La retrouvée

La retrouvée
Jo Hoestlandt
Thierry Magnier –Petite poche – 2022

Quand on revient sur les lieux du bonheur passé

Par Michel Driol

Dans une chambre d’hôtel, cinquante ans plus tard, un homme se souvient de son enfance, des week-ends qu’il passait, avec sa mère, dans cette même chambre, des longues promenades sur la plage, des jeux, de sa complicité avec cette mère aux longs cheveux si blonds à qui il arrivait de citer un poème de Rimbaud.

Construit en faisant alterner le présent de l’homme – anonyme – qui fume, se promène et les souvenirs de l’enfance, le récit, dans une écriture très contemporaine, mêle les époques comme pour dire l’amour fusionnel entre ce fils et sa mère, fusion dans l’espace de la chambre, fusion par-delà le temps. Le roman fait appel à plusieurs imaginaires, dont certains s’adressent à des enfants, comme celui de la plage, de ses jeux, du cerf-volant, de l’intimité avec la mère, d’autres plus à des adultes, avec ces grands hôtels du bord de mer, et Rimbaud, bien sûr, cette éternité retrouvée dans les figures superposées de la mer et de la mère. Un récit qui sait aborder des problématiques et des sentiments complexes avec des mots et des expressions d’une grande simplicité pour toucher le plus grand nombre.

Un roman court, destiné à de jeunes lecteurs débutants, qui aborde avec finesse et sensibilité la question du deuil, mais surtout des souvenirs comme une recherche du temps perdu..

La sorcière de la bouche d’égout

 La sorcière de la bouche d’égout 
 Isabelle Renaud,  Juliette Barbanègre, (Ill)
Rouergue, dacodac, 2021,

 

 Les sorcières existent vraiment, il suffit de les voir !

 Maryse Vuillermet

 

 

 

Maud et Melinda ont découvert une sorcière dans la bouche d’égout de leur cour d’école.  Elles la nourrissent de fleurs et lui offrent des cadeaux.  Elles ont une maîtresse formidable qui leur apprend les danses indiennes et qui prépare avec toute l’école un pow-wow pour la fête de fin d’année, mais cette maîtresse adorée se blesse, justement en s’entrainant à la danse du bison. Elle est remplacée par Madame Tric qui, comme son nom l’indique, est très sévère, et  ne s’intéresse qu’aux dissections d’animaux. Plus question de pow-wow !

Quand madame Tric exige des dissections d’animaux vivants, c’en est trop, Maud demande à la sorcière de les sortir de ce malheur. La sorcière va  lui obéir au-delà de ses espérances.

C’est drôle, c’est enlevé, c’est un peu barré, c’est à mettre entre toutes les mains.

 

Le Poème de Fernando

Le Poème de Fernando
Eric Pessan
Thierry Magnier –Petite poche – 2022

Quand on prend soin d’un poème

Par Michel Driol

A 64 ans, Fernando trouve par terre un poème tout chiffonné. Ce dernier, petit à petit, reprend vie, et Fernando se promène avec lui dans tout le quartier et tous les deux deviennent célèbres. Mais un enfant, seul et triste, les regarde avec des yeux pleins de colère. Le lendemain, Fernando lui donne le poème, puis va le nourrir, jusqu’à ce que l’enfant parte ailleurs, et qu’il lui envoie un poème, jeune, vif et intrépide.

Que peut la poésie aujourd’hui ? Qu’est-ce qu’un poème ? Ce sont à ces questions, en faisant appel à l’imaginaire, que répond ce court roman. La fable montre que le poème est vivant, qu’il échappe à tout, suit sa propre voie, mais surtout qu’il est capable d’apporter à chacun quelque chose d’essentiel. Avec un côté quelque peu brechtien, d’abord vient la bouffe, ensuite la poésie, le roman parle aussi de l’accueil des réfugiés, de la façon de prendre soin d’eux comme de la poésie, qui est définie aussi bien négativement, par ce qu’elle n’est pas, que positivement, dans ses multiples variations.

Un roman court, destiné à de jeunes lecteurs débutants, qui indique la nécessité de la littérature, et plus particulièrement de la poésie pour vivre.

Clapas

Clapas
Isao Moutte
Sarbacane, 2021

Du sang dans la Drôme

Par Anne-Marie Mercier

Si vous cherchez un équivalent en BD du film Délivrance, le voici : Clapas raconte l’errance de plusieurs jeunes gens, coincés sur un trajet par une panne ou un éboulement. Leurs tentatives pour trouver de l’aide dans ce lieu isolé, en pleine nature, et même dans le village proche, aboutissent toutes à des catastrophes.
C’est d’autant plus terrifiant que cela se passe en France, dans les forêts escarpées du sud de la Drôme, autour de Luc en Diois où se trouve le Claps (ou Clapas, qui signifie éboulement), plus connu pour ses activités de canoé et d’escalade que pour les assassinats de touristes.
Et pourtant, grâce à l’art du récit d’Isao Moutte, on y croit : l’inquiétude monte progressivement, la description des personnages, notamment celle de ceux qui seront à l’origine de tous les drames, se fait peu à peu, par étapes. Le lecteur prend en sympathie les différents « naufragés de la route », et voit que l’étau se resserre sur tous, implacablement.
Le trait est acéré, les couleurs limitées aux ocres, frissons garantis (on l’aura compris ce n’est pas destiné aux enfants).

L’Envol

L’Envol
Marie Boulier
Thierry Magnier –Petite poche – 2022

Quand la grande sœur décède

Par Michel Driol

En fait de morts, Zéphyr n’a connu que celle de son hamster et de Jacques Chirac, qui ont été accompagnées de minutes de silence. Maintenant, c’est sa grand sœur Alma qui s’est tuée en parapente. Il raconte ses émotions, les bouleversements, la veillée avec la famille et les copains d’Alma, la cérémonie à l’église, et la dispersion des cendres…

Raconter le deuil à hauteur d’enfant, avec émotion, c’est ce que réussit parfaitement Marie Boulier dans ce petit roman. Comment se mêlent la tristesse et les fous rires, les souvenirs des jours heureux et l’anticipation de ce que sera l’avenir avec un grand vide, d’autant plus grand que c’est celui laissé par la sœur ainée, qu’on devine pleine d’humour et d’appétit de vivre. Suivant chronologiquement les différentes étapes, le récit accompagne Zéphyr, qui triture sans cesse ses billes au fond de sa poche comme un geste obsessionnel, et nous fait partager avec beaucoup de sensibilité ses questionnements à la fois naïfs et profonds.

Un roman court, destiné à de jeunes lecteurs débutants, qui traite avec pudeur et réalisme la question du deuil, et de la mort qui vient bouleverser une famille, avec un titre richement polysémique.

Petits portraits de chats

Petits portraits de chats
Collectif
Grasset jeunesse (« la collection »), 2021

Une anthologie classico-moderne

Par Anne-Marie Mercier

Cet ouvrage de la collection « la collection » de Grasset se rapproche du « beau livre », à travers une anthologie qui réunit des auteurs de différentes époques et de différents genres : les poèmes de Baudelaire, Rostand, Roubaud, Maurice Carême, Apollinaire, Florian, Obaldia, les comptines et les textes sur des chats inoubliables (le Tybert du Roman de Renart, le chat du Cheshire d’Alice au pays des merveilles, celui de Jules Renard) sont accompagné de superbes illustrations faites selon le principe de cette série (un temps d’exécution court et une palette limitée à trois ou quatre couleurs) faites par des artistes contemporains : on y trouve Jean-François Martin, Christophe Merlin, Rébecca Dautremer, Gérard Du Bois, Ilya Grenn, Heng Swee Lim, Alain Pilon, Maxime Derouen, Clémence Pollet, Nathalie Choux et Sandrine Bonini.
Malgré la diversité des illustrateurs, il règne une certaine unité dans les images, souvent inspirées d’une tradition plus ancienne de l’illustration, toujours avec une belle qualité d’impression sur beau papier. Quant aux textes, ils font chacun à leur manière l’éloge du chat éternel sous ses divers aspects : attendrissant, inquiétant, comique, et surtout « subtil » (J. Renard).

 

Tous les chiens savent nager (ou presque)

Tous les chiens savent nager (ou presque)
Gauthier David
Thierry Magnier –Petite poche – 2022

Quand Papi jette la chienne à l’eau

Par Michel Driol

Mika dore passer ses vacances chez Papi Bouli, où il peut jouer avec Morille, la petite chienne. Jusqu’au jour où le grand père, pour prouver que tous les chiens savent nager, jette la petite chienne à l’eau. Celle-ci regagne bien la rive, mais ensuite boite et gémit. Et le grand père ne veut rien savoir, si bien que Mika se sauve avec Morille pour trouver un moyen de la guérir.

Voilà un roman qui tranche avec les représentations des relations grands-parents / petits-enfants en littérature pour la jeunesse. Le geste imbécile du grand-père, sa volonté de ne pas le reconnaitre, de ne pas s’excuser, conduisent son petit-fils à le voir autrement, comme un monstre d’abord, puis comme un homme qui a vécu et a, sans doute, son histoire à raconter. C’est là l’intérêt de ce petit roman de poser des questions d’ordre psychologique. Les adultes aussi peuvent se conduire comme des enfants. Il est bien difficile de reconnaitre ses torts. Mais, bien sûr, l’amour finit par tout arranger !

Un roman court, destiné à de jeunes lecteurs débutants, qui permet d’aborder la question du comportement de tous et de chacun, et la notion de responsabilité

Ma Super Cyber Maman

Ma Super Cyber Maman
Laure Pfeffer

Thierry Magnier, 2022

Machine attentionnelle

Par Matthieu Freyheit

« Tout le monde ne peut pas être orphelin. » On se souvient de la formule, rêveuse et provocante, que Jules Renard fait prononcer à Poil de Carotte. Margaux, elle, ne se voit pas du tout orpheline, et ce sont les absences répétées de sa mère qui lui en font commander…une deuxième.
Après avoir longtemps accompli des performances physiques, les robots de nos fictions, comme ceux qui investissent peu à peu le réel, accomplissent désormais des performances sociales, communicationnelles et émotionnelles. Robots de compagnie, empathie artificielle, ingénierie des émotions et des expressions : la conjonction de la robotique et de l’intelligence artificielle, de plus en plus indissociables selon Raja Chatila, engendre de nombreux fantasmes, et en réalise même certains.
La machine « intelligente » vient ici au secours de la famille dans un texte qui a le talent de ne jamais forcer le trait. La situation est elle-même improbable, mais cela n’a pas la moindre importance : la commande d’une cyber maman (qui aurait tout aussi bien pu être ici un cyber papa) inscrit la fiction de Laure Pfeffer dans la lignée de celles qui interrogent les compensations permises par la technologie. Le choix du terme « cyber maman » plutôt que « cyber mère » en titre, au-delà de la préférence euphonique, traduit les besoins de Margaux : présence, affection, moments partagés, rires… L’habituelle répartition des rôles (à la machine, le calcul ; à l’humain, l’émotion) est donc inversée : professionnelle de l’organisation, la mère de Margaux laisse cette dernière à la garde d’un « planning » aimanté sur le frigo, comme l’absence est épinglée sur le cœur.
C’est pourtant le planning de trop qui va bouleverser le cours des choses en conduisant Margaux à la commande, sur Internet, d’une deuxième maman qui serait tout à elle. Mais malgré le bonheur apporté en secret par la gynoïde (la mère humaine n’ayant bien entendu pas été informée de l’achat), la relation entamée laisse apparaître un dysfonctionnement qui ne dit jamais son nom : ignorante du monde, cette nouvelle maman se laisse guider par sa fille, au profit d’une relation où les rôles peinent à se définir.
L’auteure sait que le réalisme se situe souvent dans la métaphore : il n’est pas question ici d’une fiction qui se voudrait anticipatrice, mais d’une mise en scène de nos processus de délégation. Récemment, Gérald Bronner a mis au jour le hold up attentionnel accompli par nos outils technologiques (voir Apocalypse cognitive, 2021). La fiction, qu’elle soit science-fiction ou non, rappelle quant à elle que l’insularité des individus laisse volontiers aux smartphones et autres tablettes le soin d’occuper ce « temps de cerveau disponible » que les relations interpersonnelles directes ne prennent plus en charge. Car c’est bien une machine attentionnelle que commande Margaux ; une machine dont l’essentiel n’est pas dans l’émotion qu’elle affiche, mais dans celles qu’elle suscite, et que Laure Pfeffer traite avec une belle économie de moyens.

Le Roi et l’enfant

Le Roi et l’enfant
Fabrice Colin, Eloïse Scherrer
Sarbacane, 2021

Du conte au roman

Par Anne-Marie Mercier

Un vieux roi dont tous les soldats sont partis en guerre part pour une destination inconnue en n’emmenant avec lui qu’un palefrenier, un orphelin qui n’a que dix ans. Ils font de nombreuses rencontres, et l’enfant doit devenir chevalier pour défendre son roi…
Il y a du conte dans cette histoire d’enfant bizarre qui a pour amis des chevaux, une grenouille et une cigogne, il y a de l’épopée médiévale dans le portrait de ce vieux roi isolé, il y a du roman dans toute l’histoire, et notamment dans sa fin, un peu convenue.
La richesse confine parfois au trop et l’album souffre un peu de toutes ces directions, avec des ellipses qui pourront dérouter les plus jeunes lecteurs. Mais on y retrouve un petit air de fantasy bien dans l’air du temps. Si les illustrations d’Eloïse Scherrer sont  saisissantes dans les moments épiques et mettent bien en valeur de belles rencontres comme celle d’une ourse et de ses oursons, elles prennent un style étrangement désuet en fin de volume, comme pour souligner le décalage entre les différents univers.

 

Nino

Nino
Anne Brouillard
Edition des Eléphants 2021

Perdu au cœur de la forêt

Par Michel Driol

Personne n’a vu tomber Nino, le doudou de Simon, en pleine forêt, durant la promenade. Sauf Lapin, qui prend soin de Nino, et l’invite à prendre le thé. Puis c’est Ecureuil, puis les mésanges noires qui l’emmènent au sommet des arbres, d’où il peut voir son village. Et lorsque la nuit est venue, c’est Renard qui prend soin de lui, le présente à tous les animaux nocturnes, avant de le raccompagner chez Lapin, juste avant le passage de Simon et de ses parents, ravis de le retrouver et tout étonnés qu’il ne soit même pas mouillé…

Dans des images nimbées d’une douce lumière, tantôt froide et bleutée, tantôt chaude et orange, en une saison qu’on devine être à la limite entre l’automne et l’hiver, Anne Brouillard propose un récit qui flirte avec le merveilleux : des animaux aux coutumes très humanisées qui vivent dans de confortables maisons miniatures, pour tisser avec douceur et tendresse des thèmes et des valeurs qui lui sont chers. Le sens de l’accueil, de la solidarité et du soin qu’on accorde aux autres, quels qu’ils soient et d’où qu’ils viennent. Souvent sans texte, les images permettent à chaque lecteur de parcourir toute la forêt, depuis les sous-sols du terrier de Lapin jusqu’au plus haut de la canopée. Elles inscrivent le récit dans une forêt pleine de mystères, sauvage et presque infinie. La taille des illustrations varie entre la double page à l’italienne, offrant de larges et magnifiques panoramas sur la forêt ou sur le village, et des vignettes mettant l’accent sur un intérieur de maison, ou constituant de petits scripts d’action à la façon de la bande dessinée, montrant la solitude et le désarroi du doudou perdu dans la nuit de la forêt. Ce qui renvoie à deux angoisses enfantines que l’album aborde : la peur de perdre son doudou, et la peur de la nuit et de ses mystères. Le récit dédramatise ces deux frayeurs enfantines, en faisant la part belle à l’imaginaire. Le doudou est fort bien accueilli par tous les animaux de la forêt qui vivent en bonne entente, et il trouve un passeur pour lui permettre de traverser la nuit, le renard qui le promène sur son dos avec une infinie tendresse. Au fond, c’est un double récit initiatique que propose cet album. D’abord celui d’une perte et d’une retrouvaille, rassurante pour Simon, qu’on découvre, à la fin de l’album, en compagnie de Nino, dans un surprenant face à face avec les animaux de la forêt, de part et d’autre de la vitre protectrice de la maison familiale. Mais c’est surtout le récit de l’initiation de Nino, dans la forêt d’une vie à laquelle rien ne l’a préparé, mais dans laquelle il trouve des appuis bienveillants, des aides inattendues pour l’aider à surmonter l’épreuve et à en sortir grandi. Reste enfin à dire comment la poésie du texte et des illustrations sait aussi se conjuguer avec des moments pleins d’humour, comme cette conversation sur les désirs des enfants tenue dans le terrier de Lapin… Lewis Carroll n’est certainement pas loin !

Un livre qui donne vie à un drôle de doudou, corps d’enfant et tête d’animal, aux sentiments et aux émotions si humaines, un album qui fait la part belle à l’imaginaire, un album pour nous rappeler enfin à quel point nous devons vivre en bonne entente avec  la nature.