Rouge volcan

Rouge volcan
Eric Battut
L’élan vert  2017

L’homme dans la nature ? Un néant à l’égard de l’infini…

Par Michel Driol

Au milieu de l‘océan, un volcan se réveille et fait naitre une ile. Deux petits personnages, des vulcanologues, s’en approchent, en commencent l’ascension au milieu des laves, malgré les gaz toxiques. Ils effectuent leurs mesures et atteignent le sommet. Face à la montagne en furie, il faut redescendre, vite et repartir dans une mer rouge volcan. La dernière illustration envoie à la première, mais la dominante blanche est devenue une dominante rouge…

Étrange album, qui tient tout à la fois de la poésie, de la science et de la philosophie. Poésie du texte, qui parle d’apogée, de montagne en furie, de colère de la montagne. Poésie de l’illustration, qui ne recherche pas le réalisme, mais, utilisant des papiers découpés, rend compte de la puissance tellurique des éléments et leur confronte la petitesse des deux hommes. Discours scientifique aussi, qui convoque des termes précis, comme mesures, densité, qui emploie les termes techniques, magma, bombes volcaniques, mission à accomplir. Le tout est au service d’une approche philosophique : qu’est-ce que l’homme dans une nature qui peut se réveiller et se révéler dangereuse, mortelle, inhospitalière ? Un être fragile, un petit rien, menacé, impuissant. Pourtant, il lui faut continuer à aller calmement, presque paisiblement, à l’ « extrême limite » du monde, de soi et du savoir, non pas pour la  gloire, ni pour dominer la nature, mais pour la connaitre.

Un album en aller-retour, qui pose la question de la connaissance scientifique, de la place de l’homme dans l’univers, de l’esprit de géométrie, rationnel, et de l’esprit de finesse, qui joue sur l’émotion. Un album pascalien…

Chouette, penser

Obéir ? Se révolter ?
Valérie Gérard, Clément Paurd
Pourquoi aimes-tu tes amis ?

Luc Foisneau, Adrien Parlange
Gallimard, 2012

Façons de philosopher

Par Dominique Perrin

La collection « Chouette, penser » se fonde sur une évidence stimulante : l’adolescence est un âge propice à l’initiation philosophique. Elle offre des synthèses d’une soixantaine de pages sur des questions bien définies, souvent formulées de manière attractive (Gagner sa vie, est-ce la perdre ?, Je danse donc je suis, De  quoi rire, J’ai pas le temps !, Le mélange des sexes, Quand un animal te regarde, Vivre avec l’étranger, Je vais au théâtre voir le monde…), dues à des personnalités bien enracinées dans le monde de la pensée –  et tissées de citations fondamentales issues du patrimoine philosophique. Leur illustration, discrète et suggestive, semble constituer un défi fécond pour des illustrateurs variés.

La comparaison des titres Obéir ? Se révolter ? et Pourquoi aimes-tu tes amis ? permet de mesurer les enjeux et difficultés d’une telle entreprise. L’initiation livresque à la philosophie suppose une prise en compte ambitieuse du destinataire et de sa jeunesse, et notamment du sens impérieux de l’actualité qui la caractérise.
L’ouvrage Pourquoi aimes-tu tes amis ? présente ici – malgré un tutoiement présumé rapprocher l’auteur de son public – des travers quasi rédhibitoires. Dans la plus traditionnelle tradition, l’ouvrage ne cherche d’abord que très laborieusement les voies d’une énonciation qui renvoie à des amitiés féminines autant que masculines : s’ils sont probablement transposables, les grands modèles restent virils en ce domaine. Surtout, l’initiateur propose placidement de laisser de côté l’expérience probable des adolescents du 21e siècle pour consacrer des pages à « l’amitié idéale » exemplifiée par Montaigne et La Boétie. Si l’amitié passe pour le lecteur moins par l’admiration élitiste que par l’estime – notamment celle de la différence –, si le cercle de ses amis lui paraît non pas évident mais incertain et fluctuant, le voici prié de faire un effort spéculatif et de laisser ses questions au seuil du livre.
Contrairement au précédent, et sur un sujet autrement délicat, l’ouvrage Obéir ? Se révolter ? remplit quant à lui pleinement sa fonction : ordonner la complexité de ce qui est, rendre possible un trajet intellectuel qui soit à la fois un parcours de reconnaissance et un parcours d’étonnement.

 

Mon Beau Jardin

Mon Beau Jardin
Carol Ann Duffy et Rob Ryan

Gautier Languereau, 2010

Ces quelques fleurs

Par Anne-Marie Mercier

Mon Beau Jardin.gifUne vie de femme, tout simplement : elle est une enfant, une jeune femme, puis est de moins en moins jeune, ou de plus en plus âgée, et meurt.

Chaque étape est marquée par une visite à ce jardin qui est en fait une clairière, découverte par la protagoniste dans son enfance. Cet endroit était si séduisant qu’elle y a fait le vœu d’y être enterrée et y a rencontré une personne étrange, une vieille femme, qui a prétendu pouvoir réaliser son désir. Au moment où, bien plus tard et comblée par la vie, elle meurt, elle se retrouve dans le rôle de cette vieille qui promet la même chose à une enfant.

On peut prendre ce récit au pied de la lettre. On sera séduit (ou agacé?) par la sérénité du propos et la simplicité de cette vie remplie par les relations aux autres, la peinture et le jardinage…

On peut aussi y voir une métaphore de la vie : on construit soi-même sa vie et sa mort. Plus qu’un monument, ce jardin est un « tombeau » (au sens abstrait) qui résume cette vie, tracée pas à pas, accumulant les découvertes, grandes et petites, et faite de ce qu’on y a planté, apporté.  Apprécier les belles choses et les beaux moments, les faire partager, autant d’actes de « jardinage ». La composition circulaire de l’histoire dit que la mort n’est pas une fin, mais une transmission, à condition d’avoir « cultivé son jardin ».

Dans les deux cas, on sera conquis par les papiers découpés, d’une virtuosité étonnante, avec un effet de relief proche du trompe-l’œil. Chaque double page, d’une seule couleur sur fond blanc, reflétant la « couleur » du texte qui s’y inscrit. Les amateurs de cette technique découvriront ainsi l’univers de Rob Ryan (http://www.misterrob.co.uk/). Tandis que les amateurs de poésie auront découvert une petite partie de celui de Carol Ann Duffy, critique et poète lauréate au Royaume-Uni.

Pomelo et les contraires

Pomelo et les contraires
Ramona Badescu et Benjamin Chaud

Albin Michel Jeunesse, 2011

 

Un éléphant rose vivant sous un pissenlit pour discuter philo

par Sophie Genin

9782226219923.gifRamona Badescu et Benjamin Chaud (après un album solo l’an dernier, délicieux et drôle : Adieu Chaussette) reviennent avec leur petit éléphant rose. Il avait grandi dans le dernier opus (Pomelo grandit) et, cette fois-ci, ce n’est pas une histoire (quoique !) mais un imagier des contraires. Sauf que les heureux « parents » du petit héros rose sont égaux à eux-mêmes : après avoir envisagé des concepts classiques du genre (fermé/ouvert, noir/blanc, près/loin…), ils abordent des sujets plus délicats (convexe/concave, mort/vivant, éphémère/éternel, bien/mal…) puis « partent en vrille » (stalactite/stalagmite, gastéropode/cucurbitacée, et le mieux : en veux-tu ? en voilà !).
Le tout est servi avec brio : faire comprendre de tels concepts n’était pas aisé et ils y parviennent parfaitement grâce à l’univers de Pomelo (le jardin, son ami l’escargot, la vieille tortue sage mais aussi les fraises et les pomme de terre personnifiées). Encore un grand moment de littérature avec Pomelo !
Si vous n’êtes pas convaincus, ouvrez vite cet album à la page « dur/mou » et « flou/net » car, même dans un imagier, l’auteur et l’illustrateur nous racontent une histoire efficace, brève et drôle !

Comme-ci ou comme-ça

Comme-ci ou comme-ça
Anne Terral, Bruno Gibert
Syros, 2011

L’histoire de la vie ?

par Anne-Marie Mercier

Anne Terral, Bruno Gibert, Syros,Anne-Marie Mercier,philosophie,livre Au milieu des illustrations colorées et naïves, alliant tachisme, fonds pastels et papiers découpés, un livre blanc aux pages blanches voyage. S’il est figuré avec l’esthétique  d’un dessin d’ordinateur il se superpose à des peintures. Son premier lecteur le poursuit par monts et par mers.

Volée par un chien, un oiseau, un corbeau, multipliée dans un métro, un fourgon… transportée par la lune et les étoiles, son histoire risque bien de s’arrêter, coupée dans son élan, ou elle peut reprendre à l’infini, comme la vie…

C’est un bel album poétique et mystérieux, qui peut se lire de multiples façons. Il dit la multiplicité des histoires, leur liberté, leur circulation, mais sans doute aussi autre chose : il s’agit de « ton histoire » dit-on au lecteur. Alors il est question de la vie et de tous ses aléas, comiques ou tragiques, tout simplement, très simplement.

Le Duc aime le dragon

Le Duc aime le dragon
Chun-Liang Yeh et Valérie Dumas

HongFei, 2011

Chengyu

par Christine Moulin

 chun-liang yeh,valérie dumas,dragon,chine,fable,art,réalité,philosophie,christine moulinUn chengyu est une formule de quatre mots, une expression proverbiale porteuse de sagesse. Dans cet album, nous avons le droit à deux histoires, deux fables, qui illustrent deux chengyu, sur le thème des dragons. L’un, « Duc Ye aime le dragon », nous parle de l’opposition entre l’image que nous nous faisons de quelque chose et ce qu’elle est vraiment; l’autre, « peindre la pupille sur l’oeil du dragon », nous parle de la puissance de l’art, du risque que doivent savoir prendre les génies; les deux réfléchissant aux rapports entre le réel et sa représentation.

Dans notre époque qui privilégie les illusions de l’apparence, qui nous pousse parfois à nous laisser nous aveugler par la séduction de nos chimères, mais qui en même temps foule aux pieds la grandeur de l’art et de la culture, leur refuse toute efficacité, tout poids concret dans nos vies, nous avons besoin de cette philosophie décalée dans le temps et dans l’espace, de sa fausse simplicité, du message qu’elle nous apporte, qui retentit en nous, une fois le livre refermé. Les illustrations riches, colorées, drôles parfois, participent de ce dépaysement salvateur.

C’est avec ce genre de lecture que l’on expérimente ce que c’est que de s’enrichir au contact d’une autre culture et en quoi il est vital de permettre aux civilisations de se rencontrer.

Le Duc aime le dragon

Le Duc aime le dragon
Chun-Liang Yeh et Valérie Dumas

HongFei, 2011

Chengyu

par Christine Moulin

chun-liang yeh,valérie dumas,dragon,chine,fable,art,réalité,philosophie,christine moulinUn chengyu est une formule de quatre mots, une expression proverbiale porteuse de sagesse. Dans cet album, nous avons le droit à deux histoires, deux fables, qui illustrent deux chengyu, sur le thème des dragons. L’un, « Duc Ye aime le dragon », nous parle de l’opposition entre l’image que nous nous faisons de quelque chose et ce qu’elle est vraiment; l’autre, « peindre la pupille sur l’oeil du dragon », nous parle de la puissance de l’art, du risque que doivent savoir prendre les génies; les deux réfléchissant aux rapports entre le réel et sa représentation.

Dans notre époque qui privilégie les illusions de l’apparence, qui nous pousse parfois à nous laisser nous aveugler par la séduction de nos chimères, mais qui en même temps foule aux pieds la grandeur de l’art et de la culture, leur refuse toute efficacité, tout poids concret dans nos vies, nous avons besoin de cette philosophie décalée dans le temps et dans l’espace, de sa fausse simplicité, du message qu’elle nous apporte, qui retentit en nous, une fois le livre refermé. Les illustrations riches, colorées, drôles parfois, participent de ce dépaysement salvateur.

C’est avec ce genre de lecture que l’on expérimente ce que c’est que de s’enrichir au contact d’une autre culture et en quoi il est vital de permettre aux civilisations de se rencontrer.

Petits platons

La Folle Journée du professeur Kant et Le Meilleur des Mondes possibles
Jean Paul Mongin
Les petits Platons, 2010

Folle entreprise ou exploration de possibles ?

par Anne-Marie Mercier

La toute nouvelle maison des Petits Platons s’est donné pour but d’introduire la philosophie des philosophes en littérature de jeunesse. On précise « des philosophes », car la philosophie des idées est déjà bien représentée dans ce secteur à travers des albums posant la question, par exemple, du sens de la vie (La Grande Question de Wolf Erlbruch, Être, 2003), ou de la mort (La Visite de petite mort et Moi et Rien de Kitie Crowther (école des loisirs 2004 et 2000).

Ici, donc, on rencontre des philosophes et des idées. Belle idée. Belle maquette, beau papier, beau graphisme, beaux livres. Sur un volet de la couverture, un résumé très bref de la vie et de l’œuvre du philosophe, de son importance, de la lecture qu’il demande, est excellent. Le texte est plus contestable, surtout à propos de Kant : on présente le philosophe âgé, tout au long d’une journée réglée avec un soin maniaque comme toutes les précédentes, du lever au coucher. Un cours, une rencontre avec des amis, avec une jeune fille, les repas, la promenade. L’image du philosophe le montre très imbu de lui-même et la philosophie ne peut apparaître que triste et solitaire. Il est den outre outeux que les lecteurs jeunes soient sensibles à l’humour du texte, trop discret quand il n’est pas déplacé. Les allusions à Rousseau et à la Révolution française sont des raccourcis qui ne seront drôles que pour les connaisseurs, et seront de fausses informations pour les autres. Enfin, les idées de Kant apparaissent à travers un « best of » de formules qui ici encore ne fonctionnent que par la complicité et ne feront sourire, réfléchir ou se remémorer que des étudiants assez avancés ou des professeurs.

Le livre consacré à Leibniz montre lui aussi un philosophe vieux, laid, solitaire et triste, dont tous les amis et protecteurs sont morts. On ne voit toujours pas en quoi ce choix peut rapprocher les philosophes et la philosophie des enfants. Mais la suite est beaucoup plus réussie : à travers un dialogue avec un enfant fort bien amené et qui rappelle heureusement certains dialogues philosophiques des 17e et 18e siècles, Leibniz expose sa théorie des mondes possibles. L’exemple de Sextus Tarquinius (qui se rendra coupable du viol de Lucrèce) est proposé à la réflexion du jeune Théodore  qui est ensuite intégré lui même dans l’histoire en endossant le rôle d’un jeune prêtre de Jupiter appelé lui aussi Théodore (jolie image des enchâssements de mondes). Celui-ci voyage dans les airs, rencontre Athéna, rêve, passe d’un monde à l’autre, puis se réveille, ramenant le Théodore ‘réel’ au monde. Le texte se clôt surs les conclusions pratiques de la théorie de Leibniz (comment vivre ?) et sur une évocation poétique d’un monde dense, musical et vivant. Bien écrit, accessible, inventif, ce livre pourrait être proposé à des élèves de différents âges.

Les petits Platons sont une collection riche de possibilités mais aussi d’écueils. Le public auquel elle se destine n’est pas encore très net, ce qui n’est pas un obstacle en soi. Mais l’image des philosophes devra être pensée avec un plus grand souci du public choisi pour remplir le rôle qu’elle se fixe et l’utilisation de l’humour mieux contrôlée. D’autres titres sont parus (Socrate, Descartes). Espérons-les davantage du côté de Leibniz que de Kant.