Souvenirs de Marcel au Grand Hôtel

Souvenirs de Marcel au Grand Hôtel
Sophie Strady, Jean-Francois Martin
Hélium, 2016

Enigme et Mémoires du XXe siècle

Par Anne-Marie Mercier

Marcel, héros de La Mémoire de l’éléphant paru également aux éditions hélium, revient pour un album qui mêle encyclopédie et enquête : Marcel parcourt l’hôtel à la recherche de l’une de ses valises et, de chambre en chambre, découvre l’univers de leurs occupants : peinture, couture, cuisine, cinéma… ces métiers sont développés dans quelques une des pages de droite avec des accumulations d’encadrés qui présentent des objets, des expressions, des anecdotes…

De nombreux clins d’œil à la culture parcourent les pages, par exemple les boîtes de conserve de Warhol, … l’ombre de Léonard Cohen plane sur la couverture (Marcel à un de ses disques sous be bras), et dans tout l’album avec sa chanson sur le Chelsea Hotel, fréquenté par de nombreux artistes : les spécialistes s’amuseront à les y retrouver.
Les autres se régaleront de ce parcours à énigme superbe, dans un lieu où tout est  » Grand  » ou tenteront de réaliser la recette des madeleines (Proust, l’autre Marcel à mémoire) avec la recette donnée en dernières pages.

Subtil, cultivé, beau… Grand!

L’Opéra volant

L’Opéra volant
Carl Norac, Vanessa Hié
Rue du monde, 2014

L’Art est vivant, vive l’art !

Par Anne-Marie Mercier

lopera volantSuperbe album, grand format, grand artistes, grandes idées : l’art sauve, l’art est contagieux, il donne envie de le suivre, comme l’air de flûte du joueur de Hamelin.

Oisel, à peine sorti de l’œuf, se déclare artiste. C’est dire si la vie va être difficile pour lui : incapable de chanter juste, inapte à de nombreux travaux ordinaires, récalcitrant pour beaucoup d’autres, il s’essaie à plusieurs métiers sans cesser de poursuivre son but. Un jour, il accepte un travail qui lui semble fait pour lui, livreur d’enfant, comme les cigognes. Les catastrophes s’enchaînent jusqu’à ce qu’il arrive à déposer la petite Léna dans sa ville, un lieu hélas hostile aux oiseux et à l’art. Entre-temps, Oisel aura développé ses talents de raconteur d’histoire, acteur et danseur et réuni autour de lui toute une équipe d’oiseaux divers qui s’emploie avec lui à émouvoir et à faire rêver leurs spectateurs.

Les images de Vanessa Hié sont superbes, composites, chatoyantes. Elles présentent sur fond blanc une troupe d’oiseaux vêtus de costume spectaculaires composés de toutes sortes de tissages et d’imprimés, des matières végétales ou minérales, tandis que les épisodes de l’histoire se déroulent dans des décors stylisés aux couleurs d’un tour du monde.

Modèle vivant

Modèle vivant
Carole Fives
L’école des loisirs (medium), 2014

L’art, l’amour, la haine…

Par Edwige Planchin

 Carole a quinze ansModèle vivant. Elle est séparée de son frère par le divorce de leurs parents : chacun a gardé son enfant préféré. Pas facile pour elle de trouver sa place dans sa nouvelle famille avec une belle-mère qui essaie de l’évincer. Le temps d’un été, Carole va faire l’expérience de l’amour, de la haine, de la mort et de l’art.

Loin de toute stéréotypie, ce roman aborde avec force, subtilité et justesse des thèmes difficiles comme le divorce, mais du point de vue des ados, la pulsion criminelle (sans passage à l’acte et contre sa belle-mère), la mort et l’entrée dans une véritable démarche artistique. Carole prend des cours de peinture depuis un an. Cet été là, elle rencontre José, qui a quitté ses études pour se consacrer à la peinture. La puissance de leur histoire et la disparition tragique du jeune homme amènera Carole à chercher la vérité, puis à lâcher prise, ce qui lui permettra de voir surgir, sous son crayon, et à son insu, la profondeur des choses. L’été de ses quinze ans, Carole est devenue une autre.

 

Modèle vivant

 Modèle vivant
Carole Fives,
Ecole des loisirs, coll.  Médium  2014,

 

 Adolescente et artiste

Par Maryse Vuillermet

 

 

 

 modele-vivant-carole-fives-9782211215435, imageCarole, quinze ans, mal dans sa peau,  est furieuse contre son père qui lui impose une belle-mère qu’elle déteste, contre le divorce de ses parents qui la sépare de son frère de plus de mille kilomètres, et contre la vie en général,  car elle s’ennuie  et  rêve de liberté. Heureusement qu’elle est une artiste, elle suit des cours  aux beaux-arts et dessine des modèles vivants, des modèles féminins, mais elle n’a encore jamais dessiné d’homme.

Alors,  quand lors d’un week-end, elle rencontre José, un jeune homme peintre qui comprend son art et vit déjà en artiste,  il a un atelier  de peintre, elle en tombe éperdument amoureuse. Elle réussit, pendant les vacances à le rejoindre chez lui et vit quelques jours enchantés dans son atelier. Là, ils travaillent, et s’aiment et elle peut enfin dessiner et peindre un homme, un modèle vivant,  ils sont heureux. Trop peut-être, car tout va s’arrêter brusquement.

Le personnage principal, la narratrice s’exprime à la première personne de singulier ce qui permet au lecteur adolescent une identification instantanée. Son mal de vivre est compréhensible et serait banal à cet âge, mais ce qui rend le personnage plus profond et le roman plus subtil, c’est  que nous sommes plongés au cœur des vertiges et des angoisses d’un artiste, puis d’un couple de jeunes artistes.

Et la fin nous permet de comprendre le pouvoir de recréation et de consolation de l’art.

Mes Débuts dans l’art

Mes Débuts dans l’art
Chris Donner
L’école des loisirs (médium), 2013`

Anciens contre Modernes

Par Anne-Marie Mercier

Mise en page 1Après avoir donné une leçon d’écriture (Emilio ou la petite leçon de littérature, collection Neuf, 1994), Chris Donner propose à des adolescents plus âgés un itinéraire d’artiste… pour finir par une autre leçon de littérature, le tout à travers un récit de formation.

Comme souvent dans ses romans, le héros a le malheur d’être né dans une famille aimante et attentive qui ne veut que son bien. Son père, notamment, souhaite que son enfant cultive le don que lui a donné la nature : un superbe talent de dessinateur. Entré contre son gré dans une école d’art, David vit de façon personnelle l’affrontement entre les deux professeurs qui représentent deux courants de l’art : le professeur d’art classique voit en lui un nouveau Michel-Ange et le professeur d’art contemporain le considère comme un attardé irrécupérable. À travers leur conflit, le jeune lecteur pourra découvrir les questions qui traversent l’art contemporain, son rapport à l’argent, à l’originalité, à la performance, à l’intervention etc.

Chris Donner prend ici le parti des Anciens contre les Modernes ; les perspectives de l’art d’aujourd’hui sont vues de façon très caricaturale et comique. Le lecteur pourra rire aussi du portrait de la ville de Reno qui tente de se construire une âme en créant une école d’art au milieu des casinos. Tout cela est raconté avec beaucoup d’humour, mais une pointe de désenchantement : où va l’art ? Qu’est-ce qui fonde une politique culturelle ? La réponse de Chris Donner, pour ce qui est des arts plastiques est plus que pessimiste mais sans doute ne faut-il pas la prendre trop au sérieux et rire simplement du ton faussement détaché avec lequel le narrateur nous décrit les situations navrantes dans lesquelles il se retrouve à cause de son don.

Elle est si gentille

Elle est si gentille
Isabelle Rossignol
Ecole des Loisirs,  2011

La couleur des sentiments

Par Christine Moulin

elle-est-si-gentille-1910132Voilà un beau roman qui finit bien mieux qu’il n’a commencé. Les premières pages, en effet, peuvent décourager car elles donnent l’impression d’être tombé dans un roman à l’eau de rose digne du courrier des lecteurs d’un magazine pour adolescentes: je l’aime, il m’aime, ma meilleure amie l’aime, il ne l’aime pas, que dois-je faire? D’ailleurs, l’héroïne elle-même, Clarisse, semble en avoir conscience: « […] je me dis que si cette histoire arrivait à d’autres qu’à nous je la trouverais tellement ridicule que je ne daignerais même pas m’y intéresser deux minutes. Ou alors je ne me gênerais pas pour m’en moquer allègrement. Je l’appellerais par exemple « Chassé-croisé de coups de foudre au soleil » et je la classerais dans la catégorie des téléfilms qu’adore regarder ma grand-mère ».

Mais ce qui fait que ce roman en est un, et non pas seulement l’énième « remake », comme on dit maintenant, d’une histoire éculée, c’est que le thème n’est pas forcément celui que l’on croit: bien plus, finalement, que l’histoire d’amour, ce qui compte, c’est l’évolution qu’elle permet chez Clarisse. Celle-ci va pouvoir vivre de l’intérieur ce qu’elle considérait jusqu’alors comme la « trahison » de sa mère, partie vivre au Brésil avec son amant et par la même occasion, libérer la parole de son père, aimant mais « taiseux », ainsi que la sienne propre. Elle va également réévaluer l’amitié (excessive?) qui la lie à Elsa, sa rivale, et interroger sa propension au sacrifice (« Te sacrifier, c’est donc ta réponse? » lui lance Julien, son amoureux).

Par ailleurs, le roman entier est fait d’échos qui en établissent la cohérence: l’oiseau mort du début se retrouve à la fin, Clarisse parle souvent de son âme, qu’elle a surnommée Néphèsh (elle a découvert avec émerveillement que ce mot « vient d’une racine qui signifie respirer« ), de ses étouffements,  bloquant et libérant le souffle du lecteur au rythme de ses émotions. Et surtout, élève d’une option artistique, elle est sensible aux couleurs dont les nuances transmettent les variations de ses sentiments. Les premières lignes sont à cet égard révélatrices: « Si un peintre faisait un tableau de moi en ce moment, il dessinerait une fille en jupe kaki et tee-shirt blanc sur un long boulevard » et c’est vers la réconciliation avec le jaune, couleur maternelle, que tend tout le livre.

PS : un seul bémol. Etait-il utile de faire de Bourg-en-Bresse le repoussoir d’Antibes?!

PS2 : une analyse intéressante sur Citrouille.

PS3 : une critique très critique !

 

La Princesse des Ménines

La Princesse des Ménines
Sophie de la Villefromoit

Seuil jeunesse (« Quand le tableau s’anime »), 2011

Où est l’art ?

par Anne-Marie Mercier

Le parti pris de la  collection, « Quand le tableau s’anime » inaugurée par ce titre est intéressant : raconter une histoire à partir d’un tableau. Ici, il s’agit des Ménines de Velasquez. L’histoire racontée l’est moins : la jeune princesse dont on fait le portrait est jalouse de son frère qui, bien que plus jeune qu’elle, succédera à leur père… tout s’arrange à la fin et l’harmonie familiale est restaurée.

Le tableau ne joue qu’un rôle secondaire, la famille royale a des allures bien bourgeoises, enfin les éléments culturels sont davantage des prétextes que des sujets d’intérêt.

L’Affaire Matisse

L’Affaire Matisse
Georgia Bragg
L’école des loisirs (Neuf ), 2012

Réparer l’irréparable

Par Malvina Lair et Laura Limousin master MESFC Saint-Etienne

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le héros de ce roman n’est pas Henri Matisse mais un adolescent de onze ans qui se prénomme ainsi. Cependant, le célèbre peintre est bien à l’origine de son prénom. En effet, la mère du héros est passionnée d’art. C’est donc tout naturellement qu’elle a appelé ses enfants Matisse, Frida et Man Ray.

Elle est également  responsable de la sécurité dans un musée. Matisse qui aime ce lieu, tout autant que sa mère, y passe plusieurs heures par jour, à en copier les plus belles œuvres. En effet, le jeune garçon a beaucoup de talent et son rêve est d’avoir ses propres toiles exposées dans un musée. En attendant, il doit se contenter de la salle de séjour de sa propre maison, dans laquelle sa mère organise des expositions de ses tableaux. Un jour, il profite d’un dysfonctionnement des alarmes pour échanger sa copie du « Portrait de Pierre », l’œuvre d’Henri Matisse, avec l’original. « C’était juste pour voir… »

Mais, tout à coup les alarmes se remettent en marche, et c’est le début des ennuis pour notre jeune artiste. Et pour ne rien arranger, le vieux M. Snailby est remplacé par le plus redoutable des agents de sécurité du pays, celui qui a protégé « La Joconde » au Louvre : M. Bison, alias Gardzilla ! Avec l’aide de Toby,  son meilleur ami, il va tenter tout au long du livre de réparer son erreur. Hésitant sans cesse entre avouer son acte et se débrouiller seul, Matisse va découvrir, à travers son aventure, le véritable sens de l’art.

Les jeunes lecteurs pourront facilement s’identifier à la personnalité du héros en pleine adolescence, et vivront avec suspens ses péripéties et ses petits ennuis du quotidien : la célébrité du barbecue ambulant de son père, I’obsession de sa sœur pour le violet, I’humour désopilant de sa mère, sans oublier la peste de Lizzie, la sœur de Toby.

A travers ce roman, l’auteur offre à ses lecteurs une ouverture culturelle sur les musées et leur permet une réflexion sur l’art en général. La note de l’auteur clôt le livre avec une brève présentation de la vie de Henri Matisse. Elle termine enfin en racontant le vol de « La Joconde » en 1911 et invite ainsi le lecteur à approfondir le sujet en éveillant sa curiosité.

Ce roman avec ses clins d’œil artistiques, ses personnages loufoques, et les péripéties de Matisse plaira aux jeunes comme aux plus grands.

 

Le Chat de Vallotton

Le Chat de Vallotton ; le peintre Félix Valloton et le groupe des Nabis
Jean Binder
Dossier documentaire de Christina Buley-Uribe
L’école des loisirs (Archimède), 2012

Nabi pour les petits

Par Yann Leblanc

Selon la formule de la collection, la fiction est un tremplin pour aller vers le savoir. Une histoire dont les images imitent l’esthétique des bois gravés montre une toute petite fille ramenant leur chat perdu aux Vallotton ; un dossier présente la vie du peintre et le groupe des Nabis. Tout cela est très bien fait, avec beaucoup de délicatesse.

Reste cependant une interrogation : l’âge de lecture du documentaire suppose un lectorat qui trouvera la fiction un peu enfantine.

Dragons de poussière

Dragons de poussière
Thierry Dedieu
Hongfei Cultures, 2012

Peint sur la terre et dans le ciel

par Anne-Marie Mercier

Thierry Dedieu renoue ici avec l’exploit accompli dans le Maître des estampes (Seuil, 2010), en le portant à un degré encore supérieur : les noirs des encres sont superbes et mis en valeur par les petits personnages colorés qui apparaissent encore plus insignifiants face à elles. La fable est belle et poétique ; elle appelle les artistes à la modestie par son esprit de renoncement et de réflexion sur l’art et l’éphémère. Des textes en forme de Haikus célèbrent les esprits des saisons. Tout cela est très « zen ».

Mais les dragons, fussent-ils de poussière, sont bien là pour attester de la grandeur de l’artiste : qui s’abaisse est relevé. Chapeau l’artiste !