L’Étoile de Mo

L’Étoile de Mo
Jeonju Chai
Traduit (coréen) par Elvire Beaule
hélium, 2025

Des Lumières

Par Anne-Marie Mercier

C’est d’abord un charmant petit livre, cartonné, à l’allure un peu ancienne, avec en couverture une image centrale qui reprend un peu tous les éléments de l’histoire, tout cela dans de jolies teintes pastels.
Mo est un chaton qui, un peu comme celui d’Ivan Pommaux, part seul dans la nuit. Il est en quête d’une lumière, du moins le croit-t-il. Il découvrira une nouvelle indépendance, mais aussi la force des amitiés, la richesse, des rencontres, le plaisir de l’exploration, le courage des épreuves surmontées.
Le sous-titre de l’histoire la désigne comme des « aventure forestières », et c’est bien dans ce contexte que tout se déroule : la nuit, l’automne, tout dort, sauf notre petit chaton. Réveillé, il voit par la fenêtre, une lumière « qui semble lui sourire. On dirait presque qu’elle l’appelle ». Après avoir laissé un mot à ses parents (lettres, bâton, formidable), et avoir pris son écharpe – tout cela est dans un contexte très anthropomorphique : les animaux de la forêt ont des maisons creusées dans les arbres, des bibelots et quelques vêtements ou accessoires (une touche de Beatrix Potter?) – il part à la recherche de cette « étoile souriante ».
Il rencontre le bienveillant grand-père hibou et fait des recherches dans sa bibliothèque. Celui-ci lui trouve Mo peu prévoyant. Il lui donne une carte de la Forêt Bleu-nuit et des provisions. A l’étape suivante, des mésanges, très organisées, comme le hibou, lui donnent des conseils et quelques provisions. Puis ce sera un écureuil en haut-de-forme qui lui donnera des rudiments de bonnes manières et des glands, un raton-laveur restaurateur, etc., jusqu’aux rennes du Père Noël, qui font la fête en attendant d’être trop pris par leur travail de la fin de l’année. Tous le mettent en garde contre l’ours qui vit au fond du bois, gigantesque et puant. Bien sûr, Mo rencontrera, l’ours et ce sera une belle surprise, on n’en dira pas plus.
C’est un petit conte parfait, une randonnée comportant beaucoup de variations, et une jolie réflexion sur les idées toutes faites, les mauvaises réputations, et la nécessité de l’entraide. Les illustrations sont une merveille de délicatesse et de drôlerie. Ce petit chat est très expressif et charmant. Le texte s’inscrit de manière très variée dans les pages : on trouve aussi bien des images en pleine page que des images séquentielles, des vignettes qui se promènent autour de  fragments de texte. Représentation du « réel » et vision du fantasme apparaissent souvent conjointement. Si le noir et blanc domine, mettant bien en valeur la fourrure du chat, il est rehaussé aussi de touches de couleurs pastels et l’ensemble est très joli et raffiné.
Magnifique !

 

 

C’est mon corps

C’est mon corps
Mai Lan Chapiron

De la Martinière Jeunesse, 2025

Tu es le chef de ton corps

Par Lidia Filippini

Une première mouture de C’est mon corps, publiée en 2024 s’adressait aux tout-petits, à partir de trois ans. Mai Lan Chapiron propose ici une version enrichie destinée aux enfants de six ans et plus (qui pourra paraître un peu simpliste après huit ans selon nous). Elle y aborde avec une certaine dose d’humour les questions liées à l’intimité.
Le lecteur apprend à repérer ses parties intimes, à les nommer, mais aussi à les protéger. Une grande partie de l’album, en effet, est consacrée au consentement. À droite, une question se décline sur un fond coloré : « Est-ce que ta sœur, ton frère / tes parents / les adultes de l’école… ont le droit de toucher tes parties intimes ? », suivie de sa réponse, en lettres capitales blanches bordées de noir : « NON ! ». Tandis qu’à gauche, une illustration, colorée et légère, dédramatise quelque peu le propos de la page de texte. Cette formule, qui revient comme un leitmotiv, donne encore plus de force au message. L’autrice en profite pour glisser délicatement quelques précisions : personne ne peut toucher les parties intimes d’un enfant, pas même en échange d’un cadeau, pas même quand il lui fait des chatouilles, ni avec ses mains, ni avec aucun objet.
Une petite chouette ajoute, avec humour, son grain de sel. Ses remarques amusantes permettent, elles aussi, de mettre un peu de distance entre le jeune lecteur et les thèmes graves abordés.
Plus loin dans l’album, une double-page tranche par son « OUI ! ». Le lecteur y découvre qu’une seule personne a le droit de toucher ses parties intimes : lui-même, et que ce n’est pas interdit.
Enfin, dans cette version destinée aux plus grands, quatre pages permettent d’aller plus loin. L’autrice y détaille les quelques cas où un adulte a le droit de toucher les parties intimes d’un enfant (le bas-âge, le handicap, la maladie). Elle donne également des conseils aux victimes d’attouchements sexuels ou d’inceste : parler à un adulte de confiance, appeler le numéro d’Enfance en danger.
L’autrice, Mai Lan Chapiron est également chanteuse de rap, costumière et créatrice de mode. Victime d’inceste à l’âge de sept ans, elle collabore aujourd’hui avec plusieurs associations d’aide aux enfants. Son premier album jeunesse, Le Loup, a reçu le label « Pacte pour l’enfance« , décerné par le Ministère des Solidarité et de la Santé. Elle intervient dans des écoles, des colonies ou des centres aérés dans le cadre de la prévention contre les violences sexuelles. Avec, C’est mon corps, elle donne aux jeunes lecteurs un outil clair qui détaille précisément ce qui est permis et ce qui ne l’est pas, encourageant les jeunes victimes à demander de l’aide. En famille, cet album pourra permettre d’engager une discussion avec son enfant. Il peut aussi être utilisé en classe (au CP ou au CE1) puisqu’il permet d’aborder les points mentionnés dans les nouveaux programmes d’éducation à la vie affective et relationnelle pour ces classes : « Nommer les parties intimes avec le vocabulaire scientifique précis » et « Savoir protéger son intimité ».

Pierre Lapin

Pierre Lapin ou Le Monde de Pierre Lapin : l’histoire originale + la peluche
Beatrix Potter
Traduit (anglais) par ? (non mentionné)
Gallimard, jeunesse, 2025

Des origines en peluche

Par Anne-Marie Mercier

Noël approche : la publication de jolis coffrets est une opportunité, même si l’on tente de résister contre ce qu’on appelle les « produits dérivés », pour faire découvrir aux jeunes enfants des classiques de la littérature de jeunesse.
Ce premier volume de la série des aventures de Pierre lapin reprend le texte de 1902, mais, nous dit-on en 2e de couverture, « corrigé » en 2002. On ne sait en quoi ni comment, mais tout de même, que veut dire ici ‘histoire originale » ? à l’origine d’une série? On y trouve aussi les reproductions des illustrations « originales » par l’auteur, c’est le moins qu’on puisse faire : Beatrix Potter est une merveilleuse illustratrice ;  ses textes sont de beaux exemples d’esprit d’enfance.
On ne reviendra pas sur les démêlés de Pierre avec Monsieur McGregor dans lesquels il perd sa jolie veste bleue à boutons dorés. De multiples éditions et dessins animés les ont rendus assez célèbres. On se réjouit que cette fameuse veste bleue se retrouve sur la peluche qui accompagne le livre dans la boîte coffret ; le couvercle transparent permet de les découvrir ensemble.

 

Le Serment des sœurs Fossil

Le Serment des sœurs Fossil
Noel Streatfeld
Traduit (anglais) par Jacques Martien
Novel, 2025

Fillettes en scène

Par Anne-Marie Mercier

Fausse fratrie, nom inventé, tout repose sur la fantaisie de Gom (pour Grand Oncle Matthew). Cet anglais excentrique et collectionneur ramenait dans sa grande demeure londonienne des fossiles et parfois des bébés, recueillis dans différentes circonstances. Il y en a trois: d’abord Pauline, puis Petrova et enfin Posy. Elles grandissent tranquilles et heureuses avec Sylvia la (vraie) nièce de Gom et Nana la gouvernante, dans une grande et belle maison, jusqu’au jour où, une absence de Gom se prolongeant, le souci d’argent modifie leur vie.
Pour recevoir une éducation et pouvoir travailler à partir de l’âge de 12 ans, elles intègrent une école où elles apprennent à la fois la danse et le théâtre. Quant à Sylvia, elle prend des pensionnaires pour faire durer le pécule laissé par Gom en attendant son retour.
Bataillant pour arriver à se distinguer, les sœurs font le serment qu’un jour leur nom sera célèbre. Si Pauline, dès ses douze ans, excelle vite sur la scène du théâtre puis plus tard au cinéma, et si Posy a un talent de danseuse exceptionnel, Petrova se cherche… Il faut dire qu’elle ne s’intéresse qu’aux voitures et à la mécanique, aidée par l’un des locataires, alors que les enseignants qui occupent les autres chambres louées les aident à compléter leur éducation.
Chacune a son caractère. Elles se heurtent, s’impatientent, se jalousent, mais elles ont bon cœur et, grâce aux conseils judicieux de leur entourage, elles arrivent à rester unies. Les ruses pour masquer leur pauvreté et pour avoir une robe correcte pour une audition sont touchants, comme et leurs scrupules et leur souci d’aider leur petite communauté. Heureusement, quelques moments comiques évitent que toute l’histoire ne tombe dans la mièvrerie, mais surtout la description des efforts nécessaires aux danseuses et actrices de théâtre ou de cinéma sont d’un réalisme intéressant.

Publié en 1936 sous le titre Ballet Shoes, ce roman qui a connu un grand succès en Angleterre mais n’était jusqu’ici pas traduit en France peut être considéré comme l’ancêtre des séries d’histoires de ballerines destinées aux filles (la collection « danse ! » ou le feuilleton de l’ Âge Heureux).

Tous des patates. Apprends à dessiner trois millions d’animaux à partir d’une simple patate

Tous des patates. Apprends à dessiner trois millions d’animaux à partir d’une simple patate
Mathias Friman

Seuil Jeunesse, 2025

Patates pour tous

Par Lidia Filippini

Mathias Friman part d’un constat simple : tous les animaux peuvent être dessinés à partir de l’esquisse d’une simple patate (mais pas le tubercule, précise-t-il, plutôt une forme ovoïdale qui peut être plus ou moins grande et plus ou moins allongée). Cette patate constitue le corps. Reste ensuite à ajouter une tête (une petite patate) et un cou pour maintenir ensemble les deux éléments, puis des pattes, une queue et, parfois, un bec, des cornes, des ailes ou des nageoires. Avec cette technique, l’auteur propose une cinquantaine de modèles et leurs déclinaisons qui permettent au final de dessiner facilement tous les animaux du monde.
Tous des patates pourrait n’être qu’un simple manuel de dessin mais Mathias Friman en profite pour entraîner ses lecteurs vers la découverte de la classification des espèces animales, insistant sur les spécificités de chacune d’elles de manière simple et très claire (« Pour résumer : de l’eau + des branchies + des nageoires = un poisson »). Le livre suit le tableau de « Classification simplifiée des patates » qui apparaît en fin d’ouvrage et constitue une sorte de sommaire. On y trouve cinq grands groupes d’animaux : les vertébrés, les mollusques, les cnidaires, les arthropodes et les annélides (qui ne sont pas des patates, mais des saucisses) avec leurs principales subdivisions. D’un point de vue scientifique, cette classification est quelque peu contestable, notamment parce qu’elle omet le groupe des échinodermes (étoiles de mer, oursins entre autres) qui est important puisque, porteurs d’un squelette interne, ces animaux sont considérés comme proches des vertébrés. Cette absence ne s’explique pas et semble peu justifiable dans un livre que la quatrième de couverture présente comme « un manuel zoologique ».
Quelques approximations scientifiques, donc, qu’il faut garder en tête, mais cela ne nous a pas empêchée de prendre beaucoup de plaisir à lire cet album-documentaire-manuel original. Les illustrations sont drôles et colorées. Elles donnent envie de tenter la méthode des patates et il faut bien dire que celle-ci s’avère particulièrement bien pensée pour dessiner toutes sortes d’animaux.

 

Deux frères en camping

Deux frères en camping
Da Wu
Traduit (chinois) par Chun-Liang Yeh
HongFei, 2025

De la SF à portée des enfants

Dès la couverture, nous sommes dans l’histoire : le lecteur adopte le point de vue des animaux rassemblés, la nuit, autour d’une tente éclairée de l’intérieur ; ils regardent les silhouettes des deux enfants qui conversent tranquillement. Ensuite, les pages de garde déplient le paysage, largement, sous un beau ciel étoilé. C’est une plaine sur laquelle se découpe une butte, régulière comme un tumulus. La tente éclairée est posée dessus, petit parallélépipède lumineux dans la nuit…
Lorsque l’histoire commence, les enfants sont en route : ils ont planté leur tente le matin ; ils cheminent dans la nuit en traversant une forêt, puis s’installent dans leur tente, à l’abri. Les dialogues montrent les inquiétudes du plus jeune (il y a des animaux dangereux, des Ovnis ?) l’ainé le rassure : il n’y a personne… croit-il.
Les images montrent le contraire. Un peu plus loin, on verra la butte et la tente s’envoler, loin dans l’espace, jusqu’aux lointaines galaxies (ce que l’on prenait pour une butte était donc une soucoupe volante). Au réveil, le plus jeune se souvient de tout et pense que c’était un rêve. Mais, une fois hors de la tente, ils ne découvrent plus qu’une plaine. La butte a disparu : que s’est-il passé ?
C’est un bel album, dont les doubles pages donnent une idée de l’immensité inquiétante de la nuit, puis de l’espace intersidéral. À d’autres moment, de petites images séquentielles mettent l’accent sur les échanges entre les enfants, introduisant de la variété et de l’humour.

Ceux qui nous gardent

Ceux qui nous gardent
Marine Régis-Gianas
L’école des loisirs (médium+), 2025

Une monde en lambeau

Par Anne-Marie Mercier

Le premier roman de Marine Régis-Gianas, crépusculaire et ambitieux, nous emporte dans un temps indéfini, post apocalyptique, dans lequel les humains sont revenus à une ère pré-technologique. Ana et ses deux frères vient à Brumenn, au milieu de la Grande forêt, dans une peuplade totalement isolée, soumise à de nombreux interdits et terrorisée par un mal qui touche les adultes, la Bara : dès que l’un d’eux se sent malade, ou a des pensées étranges, il doit disparaitre dans la forêt pour y mourir. D’où vient la Bara ? peut-on s’en délivrer ? Aucune de ces questions ne trouvera de réponse simple, mais d’autres secrets seront dévoilés.
Lorsque le roman commence, la mère d’Ana s’enfuit, touchée à son tour par le mal comme son compagnon avant elle. Peu après, Ana est enlevée avec deux autres villageois, par on ne sait qui, on ne sait pour quoi. Noé, l’aîné, part à sa recherche avec quelques compagnons et Lou, le plus jeune, est témoin d’étranges événements.
Le récit se divise en chapitres faisant alterner les points de vue des trois jeunes gens, tous trois dans le brouillard le plus épais sur ce qui est en train de se passer. Ils se raccrochent à leurs sensations, et le lecteur avec eux : bruits, odeurs s’associent aux réminiscences et ils tâtonnent dans le monde inconnu, jusqu’ici interdit, qui s’ouvre à eux.
On est un peu déçu que certains éléments soient peu développés alors qu’ils auraient pu apporter un peu de lumière à l’ensemble : ainsi de la proximité de Lou avec les animaux, avec les hyènes métamorphes qu’il a élevées, mais qui ne jouent pas un grand rôle, de l’apprentissage de la violence pour Noé, du destin qui s’annonce pour Ana.
Le lecteur doit lire entre les lignes pour découvrir les étranges destins des peuples qui s’affrontent, chacun prétendant vouloir sauver les autres, malgré eux.

Le Chat qui ne voulait pas fêter Noël

Le Chat qui ne voulait pas fêter Noël
Lil Chase, Thomas Docherty
Traduit (anglais) par Rose-Marie Vassalo
Flammarion, Père Castor, 2025

Qui est le dindon?

Par Anne-Marie Mercier

Le titre était prometteur et la jolie présentation aurait fait de l’ouvrage un cadeau parfait pour les fêtes : couverture crème, rouge et verte, avec du doré, cartonnée avec faux coins rouges, jolie dos rouge avec le chat en mini vignette,  beau papier résistant, nombreuses illustrations…
Mais voilà, on ne trouve que des banalités (qui certes feront rire certains, mais qui pour ceux qui vivent avec un chat sont sans surprise) : le chat fait tomber le sapin, mange la dinde et déchire les cadeaux, et la famille toujours de bonne humeur malgré cela, lui pardonne tout.
Bon, il y a à la fin une recette de chocolat chaud, des blagues, un bricolage pour faire un ange de Noël en carton… toute sorte de tentatives pour améliorer l’ensemble, mais cela ne suffit pas à faire un bon livre, même à Noël.
Le titre anglais était mieux adapté et avait le mérite de proposer un joli jeu de mot : The Cat who ate Christmas (jouant sur le verbe hate (détester) et ate, le passé de eat, manger). Manger Noël, c’est bien ce qu’il fait.

Un Démon parmi nous

Un Démon parmi nous
Thomas Lavachery
L’école des loisirs (médium), 2025

Faux frère et vrai jumeau

Par Anne-Marie Mercier

Il y a du nouveau dans l’œuvre de Lavachery : un roman plus court que d’ordinaire, ancré dans l’histoire et dans le réalisme, loin donc des emprunts aux sagas nordiques et parcours de fantasy dans lesquels il a excellé (voir les aventures de Bjorn, Ramulf, ou les histoires de gentils Trolls). Même si le cadre, le royaume de Silvénie, est imaginaire, les événements s’inscrivent dans l’histoire européenne, et cela d’autant plus que chaque partie a pour titre les dates de la période dans laquelle elle s’inscrit. Du côté de la noirceur, on peut aussi évoquer un roman précédent, Henri dans l’île, dans un genre bien différent, celui de la robinsonnade.

L’action se déroule entre 1923 et 1937, avec un épilogue daté de 1982. La famille Mann, d’origine juive et convertie au catholicisme, adopte deux jumeaux orphelins que l’oncle et le père de Félice ont recueillis après un accident dans une mine. Felix et Oswald ont douze ans, et peu d’éducation. Ils en reçoivent une dans la famille, et des soins attentionnés. Ils sont après un temps adoptés et sont censés être comme des frères pour Felice. Mais ces frères ont deux faces : si Félix est parfait, Oswald, malgré son visage d’ange, s’avère être un démon, un mythomane et un traitre.
Tout est vu à travers le point de vue de la petite fille, puis de la jeune fille : ses hésitations, ses interrogations quant à Oswald, jusqu’au moment où il dénonce la famille dans un contexte d’antisémitisme grandissant. On voit la révolte de Felice, parfois tentée par la compassion. Mais on voit aussi ses amours, ses débuts difficiles dans une carrière d’artiste qui refuse l’académisme à la mode, sa rencontre avec les milieux de l’art, son départ vers les États-Unis….
Le mystère lié à un membre d’une famille qui soudain renie tout son passé, ou plutôt le relit à l’aune d’un sentiment d’injustice (feint ou non, on ne sait) est finement présenté, sans trop de pathos, mais avec ce qu’il faut de consternation mêlée de sentiments divers chez les uns et les autres (la mère critique, le père effondré, l’oncle furieux, le jumeau déchiré… et enfin Felice, moins surprise que les autres).
C’est aussi en résumé le portrait de toute une époque et à travers cette famille Mann (peu à voir avec celle de l’écrivain, à part les tourments du moment) : espoirs, progrès, efforts, échecs et réussites, tout cela ruiné par les crimes des nazis qui, envahissant la Silvénie, font se rejoindre la fiction et l’Histoire.

 

 

 

 

 

Tor et le troll

Serpent bleu, serpent rouge

Serpent bleu, serpent rouge
Olivier Tallec
L’école des loisirs (pastel), 2025

L’amitié, c’est comme ça

Par Anne-Marie Mercier

Les deux serpents, personnages de cette non-histoire, sont absolument identiques, sauf que l’un est bleu (avec des taches noires) et l’autre rouge (avec des taches noires). Ils se connaissent depuis toujours et, depuis toujours, quand l’un dit noir, l’autre dit blanc.
On les voit discuter à l’occasion de diverses activités (regarder les nuages, se promener au milieu des cactées, faire de la gymnastique…). Quand ils tombent sur une paire de jumelles, cela donne au lecteur une belle leçon d’optique : regardant chacun dans l’un des oculaires, ils ne voient pas la même chose. Enfin, quand ils croisent un joueur de flûte qui charme Serpent rouge, heureusement que Serpent bleu ne se laisse pas séduire…
Voilà un très bel album, plein d’humour, sur l’amitié et ses accidents : complicité, rivalité, complémentarité et, à la fin, délicatesse des sentiments – jusqu’à un certain point.
Les images présentent ces deux héros, formes plutôt que personnages, dans des grandes pages (format inrangeable sur les étagères standard) de décors simples et vides : herbes rases, grands ciels, cactus, poteaux téléphoniques. Dans ce petit théâtre, les humeurs et les mimiques des deux amis n’en sont que mieux mises en valeur, comme leurs ressemblances et leurs divergences.