Un Long Week-end en canoë

Un Long Week-end en canoë
Alice Ourghanlian
Hélium, 2025

L’aventure, c’est l’aventure

Par Anne-Marie Mercier

Cet album nous donne l’opportunité de découvrir un nouveau talent, celui d’Alice Ourghanlian, Lauréate du prix Ars in Fabula de la Foire de Bologne. Ses images à l’allure enfantine accompagnent un récit dont la narratrice est une fillette, la plus jeune de la fratrie. Nous découvrons tout l’itinéraire de ce week-end d’aventures en famille (deux enfants et leur père), des préparatifs jusqu’au retour, à travers toute sortes d’images : vignettes de BD, planches à l’allure documentaire proposant des inventaires (matériel à emporter, différentes espèces d’oiseaux), superbes pleines pages colorées à fond perdu, images séquentielles sur fond blanc, vues d’en haut des canoës solitaires sur la rivière, vues d’ensemble du camping bondé, et de la rivière elle aussi embouteillée d’embarcations également, à un moment seulement heureusement pour eux, tant les canoéistes sont bavards et bruyants…
La narratrice a un regard critique sur les idées paternelles, les disputes avec son frère, et sur le manque de confort mais elle s’émerveille aussi sur la liberté qu’on ressent à vivre dans la nature, planter sa tente dans un coin isolé, se laver dans la rivière, faire pipi où on veut, manger avec les doigts… Mais c’est aussi trouver que ce week-end est décidément bien long, se demander si les cris qu’on entend la nuit, sous la tente, sont ceux de loups (non, c’est des grenouilles dit le frère), être trempés sous l’orage et avoir peur de la foudre. Toutes ces aventures sont vues et dépeintes avec humour, y compris la séquence où la fillette répond au coup de fil de sa mère (que l’on voit dans un métro bondé) en adoucissant beaucoup les traits de leur séjour pour éviter de l’inquiéter.
C’est un beau portrait de relations entre un père et ses enfants. Il souhaite leur faire découvrir de nouvelles façons de se promener ensemble, de vivre la nature mais s’y prend parfois maladroitement : l’aventure, ça ne se maitrise pas toujours.

sur Radio France

Mes Vacances chez mes incroyables grands-parents

Mes Vacances chez mes incroyables grands-parents
Daniela Sosa
Gallimard jeunesse, 2025

L’ennui de l’ennui

Par Anne-Marie Mercier

Cet album m’a laissé une impression de tristesse : pour commencer, on voit un enfant en vacances, chez ses grands-parents, comme le titre l’indique, et qui s’y ennuie : « il ne se passe jamais rien ». Effectivement, le couple âgé vaque à ses occupations (lecture, jardinage, collection de timbres, prendre en photo des « trucs sans intérêt »). Bref, « ils ne savent pas s’amuser ».
Surtout, ils n’impliquent pas l’enfant dans ces activités, ne lui montrent pas l’intérêt de la fleur ou du caillou photographié, l’histoire de la collection. On les voit cependant s’amuser lorsqu’il tourne le dos, et l’enfant est soit aveugle soit seul.
Quand on s’ennuie, on cherche du nouveau et l’enfant fouille partout « dans les moindres recoins, même les endroits interdits ». Il finit par tomber sur une petite valise dans le grenier contenant les photos d’un couple jeune et amoureux, aventureux, sportif, fantaisiste… Après bien des recherches il finit par comprendre (il en met, du temps !) : ce sont ses grands-parents et non, ils n’ont pas tant changé que cela. Dans les dernières pages de garde, on voit enfin le trio en activité, ensemble.
Le portrait des vacances pleine d’ennui est sans double fidèle… Mais l’ennui excuse -t-il le fait de fouiller partout « même dans les endroits interdits » et débusquer l’intimité d’autrui ? C’est ce que semble dire cet album.  Les illustrations, à l’allure enfantine semblent prendre le point de vue de l’enfant mais le lecteur voit ce qu’il ne voit pas, cela n’a donc pas grand intérêt.
Est-ce un album destiné aux grands parents pour les inciter à prendre en compte l’ennui des enfants ? ou à se raconter davantage et à afficher des photos de leur jeunesse au lieu de les remiser au grenier ? aux enfants pour leur dire que sous leurs apparences tristounettes leurs grands-parents sont (ont été ?) formidables ? Ou qu’ils sont autorisés à violer l’intimité de leurs proches s’ils s’ennuient ?
Cet album à au moins le mérite de poser ces questions, ce qui n’est finalement déjà pas mal.

La Danse sauvage d’Harmonie Stark

La Danse sauvage d’Harmonie Stark
Sigrid Baffert et Jean-Michel Payet
L’école des loisirs (médium +), 2024

Duo dans l’Ouest sauvage

Par Anne-Marie Mercier

On connaissait Jean-Michel Payet comme un excellent auteur de romans de cape et d’épée (Mademoiselle Scaramouche, Éditions des Grandes personnes, 2010), de romans policiers, imités des romans-feuilletons des XIXe et début XXe siècles (Balto, l’École des Loisirs, 2020-2022), de science-fiction (Ærkaos, Panama, 2017 ; Éditions des Grandes personnes, 2011). Le voilà qui s’attaque au genre du western, celui-ci mâtiné de thriller ; on ne sait si l’idée vient de lui ou de sa coéquipière d’écriture (autrice de la trilogie Krol le fou entre autres) ni quelle a été la part de chacun dans le scénario et l’écriture, le roman étant parfaitement cohérent. Est-ce Sigrid Baffert qui a pris en charge les chapitres consacrés à Harmonie, souvent baignés de musique, mais sanglants, et Jean-Michel Payet qui s’est attaché au trio d’enfants et à leur errance, ou l’inverse?
Ce roman est excellent, captivant, mystérieux et plein des ambiances qu’on aime trouver dans ce genre. Le début, un medias res, nous plonge dans une scène bien connue, celle d’une ferme isolée attaquée et enflammée alors que des enfants dorment à l’intérieur. Le père, Fillmore, est abattu tandis qu’il cherche à les défendre ; les enfants survivants fuient d’abord en panique, puis partent sur les traces de l’assassin avec un désir de vengeance. Par la suite, on tombera sur un sheriff alcoolique, un shaman indien silencieux, des chercheurs d’or, une ville fantôme, un saloon avec des filles (danseuses, chanteuses, ou plus), une « veuve qui se déplace avec le cercueil de son mari mort depuis des lustres), une caravane de chariots de pionniers, un grizzli…
Les enfants (Petit, un garçon de huit ans, Grand, un adolescent, et une fille du même âge nommée Calamité) ont chacun leur personnalité. Ils s’opposent parfois mais ont tous le même but et un courage égal. Ils ont aussi des rapports différents à leurs origines (tous ont été recueillis par Fillmore) et tous des souvenirs différents de leur bienfaiteur, des habitudes, des tics de langage, des bribes de son grand savoir et de sa sagesse. Le personnage du méchant (ou plutôt de la méchante), est intéressant : on suit son itinéraire, ses souffrances, ses crimes. Chapitre après chapitre, les fils des différentes intrigues se croisent et se rejoignent et l’on finit par découvrir l’explication de tous les mystères… comme dans les romans populaires d’autrefois. La chanson qu’Harmonie la bien nommée chante merveilleusement parcourt tout le roman, lui donnant une allure musicale, pour s’achever dans un opéra entre océan et désert, en une scène grandiose. Le style, tantôt poétique et tantôt nerveux et sec, épouse parfaitement les méandres de ces aventures cheminantes à la suite du cheval (car bien sûr il y en a un), Captain Wynn.

 

 

Balto, t. II : Les Gardiens de nulle part

Monsieur Bigounia

Monsieur Bigounia
Agnès de Lestrade, Nina Six
Sarbacane, 2024

A bas les géraniums, vivent les herbes folles !

Dans un petit village vit un « original », nommé Monsieur Bigounia. Les enfants l’adorent, les adultes lui sont hostiles. Pensez-donc : il n’est pas du coin et son jardin est un fouillis : mauvaises herbes et abeilles, ça ne plait pas. Les villageois aiment pourtant la nature et rêvent de prendre leur revanche dans le concours du plus beau village fleuri, dans lequel ils sont arrivés bons derniers l’année précédente. Mais voilà, sècheresse, insectes et escargots font à nouveau un désastre et ils sont obligés de suivre le conseil des enfants : demander à Monsieur Bigounia comment il fait pour avoir tant de fleurs.
La réponse est : il faut aimer la terre, lui parler, chanter des chansons aux graines, et pof ! ça marche. Ils arrivent troisièmes au concours, et tout le monde s’aime.
Toute personne qui a essayé de cultiver un jardin sait que si oui, il ne faut pas avoir peur des mauvaises herbes (mais ça dépend lesquelles…), tout cela n’est pas si simple. Quant aux abeilles… qui aurait l’idée de les chasser ?
Beaucoup de bonnes intentions, et autant de simplisme : dommage, la guerre des mauvaises  herbes aurait mérité davantage de mordant ou de complexité.

Collection j’aimerais t’y voir

Collection « j’aimerais t’y voir »
Sarah Ghelam
On ne compte pas pour du beurre, 2024

Où sont les personnages d’enfants non-blancs en littérature de jeunesse?
Sarah Ghelam
Où sont les albums jeunesse anti-sexistes?

Priscille Croce
Où sont les personnages LGBTQI+ en littérature de jeunesse?
Sarah Ghelam, Spencer Robinson

Trois guides indispensables en littérature de jeunesse

Par Anne-Marie Mercier

Les éditions On ne compte pas pour du beurre s’intéressent à la Littérature de jeunesse inclusive « pour la visibilité de tou·tes les enfants et de toutes leurs familles ». Elles publient depuis l’an dernier des ouvrages théoriques fort utiles dans une collection portant le joli nom de « j’aimerais t’y voir », invitant à essayer de comprendre le point de vue de personnes assignées à une identité de genre ou de race, pour commencer : demandant par ses titres où sont les albums jeunesse anti-sexistes et où sont les personnages d’enfants non-blancs et les personnages LGBTQI+ en littérature de jeunesse, elle permet d’avoir une vue critique sur des aspects souvent mal connus d’un secteur de l’édition. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, celui-ci est encore frileux face à certains changements sociétaux. L’éditrice, dans un avant-propos percutant, raconte comment elle a rencontré Sarah Ghelam, dans un contexte qui illustrait tristement les crispations de certain/es acteur/es de ce secteur éditorial, et dans quelles circonstances elle lui a confié le développement de cette collection. Belle histoire, très bon choix.
Comme le montrent ces ouvrages, il ne suffit pas d’aborder un sujet nouveau, encore faut-il le faire correctement. Si la première question, celle du sexisme, a déjà été bien explorée par la critique (notamment à travers les ouvrages de Carole Brugeilles, Isabelle et Sylvie Cromer (2002), Nelly Chabrol-Gagne (2011), Christiane Connan-Pintado et Gilles Béhotéguy (2014), Christian Bruel (2022) et  Julie Fette (2025, en anglais et en ligne) pour ne citer que les principaux, et sans parler de tous les articles et mémoires consacrés à ce sujet, ce n’est pas le cas des deux autres, surtout du troisième.
La question de la présence dans les albums de personnages LGBTQI+ ou, pour le dire autrement, des personnages non binaires, homosexuels, ou hésitant sur leur genre ou leur orientation sexuelle, est souvent abordée dans des chapitres d’ouvrages généraux sur la littérature de jeunesse et le genre et dans des mémoires d’étudiant/es portant sur ces question. C’est d’ailleurs à partir d’un mémoire que cette collection est née. La présence de couples homosexuels et d’homoparentalité dans les albums fait oublier parfois que la présence d’un personnage ne suffit pas: tout est dans le comment on présente ces personnages, dans quel contexte, et quel rôle qu’on leur assigne. Tout cela est parfaitement et clairement problématisé dans cet ouvrage.
La question des personnages non-blancs demeurait la moins étudiée. Le livre de Sarah Ghelam a le grand mérite de classer de manière très éclairante les différentes catégories d’albums présentant de tels personnages. Cette classification permet de mettre en évidence la quasi absence de personnages non-blancs dans un contexte européen contemporain et de montrer comment les « bonnes intentions », relevées par Elodie Malanda dans sa thèse (2017), n’empêchent pas la plupart des auteur/es de porter involontairement un regard empreint de colonialisme, sinon de racisme, sur leurs personnages.
Ces trois ouvrages, courts mais bien informés, clairs et intelligents, toniques même, invitent chacun (critique, auteur/e, éditeur ou éditrice, étudiant/e, enseignant/e, lecteur ou lectrice…)  à progresser dans la compréhension de ces questions. Ils présentent des pistes pour poursuivre le travail. On y trouve de nombreux d’exemples d’albums et des analyses parfois poussées, comme c’est le cas de Comme un million de de Papillons noirs de Laura Nsafou, publié en 2017 par Bilibok grâce à une campagne participative (autant dire qu’aucun éditeur n’en avait voulu) et qui d’après Sarah Ghelam a dépassé en 2024 les trente mille exemplaires vendus, continuant sa vie chez Cambourakis à partir de 2018, et se faisant connaitre grâce à plusieurs articles de presse écrite ou radiophonique.

On peut poursuivre à travers  le site de Cambourakis : « Laura Nsafou, écrivaine et blogueuse afroféministe, aborde sur son blog Mrs Roots les questions relatives à l’afroféminisme en France et la visibilité des littératures afro. De la création de sa plateforme mrsroots.fr à l’animation de plusieurs projets culturels (ateliers d’écriture, rencontres, ateliers jeunesse, etc), elle s’intéresse au manque de représentativité de la société dans la littérature française ».

Nina perd le nord

Nina perd le nord
Céline Gourjault

Seuil jeunesse, 2025

Un voyage inattendu

Par Pauline Barge

Nina a quatorze ans et elle se demande souvent qui est l’adulte chez elle. Entre l’état préoccupant de sa maison et la vie désorganisée de Loïc, son père veuf, Nina a du mal à penser à elle-même et rêve d’être une adolescente insouciante. Tout va changer pour les Faubert lorsqu’un courrier arrive dans leur boîte aux lettres. Une lointaine parente, une certaine tante Suzanne, est décédée et leur lègue tout son héritage. Cependant, il y a une condition : ils doivent aller disperser ses cendres en Suède, et plus précisément dans les mines de Falun. Les Faubert s’embarquent donc dans un périple inattendu !

Ce roman arrive à traiter des sujets lourds, tels que le deuil, la famille ou la confiance en soi, avec légèreté. Il y a surtout beaucoup d’humour, ce qui rend le texte d’autant plus vivant et agréable à lire. Les sujets douloureux deviennent plus accessibles, mais le livre reste tout aussi touchant. On découvre de petits bouts de vies de cette tante Suzanne, à travers de très belles lettres lues en famille. Les histoires d’adolescence que l’on suit à travers Nina, comme ses amours, ses amitiés ou sa jalousie, sont aussi très bien abordées, sans prendre trop de place dans l’intrigue. Le cœur du roman reste avant tout la complexité des relations familiales, notamment celle de Nina et de Loïc, qui est pleine de non-dits et de difficultés. Elles sont évoquées avec réalisme et justesse, la parole se libérant petit à petit au fil du récit. L’évolution des personnages est aussi bien amenée : chacun sort grandi de ce voyage en Suède. Loïc prend conscience qu’il doit changer son mode de vie, tandis que Nina prend confiance en elle. Ce voyage permet au père et à la fille de se rapprocher et de se comprendre mutuellement sous un nouvel angle.
Céline Gourjault a une écriture fluide et toujours pleine d’humour. En revanche, le roman est assez court. On aurait aimé quelques pages de plus, pour découvrir le paysage de la Suède plus en profondeur, ou tout simplement pour passer davantage de temps avec les personnages. Cela n’entache en rien la chaleur du livre, ni sa douceur ! Un bien joli roman initiatique, à conseiller aux adolescents en quête d’eux-mêmes.

voir aussi sur Radio France.

La Fabuleuse bibliothèque de Marquizze la mouche
Mélanie Deloy, Ronan Badel (ill.)
Gallimard jeunesse (Giboulées), 2025

Éloge de la lecture et des livres

Par Anne-Marie Mercier

Marquizze est une petite mouche née dans un château (enfin, dans l’écurie du château) et elle a sait lire ! Comment a-t-elle appris, on vous l’explique dans le livre, je ne vais pas tout révéler. Lisant par-dessus l’épaule des enfants qui fréquentent cette belle bibliothèque, elle découvre Jules Verne avec l’ainé, Roméo et Juliette, Les Quatre filles du docteur March, Notre-Dame de Paris… avec la seconde, et, avec la plus jeune, les contes et les fables, mais aussi Dracula et les livres d’Agatha Christie.
L’un des enfants n’aime ni les livres ni les mouches et fait de Marquizze sa cible préférée… Dans la bibliothèque, la vieille Rilke est à l’affut. C’est une araignée – quelle idée de lui donner un tel nom! Dans d’autres épisodes, les mouches s’associent à d’autres insectes pour fonder leur propre bibliothèque et créer leurs propres livres (an pattes de mouche, bien sûr !). C’est charmant et bien rythmé par les nombreuses péripéties et les illustration de Ronan Badel sont parfaites.

Petit Chaperon

Petit Chaperon
Beatriz Martín Vidal
Grasset Jeunesse, 2025

Bien des nuances de gris, et encore un Chaperon

Par Anne-Marie Mercier

Beatriz Martín Vidal propose en trois tableaux un parcours de l’histoire du Chaperon rouge.
Tout est à faire pour le lecteur, ou presque, car l’album ne comporte pas de texte, en dehors des trois titres des trois séquences. L’ensemble reste à décrypter même si l’on retrouve des éléments très reconnaissables de l’histoire.
Dans une première partie, intitulée « Rougir », une fillette est recouverte peu à peu de feuilles rouges qui lui font à la fin une capuche.
Dans la deuxième, « Le jeu des questions », elle fait face à un masque blanc et lui touche successivement les yeux, les oreilles, le nez avant de toucher sa propre bouche, ce qui fait « tomber le masque » et dévoile le loup. Il la dévore.
Dans le troisième, « L’échappée », elle émerge d’une masse sombre et velue avant de danser triomphalement sur son corps en faisant surgir des fleurs, rouges.
Le texte a été écrit en 2016, donc avant la vague me-to, mais le sens du Petit Chaperon rouge n’a pas attendu ce moment pour être évident (voir le bel et glaçant album La Petite Fille en rouge de Frisch et Innocenti, Gallimard jeunesse, Prix Sorcières 2014) . Aussi, la question « Et si la peur du loup changeait de camp ? », figurant dans un autocollant apposé sur la couverture semble parfaitement déplacée et purement publicitaire. Elle est surtout peu subtile, contrairement à l’album lui-même.

Cet album sombre, très sombre, tout en tons de gris et de rouges séduit par son mystère : l’enveloppement des feuilles rouges appelle à l’interprétation (puberté, force de la nature, magie ou métamorphose ?…) ; le face à face avec le loup, avec toute la lenteur et la force d’interrogation voulue est superbe et son explosion finale est dramatique. La fin est jouissive, dynamique : vaincre le loup semble être la métaphore d’un gain, d’un triomphe essentiel. A chacun (ou chacune) de s’y projeter.
Quant au conseil éditorial, proposant cet album « dès six ans », il me semble peu pertinent.

 

Belinda

Belinda
Eléa Dos Santos
HongFei, 2025

Balade en art

Par Anne-Marie Mercier

Plutôt que l’histoire de Belinda, chatte de Léon, il semble que ce soit celle de Léon, même si tout arrive par elle. Léon sort peu de chez lui. Il a peur de tout, peur aussi pour sa chatte adorée. Le jour où elle passe de l’autre côté de la fenêtre du salon, il doit la suivre pour, pense-t-il, la sauver.
L’autre côté de la fenêtre, c’est un peu comme l’autre côté du miroir chez Lewis Carroll : on est en plein imaginaire. Chaque double page montre Léon dans un nouveau paysage, toujours encadré par la fenêtre, tandis que Belinda, rentrée, vit une drôle de vie à l’intérieur de la maison, du salon à la chambre, en passant par la salle de bains, luttant contre toute sorte d’animaux qui veulent lui voler ses croquettes.
Léon, au contraire, la première terreur passée, se régale : il est dans un monde de beauté, dans le royaume de l’art. On découvre successivement dans l’encadrement des fenêtres Léon dans une vignette évoquant un tableau d’un artiste bien connu : Niki de Saint-Phalle, Caspar Friedrich (la mer de nuage), de Hokusai (l vague, bien sûr), de Magritte (l’oiseau nuage), de Monet (les nymphéas – « what else » ?), de Seurat (la Grande Jatte) et de Matisse (non pour un tableau mais pour une « manière »). Rien de très original. L’art semble se résumer à ses monuments. En revanche, le combat de Belinda contre les voleurs de croquettes est drôle et dynamique.
Les images montrant en même temps les deux réalités (si l’on peut dire) des deux personnages donnent un rythme à cette histoire qui n’en est pas vraiment une. À la stabilité de l’espace et au caractère orthogonal de sa représentation répondent les sinuosités des œuvres et le désordre engendré par les envahisseurs. Les retrouvailles font que tout finit bien. Les animaux étrangers sont partis et Léon se dit que Belinda et lui devraient vivre plus intensément… en imagination ?

Paul, La résurrection de James Paul McCartney (1969-1973)

Paul, La résurrection de James Paul McCartney (1969-1973)
Hervé Bourhis

Casterman, 2025

Band on the run, un groupe sur la route

Par Lidia Filippini

En septembre 1969, lors de la sortie de l’album Abbey Road, l’inquiétude enfle. Paul McCartney serait mort et aurait été remplacé par un sosie ! Sur la célèbre pochette, les Beatles traversent sur le passage piéton devant le studio Abbey Road à Londres. Paul – ou plutôt son remplaçant – est pieds nus, c’est ainsi qu’on enterre les morts en Angleterre. John, porte du blanc, couleur du deuil dans de nombreux pays. Ringo, lui, est vêtu de noir : il représente le croque-mort. Quant à George, en jean, il symbolise l’esprit rock du groupe, mais aussi le fossoyeur. Quelques mètres plus loin, sur la plaque d’immatriculation d’une Volkswagen, on peut lire LMW 28 IF. Pour les fans, c’est évident, cela signifie Living McCartney Would be 28 If – McCartney aurait vingt-huit ans si… s’il n’était pas mort !
Une folle rumeur que Paul n’a pas vraiment le courage de démentir. Cette mort symbolique, en effet, reflète assez bien son état d’esprit du moment. Le grand public l’ignore, bien sûr, mais, six jours plus tôt, John Lennon lui a annoncé qu’il quittait le groupe. La fin des Beatles, c’est la fin d’une époque, la fin d’un rêve éveillé de dix ans pour Paul et la pilule est dure à avaler. Le musicien sombre dans la dépression. Il se saoule, fume, se drogue. Il a perdu son statut d’icône et ne sait plus vraiment qui il est. Heureusement, il y a Linda, sa femme, rencontrée deux ans plus tôt. Sur son conseil, il décide de quitter Londres. La famille, s’installe avec ses deux filles dans la ferme écossaise acquise par le bassiste en 1965, un lieu sans confort, isolé, parfait pour une résurrection !
Hervé Bourhis relate ici la vie de McCartney depuis la séparation des Beatles, jusqu’à la sortie de l’album Band on the run, troisième opus de Wings, qui est considéré comme un des meilleurs du groupe. On suit le musicien dans une sérieuse phase dépressive, puis, une vraie renaissance portée par la musique. Soutenu par l’amour de Linda, qu’il invite à chanter avec lui, le musicien décide de repartir de zéro. Il enregistre dans sa ferme son premier album solo, Ram, dans lequel il joue de tous les instruments tandis que Linda se charge des harmonies vocales. Et puis, il fonde Wings et part en tournée. Loin de la beatlemania, des stades remplis de filles qui hurlaient tellement que personne n’entendait ce qu’ils jouaient, loin des jets privés et des limousines aux vitres blindées, Paul et son groupe voyagent en bus, accompagnés des enfants McCartney. Les premiers concerts sont des concerts surprises, donnés dans des universités anglaises. Le bus s’arrêtait, un musicien allait voir le secrétariat, demandait s’il y avait un lieu pour jouer… et les étudiants ébahis se retrouvaient devant l’idole de leur adolescence ! Un sacré risque pour un homme aussi célèbre, mais un vrai retour aux sources également, aux premiers concerts à Hambourg avec les Beatles avant la notoriété. C’est ainsi que, malgré des critiques sévères au début – impossible de ne pas comparer McCartney solo à la magie des compositions Lennon-McCartney – l’ex Fab Four finit peu à peu par se faire une place en son nom propre dans l’univers musical des années 1970.
On sent toute l’admiration d’Hervé Bourhis pour McCartney. L’auteur, qui a déjà publié une BD sur les dernières années de John Lennon (Retour à Liverpool, Hervé Bourhis, Julien Solé, Futuropolis, 2021), s’appuie sur des biographies de l’artiste. Il explique avoir également consulté des sites internet collaboratifs. Un vrai fan n’y apprendra pas grand-chose mais quelle importance ? Tout est déjà dit sur Paul McCartney et quel plaisir de l’entendre raconter encore et encore ! Et surtout, on appréciera les illustrations psychédéliques et délicieusement pop dans lesquelles on reconnaîtra des photos connues, et d’autres moins connues, du célèbre bassiste et de sa famille. Un travail graphique riche et minutieux, joyeux et optimiste, comme l’est Sir McCartney. Et pour ceux qui ne connaîtraient pas bien le musicien, cette BD est un moyen de rencontrer un artiste essentiel qui, avec les Beatles, a changé une fois pour toute la musique européenne. L’auteur tord le cou aux clichés qui, depuis un demi-siècle, font de McCartney le mélodiste sirupeux et mièvre tandis que Lennon serait l’avant-gardiste engagé. On y découvre au contraire un homme habité par la musique, sans cesse prêt à se renouveler et dont le mode de vie – végétarien, vivant à la campagne, simplement, entouré de sa famille et d’animaux – qui suscita beaucoup de moqueries à l’époque, paraît aujourd’hui bien d’actualité.