Histoires toutes bêtes, Service Premium

Histoires toutes bêtes
Antonin Louchard
Seuil jeunesse, 2025

Service Premium
Antonin Louchard
Seuil jeunesse, 2025

Bêtes obstinées

Par Anne-Marie Mercier

Antonin Louchard est le maitre de l’absurde enfantin. Dans ce recueil de six petites histoires présentant les mêmes personnages, animaux parlants, à peine anthropomorphisés, on voit des situations catastrophiques qui se terminent pour la plupart en queue de poisson.
Dans « Je veux voler » un oisillon sur une branche appelle le grand oiseau qui vole au-dessus de lui et qu’il nomme « papa » pour qu’il lui apprenne à voler : appels, énervement, plaintes, menaces… rien n’y fait, jusqu’au moment où à force de s’agiter l’oisillon tombe… et adapte sa stratégie.
Dans « Je suis un lion », un petit canard qui se prend pour un lion rencontre un crocodile : « tu sais que tu joues avec ta vie », lui dit-il… On ne dira pas la fin, étonnante et hilarante (mais personne n’est mangé !).
Dans « Supercagoule », une poulette qui marche dans un bois enneigé, portant bien à contrecœur une cagoule tricotée rouge (et qui gratte) et des lunettes, rencontre un loup qui veut la manger : qui gagnera ? la poule, bien sûr.
Dans « Patate », un chien (appelé Patate) refuse de rapporter la balle, le maitre s’énerve, créant le chaos, le chien reste stoïque, à un détail près.
Le « Répétou » est un cauchemar que bien des enfants connaissent et pratiquent : chaque fois qu’on lui parle, il répète les derniers mots… et c’est contagieux.
Quant à l’histoire de Cui-cui le petit chien, elle présente le cas d’un chien qui ne sait plus aboyer et ne peut dire que « cui-cui », jusqu’à ce qu’on l’emmène chez un orthophoniste pour animaux où il retrouve d’autres espèces minées par un problème similaire. Il sort guéri, enfin, presque…
Ces personnages animaux tout simples et ronds, la plupart du temps sans accessoires, ont du caractère et avancent sur une ligne et un décor simplissime dans les doubles pages, de la gauche vers la droite, bravement jusqu’au bout. C’est tout bête et d’une logique imparable.
Service Premium, dans le même format carré, reprend les mêmes personnages. Ceux-ci font la queue (on ignore pour quoi jusqu’à la dernière page) et empêchent le petit canard pressé et porteur d’un colis urgent de les doubler, caquetant sans fin d’idées reçues en phrases convenues. Coiffé d’une casquette rouge et portant un sac à dos et un mégaphone rouges, celui-ci, dont on découvre qu’il s’appelle Jean-Claude, révèle à la fin sa mission, cruciale pour ceux qui font la queue devant les toilettes… Un peu de scatologie fait toujours rire les enfants, et si l’on y ajoute de la comédie sociale et de l’absurde c’est encore mieux.

 

Les Cheveux de M. Fiorello

Les Cheveux de M. Fiorello
Cecilia Ruiz
Traduit (anglais, USA) par Marie-Andrée Dufresne
Les 400 coups, 2025

Cheveux au vent, une histoire de temps

Par Anne-Marie Mercier

Monsieur Fiorello (on devine son origine italienne par son patronyme et par d’autres détails, à l’image) a beaucoup de cheveux tant qu’il est jeune. Biker, rêveur, coquet, il en prend grand soin. Mais le temps finit par faire son œuvre, et il ne lui reste plus que trois cheveux, dont il essaie de se débarrasser…
Cette histoire qui peut sembler mince et commune est pourtant porteuse qu’un grand drame que bien souvent l’album pour enfant ignore, celui de la transformation du corps après l’adolescence. Ici, c’est la perte des cheveux qui crée la situation, mais celle-ci, plus globalement, évoque la perte de la jeunesse et le fait de renvoyer aux autres une apparence peu flatteuse, qu’on n’accepte pas. C’est tout le cheminement d’un homme, de la consternation à la révolte puis à l’acceptation qui est présenté.
Tout cela se fait sans drame : le visage tout rond de Monsieur Fiorello, ses mimiques et ses tentatives pour dompter le sort avec différents couvre-chefs rendent le récit en images drôle et attendrissant. Cette rondeur s’inscrit dans toutes sortes de cadres, portes ou fenêtres, comme autant de mandalas, avant la libération par les courbes dans des scènes marquées par la gaieté, la fête, et le goût du vivant – Fiorello vient du mot « Fleur » en italien.
Les images dont les tons s’éclaircissent progressivement sont imprimées avec de légers décalages qui évoquent les impressions en quadrichromie d’antan. C’est un bel hommage au père de l’artiste, comme l’indique sa dédicace, et cela fera certainement rire les enfants qui ne se sentiront pas concernés avant une éternité.
On peut feuilleter ce livre pour découvrir la subtilité des illustrations sur le site des 400 coups, maison canadienne, nous apportent encore une fois de la nouveauté.

Tout feu tout flamme

Tout feu tout flamme
Julia Chausson
À pas de loups, 2025

Déclarations d’amour en métiers

Par Anne-Marie Mercier

Ce grand album apparait comme une sorte de livre d’artiste dans lequel l’autrice des images se serait donné toute latitude, autant sur le plan du graphisme que de la mise en couleurs. Les images en pleine page, imprimées avec la technique de la gravure sur bois, sont splendides. Elles proposent une grande variété de couleurs, où les teintes des fonds contrastent avec celles qui donnent forme aux personnages.
Ceux-ci, représentés de façon stylisée représentent différents métiers : pompier, facteur, jongleur, footballeur, professeur, marchand de glaces, auxiliaire de vie, coiffeur, guide touristique… On peut remarquer que de nombreux métiers sont portés de manière non conventionnelle par des femmes (présidente, footballeuse, grutière, etc.) et d’autres par des hommes (puériculteur, accompagnant).
Le propos dépasse le simple but de faire un catalogue de métiers : chaque image est accompagnée d’une phrase en forme de déclaration d’amour : « tu me rends flou (pour l’opticienne), « j’écoute les battements de ton cœur » (pour le médecin), « tu m’as pris dans tes filets » (pour le pêcheur)…
Livre pour amoureux, catalogue d’expressions lexicalisées, belles images à contempler, il peut séduire plusieurs publics.
Voir le site de l’autrice, qui a illustré la collection des « petits chaussons » chez Rue du monde, pour de plus jeunes lecteurs.

 

 

 

 

L’Étonnante Histoire de l’homme le plus lent du monde

L’Étonnante Histoire de l’homme le plus lent du monde
Arthur Dreyfus, Sim Mau
Rue du monde, 2025

Le rythme des autres

Par Anne-Marie Mercier

C’est le fils de l’homme le plus lent du monde qui présente son père, avec tendresse et humour. Celui-ci fait tout très lentement : manger (la semoule, c’est graine après graine), parler (il commence des phrases et n’a pas le temps de les finir ; ce n’est qu’à la fin qu’on saura ce qu’il voulait dire), pleurer, se laver (il y a la queue devant la salle de bains), s’habiller, etc. On devine l’entourage un peu agacé… Il semble se consoler avec un animal de compagnie, c’est justement une limace. Un jour, après la mort de la limace, il part mais avant de partir il arrive à finir cette phrase toujours laissée en suspens… (« je t’aime »).

C’est un beau portrait, celui d’un père un peu lunaire, inadapté, puis d’un père absent, et pourtant très présent dans les souvenirs de son fils. L’histoire serait tragique sans les dessins qui introduisent du comique dans toutes les situations. Rue du monde semble quitter le terrain militant et mondialiste pour s’intéresser à une micro histoire. Pourtant c’est bien un éloge de la tolérance qui peut se lire ici. Si « l’enfer, c’est le rythme des autres » (Henri Michaud), accepter ce rythme serait le début du paradis et une belle preuve d’amour.

Le Voleur de la reine : Le Voleur (t. 1), La Reine d’Attolie (t. 2)

Le Voleur de la reine : Le Voleur (t. 1), La Reine d’Attolie (t. 2)
Megan Whalen Turner

Traduction (anglais, USA) par Yoko Lacour
Monsieur Toussaint l’aventure, 2025

Un cadeau pour les grands ados : une nouvelle Saga au long cours

Par Anne-Marie Mercier

Non, les « beaux livres » ne sont pas uniquement des documentaires ou des ouvrages sur l’art en grand format. Les romans peuvent entrer dans cette catégorie. Les éditions de Monsieur Toussaint nous en proposent un, et même plusieurs. Cette maison soigne particulièrement les couvertures et la reliure de ses livres, on l’a vu récemment avec la belle traduction de Frankenstein par Marie Darrieusecq. Avec Le Voleur, on a l’impression d’avoir entre les mains un livre imité des anciens livres de prix qui récompensaient les bons élèves en fin d’année : couverture rouge cartonnée et gaufrée, comme le joli dos. Bon papier… et chaque volume (il y en a deux parus sur les six de la série) présente un détail d’un tableau de la Renaissance (Holbein pour le second), cadrant des personnages en habit de cour au niveau de l’abdomen : mains et ventre (le siège des passions) sont au centre… comme dans l’histoire qu’on va lire.
Il faut dire que ce roman d’aventure vise à devenir un classique en France, comme, paraît-il, il l’est devenu aux États-Unis, où le premier volume a été finaliste pour la médaille Newbery Honor en 1997. Œuvre ample (six tomes prévus), elle relève de la fantasy et en reprend les codes : des royaumes imaginaires à l’allure médiévale sont au bord de l’affrontement, à moins d’obtenir une alliance par un mariage que certains, et surtout certaines, semblent redouter. Leurs roi et reines sont des êtres mystérieux et dangereux, leur cour est mystérieuse, mais moins que le héros, le voleur qui donne son titre au premier volume.
Tout jeune au début de l’histoire, on le découvre emprisonné par le roi de X. Il en est libéré par le mage qui sert ce roi et obligé de le suivre afin de dérober au royaume de Z (l’Attolie) un mystérieux talisman qui permettrait à ce roi d’obliger la reine de Z à l’épouser afin de s’emparer de ses terres. Enfin, le voleur est le Voleur officiel de la reine de X et il sait bien que lorsque les deux pays qui encadrent le petit royaume montagneux de sa reine seront unis, ils ne feront qu’une bouchée de celui-ci. Vous suivez ?
En outre, il y a les Mèdes qui rôdent… ce nom est celui d’un ancien peuple de l’Iran et les guerres médiques désignent le combat des cités grecques contre l’empire Perse (auparavant conquérants de l’Anatolie, de Babylone, de la Palestine et de l’Égypte), à la fin du cinquième siècle avant notre ère. L’univers de référence est ainsi un mélange de médiévalisme et de Grèce antique : des petites cités s’affrontent jusqu’au moment où un empire voisin les convoite; les combats se font par terre et par mer. On relate des mythes bien connus (dont l’histoire d’Hadès et de Perséphone, avec d’autres noms), les dieux interviennent dans les songes des personnages, et parfois de façon plus concrète, comme chez Homère, donnant une touche de fantastique discrète d’abord, puis de plus en plus présente à l’aventure. Les rois et reines ne sont pas des anges, et sont capables de tout, alors que le Voleur, lui refuse de se battre et essaie de n’agir que par la ruse, un peu comme Arsène Lupin.
Il y a aussi un peu du premier cycle de l’Assassin royal (Robin Hobb, Farseer Trilogy, 1995-1997) avec cette idée d’une lignée de voleurs servant un trône, un peu de Game of Thones avec ces royaumes tantôt alliés tantôt ennemis et cherchant des alliances apr mariages, et un air d’originalité par une narration particulière : le temps et l’espace s’y étirent, les moments d’action étant encadré par de longs passages relatant des attentes (prison, maladie…) ou des déplacements : l’odeur du vent, la végétation, le chemin, de nombreux détails sont donnés, nous immergeant avec ce voleur très particulier dans ce monde dont nous apprenons la géographie, l’histoire et les mythes en cheminant.

 

Le Secret de Golden Island

Le Secret de Golden Island
Natasha Farrant
Gallimard jeunesse, 2025

Les possibilités d’une île

Par Anne-Marie Mercier

Sur cette île interdite au public, sans trésor malgré son nom, se dévoileront plusieurs secrets : celui de Céleste, qui se sent coupable de n’avoir pas pu aider son grand-père qui lui avait fait découvrir cette île, celui de Iakov et des cauchemars nés des bombardements qu’il a subis en Ukraine. Lui aussi porte une culpabilité bien lourde qu’il ne pourra révéler qu’à un moment de crise, tard dans le récit. Enfin, d’autres personnages qui concourent avec eux pour gagner l’île comme cela était proposé dans une annonce cachent eux aussi un passé parfois trouble.
Le roman, très riche en événements et en émotions fortes, met en scène la naissance d’une belle amitié, celle qui unit Iakov et Céleste autour de ce projet fou. Elle les rend complices de gros mensonges pour se libérer de la surveillance des adultes et leur fait affronter de multiples dangers, maritimes, terrestres et souterrains, se sauvant mutuellement la vie à tour de rôle.
Le secret c’est aussi celui de cette île enchanteresse qui semble appeler Iakov par une musique que lui seul entend. La géographie de l’île, illustrée par une carte, se révèle peu à peu dans le texte, depuis la description faite par le grand-père de Céleste qui y a abordé clandestinement quand il était jeune, jusqu’aux indices cachés dans une vieille chanson de marins, en passant par les explorations qu’ils mènent, de jour, puis de nuit et sous la menace d’un individu armé et dangereux.
Le pari proposé par les propriétaires de l’île, proche d’une chasse au trésor avec des indices et des passages secrets se transforme en course inquiétante plus proche des Chasses du comte Zarov que d’un jeu enfantin. Mais tout finit bien et les deux enfants apprennent à surmonter leurs silences et leurs peurs, à dénouer leurs blocages et à découvrir quoi faire d’une île : bien autre chose que ce qu’en font les héros du Club des cinq. Ici, l’île rayonne vers l’extérieur.

Petit Somme

Petit Somme
Anne Brouillard

Seuil Jeunesse, 2025

Une petite cabane dans la forêt

Par Lidia Filippini

Dans une clairière au fond de la forêt, une grand-mère installe la poussette d’un nourrisson devant sa maisonnette de bois. Bien emmitouflé dans sa couverture, le bébé ne tarde pas à s’endormir. La grand-mère en profite pour préparer une bonne compote de pommes. Les animaux sortent alors du bois. Renard, blaireau, hérisson, écureuil s’approchent à pas de loup. Ils observent l’enfant et la vieille dame attendant sagement de recevoir leur part de goûter.
Anne Brouillard convoque ici l’univers du conte. Tout y est : la forêt, la grand-mère, la cabane perdue dans les bois. Il se dégage de cet album un sentiment de douceur, une nostalgie liée à la mise en scène d’un monde suranné qui évoque l’enfance. Un monde où des grand-mères, vêtues de robes et de châles, ne craignaient pas de lasser les bébés dehors pour qu’ils profitent de l’air pur de la campagne pendant leur sieste. Mais, comme souvent dans l’univers de l’autrice, on y rencontre aussi une forme d’inquiétude, cet Unheimliche qui jalonne ses albums (et qu’on retrouve par exemple dans Trois chats, son premier opus, ou dans Mystère).
L’inquiétante étrangeté tient ici au cadrage. L’illustration occupe toute la page. Elle fonctionne comme un zoom sur la scène. Le ciel, hors champ, est rarement visible. Le lecteur n’a d’autre choix que de plonger dans cet univers de conte. Ses yeux sont attirés vers l’image et l’absence de décor périphérique lui interdit toute distraction. Il en résulte un léger sentiment d’oppression qui contredit le récit banal d’une scène de vie familière.
La présence des animaux contribue également à cette inquiétude. Ils apparaissent quand l’enfant se trouve seul dehors. Ils s’approchent alors discrètement et leur figure animale ne se laisse pas facilement décrypter. En effet, contrairement à ce qu’on pourrait attendre dans un album comme celui-ci, destiné aux tout-petits, les animaux ne sont pas anthropomorphisés. Leur regard reste donc assez indéchiffrable. Sont-ils là pour dévorer le bébé ? Est-ce la raison pour laquelle ils semblent se cacher ? Et la vieille dame, finalement, est-elle une gentille grand-mère ou une vilaine sorcière qui laisse l’enfant devenir la proie des bêtes sauvages ? C’est à ce moment du livre, qu’Anne Brouillard donne une voix aux animaux. Ils se mettent à parler et on comprend qu’ils s’intéressent surtout à ce que cuisine la grand-mère : « Elle prépare quelque chose d’intéressant. », « Y en aura-t-il pour nous ? » Loin de chercher à lui faire du mal, Blaireau et les autres s’occupent de bébé. Debout sur leurs pattes avant, ils revêtent des attitudes humaines : se penchent vers le berceau, aident l’enfant – qui en retour les gratifie d’un sourire – à patienter jusqu’au retour de la grand-mère.
Un autre aspect intéressant de cet album est sa circularité, un trait fréquent dans l’œuvre d’Anne Brouillard. Le récit s’ouvre sur la cabane, en plein jour, avec ce texte : « Il fait bon dehors ». Il se clôt sur la même cabane vue sous un angle légèrement différent, de nuit cette fois, avec les mots : « Il fait sombre dehors ». Sur cette dernière illustration, les animaux, rendus à la vie sauvage, s’éloignent en direction de la forêt. On ferme le livre avec l’impression d’avoir vécu une rencontre un peu magique entre le monde des hommes et celui des animaux, peut-être grâce à la présence du bébé – ou du lecteur lui-même.

 

 

Mots-clés :

Fenêtre sur frousse, Plongez dans le monde des phobies

Fenêtre sur frousse, Plongez dans le monde des phobies
Michaël La Monnaie

Helvetiq, 2025

Même pas peur !

Par Lidia Filippini

Néo éprouve une peur panique à l’idée d’ingérer un oignon. Depuis des années, il vérifie la composition de chaque aliment qu’il achète. Cette angoisse irrationnelle le conduit à des processus d’évitement qui gâchent sa vie quotidienne. Impossible pour lui d’aller au restaurant ou de se faire livrer un plat. Même lorsqu’il précise qu’il ne veut pas d’oignons – il préfère d’ailleurs souvent prétendre qu’il y est allergique – le risque subsiste dans son esprit d’avaler sans le savoir un morceau de ce bulbe honni – ce qui, selon lui, le mènerait à une mort certaine. Néo n’a pas seulement peur, il souffre d’une phobie. La peur est un sain mécanisme de défense. La phobie, elle, n’a pas de fondement rationnel. Elle ne protège pas mais, au contraire, génère une angoisse ingérable qui pousse souvent à l’isolement social.
Aidé du docteur Hinengaro, psychiatre ayant lui-même souffert d’agoraphobie suite aux évènements du 11 septembre 2001, Néo va en apprendre plus sur sa phobie, ses causes, ses manifestations mais aussi les moyens de s’en débarrasser (en particulier la thérapie cognitive et comportementale). Au cours d’une émission spéciale « Fenêtre sur Frousse », animée par le docteur Hinengaro, il pourra confronter son témoignage à celui d’autres phobiques.
« Tous ceux que tu rencontres mènent un combat que tu ignores. Sois indulgent. Toujours. » C’est un peu la morale de cette très belle bande dessinée. Certaines phobies sont largement documentées et connues, d’autres le sont moins et peuvent surprendre. Ce qui est certain en tout cas, c’est que chacun d’entre nous – même le psychiatre du récit – peut devenir un jour phobique. Qu’elle soit transmise par l’entourage, due à un évènement traumatisant ou d’origine inconnue, cette maladie touche une part non négligeable de la population. En parler permet de rassurer ceux qui en souffrent.
Michaël La Monnaie qui, tout comme son personnage, a dû apprendre à vivre depuis de nombreuses années avec son alliumphobie (peur des oignons) offre ici une bande dessinée très riche. Basée sur le DSM, manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux publié par l’Association américaine de psychiatrie, sa description des troubles anxieux est claire et précise. Le sujet est grave mais l’auteur le traite avec beaucoup d’humour et d’auto-dérision. Les illustrations, ultra colorées et vraiment drôles permettent à ceux qui se reconnaîtraient dans certains personnages de prendre du recul face à leur maladie et de rire de l’image qu’ils peuvent parfois renvoyer. Quant aux autres, ceux qui ne sont pas sujets aux troubles anxieux, ils apprennent de leur côté à respecter et à comprendre des personnes qui peuvent parfois leur paraître bizarres.

Voir l’annonce en sons et images (Youtube)

 

L’énigme de Bletchley Park

L’Énigme de Bletchley Park
Ruta Sepetys, Steve Sheinkin
Traduit (anglais, USA), par Faustina Fiore
Gallimard, jeunesse, 2025

Contre-espionnage, guerre et adolescence

Par Anne-Marie Mercier

On retrouve avec plaisir le talent de la lithuano-américaine Ruta Sepetys, qui excelle à plonger des adolescences dans des histoires tourmentées (on avait bien aimé Ce qu’ils n’ont pas pu nous prendre chroniqué par Maryse Vuillermet et moi-même) et Si je dois te trahir, par Michel Driol. Elle s’est associée à un autre auteur pour jeunes adultes, Steve Sheinkin, spécialisé dans le genre de la « non-fiction » historique, et sans doute bien informé sur le contexte des événement, dans la période où l’Allemagne de Hitler envisage d’envahir la Grande-Bretagne après la reddition de la France, le moment du « Blitz » (1940-1941), ou de la « Bataille d’Angleterre ».
Roman historique, roman d’espionnage, exploration des émois de l’adolescence, des liens entre frères et sœurs ou entre amis, roman de formation, il y a un peu de tout cela dans l’histoire qui nous est racontée, tantôt avec le point de vue d’Elisabeth, dite Lizzie, 14 ans, tantôt du point de vue de son frère aîné Jakob. Jakob a disparu mystérieusement, ne laissant qu’une adresse vague à sa sœur. Leur mère a été déclarée morte en Pologne, au moment de l’annexion, sous les bombardements. Lizzie est donc seule dans cette période troublée ; il ne lui reste que sa grand-mère, à Cleveland, qui a organisé son voyage pour la faire venir auprès d’elle, aux USA. Mais Lizzie est une rebelle, elle refuse le plan de sa grand-mère, échappe à l’homme désigné pour l’accompagner dans ce voyage. Elle refuse de croire que sa mère est morte et veut enquêter sur sa disparition et retrouver son frère.
Celui-ci a été recruté dans un centre de cryptologie, dans le domaine de Bletchley Park, et n’a ni le temps ni l’envie de suivre les idées de sa sœur, qu’il est cependant obligé d’accueillir tout en la maintenant dans l’ignorance de sa mission, au nom du « Secret Défense ». Au cœur de l’histoire, il y a cette question du secret qui a entouré ce domaine et cette opération, un secret extrêmement bien gardé pendant longtemps, même après la fin de la guerre, tous les participants au projet, ayant juré solennellement de n’en parler à personne. Effectivement, le secret était crucial : les cryptologues tentaient de déchiffrer les messages codés des Allemands et travaillaient jour et nuit sur cette tâche immense. Pendant un certain temps ils ont travaillé sans succès, avec l’angoisse d’aboutir trop tard. On les voit obtenir des résultats juste au moment où le débarquement allemand est imminent. Tout ce qui présente la machine à coder allemande, Enigma, est passionnant, comme les explications sur les méthodes employées pour tenter de casser les codes ou les procédés employés par les personnages pour communiquer discrètement –  les auteurs invitent à prolonger le jeu à la fin en proposant au lecteur de résoudre certaines des énigmes proposées dans le roman. Enfin, on se déguise, on se dissimule, on cache des choses, on les enterre, ou échange les identités, tout bouge.
On voit aussi monter l’angoisse de la population, notamment de ceux qui, comme Colin, l’ami de Lizzie, ont un proche recruté dans l’aviation (une postface à l’ouvrage reprend des éléments historiques et souligne que les jeunes pilotes de la RAF n’avait que quatre semaines d’espérance de vie). La défense passive, l’entraînement des populations dans la perspective d’une invasion, les précautions prises qui n’empêchent pas les bombardements destructeurs sur Londres, et ses environs, tout cela apparaît en arrière-fond et est parfois mis en avant.
Les tribulations de Lizzie, les inquiétudes de Jakob, harcelé par les services secrets qui soupçonnent sa mère d’avoir été une espionne, la vie de tout un peuple qui continue à vaquer à ses occupations en attendant l’enfer, tout cela est fort, bien mené et le roman est passionnant de bout en bout. Il est drôle aussi, malgré ce contexte dramatique, la personnalité de Lizzie et l’inventivité de ses amis étant souvent cocasses, comme son esprit de répartie et son insolence.
C’est un joli portrait de fille, indépendante, extrêmement douée. Elle dame le pion à cet entourage militaire par son esprit d’observation et ses talents de déduction. C’est aussi le portrait d’une adolescente qui ressent des émotions sans toujours pouvoir les identifier et avance vers la maturité avec beaucoup de générosité et de sensibilité. Son frère comme les autres personnages sont à la fois énigmatiques et attachants. Du suspens, du sang et des larmes, du rire et de l’amour, cela fait un beau cocktail.

Esprits d’enfance

Esprits d’enfance
Stéphane Servant, Gaya Wisniewski (ill.)
Rouergue, 2025

Invitation à « retrouver ses esprits »

Par Anne-Marie Mercier

Ces esprits d’enfance, ce sont d’abord des souvenirs : deux enfants, un garçon et une fille (c’est le garçon le narrateur), une grand-mère et son chat, une maison avec une salle de bains à l’extérieur, un potager, un verger, un étang… Cette maison est loin de tout mais proche d’un lac et de petits bois où il y a parfois des champignons. C’est le décor idéal, posé avec une carte crayonnée dès les premières pages, pour faire surgir ces «esprits». Certains sont nés des expressions de la grand-mère ou des enfants : Soukapat (alias Foulbazar, etc.), croque-chaussette, le Cépamoi (ou cépamoiki), mais ils peuvent aussi désigner des découvertes liées aux diverses activités ordinaires et aux jeux inventés : Chante marmite, Dessin-le-ciel, chuchoteurs d’histoires, Boud’bois… Le placard grinçant, l’ombre des toilettes, l’arbre qui pleure… évoquent les peurs des coins sombres et des bruits bizarres qui font le caractère de toute vieille maison, et de la nature même. Chaque chapitre raconte comment l’esprit a été découvert, nommé, et a occupé un temps la vie de ces personnages.
Les illustrations en pleine page, au pastel gras, saturées de couleurs, sont très belles lorsqu’elles illustrent les décors. Les personnages et les monstres sont tracés à gros traits, de manière enfantine. D’autres pages sont en noir et blanc, crayonnées à grands traits au fusain ou au crayon de bois
Un chapitre final, « la vieille maison », montre les deux enfants devenus adultes entrant dans la maison. Elle est désormais inhabitée mais elle reste pleine des odeurs, des histoires du passé et de la présence de celle qu’ils appelaient Mémé. La dernière page, intitulée « retrouver ses esprits » invite à conserver la capacité des enfants à rêver et à inventer, et à se souvenir aussi, au-delà de la nostalgie, pour faire revivre les temps heureux.
Ce beau livre illustré semble s’adresser davantage aux adultes ou du moins à des enfants qui auraient déjà des souvenirs d’étés passés et seraient sensibles au deuil d’une enfance envolée et à la perte d’un ou d’une aïeule disparue.