nature, et jouent sur les perspectives. Souvent vue en contre plongée, la cabane se détache du ciel et prend des dimensions variées, minuscule ou géante, avant de s’envoler dans le ciel, portée par un nuage. Suspendue entre ciel et terre, la cabane est à la fois une base solide et fragile, comme un tremplin pour l’imaginaire, mais aussi un tremplin vers le futur, tout en portant les traces du passé incarné ici par les grands parents ( le grand père qui a appris à faire les nœuds, et le parasol de la grand père). C’est cette série d’entre-deux que cet album illustre magnifiquement.

Avec finesse, avec une pointe d’humour, avec réalisme mais aussi avec  poésie, cet album est une belle ode à l’imagination.

Rue de la peur

Rue de la peur
Gilles Baum –  Illustrations d’Amandine Piu
Amaterra 2021

Freaks !

Par Michel Driol

Une petite fille sort de chez elle, et, pour aller à la maison de son grand-père, doit longer la rue de la peur. Dans chacune de ces maisons habite un monstre redoutable, que l’on aperçoit si l’on ouvre la porte ou les fenêtres. Un cerbère, un cyclope, une pieuvre… et enfin le grand père, dont on découvre avec surprise les trois yeux, et qui serre sa petite fille dans ses bras, avant de lui montrer l’arrière du décor. Et l’on apprend alors que le yeti adore les légumes surgelés, que les fantômes aiment défiler… et que la petite fille a aussi trois yeux, pour mieux voir le monde ?

C’est d’abord un beau livre objet, en forme de maison, qui se déplie comme un leporello, donnant à voir la totalité de la rue de la peur, tandis que l’autre côté montre les monstres dans leur intimité, pas effrayante du tout ! Voilà une belle façon de jouer avec les peurs enfantines, représentées ici par la petite fille pas très rassurée tout au long de son parcours, courant, marchant sur la pointe des pieds, ou sifflotant, l’air dégagé… Chaque maison, plus inquiétante que la précédente, renvoie aux imaginaires des cauchemars et des personnages inquiétants, pour le plus grand plaisir du lecteur. La seconde partie du voyage, la visite guidée que propose le grand-père, est d’une autre facture. Il s’agit d’un réel apprentissage, apprentissage de la diversité, de la tolérance, et découverte des autres dans ce qu’ils ont de positif au-delà de leur apparence repoussante. Ainsi chaque personnage devient sympathique et quelque part, a son grain de folie, mais peut aussi être la victime de sa propre monstruosité, comme une infirmité. Toutes les angoisses éprouvées par la fillette se renversent alors en sympathie pour les personnages dont le grand-père donne à voir la vérité profonde au-delà de l’apparence. Si tous les archétypes de la peur sont bien présents, c’est pour être mieux déconstruits dans la seconde partie par l’adulte bienveillant. Après tout, tout n’est qu’affaire de regard et de point de vue. Ainsi nous lecteurs avons nous été bernés par la représentation de profil de la fillette, et ne découvrons qu’à la fin qu’elle fait aussi partie des monstres. Peu de textes dans cet album, mais fortement encadrés par deux expressions qui en disent toute la philosophie : Parfois l’enfer mène au paradis, et Merci Papy tu m’as ouvert les yeux !

Un beau livre objet pour jouer à se faire peur, mais, au-delà de ce jeu, un album qui aborde le thème de la différence avec un humour indéfectible !

Sombre

Sombre
Patrice Favaro
Le calicot 2022

Ce qui reste de l’enfance

Par Michel Driol

Le narrateur vit avec ses grands-parents dans une ville du sud de la France. Il prend des cours d’orthographe avec une jeune étudiante. Un jour, il est la cible d’un pédophile au scooter jaune. Apeuré, pour se défendre, il récupère le révolver de ses grands-parents, en parle à un de ses copains qui l’incite à aller, avec lui, attaquer quelques homosexuels. Puis le copain, qui garde le révolver, attaque un commerce… Quelques années plus tard, écrivain, il revient sur les lieux de son enfance.

Le narrateur donne toujours un nom aux gens qu’il rencontre. Sombre, c’est lui, la Ridée et le Trembloteur ses grands-parents… Des surnoms qui disent en fait la vérité profonde de ceux qu’il croise. Victime du divorce de ses parents, il se souvient des jours heureux, se dédouble parfois : je et il. Deux rencontres le marquent : celle de Clara l’étudiante, comme un premier amour inavoué, celle de Flamme, l’homosexuel, qui trouve les mots pour lui parler et le faire progresser. Grandir  sans ses parents, pris dans une ville sans intérêt, solitaire, quand on est Sombre, mais qu’on va aller vers la lumière et la reconnaissance finale de l’écrivain, voilà le parcours que propose dans une écriture dépouillée et expressive ce petit roman, plus complexe qu’il n’y parait à premier regard. Complexité des thèmes qu’il aborde : solitude de l’adolescence, l’enfant victime d’un sadique, des préjugés du copain, confronté à l’homosexualité, à d’autres différences. Complexité de l’écriture, en particulier dans les incipits des chapitres, phrases courtes, groupes nominaux, allant à l’essentiel. Complexité du regard de l’adolescent sur le monde, marqué en particulier par les surnoms sans complaisance qu’il donne à son entourage.  Complexité du temps qui passe, qui évoque aussi bien le passé glorieux de docker du grand père que la réussite du héros dans un domaine où on ne l’attendait pas. Le dernier chapitre, en particulier, après une belle ellipse, le conduit à décrire ce qui a changé dans cette ville du sud en quelques années.

Un beau roman dans lequel nombre d’adolescents, solitaires, mal dans leur peau, sombres eux aussi, dans des familles désaccordées, se reconnaitront, pour les inciter à réfléchir et leur donner l’espoir de la lumière à venir.

Elmer et l’histoire du soir

Elmer et l’histoire du soir
David McKee
Kaleidoscope, 2022

Encore une histoire, une dernière…

Par Anne-Marie Mercier

David McKee est mort récemment, mais Elmer vit toujours : on découvre encore des histoires, publiées l’an dernier au Royaume-Uni, qui font revivre le petit éléphant à carreaux bariolés. Si dans les premiers volumes son apparence était à l’origine des récits, le temps et la célébrité ont fait que ce n’est maintenant qu’un argument de vente: l’histoire racontée ici pourrait être celle de n’importe quel éléphant – ou même de n’importe qui.
Elmer doit garder deux éléphanteaux jusqu’au retour de leur mère qui ne reviendra qu’après leur coucher. Elle lui conseille de leur raconter une histoire pour les endormir, « une histoire comme celle du tapis volant ». Elmer a une autre idée : leur faire faire une longue promenade afin qu’ils s’endorment vite.
En chemin ils rencontrent toutes sortes d’animaux accompagnés d’un ou deux petits à qui Elmer raconte son projet, et chacun conseille une histoire : « celle du cookie magique » conseillent les lionceaux, tandis que les petits crocodiles proposent « celle du monstre qui a perdu son ombre », le lapereau celle du nounours invisible », etc. À la fin, Elmer et les deux petits rentrent fatigués… et les petits s’endorment sans histoires (à tous les sens de l’expression).
Album sur les bienfaits de la marche pour faire dormir les enfants ? Pourquoi pas. Mais c’est surtout le charme des dessins et des couleurs et l’invitation aux parents à se saisir des titres pour inventer à leur tour d’autres histoires qui sont intéressants.

Dans la forêt sombre et profonde

Dans la forêt sombre et profonde
Delphine Bournay
L’école des loisirs, 2021

L’avez-vous eue, les p’tits loups ?

Par Anne-Marie Mercier

Dès la couverture, tout est là : le décor avec le titre, l’ambiance avec les couleurs sombres, et ce qui fait peur, avec ces yeux grands ouverts qui nous guettent à travers les branches.
Donc, il y a la forêt, et il y a des loups, et dès les premières pages on les entend : ils grognent et ils hurlent.

Mais ce sont des louveteaux. Et ils ne guettent pas le voyageur égaré. Ce sont des petits qui ne veulent pas dormir. Ils réveillent par leurs cris un grand loup (on apprend ensuite que c’est leur mère), un peu excédé, qui leur demande ce qui leur manque pour dormir.
Toutes les stratégies y passent et c’est assez drôle : ils réclament le bisou, le soin d’un bobo, l’histoire, rituels qui tous ont déjà été effectués, et enfin, la chanson… qui manquait.
Le dessin est très efficace, drôle, on voit juste ce qu’il faut.
Et c’est un bon livre à lire avant l’endormissement, à condition d’être prêt à chanter une chanson… mais c’est la dernière, hein ?

 

Bonsoir lune

Bonsoir Lune
Margaret Wise Brown, Clément Hurd
L’école des loisirs, 2022

Do… do… Do…do

Par Anne-Marie Mercier

Classique de la littérature mondiale pour la jeunesse, ce petit livre étrange et hypnotique avait déjà été publié par l’École des loisirs en 1981. Il revient dans une belle édition cartonnée.
On y voit une chambre (bonsoir chambre!) qui revient de deux doubles pages en deux doubles pages avec un cadrage différent, et, dans les autres doubles pages qui alternent avec elles, on voit, isolés, les objets présents dans la chambre. On dit également « bonsoir ». S’installe une répétition berçante et rassurante, parfaitement analysée par Cécile Boulaire dans son blog – carnet de recherches  sur l’album.
Si la chambre est représentée avec des couleurs complémentaires vives, à fond perdu, les images des objets sont des vignettes en tons de gris sur fond blanc : cette régularité berce déjà. Le personnage couché dans le lit (un petit lapin en pyjama) se tourne vers tous les objets, avant d’être pris par l’obscurité et le rythme de la répétition. Les étoiles, l’air et les bruits de la terre sont les derniers à être salués : chut !

Champignons

Champignons
Gaëtan Dorémus
Rouergue,  2022

On serait des petites bêtes…

Par Anne-Marie Mercier

Imaginez que vous êtes un insecte, à quoi allez-vous jouer ?
L’album de Gaëtan Dorémus donne une réponse développée sur tout ce qu’on peut faire avec des champignons : sauter dessus et rebondir (le champignon c’est souple et bombé), s’y mettre à l’ombre (ça ressemble à un parasol), escalader, se cacher, se baigner, danser… tous les plaisirs de l’été s’offrent aux petites bêtes, on les envie.
Et puis on apprend des choses aussi : les champignons peuvent exploser, on peut les manger (mais pas tous !)…

Si le parcours est moins exploratoire que dans les albums précédents, la drôlerie du dessin et la beauté des couleurs de Gaëtan Dorémus sont toujours aussi délicieux.

Scarlett & Browne, livre 1: Récits de leurs incroyables exploits et crimes

Scarlett & Browne, livre 1: Récits de leurs incroyables exploits et crimes
Jonathan Stroud
Traduit (anglais) par Laetitia Devaux
Gallimard jeunesse, 2021

Bonnie and Clyde dans les sept royaumes

Par Anne-Marie Mercier

Je ne sais pas si c’est le fait d’avoir d’abord travaillé chez Walker Books, un éditeur anglais de livres pour enfants, qui a donné à Jonathan Stroud toutes les ficelles du métier (c’est un peu ce qu’il dit d’ailleurs) et les recettes pour aligner les best-sellers, mais le fait est qu’il les accumule : après avoir écrit une trilogie de fantasy pour la jeunesse (Trilogie de Bartiméus), il a publié un vrai feuilleton avec Lockwood & Co (histoires de chasseurs de fantômes) aux titres évocateurs; le premier est attirant : « The screaming straircase » – l’escalier hurleur, il a dû bien s’amuser…). Cette série  va être reprise chez Netflix par Joe Cornish (Attack the Block, The Kid Who Would Be King, Adventures of Tintin: The Secret of the Unicorn).
Jusqu’ici publié en France chez Albin Michel (dans la collection Wiz, dédiée à l’étrange, qui republie en ce moment des œuvres de Stephen King), le voici passé chez Gallimard jeunesse, dans la collection grand format de romans pour ados, qui a accueilli bien des ouvrages devenus des classiques (curieusement, on voit que pour ses publications en Angleterre, il a publié d’abord chez Doubleday, puis chez Corgi avant que cette nouvelle série sorte chez Walker). La liste de ses récompenses est impressionnante (voir son site, qui fait bien sa publicité).
Mais les recettes ne font pas tout et il s’agit aussi d’être un écrivain, et Jonathan Stroud l’est effectivement. Je n’avais lu aucun des ses ouvrages jusqu’ici et j’ai été immédiatement convaincue par son talent pour créer un univers complet avec sa géographie, sa flore et sa faune (brrrr…), faire émerger ses personnages, lancer l’action, laisser de nombreux éléments dans l’ombre et parsemer son récit de petits éléments comme l’allure de la lune ce soir-là, la lumière sur un objet,… qui rendent vrais les récits les plus incroyables. J’ai aussi aimé le cadre étrange mi familier mi nouveau dans lequel son histoire se déroule.
L’Angleterre a été dévastée par une catastrophe, on ne sait pas exactement laquelle. L’île est divisée en sept royaumes (tiens, tiens…) et est en partie envahie par l’eau. La région de Londres est un lagon, Chelsea, Bayswater et Wandsworth sont des îles libres – Depuis (?) La Belle Sauvage de Philip Pullman (qu’on trouve aussi chez Gallimard jeunesse), une Angleterre aquatique semble s’imposer. Les autres villes sont organisées en citées plus ou moins policées, présentant différents niveaux de civilisation (donc plusieurs époques). Elles sont tantôt livrées à la barbarie, tantôt dirigées par un tyran, tantôt administrées par un conseil municipal, toutes peu accueillantes pour les étrangers ou les êtres différents, et elles ont bien raison, tant ce duo de héros sème la pagaille partout où il passe. .
Étrangère, Scarlett McKain l’est. Elle est aussi aventurière, rousse, écossaise, pilleuse de banques, meurtrière quand il faut (et même un peu plus), pourchassée. Différent, Albert Browne l’est malgré son nom conventionnel (et très anglais) : d’abord par sa fragilité et son air perdu au milieu des monstres qui peuplent les forêts, puis d’une tout autre façon. L’entraide est immédiate, montrant que Scarlett a tout de même un coeur malgré sa sauvagerie. l’attachement entre ces deux-là se fait très progressivement, attendrissement et agacement se mêlant chez la première, reconnaissance et perplexité chez le second.
Je n’en dirai pas plus, tant les événements s’enchainent de façon surprenante : c’est à savourer sans culpabilité.

Pour faire un oiseau

Pour faire un oiseau
Mag McKinlay, Matt Oatley
Traduit (anglais, Australie) par Rose-Marie Vasallo
Kaléidoscope, 2022

Rêve d’ailes

Par Anne-Marie Mercier

Avec ce titre qui évoque le poème de Prévert, on retrouve le mélange entre réel et imaginaire, détails concrets et envol de la pensée.
Ici, c’est à une seule enfant qu’on s’adresse : on lui propose de reconstruire un oiseau à partir de ses parties : les petits os, les plumes, un bec, des griffes en crochet… le résultat est un peu pitoyable mais…
Ouvrir la fenêtre, respirer, souffler, rêver d’espace et la magie opère.

C’est très beau. On a envie d’y croire (mais on n’y croit pas vraiment tant les os, les plumes, l’absence de chair et de cœur et de chant disent la mort de ce qui fut l’oiseau). C’est un bel hommage à un oiseau disparu, et à un oiseau rêvé. Les images sont magnifiques et nous emportent dans les nuages et puis dans le bleu d’une plage immense et déserte.
C’est un beau voyage, et un éloge de l’imaginaire paradoxal, un peu étrange mais saisissant.