L’Art des Geeks

L’Art des Geeks
Floriane Herrero
De la Martinière, 2018

L’art pixelisé

Par Anne-Marie Mercier

Le titre peut tromper ceux qui n’ont pas suivi l’évolution du mot : désignant à l’origine des fondus d’informatique asociaux, le mot est devenu positif, et désigne aussi les adeptes des écrans. Parmi eux, des créateurs qui détournent les images de la culture populaire portée par la télévision, les animés, les jeux vidéo… mais aussi les produits dits dérivés. On y trouve aussi bien des icônes modernes comme Batman, Mario, les Simpson, les Playmobil… que des icônes religieuses, des personnages de contes (Cendrillon victime d’un accident de carrosse filmé par des paparazzi)…

L’ensemble est étonnant d’inventivité, de liberté joueuse, de détournements cocasses… que ce soit sous la forme de photo, d’objets, de meubles même (ceux imité de Star wars par Superlife et Eyal Rosenthal, par exemple). Il se présente comme un livre d’art : grand format, doubles pages, photos en pleine page, belle impression).

Petite Frida

Petite Frida
Anthony Browne
Kaléidoscope, 2019

Une histoire de Frida Khalo, vraiment ?

Par Christine Moulin

Ce qui est extraordinaire avec les grands auteurs, c’est qu’ils nous racontent toujours la même chose, mais à chaque fois de façon différente. Bien sûr,  Anthony Browne, en s’inspirant du tableau Les deux Frida, nous parle de Frida Kahlo, de ce qui l’a amenée à devenir peintreOfficiellement.

Et pourtant tout l’album nous parle surtout de l’univers d’Anthony Browne, ne serait-ce que par l’élément qu’il a retenu et mis en valeur dans la vie de Frida Kahlo, l’invention d’une amie imaginaire pour compenser la solitude et a tristesse provoquées par les moqueries de ses camarades devant son handicap: Marcel n’est pas loin. On reconnaît aussi Alice qui tombe dans les entrailles de la terre après avoir franchi une porte minuscule (l’image rappelle également la courageuse exploratrice de l’album Le Tunnel). On retrouve le subterfuge employé par Petit Ours (qu’on aperçoit dans l’illustration de la dernière page) pour s’échapper hors d’une réalité décevante: il suffit d’utiliser un crayon magique (devenu ici un doigt qui dessine sur une vitre embuée) et de tracer une porte qui ouvre vers un monde magique. On retrouve même le corniaud de Une histoire à quatre voix, qui est à la fois le compagnon et le double de Frida (puisqu’il lui manque une patte).

A travers ce « portrait très personnel de la petite Frida », comme l’avoue la quatrième de couverture, l’album tout entier est une ode à la puissance de l’imagination et de la création pour surmonter la douleur d’exister.

Jake le fake à l’assaut du collège

Jake le fake à l’assaut du collège
Craig Robinson, dam Ma,nsbach, Keith Knight
Seuil, 2018

Impostures collégiennes

Par Anne-Marie Mercier

Dans ce roman graphique (dans la lignée des aventures de Greg de Jeff Kinney), nous suivons les aventures de Jake, inscrit grâce à un subterfuge à l’Académie d’art et de musique, un collège pour enfants doués. Pour continuer à faire illusion il multiplie les stratagèmes, gestes d’esbroufe, contre-pieds et se forge une réputation d’artiste indépendant et imprévisible tout en sachant in petto que cela ne vaut rien.

C’est à la fois un peu dérangeant dans la volonté de ridiculiser les avant-gardes artistiques, décapant dans la dérision face aux pseudo génies de la création, et émouvant dans le portrait d’un élève somme toute ni bon ni mauvais, mais qui se sent en position d’imposture et tente de comprendre qui il est et quel pourrait être son talent, s’il en a un. Les dessins en rajoutent dans l’excès et font que rien n’apparait comme trop sérieux.

Les Animaux de l’arche

Les Animaux de l’arche
Kochka, Sandrine Kao
Grasset jeunesse, 2017

Des images contre la terreur

Par Anne-Marie Mercier

Sous les bombes, neuf personnes vivent dans une cave, on ne sait depuis combien de temps, « des semaines en tout cas ». Il y a un couple et ses deux enfants (un garçon, trisomique, et une fille), un veuf et son fils, une institutrice à la retraite, un étudiant amoureux d’une jeune fille vivant dans l’immeuble d’en face, une vieille dame totalement perdue, bref, des échantillons d’humanité. L’institutrice a une idée pour passer le temps : recréer l’arche de Noé en représentant ses animaux sur les murs de la cave.

L’activité générée par cette idée (trouver les images qui les représentent, dessiner, découper, coller, graffer…) alterne avec différents récits, celui du père des deux enfants qui récite tous les soirs le début du Livre de la jungle, une sortie vers l’immeuble voisin, des conversations, une histoire d’amour. Pendant ce temps, les animaux prennent vie lorsque les humains dorment et l’on ne sait plus bien qui protège qui. L’art sauve, comme la fiction, surtout lorsqu’ils sont mis en œuvre dans l’entraide.

C’est un très beau récit de douleur et d’espoir, pour une Bible laïque des temps modernes.

Big Nate, vol. 7 : « C’est ma fête »

Big Nate, vol. 7 : « C’est ma fête »
Lincoln Peirce

Gallimard jeunesse (folio junior), 2017

Amis/ennemis de toujours et d’hier

Par Anne-Marie Mercier

 

Lorsqu’on est chargé de servir de mentor à un nouvel élève tout juste débarqué au collège, on doit faire face à de nombreux défis : le protéger des brutes auxquelles on ne sait pas résister soi-même, le renseigner sur les difficultés (profs tyranniques, cantine redoutable, élèves fourbes…), mais aussi le supporter, même si on le trouve insupportable et si on n’a rien en commun : voilà le défi de Nate, qui s’en sort plutôt bien grâce à son amie Dee-Dee (vive les filles !) après bien des dérapages.

Un autre sujet est abordé en parallèle : l’anniversaire du collège, et la découverte du journal illustré d’une élève qui le fréquentait cent ans plus tôt. Cela permet d’informer les jeunes lecteurs sur ce qu’était l’éducation autrefois (plutôt plus sévère et très austère), sur les changement et les invariants (profs tyranniques, cantine redoutable, élèves fourbes… et humour des élèves dessinateurs).

Souvenirs de Marcel au Grand Hôtel

Souvenirs de Marcel au Grand Hôtel
Sophie Strady, Jean-Francois Martin
Hélium, 2016

Enigme et Mémoires du XXe siècle

Par Anne-Marie Mercier

Marcel, héros de La Mémoire de l’éléphant paru également aux éditions hélium, revient pour un album qui mêle encyclopédie et enquête : Marcel parcourt l’hôtel à la recherche de l’une de ses valises et, de chambre en chambre, découvre l’univers de leurs occupants : peinture, couture, cuisine, cinéma… ces métiers sont développés dans quelques une des pages de droite avec des accumulations d’encadrés qui présentent des objets, des expressions, des anecdotes…

De nombreux clins d’œil à la culture parcourent les pages, par exemple les boîtes de conserve de Warhol, … l’ombre de Léonard Cohen plane sur la couverture (Marcel à un de ses disques sous be bras), et dans tout l’album avec sa chanson sur le Chelsea Hotel, fréquenté par de nombreux artistes : les spécialistes s’amuseront à les y retrouver.
Les autres se régaleront de ce parcours à énigme superbe, dans un lieu où tout est  » Grand  » ou tenteront de réaliser la recette des madeleines (Proust, l’autre Marcel à mémoire) avec la recette donnée en dernières pages.

Subtil, cultivé, beau… Grand!

L’Opéra volant

L’Opéra volant
Carl Norac, Vanessa Hié
Rue du monde, 2014

L’Art est vivant, vive l’art !

Par Anne-Marie Mercier

lopera volantSuperbe album, grand format, grand artistes, grandes idées : l’art sauve, l’art est contagieux, il donne envie de le suivre, comme l’air de flûte du joueur de Hamelin.

Oisel, à peine sorti de l’œuf, se déclare artiste. C’est dire si la vie va être difficile pour lui : incapable de chanter juste, inapte à de nombreux travaux ordinaires, récalcitrant pour beaucoup d’autres, il s’essaie à plusieurs métiers sans cesser de poursuivre son but. Un jour, il accepte un travail qui lui semble fait pour lui, livreur d’enfant, comme les cigognes. Les catastrophes s’enchaînent jusqu’à ce qu’il arrive à déposer la petite Léna dans sa ville, un lieu hélas hostile aux oiseux et à l’art. Entre-temps, Oisel aura développé ses talents de raconteur d’histoire, acteur et danseur et réuni autour de lui toute une équipe d’oiseaux divers qui s’emploie avec lui à émouvoir et à faire rêver leurs spectateurs.

Les images de Vanessa Hié sont superbes, composites, chatoyantes. Elles présentent sur fond blanc une troupe d’oiseaux vêtus de costume spectaculaires composés de toutes sortes de tissages et d’imprimés, des matières végétales ou minérales, tandis que les épisodes de l’histoire se déroulent dans des décors stylisés aux couleurs d’un tour du monde.

Modèle vivant

Modèle vivant
Carole Fives
L’école des loisirs (medium), 2014

L’art, l’amour, la haine…

Par Edwige Planchin

 Carole a quinze ansModèle vivant. Elle est séparée de son frère par le divorce de leurs parents : chacun a gardé son enfant préféré. Pas facile pour elle de trouver sa place dans sa nouvelle famille avec une belle-mère qui essaie de l’évincer. Le temps d’un été, Carole va faire l’expérience de l’amour, de la haine, de la mort et de l’art.

Loin de toute stéréotypie, ce roman aborde avec force, subtilité et justesse des thèmes difficiles comme le divorce, mais du point de vue des ados, la pulsion criminelle (sans passage à l’acte et contre sa belle-mère), la mort et l’entrée dans une véritable démarche artistique. Carole prend des cours de peinture depuis un an. Cet été là, elle rencontre José, qui a quitté ses études pour se consacrer à la peinture. La puissance de leur histoire et la disparition tragique du jeune homme amènera Carole à chercher la vérité, puis à lâcher prise, ce qui lui permettra de voir surgir, sous son crayon, et à son insu, la profondeur des choses. L’été de ses quinze ans, Carole est devenue une autre.

 

Modèle vivant

 Modèle vivant
Carole Fives,
Ecole des loisirs, coll.  Médium  2014,

 

 Adolescente et artiste

Par Maryse Vuillermet

 

 

 

 modele-vivant-carole-fives-9782211215435, imageCarole, quinze ans, mal dans sa peau,  est furieuse contre son père qui lui impose une belle-mère qu’elle déteste, contre le divorce de ses parents qui la sépare de son frère de plus de mille kilomètres, et contre la vie en général,  car elle s’ennuie  et  rêve de liberté. Heureusement qu’elle est une artiste, elle suit des cours  aux beaux-arts et dessine des modèles vivants, des modèles féminins, mais elle n’a encore jamais dessiné d’homme.

Alors,  quand lors d’un week-end, elle rencontre José, un jeune homme peintre qui comprend son art et vit déjà en artiste,  il a un atelier  de peintre, elle en tombe éperdument amoureuse. Elle réussit, pendant les vacances à le rejoindre chez lui et vit quelques jours enchantés dans son atelier. Là, ils travaillent, et s’aiment et elle peut enfin dessiner et peindre un homme, un modèle vivant,  ils sont heureux. Trop peut-être, car tout va s’arrêter brusquement.

Le personnage principal, la narratrice s’exprime à la première personne de singulier ce qui permet au lecteur adolescent une identification instantanée. Son mal de vivre est compréhensible et serait banal à cet âge, mais ce qui rend le personnage plus profond et le roman plus subtil, c’est  que nous sommes plongés au cœur des vertiges et des angoisses d’un artiste, puis d’un couple de jeunes artistes.

Et la fin nous permet de comprendre le pouvoir de recréation et de consolation de l’art.

Mes Débuts dans l’art

Mes Débuts dans l’art
Chris Donner
L’école des loisirs (médium), 2013`

Anciens contre Modernes

Par Anne-Marie Mercier

Mise en page 1Après avoir donné une leçon d’écriture (Emilio ou la petite leçon de littérature, collection Neuf, 1994), Chris Donner propose à des adolescents plus âgés un itinéraire d’artiste… pour finir par une autre leçon de littérature, le tout à travers un récit de formation.

Comme souvent dans ses romans, le héros a le malheur d’être né dans une famille aimante et attentive qui ne veut que son bien. Son père, notamment, souhaite que son enfant cultive le don que lui a donné la nature : un superbe talent de dessinateur. Entré contre son gré dans une école d’art, David vit de façon personnelle l’affrontement entre les deux professeurs qui représentent deux courants de l’art : le professeur d’art classique voit en lui un nouveau Michel-Ange et le professeur d’art contemporain le considère comme un attardé irrécupérable. À travers leur conflit, le jeune lecteur pourra découvrir les questions qui traversent l’art contemporain, son rapport à l’argent, à l’originalité, à la performance, à l’intervention etc.

Chris Donner prend ici le parti des Anciens contre les Modernes ; les perspectives de l’art d’aujourd’hui sont vues de façon très caricaturale et comique. Le lecteur pourra rire aussi du portrait de la ville de Reno qui tente de se construire une âme en créant une école d’art au milieu des casinos. Tout cela est raconté avec beaucoup d’humour, mais une pointe de désenchantement : où va l’art ? Qu’est-ce qui fonde une politique culturelle ? La réponse de Chris Donner, pour ce qui est des arts plastiques est plus que pessimiste mais sans doute ne faut-il pas la prendre trop au sérieux et rire simplement du ton faussement détaché avec lequel le narrateur nous décrit les situations navrantes dans lesquelles il se retrouve à cause de son don.