La Belle au bois dormant

La Belle au bois dormant
Texte de Pierre Coran (repris de Perrault) dit par Nathalie Dessay, Clémence Pollet (ill.)
Musique de Tachaïkovski (extraits)
Didier jeunesse, 2022

Sage ballet

Par Anne-Marie Mercier

Selon le principe de cette collection de livres musicaux consacrés aux ballets classiques, le CD fait entendre à la fois la musique et le texte, dit par Nathalie Dessay avec une sobriété de bon aloi. La musique de Tchaïkovski est découpée en petites séquences, sans doute pour éviter de lasser le jeune auditeur ; c’est un peu dommage qu’on n’ait pas le temps de s’installer dans chaque mélodie. Seule la fameuse valse (que l’on retrouve dans le film de Disney) du premier acte est donnée en entier, après la fin de l’histoire.
C’est dans un style très classique que ce conte est repris ici, avec des illustrations sages et gracieuses, un texte qui reprend fidèlement l’esprit de celui de Perrault tout en lui ajoutant quelques fantaisies (des dragons, par exemple). Le mélange d’inspirations de Disney et Perrault fonctionne bien ; les petites fées volètent joliment, et la méchante sorcière est impressionnante.
Tout se déroule dans un royaume de fantaisie où les humains ont parfois des attributs animaux (longues oreilles, becs d’oiseaux) et où toutes les couleurs de peaux se mêlent ; le Prince qui vient d’un pays lointain a la peau noire. Il s’appelle bizarrement Johan, entre moyen-âge et époque contemporaine, un prénom qui fait basculer dans une autre chronologie.

Debout !

Debout !
Michaël Escoffier, Nathalie Dion
D’eux, 2018

L’appel du large

Par Anne-marie Mercier

Heureusement que les Canadiens des éditions D’eux sont là pour nous sortir de la torpeur dans laquelle nous plongent tous ces livres censés aider les petits à s’endormir… « Debout ! » c’est tout de même mieux que  « au lit ! ».
Certes, cela ne s’adresse pas à la même tranche d’âge et nul besoin ici de passer par la métaphore du petit lapin (voir chronique précédente) : l’enfant représenté est en pyjama et non en grenouillère, aussi. Agrippé à sa couette, on le voit peu à peu se déplier au rythme des propositions de sa mère, alternant avec ses « je ne peux pas, mes yeux sont collés, ma tête est lourde », etc. Elle répond chaque fois « c’est dommage parce que… » la double page suivante représente l’enfant dans l’action évoquée ; regarder les fourmis, manger des crêpes, courir sous la pluie, serrer quelqu’un dans ses bras…
Les images le montrent en mouvement, dans toutes sortes de décors, terrestres ou célestes, triviaux ou poétiques, quittant en pensée puis réellement le bistre et le brun de sa chambre pour le vert, le jaune et le noir de l’été.

Monsieur Nourse et la vie (mode d’emploi)

Monsieur Nourse et la vie (mode d’emploi)
Christian Demilly, Alice de Nussy
Grasset jeunesse, 2022

Philosophie-Nounours

Par Anne-Marie Mercier

Monsieur Nourse a une tête et un corps de nounours et un costume d’employé de bureau (quand il n’est pas en pyjama). Très statique, il ne change pas de posture ni de position d’une case à l’autre. Seule sa bouche s’étend parfois en un sourire ou se courbe en signe de déception. Il dialogue avec une abeille, elle aussi toujours à la même place, suspendue à côté de lui. Dans des bandes de trois pages ils échangent sur les grandes questions, le temps, l’amour, les autres, la vie…
« Je n’aime pas trop le début des vacances.
_ C’est chouette, pourtant !
_ Oui, mais c’est déjà le début de la fin des vacances. »
Ou bien:
« Les gens qui ne sont pas comme moi me trouvent différent. Pourtant, ce sont eux qui ne sont pas comme moi ».
On remarque dans son titre des clins d’œil, en hommage (un peu gratuit) à La Vie mode d’emploi de Pérec et à Nours, un album de Christian Bruel et Nicole Claveloux questionnant l’univers et la représentation du monde des tout-petits (paru aux éditions Être en 2000, puis republié chez Thierry Magnier en 2014) ; quant à l’association Nourse / bourse et la vie, on retrouve une question évoquant un choix difficile comme : « comment rattraper le temps passé à rechercher le temps perdu ? »
Ces ours sont de bien grands questionneurs !

Oiseaux à reconnaitre

Oiseaux à reconnaitre
Emmanuelle Kecir-Lepetit, Léa Maupetit
Gallimard jeunesse, 2022

Pour célébrer le printemps

Par Anne-Marie Mercier

Rouge-gorge, mésange, pigeon, canard, mais aussi huitrier, bergeronnette, alouette, épervier, chouette hulotte… les oiseaux des jardins, des bois, des champs ou de l’eau les plus courants sont ici présentés.
Chacun a une double page : une brève présentation évoque comment il se signale, le chant ou le bruit qu’on entend en se promenant, sa manière de se cacher, les lieux qu’il fréquente… C’est une belle idée que de partir de l’observateur promeneur. De courts paragraphes évoquent certains détails de son comportement, son nid, sa parade amoureuse, son caractère de timide ou de bagarreur….
Un dessin le montre en action tandis qu’en face, à droite il est représenté en pleine page ; on le voit statique, prenant la pose ; de courtes légendes s’inscrivent sur le fond coloré, donnant encore quelques détails supplémentaires.

Voilà un album documentaire très accessible, coloré et très joli ; les illustrations de Léa Maupetit attirent l’œil et son format allongé lui donne une allure de carnet d’observation.
Le même duo a réalisé dans la même collection un volume sur les arbre et un autres sur les fleurs

 

Dulcinée

Dulcinée
Ole Könnecke
L’école des loisirs, 2021

 Promenons-nous dans les bois…

Par Anne-Marie Mercier

Dulcinée (rien à voir avec don Quichotte) est une petite fille qui vit seule avec son père, près d’une forêt. Comme bien des contes, cela commence par une interdiction : ne pas aller dans la forêt car, dit-on, celle-ci est hantée par une sorcière. Mais cela dérape vite car Ole Könnecke ne se contente pas des vieilles recettes : c’est le père qui enfreint l’interdit ; il est transformé en arbre par la sorcière et la fillette doit le sauver avant qu’un bucheron ne fasse une terrible erreur… Elle y court, accompagnée par son canard…
Dessins simples et charmants, humour léger à toutes les pages, c’est un petit régal, avec tous les ingrédients du conte mais un peu bousculés : une sorcière qui transforme les gens à son gré (la fillette est menacée de devenir une flûte à bec), différents monstres, un grimoire magique, et au bout du conte une flopée de myrtilles.

 

L’Amour, c’est quoi ?

L’Amour, c’est quoi ?
Mac Barnett, Carson Ellis (ill.)
Traduit (anglais/USA) par Aimée Lombard
Hélium, 2022

L’autre grande question

Par Anne-Marie Mercier

Dans La Grande Question de Wolf Erlbruch, publié par les éditions Être (prix Sorcières 2005) puis repris en 2012 chez Thierry Magnier, la question n’était pas explicitée, mais on voyait de nombreux personnages répondre à un enfant, chacun avec son point de vue. Ici, c’est à une autre question existentielle qu’on répond de différentes façons, question explicitée dans le titre et répétée par le questionneur que l’on suivra dans ses pérégrinations.
Chaque rencontre est présentée de la même façon : une première double page montre l’échange, la question, le sourire de l’interlocuteur (un pêcheur, un comédien, un chat, une charpentière, d’autres, puis finalement un poète), sa réponse en un mot (« L’amour c’est comme un poisson », « l’amour c’est comme la nuit », « l’amour c’est comme une maison »…), réponse reprise sur le mode interrogatif par le jeune homme, la double page suivante développant cette réponse sous un mode philosophico poétique, existentiel, mystérieux… provoquant l’incompréhension du jeune homme.
Chacun voit la question avec son expérience et utilise des métaphores issues de son univers, donne une image changeante de l’amour : partagé ou non, stable ou non, rare ou facile… Le texte de Mac Barnet (médaille Caldecottt en 2015) est tantôt drôle, tantôt poétique, et questionne tout en répondant… c’est une randonnée à tous les sens du terme.
Les belles aquarelles de la canadienne Carson Ellis (médaille Caldecott pour Koi que bzzz ?, 2016 publié en France chez Helium également), tantôt à fond perdu, tantôt détachées sur fond blanc donnent à cette méditation une allure de conte. On ne dira pas la fin, très belle également, montrant que la philosophie est autant une affaire d’expérience que de mots : elle est un chemin – comme l’amour?

L’Etranger

L’Étranger
Chris Van Allsburg
Traduction (anglaise, USA) de Chrisitane Duchesne
D’Eux, 2022

            Allsburg solaire

Par Anne-Marie Mercier

Un nouvel album de Chris Van Allsburg est un tel événement qu’on ne va pas se priver de le célébrer plutôt deux fois qu’une (et n’est-il pas publié par les éditions D’Eux ?). Je renchéris donc sur la belle chronique de Christine Moulin dans lietje qui célébrait sa beauté et sa générosité. C’est un album solaire, aussi bien par ses couleurs (magnifiques, aux crayons de bois, qui rappellent un Allsbug coloriste que l’on connaissait depuis Boréal express et surtout L’Epave du Zéphyr), que par son histoire. C’est aussi comme la plupart de ses albums, une énigme à laquelle chaque double page semble donner un fragment de réponse sans que jamais le puzzle ne soit complet.
Tout se passe en fin d’été, dans une belle lumière rasante, même lorsque l’automne semble avoir gagné tous les bois avoisinants : l’étranger amnésique et muet, recueilli par la famille Bailey après un accident, aurait-il le pouvoir, par sa présence, d’arrêter le temps ? ou bien le cycle des saisons ? D’autres pouvoirs semblent l’habiter : il est infatigable, il a un contact particulier avec les animaux, un souffle qui est comme le vent, une température anormale… Mais sa présence est une bénédiction pour tous. Qui est-il ? et d’où lui viennent ces vêtements étranges, en cuir brut ?
Devant ces belles images parfois étranges, le temps s’arrête en effet et on aimerait rester encore un peu avec cet étranger, ou du moins y revenir souvent, comme le suggère la dernière double page. Un automne trompeur est bien là, pour un perpétuel recommencement, invitant à reprendre la lecture au début.

Tout se transforme

Tout se transforme
Tony Durand
Møtus, 2022

Images imaginaires

Par Anne-Marie Mercier

« Rien ne se perd, rien ne se perd, tout se transforme ».
Cette phrase de Lavoisier est illustrée de bien des façons. Elle invite le lecteur à se souvenir que les objets en bois ont été des arbres, que l’eau a voyagé avant de venir jusqu’à nous, etc.
Mais très vite on décolle du réel : le tuyau d’arrosage se souvient qu’il a été serpent, le glaçon qu’il a été iceberg… Puis des questions viennent : d’où vient la musique ? comment arrêter le temps ?
Les images faites de papiers découpés aux couleurs et textures variées sont drôles, poétiques, vont loin…

 

Les Nuits magiques de Nisnoura

Les Nuits magiques de Nisnoura
Jean-François Chabas – Alexandra Huard
Ecole des Loisirs – kaléidoscope – 2022

Ensorcelée…

Par Michel Driol

Nisnoura est une petite fille ordinaire, fille d’un directeur de théâtre et d’une mère costumière dans un pays oriental. Le jour de ses trois ans, elle découvre son mobile en pièces dans son lit. A sept ans, elle retrouve les magnifiques costumes du prochain spectacle en lambeaux. Et, à neuf ans, invitée chez une amie, elle constate des inscriptions sur les murs de la chambre, malveillantes pour cette amie et sa famille. Pleine de honte, elle fuit le village, et trouve refuge dans un palais désert, où elle découvre le pouvoir de ses cheveux, véritables serpents. Alors un mendiant lui révèle l’origine de la malédiction qui pèse sur les fillettes aux yeux verts nées le mois de la lune rousse, et le moyen de s’en débarrasser.

Les premières pages donnent le ton : un monde partagé en quatre royaumes, des personnages inquiétants, des dons extraordinaires, tout ceci pour créer un effet d’attente lié à ce mystérieux royaume de l’Est et à cette petite fille. Dans une ambiance proche des Mille et une nuit, dans un pays oriental lointain, mais contemporain, cet album propose un conte dont la simplicité apparente, celle de son récit, celle de son écriture, aborde des problématiques féministes avec ce pas de côté propre à la fiction. C’est une histoire de malédiction et de libération qui nous est proposée ici. Malédiction millénaire pesant une petite fille, bien innocente, liée au refus d’une autre femme d’épouser un puissant sorcier. Malédiction liée aux cheveux, aux belles et longues tresses qui s’animent le nuit et prennent leur autonomie pour agir, essentiellement mues par jalousie. Malédiction qui conduit la jeune fille à l’exil… Tout cela ne parle-t-il pas de la condition de la femme, aujourd’hui, pas seulement dans certains pays orientaux ? De ces femmes victimes et accusées, alors qu’elles ne sont coupables de rien, et ne peuvent que s’étonner de ce qu’on leur fait subir ? C’est aussi quelque part le thème de la sorcière qui est abordé, c’est-à-dire celui d’une femme jugée par les autres pour des pouvoirs prétendument diaboliques, mais également celui du double, du bien et du mal qui coexistent en nous, comme dans Docteur Jekyll et Mister Hyde. Mais le fort de cet album est de montrer que cette malédiction peut être vaincue par la volonté de celle sur qui elle pèse, voire se retourner à son profit, ce que montre, non sans malice, la fin de l’histoire qu’on laissera au lecteur le soin de découvrir. Bien sûr, le conte parle de cela, mais il en parle à travers l’imaginaire d’une fiction, au travers d’un récit plein de vie, épousant autant que possible le point de vue de son héroïne, dans une langue qui décrit avec précision et pittoresque les richesses de ce monde oriental. Particulièrement soignés, les dialogues campent les personnages et leurs interactions, leurs doutes, leurs colères, leurs peurs, leur sagesse aussi. Les riches illustrations d’Alexandra Huard sont pleines de détails pittoresques elles aussi, et contribuent à plonger le lecteur dans cet univers coloré d’un Orient imaginaire, entre désert et palais hindou. A noter l’adroite utilisation des mosaïques pour évoquer les légendes et le surnaturel au début de l’histoire, façon de planter un décor hors du temps, mosaïques que l’on retrouvera lors de l’illustration des propos du vieux mendiant.

Sous forme de conte oriental, une belle histoire féministe bien actuelle, pour prouver que « les filles ne sont pas si faciles à tourner en bourriques », un récit d’initiation intrigant pour apprendre à dominer les malédictions, ou le destin auquel nous serions condamnés.

Laurent tout seul

Laurent tout seul
Anaïs Vaugelade
L’école des loisirs, 2022

… comme un grand

Par Anne-Marie Mercier

Ce grand album à couverture cartonnée est la reprise du livre qui avait été publié en 1996 chez le même éditeur, avec une couverture un peu différente. C’est en effet un « classique », lu et relu, présent dans bien des classes et méritant plusieurs lectures.
Si le titre insiste sur la solitude (la couverture actuelle reprend la page où le héros jouit de son voyage et de la nature qui l’entoure tout en se disant que, à deux, ce serait mieux), l’album est aussi une leçon d’indépendance.
En été, sans école, sans personne avec qui jouer, Laurent le petit lapin s’ennuie : les jeux qui lui plaisaient ne l’intéressent plus et jonchent le plancher ; à la page suivante on les voit rangés, empilés dans un coin, tandis que la pomme qui aurait pu servir de jeu est épluchée. Pour rompre cet ennui, il obtient de sa mère la permission d’une première sortie, d’abord jusqu’à la barrière, mais il va « un tout petit peu plus loin », ensuite jusqu’au châtaignier et il va « un tout petit peu plus loin », puis jusqu’à la rivière, et le long voyage commence… Lors de chaque retour il raconte à sa mère jusqu’où il était allé. Pas de remontrances, mais à la fin elle fait le constat qu’il est devenu grand et qu’il peut à présent voyager seul, ce qu’il fait.
La brièveté du texte, les belles pages aux couleurs franches et les formes simples (proches du style de Solotareff), les angles de vue affirmés et variés, l’élargissement progressif de l’espace, la variation des paysages et des heures, tout cela donne un rythme à l’album. La fête finale à laquelle tous les amis et la mère sont conviés, l’au-revoir, en forme d’adieu à l’enfant, de celle-ci, et la rencontre de celle qui pourrait partager sa vie ensuite font que l’on devine que Laurent ne sera plus jamais seul, et que décidément il est devenu grand.

Déclaré « sublime » par Télérama (voir la belle chronique de Marine Landrot) :