Le voyage sur la lune

Le voyage sur la lune
Isabelle Gil
L’Ecole des Loisirs, 2020

Quand on respecte les plus jeunes

Par Christine Moulin

L’album cartonné semble solide et prêt à supporter manipulations et morsures des tout-petits. Ce n’est pas pour autant qu’il cède à la facilité des imagiers sans originalité. Il propose une aventure, celle d’Ourson qui décolle pour un voyage dans l’espace. Le jeune lecteur a le droit à des péripéties et à … une chute, qui est aussi une célébration de l’amitié et des jeux partagés. Les illustrations, des photos très lisibles mais parfois joliment poétiques (quand, par exemple, il s’agit de représenter la lune), détournent des objets du quotidien pour en faire des engins spatiaux et célèbrent ainsi les pouvoirs de l’imagination. Le texte, tout simple, n’est pas plat: il comporte des dialogues, des onomatopées, des exclamations, voire, luxe suprême, des inversions du sujet (« Enfin arrive le jour du départ »). Autrement dit, on peut être exigeant tout en se mettant à la portée des bébés lecteurs et c’est une bonne chose!

La Clé des champs

La Clé des champs
Audrey Faulot
Gallimard jeunesse, 2021

La clef du succès

Par Anne-Marie Mercier

Le concours du premier roman, organisé par Gallimard jeunesse, RTL et Télérama, se révèle encore une fois une excellente idée : après avoir révélé pour sa première édition Christelle Dabos (La Passe-Miroir, 2013), puis Lucie Pierrat-Pajot (Les Mystères de Larispem, 2016) et Kamel Benaouda (Norman n’a pas de super pouvoir, 2018), il met en vedette Audrey Faulot, avec un roman original et sensible.

La narratrice, Robine Larcin (nommée Robine en hommage à Robin des bois, le voleur généreux), appartient à une famille de voleurs célèbres. Le monde dans lequel se déroule son histoire n’est pas tout à fait le nôtre. On y découvre une société de voleurs, avec ses propres règles et ses traditions, qui vit cachée dans un monde semblable à celui que nous connaissons, un peu comme dans Harry Potter les Sorciers peuvent côtoyer les Moldus. Les jeunes gens y sont éduqués à leur manière et apprennent les techniques et l’histoire du vol sous toutes ses formes. Ils sont soumis avant d’entrer dans l’âge adulte à une épreuve d’initiation qui consiste à voler un objet sans aucune aide extérieure en un laps de temps court. Celui qui échoue est mis au ban de la société, relégué dans le monde des « Marchandeurs » (ceux qui obtiennent ce qu’ils désirent en payant), les Moldus en somme.
La malheureuse Robine est à l’image de tous ces enfants précédés par des frères ou sœurs brillants et parfaitement adaptés à leur monde et au désir de leurs parents alors qu’eux-mêmes ne se sentent pas à la hauteur et n’en ont aucun désir. Heureusement pour la morale du livre, Robine n’aime pas voler et elle préfère fabriquer de ses mains ce qu’elle ne peut acheter. C’est heureux aussi pour l’intrigue car son inadaptation et sa manie de poser des questions lancent l’histoire et la dynamisent.
Après une gaffe plus grave que les précédentes, elle est envoyée dans un pensionnat-école de jeunes voleurs, sa dernière chance pour se remettre dans le droit chemin selon ses parents. Elle y rencontre d’autres enfants placés là pour des raisons différentes, apprend peu à peu l’histoire de chacun, apprivoise difficilement ses ennemis – qui regroupent au début à peu près tout le groupe –, se fait non des amis mais des personnes avec lesquelles elle crée un lien. C’est un livre très juste sur les relations entre adolescents, les groupes, les rapports avec l’autorité, la délation et la solidarité.
C’est aussi une variation drôle sur le thème des « college novels » rendus populaires en France avec Harry Potter : toutes les disciplines (mathématique, culture, sport, chimie…) sont mises au service des différentes techniques de vol ; le directeur, les professeurs et surveillants, souvent un peu bizarres font une belle galerie de portraits, et les couloirs nocturnes permettent des rencontres inquiétantes.
Le college novel se fait rapidement roman policier quand la Clef des champs, relique précieuse conservée dans le bureau du directeur est dérobée. Pour sauver un camarade injustement accusé, Robine propose au terrible directeur de mener l’enquête et de lui amener le coupable. Pour cela, elle devra interroger de nombreuses personnes, suivre une multitude de fausses pistes, s’aventurer dans un village de marchandeurs, tout cela sans rien voler car elle en est incapable. Comble du paradoxe, sa seule escroquerie sera de passer son initiation avec succès en se voyant attribuer le larcin d’une autre qui de son côté sera bien contente de le lui faire endosser.

De nombreux rebondissements, des personnages originaux et attachants, un monde décalé avec humour, tout cela fait un cocktail parfait auquel s’ajoute la touche indispensable de l’animal totem aimé (une pie, bien sûr).

La Passe-miroir, 1 : Les fiancés de l’hiver

Les mystères de Larispem, t. 1 : Le sang jamais n’oublie

Méditer avec les Zamizen. Apprendre les émotions en s’amusant, vol. 1

Méditer avec les Zamizen. Apprendre les émotions en s’amusant, vol. 1
Marc Singer, Stéphane Mallard, Agathe Singer (ill.), Iris Singer et Robbie Marshall (chant), etc.
Voltaire et les Zamizen, Maison Eliza, 2021

Méditer en chantant

Par Anne-Marie Mercier

Voltaire, ne rêvez pas, c’est un chat, mais un chat quasi-philosophe… Il serait plutôt du côté du Zen, comme le titre l’indique et comme le programme le montre : « ne pas se laisser déborder par les émotions, quand on est stressé, en colère, quand on a peur, quand on n’est pas d’accord avec quelqu’un, ce qui arrive à tout le monde ».
Calmer le jeu, faire une pause, travailler sur sa respiration. Rompre avec le mécontentement, être attentif à son humeur comme à la météo, s’initier à la méditation, apprendre à accueillir la nouveauté, l’autre…
Tout cela est présentés en textes et en mini BD qui mettent en scène le chat et mettent en chansons les histoires pour illustrer le thème. Elles sont présentées dans le livre, sous la forme de textes poétiques en pages de gauche et de portées musicales en page de droite : voilà de quoi aider les parents et éducateurs à accompagner aussi en musique.
Et pour ceux qui ne sauraient pas en jouer il y a le CD, ou le Qr code : tout est prévu ; on y trouve la chanson joliment accompagnée au xylophone, à la guitare, au saxo, etc.  et les paroles qui guident la méditation.

Voltaire et les Zamizen, c’est une équipe, un projet, un programme pour l’école ou la famille, une boutique (qui vend le livre et un jeu de cartes sur les émotions), un site. Leur but : « transmettre aux enfants les clés pour inventer un monde plus paisible et heureux. Un monde plus ouvert et bienveillant ».

 

Les Mots fantômes

Les Mots fantômes
David Moitet
Didier Jeunesse 2021

Enquête paranormale

Par Michel Driol

Oihana, la mère d’Eliott s’est suicidée, après avoir préparé des cookies pour ses enfants. Du coup, Eliott ne croit pas au suicide. Lilas, elle, a des apparitions qui la troublent. Tous les deux se retrouvent en maison de repos, où ils découvrent que Lilas voit la mère d’Eliott. Dès lors les deux adolescents font tout pour trouver le responsable de la mort d’Oihana.

 Voilà un roman qui croise l’enquête policière avec le roman de fantômes. C’est Oihana qui conduit les deux ados, par-delà la mort,  à découvrir la vérité. Un fois ce côté surnaturel accepté, et tout dans le roman pousse à l’accepter, on se laisse entrainer par une intrigue bien maitrisée. De fait, ce roman est un véritable page-turner, conduisant les deux héros – et les lecteurs – dans les méandres d’une enquête journalistique et sociétale qui explore des  aspects de notre société et du monde économique sombres, mais bien réels. Pourtant le roman vaut aussi par sa dimension psychologique : Lilas vient d’une famille où on a le don de communiquer avec les morts, mais ce don se heurte au rationnel de notre société et aux réalités convenues et convenables. C’est donc un secret de famille que Lilas, à la fois fragile et pleine de courage et de détermination,  va découvrir, pour finalement assumer sa différence, combattre la lâcheté de ses proches et réparer ce qui peut l’être. C’est enfin un roman qui plonge le lecteur dans une maison de repos où l’on croise un médecin sympathique et compétent, et des malades attachants, blessés, aux comportements parfois agressifs. Le regard de l’auteur est plein d’empathie pour ces personnages-là, qui joueront un rôle non négligeable, et symboliquement fort, dans le récit. En explorant les frontières entre le paranormal et le normal, la maladie et la santé, le roman aborde les questions du lien entre les vivants et les morts, celui du deuil souvent difficile à faire.

Un véritable thriller pour adolescents, qui séduira par sa façon de conjuguer l’enquête policière et le paranormal, tout en révélant de nombreux aspects de notre propre société.

Recto-Verso. petit jeu de mémoire

Recto-Verso. petit jeu de mémoire
Pascale Estellon
Les Grandes personnes, 2021

Jouer comme on lit

Par Anne-Marie Mercier

24 cartes, un mode d’emploi simple, et voilà : le jeu est prêt.
C’est un memory, mais pas seulement. Sur une face est inscrit le mot et dessinée la chose, en noir et blanc. Sur l’autre face, une forme géométrique en couleur évoque plus ou moins l’image du revers. Ainsi la mémoire s’accompagne de la déduction et on assimile les formes et les couleurs. Le renard est associé à un losange orange, le serpent à un serpentin rouge, les étoiles à un triangle… rose.
On peut jouer dans les deux sens : en déduisant le mot de la forme ou la forme du mot.

Jolies images, belles couleurs, belle impression, carton doux au toucher boite élégante, on retrouve les qualités des Éditions des Grandes Personnes appliquées ici au domaine du jeu. Voilà un jeu de memory qui se démarque des nombreux imagiers un peu criards ou platement photographiques habituels.
Découvrir sur le site de l’éditeur.
C’est donc un nouveau domaine auquel Pascale Estellon s’attaque après avoir fait paraitre chez le même éditeur des abécédaires et imagiers tous splendides de simplicité et d’élégance.

 

L’expédition

 L’expédition
Stéphane Servant, Audrey Spiry (Ill)
Editions Thierry Magnier, 2022,

 » Le courage, la force et le sourire, la meilleure des armes, la plus brillante des épées »

 Par Maryse Vuillermet

Une petite fille née au bord de la mer ne rêve que de partir.  Ses parents, loin de la retenir, l’aident à construire son bateau et lui apprennent à avoir du courage.  Elle affronte des tempêtes, des épreuves, rencontre des monstres.  Dans les ports, elle aime, joue et se bat. Toute sa vie, elle poursuit ses rêves, va à l’aventure, se contentant de peu.

Et puis, un jour, elle rencontre un enfant, qui lui aussi veut partir, et l’emmène.

Sous l’apparente simplicité, cet album singulier évoque, sans s’appesantir, mais avec douceur et conviction, l’amour, le respect de l’autre et de sa liberté, la filiation, la mort.

Les dessins et les illustrations de Audrey Spiry sont tout en dynamique et en vitalité, les couleurs éclatantes et le mouvement évoquent l’énergie de la petite pirate, l’exotisme de ses voyages et la puissance de son rêve.

C’est magnifique !

Histoires comme ça

Histoires comme ça
Rudyark Kipling, May Angeli (ill.)

Seuil jeunesse, 2021

Comme ça ! gravées sur bois, et en couleurs

Par Anne-Marie Mercier

Les Histoires comme ça illustrées par May Angeli et publiées par les Editions du Sorbier, notamment dans la collection « Au berceau du monde », étaient épuisées, et c’était bien dommage car les gravures sur bois de May Angeli ont un charme particulier et conviennent parfaitement à l’esprit de ces récits, « histoires des hautes époques, contes du Grand-Autrefois ».
Voici donc à nouveau réunies les douze histoires de Kipling.  Si « L’enfant d’éléphant » et « Le chat qui s’en va tout seul » sont bien connus, dans la catégorie des contes étiologiques, on gagne à découvrir tous les autres, et notamment ceux qui concernent l’invention de l’écriture, et à méditer sur le dernier, étonnante anecdote sur la sagesse de la reine, Belkis, l’une des épouses du roi Salomon…
Liste des contes :

  • Histoire de la baleine et de son gosier
  • Comment il poussa une bosse au chameau
  • Comment le rhinocéros se fit la peau
  • Comme le léopard se fit des taches
  • L’Enfant d’Eléphant
  • Le refrain du vieux kangourou
  • Le début des tatous
  • La 1ère lettre
  • Comment on fabriqua l’alphabet
  • Le Crabe qui jouait avec la mer
  • Le Chat qui s’en allait tout seul
  • Le Papillon qui tapait du pied

Il est hélas trop tard pour visiter l’exposition que la BnF a consacrée aux œuvres de May Angeli mais on peut en voir quelques images sur le site.

 

 

Le Jour où Vicky Dillon Billon n’a pas bu son bol de lait

Le Jour où Vicky Dillon Billon n’a pas bu son bol de lait
Véronique Seydoux, Hélène Georges
Rouergue, 2022

Western enfantin

Par Anne-Marie Mercier

Malgré son nom imposant, Vicky Dillon Billlon est une petite fille et son histoire tient en quelques mots : elle a renversé son lait et sa mère l’a grondée. Rien de bien passionnant ?
Au contraire : la colère de la fillette l’emporte très loin, à cheval à travers les paysages de l’Ouest américain, accompagnée de toute une bande d’amis sauvages, accomplissant de multiples forfaits, passant de rodéo en bar, etc.
Page après page, on file dans l’imaginaire des westerns avec les aquarelles énergiques d’ Hélène Georges, dessinées à grands traits et peintes avec de grands à plats de couleurs vives (bleu et rouge) dans des décors stylisés. Tout se finira en douceur, la « grosse colère » une fois passée grâce à l’évocation d’un doux parfum.

Timothée Brahms et les dingueries follement dangereuses des mondes possibles

Timothée Brahms et les dingueries follement dangereuses des mondes possibles
Aurélie Magnin

Thierry Magnier, 2022

Je préférerais ne pas…

Par Matthieu Freyheit

On connaît la réponse que Bartelby, le personnage de Melville, oppose aux demandes de son supérieur : « I would prefer not to. »

Bartleby de l’aventure, Timothée Brahms se refuserait volontiers à celles qui s’imposent à lui. C’est que l’on sait les principes de l’aventure qui, battant en brèche les havres du confort, s’avance « à coups de nouveautés », selon la célèbre formule de Jacques Rivière. Le confort, pour Timothée, s’incarne dans un fauteuil Sslurp dont il ferait, s’il le pouvait, le décor de son été. Les adultes en décident malheureusement autrement : ses parents, pris par leur travail, décident de l’envoyer chez ses très étranges grands-parents…

A rebours de toute une littérature qui se plaît à fabriquer l’image d’une jeunesse avide d’aventures et de péripéties, Aurélie Magnin s’amuse à dresser le portrait d’un jeune garçon au souhait moins romanesque mais non moins réaliste : celui d’une paix royale. C’est sans compter l’effrayante inconstance (Timothée dirait : inconscience) des adultes, qui sort le personnage de sa retraite désirée pour le plonger dans l’inconfort de l’aventure.
C’est sous le signe de la mise à distance, notamment par l’humour, qui parcourt l’ensemble du livre, que s’ouvre ce roman dont le personnage voudrait qu’il n’en fût pas un :

« Franchement, il y a encore quelques jours, si j’avais su qu’un livre sur la vie de Timothée Brahms existerait, et que tu le lirais, je t’aurais dit :

– T’as lu le résumé au dos du livre ? Parce que dans ma vie, il ne se passe rien !

Apartés, parenthèses, formules barrées puis remplacées, prises à partie du lecteur se multiplient comme autant d’interventions directes du personnage qui résiste par l’humour aux situations dans lesquelles il se trouve embarqué. Foin de la focalisation traditionnelle de l’aventure qui impose au protagoniste d’être tout aux événements : si la rupture avec le quotidien a bel et bien lieu, Timothée n’a pas l’intention de s’y résoudre et impose à son tour aux péripéties les interférences récurrentes de son esprit caustique. Le procédé, parfois un peu répétitif, anime cependant l’ensemble et offre un agréable contrepoint, l’énergie du langage résistant comme elle le peut à l’énergie des événements, qui emportent Timothée malgré lui. Eloignement, conversations secrètes, rencontres inattendues, mystères et énigmes : les ingrédients de l’aventure sont tous là, mais le tout est pris dans une tonalité joyeuse et loufoque qui prend l’ascendant sur l’action. C’est qu’il est un amusement plus palpable encore : celui de l’auteure qui se plaît, dans un heureux mélange des discours et des points de vue, à appuyer par les réflexions de son personnage le déplaisir que celui-ci prend aux situations dans lesquelles son auteure le met.

 

 

Anne de Redmond

Anne de Redmond
Lucy Maud Montgomery
Traduit de l’anglais (Canada) par Laure-Lyn Boisseau-Axmann
Monsieur Toussaint l’aventure, 2021

« des rêves et de la déraison et qui, un jour où l’autre tous nous habitent »

Par Anne-Marie Mercier

Anne Shirley, « Anne with an E » la petite fille de la maison aux pignons verts (ou « green gables »), puis l’adolescente d’Avonlea, est devenue dans ce volume jeune étudiante à Redmond, où elle commence et achève ses études à l’université en même temps qu’un certain nombre de ses amis d’Avonlea, dont le fameux Gilbert, amoureux transi d’Anne dont le succès ou l’insuccès fait partie du suspens de la série. Le destin des amies et amis de son âge est celui d’une jeunesse : certains meurent, d’autres se marient, certains continuent leurs études, d’autres les arrêtent. Certains deviennent adultes, c’est-à-dire oublient leurs rêves, d’autres, comme Anne, les poursuivent et les font parfois advenir.
L’humour est toujours là avec le portrait d’une micro société ; ici, c’est celle des étudiantes dont la vie est rythmée par des drames et des événements de grande importance : bal, choix de robes et de cavaliers, examen, quête d’une bourse ou d’un logement, choix de carrières ou de maris.
Dépasser les frontières, changer sans rien renier, c’est un peu le pari d’Anne dans ce tome. On le lit dans son refus de voir sa relation avec Gilbert évoluer, dans sa fidélité à ses amies de tous âges et son attachement à sa mère adoptive malgré son caractère brusque, et à l’inénarrable Mme Lynde, malgré tout. Elle est également fidèle à ses paysages, nommant toujours les lieux avec les noms inventés lorsqu’elle était enfant, ce qui fait que chaque volume fait écho aux précédents, construisant son personnage dans la durée.
Enfin, son style, ou plutôt celui que l’auteure lui prête, perd un peu de sa grandiloquence enfantine mais est imprégné de littérature romantique, citant de nombreux poètes (citations heureusement rendues visibles par des notes en bas de page), ou de passages de la Bible. La traduction parfaite de Laure-Lyn Boisseau-Axmann sert parfaitement ce style subtil, qui oscille entre lyrisme et humour.
Les débuts de la carrière littéraire d’Anne donnent un recul intéressant à toute l’entreprise, comme un récit de genèse d’une vocation et de l’élaboration d’une esthétique. Elle  s’essaie à la publication de nouvelles, d’abord en traversant toutes les affres des auteurs dont les manuscrits sont refusés, puis avec succès, succès mêlé de dépit comme un épisode très drôle le montre.
Encore une fois, de chapitre en chapitre c’est tout un monde qui se déploie pour notre grand plaisir, le sujet principal étant, somme toute, la grande palette des sentiments humains. L’amour, bien sûr, parfaitement chaste et imide comme le voulait l’époque, y tient sa place, avec Anne cette fois comme protagoniste. Plus largement le volume de Redmond fait vivre les « rêves et la déraison et qui, un jour où l’autre, tous nous habitent », même la sage Anne Shirley.