Je l’ai pas fait exprès

Je l’ai pas fait exprès
François David, Sylvie Serprix
Møtus, 2024

Oups !

Par Anne-Marie Mercier

Louise est une petite fille pleine d’énergie et d’idées. Mais parfois ça tourne mal : quand elle s’agite autour du pot de peinture ouvert par son père pour repeindre un mur (ou bien quand elle repeint elle-même le mur ? texte et images ne concordent pas tout à fait et c’est tant mieux), ou quand elle décide de faire la vaisselle toute seule, tout tourne à la catastrophe : le chat se retrouve couvert de peinture, l’évier déborde… Ses idées pour réparer ses erreurs sont tout aussi imprudentes (mettre le chat au lave-linge ? non, heureusement elle n’a pas le temps d’essayer).
Heureusement les parents arrivent toujours à temps pour réparer et consoler la fillette en pleurs qui a toujours cette phrase à la bouche : « je l’ai pas fait exprès ». Comment consoler une enfant qui voulait bien faire, pardonner, expliquer ; l’album met en scène de jolis moments de tendresse. La fin est une surprise car c’est une erreur de Louise qui provoque la joie de la famille.
Le texte, court et factuel, ne juge pas et nous laisse contempler la petite Louise dans toutes ses actions appliquées, étape après étape. Les images s’affranchissent du réel en prenant les évènements à la hauteur de leur gravité pour la fillette. Ainsi, le débordement d’évier devient une véritable inondation qui fait circuler en barque Louise et sa mère. Quant au chat (normalement blanc), il l’accompagne partout et joue son rôle muet à la perfection.

Tisseurs de sorts

Tisseurs de sorts
Frances Hardinge
Traduit (anglais) par Philippe Giraudon
Gallimard jeunesse, 2024

Page turner pour ados, en été

Par Anne-Marie Mercier

Ce gros pavé de 550 pages arrive à pic pour une belle lecture d’été. Foisonnant, il propose un monde très original, de multiples personnages au destin complexe, des êtres fantastiques plus qu’étranges, des imbrications d’intrigues à tenir fermement pour éviter de s’y perdre. Il faudra donc se ménager de longues plages de tranquillité pour s’y immerger confortablement sans s’y perdre.
S’immerger, c’est aussi ce à quoi invite l’univers des personnages : quittant leur pays de terre ferme tissé de magies sombres, les deux héros, un garçon et une fille, doivent partir vers le pays des Sauvages, vaste forêt marécageuse où personne ne s’aventure sans terreur. Les descriptions de paysages aquatiques, plongés le plus souvent dans l’obscurité, sont saisissantes, poétiques, obsédantes. Le château des araignées (allusion au film ?) est une superbe trouvaille.
Les deux héros ne sont a priori pas des « tisseurs de sorts » comme peut le faire penser le titre français. Au contraire, ils les combattent : Kellen a été piqué par un « petit frère », espèce d’araignée particulière qui tisse les sorts ; depuis, il a le pouvoir de défaire aussi bien les sorts que les fils des tissus (gros problème puisqu’il appartient à un village de tisserands). Il est employé par les proches de ceux  qui ont été envoutés, afin de lever la malédiction et faire reprendre leur apparence humaine aux ensorcelés. Ce sort est souvent une métamorphose et l’on admire aussi bien le talent de l’autrice pour renouveler des contes traditionnels (« Les cygnes sauvages » par exemple) que son ingéniosité pour imaginer des métamorphoses extrêmement originales, souvent en objets, ce qui donne lieu à des histoires parallèles parfois drôles, souvent tragiques.

Son amie Nettle qui le suit partout est l’une des personnes qu’il a libérées : une belle-mère jalouse l’avait transformée en oiseau (voilà Andersen), comme ses trois frères et sœur. Elle était un héron, son frère Yannick une mouette et les autres un faucon et une colombe. Le faucon a tué la colombe et est devenu fou lorsqu’il a repris sa forme humaine. Yannick la mouette a refusé de redevenir humain. Il protège de loin Nettle. Sa présence intermittente et son caractère grognon mettent parfois un peu d’humour dans ce roman souvent sombre. Nettle suit Kellen partout, on ne sait pas bien pourquoi (ce n’est pas de l’amour mais un sentiment très fort et très chaste qui lie les deux jeunes gens), mais on finira par le savoir : elle cache un terrible secret.
Ajoutons à ces personnages un cavalier des marais inquiétant et son cheval carnivore, des bateaux magiques, des animaux fantastiques, des ensorceleurs et des ensorcelés… Le récit suit une pente régulière, allant toujours vers davantage de noirceur et d’étrangeté. On est embarqué avec ces deux jeunes gens si différents au caractère attachant dans un grand voyage au pays des sorts.
Enfin, ce récit a une dimension morale : Kellen ne peut défaire un sort qu’en comprenant à qui ses victimes ont fait du tort : c’est la haine qu’ils ont suscitée (consciemment ou non, volontairement ou non) qui produit le sort chez l’ensorceleur ou l’ensorceleuse. La haine et la jalousie sont présentées comme des sentiments mortifères et dangereux, incontrôlables, qui peuvent mener à des catastrophes aussi bien le haï que le haïssant. On fait l’éloge d’une attention aux autres et à soi-même, indispensable pour comprendre ce qui se « trame » dans les profondeurs de son être. Chacun est susceptible d’être la victime ou l’auteur d’un sort…

Aussi original, passionnant et cruel que La Lumière des profondeurs, ce nouveau roman montre une nouvelle voie du talent de Frances Hardinge, impressionnant.

 

 

Lettres des îles Baladar

Lettres des îles Baladar
Jacques Prévert, André François
Gallimard jeunesse (1952), 2024

Iles, éternels refuges

Par Anne-Marie Mercier

On ne raconte pas les Lettres des îles Baladar. D’abord parce que c’est un album bien connu (qui méritait amplement d’être réimprimé, merci Gallimard !), ensuite par ce que l’argument en est très simple et que sa saveur tient au rythme, au style, à sa gravité et à sa légèreté.
Un archipel ignoré du grand continent vit heureux, en autosuffisance,  jusqu’au jour où sur le « Grand Continent » on apprend qu’il s’y trouve de l’or. Invasion, destruction, soumission, révolution et enfin expulsion rythment l’histoire. C’est le modèle de bien des histoires coloniales, à ceci près qu’ici la fantaisie, la drôlerie et l’optimisme gagnent toujours. Le mal y  est défait pour toujours. De tous les apports des colons, seul le cinéma est gardé, et encore, un cinéma que les habitants font eux-mêmes et non celui qu’on leur vend.
Les dessins en bichromie d’André François accompagnent parfaitement le style de Prévert. Proches du graffiti, ils dressent des portraits savoureux des personnages, du grand méchant (le Général Trésorier de Tue Tue Paon Paon) à son adversaire, le singe Quatre-mains-à-l’ouvrage, le balayeur de l’île qui devient son sauveur.

Pépite à lire et relire et à offrir à tout âge, pour tous les âges.

 

À l’aise, Blaise !

À l’aise, Blaise !
Claude Ponti
L’école des loisirs, 2024

Poussin explosif

Par Anne-Marie Mercier

Pour les fanatiques de Claude Ponti, et surtout les accros à Blaise, voilà un festival de prouesses du poussin masqué : faire pipi sous un parapluie sans que le pipi se mélange à la pluie, jongler avec les pieds avec des éclairs au chocolat, soulever des poids incroyables, voler plus vite que tout, se baigner dans une mare de chocolat, fêter de manière géante son anniversaire…
Mais aussi du Blaise pur Blaise derrière le sourire crispé de son masque : un Blaise narquois, dérangeant, narcissique, pas vraiment gentil… Un Blaise tonique, et qui ne laisse jamais l’Amer gagner (voir ma chronique du 1er juillet) :

« L’Amer, Blaise ne le laisse jamais faire.
Car l’Amer trouve toujours quelque chose de désagréable à dire : « Ça sent mauvais. C’est trop chaud à gauche. Il pleut alors qu’il devrait faire beau. […]  Je n’aime pas. Je n’ai pas envie. Je ne vois pas pourquoi je devrais aimer. De toute façon c’est nul ».

Blaise joue à tout, avec tout, se téléphone (« pour savoir s’il est là. Il est là »), joue à faire peur aux apeurés… Il invente des centaines de jeux incroyables. Il fait voler en éclat le réel pour mieux le reconstruire ensuite, mais différent.

 

Sarbacane fait du sport

Les Œufs z’olympiques
Ludivine Nouguès, Émilie Gleason
Sarbacane, 2024

Qui est le plus beau ?

Par Anne-Marie Mercier

Le jeu de mot du titre semble avoir généré l’histoire : les volatiles sont conviés à un concours dans lequel on désignera le plus bel œuf. Ils accourent pour proposer l’œuf le plus gros (l’autruche), le plus prometteur (le colibri), le plus couvert (le pingouin), etc., en passant par le kiwi, le flamant rose, la poule, le dodo, l’aigle royal… D’autres sont disqualifiés d’emblée, comme Marguerite la chocolatière, ou le coucou (parce qu’il n’est pas sympa mais aussi parce qu’il évoque une horloge – le texte et l’image ne disent ici pas la même chose). La fin en catastrophe qui voit tous les œufs éclore en même temps met fin à la compétition générale, même si pour chaque parent son petit reste définitivement le plus beau.
Les images, explosent elles-aussi de couleurs, de détails, d’idées et de formes grotesques. C’est jouissif, cumulatif, et cela met un peu de ridicule bien venu sur toute idée de compétition. On peut être tout simplement… différent, et pareil à la fois.

Il va y avoir du sport !
Philippe Nessmann, Laura Lion
Sarbacane, 2024

Qui est le plus fort?

Par Anne-Marie Mercier

Même si l’approche des jeux olympiques en crée sans doute l’occasion, ce grand album ne parle pas que des jeux, et en parle même assez peu directement, en dehors d’une double page consacrée à Olympie et l’olympisme. Cette page arrive à aborder de nombreux sujets et même à avoir un début de regard critique sur cet événement.

Les sports, tous les sports sont évoqués, y compris les plus bizarres, décrits dans une vignette récurrente intitulée « Le sport trop bizarre » : elle décrit successivement le pato, la soule, la boccia, le pancrace, le fierljeppen….
On y développe les valeurs du sport (dépassement de soi, esprit d’équipe…) comme ses aspects économiques. On y traite aussi bien d’autres questions très diverses comme celles des règles, de l’entrainement, des vêtements, du dopage, des dangers… Le regard est souvent historique, à travers une réflexion sur l’évolution des sports, de leurs règles et de la place du sport et des sportifs et sportives dans la société.
Les illustrations pleines de détail sont un régal d’humour et de stylisation. Elles sont aussi un support agréable à toutes sortes de courts textes intéressants présentés sur l’image dans des encadrés. L’un d’entre eux est consacré à des expressions ayant un rapport avec le sport (c’est ainsi qu’il faut comprendre le titre, expliqué à l’intérieur de la première page, aussi bien en contexte sportif que dans la vie quotidienne). On y trouve l’origine de « jeter l’éponge », « faire un sans faute », « avoir une longueur d’avance », etc.
C’est un joli parcours historique et sociologique qui n’oublie pas que le sport est d’abord un jeu, un plaisir et une aventure.

 

Didlidam Didlidom

Didlidam Didlidom
Sabine de Greef
L’école des loisirs (pastel), 2024

Philosophie politique, comme une comptine

Par Anne-Marie Mercier

Ça a l’air tout simple, une petite comptine de rien du tout : le texte est rythmé par « Didlidam Didlidom », mots du titre qui introduisent une scansion et rien de plus. Mais ce « rien », cette apparente simplicité porte un récit, simple lui aussi, riche de sens, comme ses images.

« Il était un petit homme, didlidom, qui avait une petite maison, un canard, un chien, un mouton. Une petite dame, didlidam, habitait juste à côté avec sa vache, sa poule et son chat Barnabé. Au milieu, un arbre aux fruits dorés. Dans le ciel, le soleil, la lune et des milliers d’étoiles. » Le bonheur, non ?

Eh bien non, comme dans trop d’histoires humaines gâchées par le ressentiment et l’envie d’obtenir plus que le voisin, toujours soupçonné d’être favorisé. Escalade (au sens propre comme au figuré), destruction de leur milieu, tentative ruineuse de reconstruire « comme avant », avant d’arriver à penser à un autre monde possible, fait de partage et non de guerre de chacun contre tous. Tout cela est raconté en quelques doubles pages, avec un dessin très simple, une situation très visuelle et des images parlantes.
C’est l’occasion de relire Ci-gît l’amer, guérir du ressentiment de Cynthia Fleury qui éclaire parfaitement notre triste actualité, ou écouter une interview de Cynthia Fleury

 

 

 

 

Pio

Pio
Émilie Chazerand, Marie Mignot
Sarbacane, 2024

Grand petit

Par Anne-Marie Mercier

Pio est un enfant.
Il est très grand, si grand qu’il dépasse l’album pourtant de grand format : on ne voit pas sa tête sur le portrait « en pied » de la couverture. Pour sa mère il reste son tout petit. Pour les autres, il est une calamité, comme Gulliver au pays des Lilliputiens. Lui-même s’en rend à peine compte et le texte, qui porte son point de vue, souligne l’humour des images. Enfin, comme Gulliver, il fait ce qu’il peut pour corriger cela quand il s’en rend compte. C’est un bon garçon et les images insistent sur son sourire et ses bonnes joues autant que sur l’apparence d’univers jouet du monde qui l’entoure.
Seul importe pour Pio l’amour qu’il a pour la toute petite Nona dont il est « aussi amoureux qu’une fourmi d’un bonbon ». Ses tentatives pour la conquérir, longtemps infructueuses car celle-ci ne quitte pas son livre des yeux, sont aussi cocasses qu’énormes. Mais bien sûr, le grand cœur sera reconnu à la fin.

Check and Mate

Check and Mate
Ali Hazelwood
Traduit (anglais, USA) par Nathalie Peronny
Gallimard jeunesse, 2024

Miracle dans le New Jersey

Par Anne-Marie Mercier

Voilà un curieux roman, à la fois original et terriblement banal, intéressant par son cadre (le milieu des compétitions d’échecs) mais plombé par du psychologisme pesant, de nombreuses redites, un sentimentalisme verbeux et une inscription dans le genre de la « romance » d’aujourd’hui.
Mallory, 18 ans au début du roman, vit avec sa mère dépressive et de santé fragile et ses deux petites sœurs. L’une est une enfant entichée de son cochon d’Inde et l’autre une adolescente fanatique de roller-derby. Mallory a renoncé à aller à l’université pour faire vivre sa famille endettée et payer les équipements de l’ado et les croquettes de l’animal. Sa meilleure amie s’en va faire des études au loin, la laissant très seule, coincée dans cette vie étriquée et dans sa petite ville ouvrière du New Jersey, Paterson, banlieue de New York. Elle est enfin renvoyée du garage où elle travaille comme mécanicienne parce qu’elle est trop honnête : que faire ?
Coup de chance : son amie avant de partir l’a obligée à jouer dans un tournoi d’échecs alors qu’elle avait juré quatre ans plus tôt de ne plus jamais y jouer pour des raisons obscures que l’on apprendra au fil de l’histoire. Elle y bat le champion du monde en titre, le ténébreux Nolan, et s’enfuit juste après (façon Cendrillon) sans qu’il ait pu lui parler. Repérée, elle reçoit une proposition de travail d’un club d’échecs proche de chez elle. Elle l’accepte malgré sa promesse, et en faisant croire à sa famille qu’elle est embauchée dans une maison de retraite (d’où quelques moments cocasses).
De là s’ensuivent rencontres, compétitions et bien sûr retrouvailles récurrentes avec Nolan, c’est à dire le « prince » de l’histoire, jeune, beau, riche, célèbre, et crédité (faussement) de nombreuses maitresses jeunes, riches, belles et célèbres. On devine la suite et le schéma classique des romans sentimentaux repris par le genre de la « romance » d’hier et d’aujourd’hui, qu’elle soit rose (comme ici) ou « dark » : une toute jeune fille fragile (mais ici pas complètement innocente), pas très jolie, mal habillée et mal coiffée (voir Au bonheur des dames de Zola, précurseur du genre) rencontre un homme puissant ; tout semble les opposer ; elle se refuse, ils s’affrontent puis se déclarent un amour fou.
Ali Hazelwood qui a publié jusqu’ici des « romances » pour adultes, best-sellers dit-on, glisse ici vers le domaine des jeunes adultes. C’est sans doute ce passage qui lui fait retarder la consommation de l’idylle après près de trois cents pages et plusieurs nuits chastes dans le même lit.  On a vu cela dans la trilogie de Twilight de Stephenie Meyer.  Comme il faut vivre avec son temps et donner du pouvoir aux femmes Mallory est bisexuelle et adepte de rencontres amoureuses torrides et brèves. Pour encore un peu plus d’originalité et de piquant, Nolan est au contraire un timide.
Il y a pourtant de belles éclaircies et on se dit à de nombreuses reprises que cela aurait pu être beaucoup plus intéressant si l’autrice n’avait pas succombé aux vieilles ficelles autant qu’aux recettes nouvelles. Nolan est un personnage intéressant au parler rare et précis. Il partage avec Mallory un passé douloureux dans lequel les échecs jouent un rôle. Les questions d’argent ne sont pas éludées, au contraire (le financement du club d’échec par exemple). L’héroïne s’intéresse à beaucoup de choses ; elle lit, quand elle ne joue pas. Elle s’est même fixé un programme (Garcia Marquez) grâce à un club de lectures. On peut aussi s’interroger sur le choix de la ville de Paterson, que l’on connait par le film de Jim Jarmush, Paterson (2016), hommage au poète William Carlos Williams auteur d’un recueil portant le même titre, mais l’idée d’un clin d’oeil fait long feu.
Les pages les plus intéressantes sont celles qui relatent les tournois : on y voit les relations entre joueurs, camaraderies, complicités et haines, ragots, vieilles histoires, tricheries, légendes, généalogies de champions, etc. Mallory finit par se faire des ami.es et comprendre un peu mieux les règles de ce milieu. Les parties sont pleines de suspense et le rôle de la presse et des réseaux sociaux y est bien mis en avant.
Enfin, la question de la place des femmes dans ces tournois est au cœur de l’entreprise d’Ali Hazelwood qui révèle dans la postface que l’idée de ce livre lui est venue à la lecture d’une enquête sur les stéréotypes de genre menée par un professeur en psychologie sociale de l’Université de Sandford, Claude Steele. Elle dit s’être aussi inspirée des travaux du groupe de recherches de Nalini Ambady (dont le travail a connu un large écho à travers l’essai de Malcolm Gladwell, Blink: The Power of Thinking Without Thinking (2005), traduit en français La Force de l’intuition : Prendre la bonne décision en deux secondes). On voit cette influence dans la peinture des personnages secondaires et dans les échanges rapides et acides entre Mallory et ceux qu’elle rencontre, petit hérisson dans un monde de grands fauves et d’antilopes (enfin c’est ainsi qu’elle se voit).

Mallory bat d’emblée tous ses adversaires ; le jeu qu’elle n’a pas pratiqué depuis 4 ans est en elle une seconde nature, une inspiration. Certains aspects peuvent être rapprochés du roman de Walter Trevis qui a inspiré  la série Le jeu de la dame, dans lequel une jeune orpheline brille à ce jeu (voir l’interview de Jennifer Shahade, deux fois championne d’échecs aux États-Unis, à « Vanity Fair », qui donne une idée plus précise de la place des femmes aujourd’hui dans le monde des échecs aux Etats-Unis). Ali Hazelwood dit avoir joué un peu aux échecs dans sa jeunesse et n’a pas participé à des compétitions ; moi non plus. Je laisse donc les amateurs déterminer si ce qu’elle dit est exact techniquement ou non. Cela étant dit, son roman risque de donner envie à de nombreuses lectrices (lecteurs peu probables) de s’y plonger, pour de bonnes ou de mauvaises raisons.

Les Fleurs de mon père

Les Fleurs de mon père
Luca Tortolini, Maria Gabriella Gasparri
Sarbacane, 2024

Un jardin qui parle d’amour

Par Anne-Marie Mercier

En peu de mots, cet album relate un amour de peu de mots, celui d’un père pour son fils et d’un fils pour son père. Le narrateur raconte la première visite d’un jardin qu’il a faite, lorsqu’il était enfant, avec son père, puis les suivantes, tous les samedis, en silence. Il évoque les voyages, chaque printemps, avec lui, pour aller voir des fleurs dans des pays différents, les activités de dessin, le travail dans la serre en hiver… toujours sans mots échangés. Longtemps après la disparition du père, le fils comprend son message, porté par son amour des fleurs, et le transpose dans l’album pour nous le transmettre.
Les belles images de Maria Gabriella Gasparri donnent de la chair à une histoire sobre et allusive. Avec une technique qui rappelle celle des bois gravés d’autrefois, de beaux à-plats de couleurs franches, des formes rondes et un usage intéressant des blancs, on a l’impression d’être dans un monde disparu, fait de beauté et de couleurs. C’est un bel hommage et un bel ouvrage.