C’est quoi le bonheur ?

C’est quoi le bonheur ?
Luca Tortolini – Marco Somà
Sarbacane 2025

Onirique odyssée

Par Michel Driol

A la question du titre, le texte répond sous une forme poétique, rythmée par un refrain : Si tu sais ce qu’est le bonheur, dis-le. Ne le garde pas pour toi. Le texte ne cherche pas à donner une réponse, mais pose de nombreuses questions autour du bonheur, qui peut être multiforme, se loger partout… Il évoque aussi nos propres comportements : ceux qui le cherchent, ceux qui passent à côté… avant de se clore sur le bonheur partagé avec l’autre, à côté de soi. Ainsi, le texte cherche à cerner rune notion universelle, et pourtant si individuelle, à travers une série de petites constatations, de petits questionnements, énoncés dans une langue à la fois simple et poétique dans son rythme, dans ses anaphores.

Avec une facture très précise et très onirique, les illustrations quant à elles racontent une histoire, comme en contrepoint du texte, comme pour mettre en scène un personnage de souriceau en quête de ce bonheur. On le suit ainsi, collectant quelques objets sur une plage,  prenant la mer sur une barque, croisant d’autres embarcations et poissons, montant à bord d’un gros bateau où il côtoie d’autres personnages, avant de se retrouver sur une barque renversée, mains dans les mains avec une souricette. Les illustrations racontent ainsi un voyage initiatique, fait de hasards, de rencontres, de questions.

Ces illustrations, de superbes grands formats, entrainent dans un autre voyage, fantastique, onirique, merveilleux, dans le monde d’un Jérôme Bosch qui aurait oublié que le monde est inquiétant.  On y rencontre des animaux anthropomorphisés, bien vêtus, dans de multiples activités humaines, utilisant de nombreux moyens de transport, la barque, le vélo, ou à côté d’un food truck. Comme dans la première illustration, un navire peut flotter dans les airs et porter  tout un pâté de maisons… Ce voyage nous conduit à côtoyer un monde fantaisiste où tout se mêle dans un joyeux mélange, dans une atmosphère de fête et d’abondance. Au travers de ces illustrations, on peut suivre le souriceau, mais aussi les nombreux personnages dont on peut imaginer les histoires personnelles, les destins, à l’image du côté universel des questions posées par le texte.

Un album poétique et philosophique à lire, à méditer, à contempler en se perdant dans les multiples détails des illustrations, un album qui s’adresse à la sensibilité de chacun pour partir en quête du bonheur qui est, peut-être, comme chez Paul Fort, dans le pré juste à côté…

Avez-vous déjà entendu un cheval chanter ?

Avez-vous déjà entendu un cheval chanter ?
Pauline Barzilaï
La Partie 2025

Symphonie universelle

Par Michel Driol

Avez-vous déjà entendu un cheval chanter, des chaussures s’embrasser ou un gâteau pleurer ? Voici quelques uns des questions que pose l’ouvrage au lecteur, avant de répondre que, en raison de la timidité de l’animal ou de la rapidité de l’action, on ne les entend pas… Mais le/la narrateur/trice peut témoigner avoir entendu cette belle musique…

Dans un premier temps, l’album associe, sur chaque double page, la question attendue, une représentation naïve de l’animal ou de l’objet, un son saugrenu, reproduit dans une typographie manuscrite intégrée à l’illustration, avant d’expliquer pourquoi on ne l’a jamais entendu. Cette première partie joue sur la répétition et la variation. Répétition de l’anaphore finale, variation sur la façon de poser la question initiale, et surtout variation quant aux animaux ou objets évoqués, et aux activités incongrues qui leur sont prêtées, qui vont de la musique au pet, de la danse  à la nourriture. Puis, au centre de l’album se joue comme un dialogue entre la page de gauche, illustrant les propos d’un lecteur rationnel niant ces phénomènes, et la page de droite, où le narrateur affirme avoir tout entendu de ces mélodies. Suivent alors quelques pages, sans texte, où on voit associés deux par deux les objets et animaux déjà évoqués, avant qu’une autre double page, très colorée, donne à lire toutes les onomatopées déjà rencontrées, associées en une belle musique, commente le narrateur. Quant à la chute, elle est à la fois attendue et surprenante… mais chut !

L’album se situe quelque part entre les cortèges à la Prévert, les associations inattendues des surréalistes, et l’imaginaire enfantin, plein de malice, un imaginaire pétri de secrets à révéler et d’exagérations pleines d’enthousiasme. Qui est ce « je » qui questionne les lectrices et les lecteurs ? Adulte ? Enfant ? Garçon ? Fille ? Peu importe… Il y a presque quelque chose de Rimbaud en lui. Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant. Ici, il faut se faire entendant, à l’écoute des bruits insensibles et inaudibles du monde, bruits d’autant plus étranges qu’ils sont incongrus, liés à des besoins fondamentaux, à des émotions, à des sentiments, à des désirs, tout en restant surprenants et drôles, absurdes. Le monde devient alors un monde poétique, où tout devient possible dans une grande harmonie universelle qui reste à découvrir. Mais cette harmonie vient d’une profonde dissonance entre les onomatopées, illustrant comment la diversité peut être aussi mélodieuse.

On le sait, les albums pour enfants sont d’abord lus par des médiateurs, parents, adultes, et celui-ci se prête à merveille à une oralisation. D’abord par la récurrence de ses formules, qui le rapprochent de la comptine, de la randonnée. Ensuite par les onomatopées et les bruits divers qu’il évoque, variés, drôles, inattendus… Plaisir de la langue dans tous ses états, en particulier lorsqu’elle fait abstraction du sens pour n’être que son.

Un mot enfin sur le côté enfantin et brut des illustrations, à la gouache, aux couleurs fortes et surprenantes. Tantôt peu réalistes (le cheval est rouge), tantôt conformes (la fourmi est noire), elles associent souvent un visage humain expressif aux objets et animaux représentés, elles donnent à voir des chimères qui ne cherchent pas à illustrer, a priori, l’harmonie ou la grâce, mais qui montrent que la beauté est partout

Un album décalé, déjanté qui donne à voir et à entendre la voix cachée et mystérieuse des objets et des animaux, et nous plonge dans un imaginaire plein d’une poésie brute et naïve..

Le Silence des porcelaines

Le Silence des porcelaines
Agnès Domergue – Valérie Linder
Cotcotcot 2025

A un chat gris souris

Par Michel Driol

C’est l’histoire d’une rencontre, entre la narratrice et un chaton gris souris qui s’adopte chez elle, avec lequel elle joue, et qui vit sa vie de chat, entre les porcelaines et la fenêtre, puis qui disparait, laissant sa maitresse seule…

Imprimé dans un petit format, presque carré, un petit format qui renvoie à l’intimité de la confidence entre le je qui s’exprime et le lecteur, petit format qui renvoie aussi à l’intimité de la relation entre le chaton et sa maitresse, petit format qui renvoie enfin à la petite taille du chaton, à celle des porcelaines que l’on retrouve dans le titre. Un titre sous forme d’énigme poétique, à l’image de ce texte qui oscille entre le récit et le poème, qui installe une poésie de l’intime, du quotidien, des petits riens.

Le texte commence sur le mode d’un unique « je me souviens », souvenir de la rencontre, et se clôt sur ce même souvenir, reprenant les mêmes mots, mais se jouant de l’homonymie entre la couleur gris souris et le verbe sourire, comme pour signifier le lien tout particulier entre l’animal de compagnie et sa maitresse. Texte court, entre 2 et 6 vers libres par page, texte qui se permet  parfois une l’assonance ou une rime en fin de vers. Le texte est particulièrement travaillé, se rapprochant parfois du haïku ou de la comptine, jouant sur les répétitions, les structures parallèles, associant les mots pour créer des images. Certaines formules ont une force toute particulière, en particulier dans les renversements inattendus : perdue / je l’ai cherché ou dans la façon d’exprimer la confidence sur le rapport aux autres et la souffrance non dite : longtemps / j’ai fait semblant / de ne plus être triste.

Le texte est parfaitement mis en valeur par la mise en page et les aquarelles. La mise en page offre des temps de silence, comme de respiration entre deux moments évoqués par le texte. Moments de silence qui se font écho entre le début, le milieu et la fin, moments où l’illustration donne à voir des paysages ou des ciels lumineux qui s’opposent à l’intérieur de la maison, aux jeux du chaton, aux porcelaines. Les aquarelles très fines de Valérie Linder se situent entre le réalisme et l’abstraction, utilisant à merveille la diffusion des pigments colorés sur le papier pour créer des paysages de toute beauté.

Texte et illustrations se conjuguent pour créer l’atmosphère si particulière de cet album, faite de légèreté, de fragilité, et de tendresse, afin de relater une expérience à la fois intime, personnelle, et universelle : celle de l’attachement d’un être pour un animal de compagnie, celle de la perte, de la disparition, du deuil et de la reconstruction de soi.

 

Tout le monde et toi !

Tout le monde et toi !
François David – Mariana Ruiz Johnson
Rue du Monde 2025

Ta place dans le monde

Par Michel Driol

Dans la collection Petits Géants, une collection qui a vocation à faire découvrir la poésie aux plus jeunes, voici un court texte de François David, magnifiquement illustré par Mariana Ruiz Johnson.
Dans un premier temps, le texte est saturé de beaucoup, pour dire le nombre et la diversité des humains, des animaux, des végétaux sur terre. Puis dans une seconde partie, il développe l’unicité de l’enfant lecteur de cet ouvrage, être unique au monde. Avec des mots simples (des noms qui renvoient aux membres de la famille, dans une dénomination enfantine), une structure syntaxique minimale (une anaphore en « il y a ») le poème parvient à opposer la multiplicité des êtres et des choses sur terre avec l’unicité de l’enfant lecteur dans son identité, dans son corps, dans son action. Poème donc qui favorise la prise de conscience du moi au milieu de tous les autres, adressé comme un constat à un tu, le jeune lecteur.
Mariana Ruiz Johnson propose des illustrations d’une facture naïve, façon art populaire, et très colorées. Elle joue sur la diversité des personnages représentés (en fauteuil, lisant, jardinant), multiplie les clins d’œil (un bonnet sud-américain par là, un béret par ici). On y croise des adultes, des enfants, des musiciens…, parfois perchés sur un arbre (généalogique). Tous respirent la joie de vivre.  Quant à l’enfant à qui s’adresse le texte, il est présent sur toutes les pages, reconnaissable à ses improbables cheveux bleus, représenté de plus en plus gros, au milieu d’un univers d’animaux, de planètes. Très symboliquement, la dernière illustration montre une  foule de personnages se tenant la main, devant laquelle se tient l’enfant. Et tous ont un cœur de couleur différente sur leur maillot. Façon de dire ce qui distingue et ce qui unit.
Un poème superbement illustré pour parler de la singularité de chacun, mais aussi des liens qui nous unissent.

Celle qui rêvait des tigres

Celle qui rêvait des tigres
Elodie Chan

Sarbacane (Exprim’), 2025

Qui est la bête ?

Par Anne-Marie Mercier

Il est rare de lire un roman pour jeunes adultes entièrement écrit en vers, même s’il y a eu des exceptions notables, comme Songe à la douceur de Clémentine Beauvais (publié dans la même collection, Exprim’, en 2016). En littérature générale, le succès de Mahmoud ou la Montée des eaux, d’Antoine Wauters (Verdier, 2021), ou du Cri du sablier (2001) de Chloé Delaume, en vers blancs alexandrins, avait déjà surpris.
Si l’histoire s’inscrit dans le genre de la fantasy, c’est très légèrement, la dimension poétique primant sur tout. Ces « chants » semblent former un récit des origines proche des épopées et des récits mythiques d’autrefois. On assiste à la naissance du monde, né du conflit entre des forces opposant des éléments et des principes différents, comme le féminin et le masculin, avant de découvrir le village entre océan et forêt, Sel, puis les personnages de l’histoire qui débute et qui introduira une nouvelle ère.
L’héroïne ne sait pas d’où elle vient : des habitants de Sel, l’ont trouvée, enfant, abandonnée sur la plage avec un bébé, sa sœur sans doute. Recueillies dans une famille aimante, les deux fillettes suivent des voies différentes : la plus jeune ne veut rien savoir du passé ; la plus âgée, Kishi, adolescente au moment où commence l’histoire, cherche ses origines. Elle se rend la nuit dans la forêt interdite où règnent les sorcières et où les lucioles, dit-on, gardent le souvenir des morts.
En parallèle se déroule la vie du village de pêcheurs, avec ses travaux et ses jours ; vidage des poissons, conservation, fabrication de filets, tissages… Les fêtes allègent le poids du travail mais ajoutent, avec l’alcool, d’autres tourments. On apprend peu à peu qu’une jeune fille a dû remplacer sa mère morte dans le lit de son père ; elle disparaît dans les bois après avoir violée par deux garçons du village. Morte ? devenue sorcière ? ou changée en autre chose ?  Kishi est sauvée par les sorcières qui ont un lien mystérieux avec elle. Un peu sorcière elle-même, elle arrive à entrer dans l’esprit des animaux.
On devine peu à peu que les sorcières étaient autrefois des femmes et qu’elles ont dû fuir la violence des hommes, perdant leur humanité. Une métamorphose fait d’une femme un tigre, et inversement. Cependant, leur « bestialité nouvelle » n’est pas un abaissement, plutôt une élévation vers la puissance du vivant. Un avertissement (nommé « présage »), aux lectrices et lecteurs prévient d’ailleurs qu’il sera question de « la bestialité des hommes envers les femmes ».
D’autres histoires se tissent pour réunir deux amants qui, sans doute, fonderont une humanité nouvelle, régénérée. Dans le village voisin de Fange, à l’intérieur des terres, les hommes sont assommés par le travail, extrayant le souffre sur le volcan qui les fait mourir prématurément. Les deux univers s’opposent, l’un minéral et sec, l’autre humide et aquatique, mais des deux côtés on trouve des adolescents qui souhaitent avoir une autre vie. Entre les deux, le domaine de la forêt est celui de tous les sortilèges. Avec le garçon de Fange Kishi trouvera sa voie, hors des sentiers tracés, et le livre s’achève ainsi sur un beau chant d’amour, célébrant la rencontre plutôt que la prédation, et l’agriculture plutôt que l’industrie.

Bulles de savon

Bulles de savon
Emma Giuliani
(Les Grandes Personnes) 2015

Je me souviens…

Par Michel Driol

Sur le modèle des « Je me souviens »  de Georges Perec, Emma Giuliani propose ses « Je n’ai pas oublié », comme une manière de signifier la présence du passé. Un passé lié à l’enfance, bulles de savons, cerises, sapin à décorer ou cerf-volant. Autant de petites choses, de petits rien à la fois éphémères, intemporels et gagnant ainsi une sorte d’éternité.

Ce sont autant de phrases courtes, qui juxtaposent les groupes nominaux du souvenir,  dans une forme de poésie soulignée par les rimes qui assurent un écho entre les réminiscences. Les propositions suivent les saisons ; l’été avec les cerises, la rentrée avec les fournitures scolaires, les marrons de l’automne, l’hiver avec la neige et Noël, le printemps avec le cerf-volant, et, à nouveau, l’été. Eternel recommencement des temps de  l’enfance, remplis de découvertes, de plaisirs variés et de douceur… Tout ceci culmine avec les promesses muettes échangées avec un amoureux un jour de fête d’été, comme une ouverture vers le futur. Le texte se veut une célébration des temps e l’enfance, de l’insouciance, du bonheur immédiat. On est tout à la fois dans l’intime et dans l’universel.

Mais l’album vaut aussi par son étonnante mise en page et les animations qui y sont proposées, à chaque double page. Une tirette… et voici les cerises qui rougissent. Une librairie, et voici un store à soulever, pour découvrir la devanture. Un fil tendu, et voici des fanions qui volettent. Un autre fil, et voici le cerf-volant qui s’envole à l’ouverture de la page.  A chaque page, sa surprise à découvrir, dans un graphisme très épuré et très coloré qui n’a rien de nostalgique, de figé, mais affirme la vie et le mouvement.

Un bel album animé pour dire la douceur des souvenirs d’enfance, dans ce qu’ils sont de minuscule et, quelque part, d’universel…

Si j’étais un oiseau

Si j’étais un oiseau
Barroux
Little Urban 2025

Pour faire le portrait d’un enfant

Par Michel Driol

Le texte de chaque double page commence par l’anaphore Si j’étais un oiseau… Puis, au conditionnel, s’affirment les propositions. Il y est question de bonne humeur, de voyage, d’émerveillements, de fruits à manger, de temps passé  à observer les libellules, ou les grenouilles, de vie en lien avec la nature, porté par les vents. Puis les références se font autres : survoler les murs, les frontières et les barbelés,  être moins méfiant envers les autres, accueillir du monde chez soi, ne pas se laisser enfermer. Vient alors la chute. Mais je suis un enfant… le nez au vent et la tête dans les nuages !

Nombreux sont les textes, les poèmes, qui associent l’enfant à l’oiseau. On songe à Prévert, bien sûr, à Hugo aussi, et, dans un autre genre, à la chanson de Marie Myriam. C’est dans cette tradition là que s’inscrit de recueil de Barroux, construit autour d’une solide anaphore qui invite à se projeter dans un autre monde.  Monde de découvertes, de plaisirs, dans lequel on peut s’affranchir des contraintes. On retrouve bien là l’oiseau symbole de liberté, liberté d’aller et venir, oiseau qui se refuse à toute cage qui l’emprisonnerait. Mais cette liberté s’associe avec une curiosité, curiosité envers les autres, par-delà la barrière des espèces, curiosité envers les plaisirs de toute sorte. C’est un recueil à la fois plein d’hédonisme et de sens du partage, écrit dans une langue d’une grande simplicité, très concrète dans ses notations, précise dans son lexique, dans sa façon d’évoquer les vents, la rosée ou les ronces piquantes…   La chute, attendue, clôt cette série d’anaphores avec malice, montrant à quel point l’enfant et l’oiseau partagent en commun , sur un plan métaphorique cette fois, deux qualités fondamentales,  le nez au vent et la tête dans les nuages. Si j’étais un oiseau fait, en fait, le portrait d’un enfant libre, curieux, ouvert, rêveur, attentif.

On apprécie le grand format de cet album, qui permet aux illustrations de Barroux  de se déployer dans des doubles pages pleines d’imagination et de poésie. Voyez, par exemple, comment le chant de l’oiseau semble repris par toute une chorale de chats citadins. La nature, représentée à toutes les saisons, de jour comme de nuit, affiche sa luxuriance, ses tendres couleur pastel, dans des cadrages toujours surprenants et inattendus. Si l’on suit de page en page un oiseau rose, toujours tourné vers la droite, vers le futur,  les oiseaux y sont multicolores, comme les fleurs.

Un recueil de poésie qui parle de liberté, de fraternité, d’ouverture aux autres et d’espoir dans l’avenir et dans les enfants. Du grand Barroux !

Ombrella

Ombrella
Pierre Alexis
La Partie, 2024

Amours floues

Par Anne-Marie Mercier

Une chauve-souris se laisse emporter par le vent et arrive dans un lieu inconnu, un parc dans une grande ville peut-être. Elle trouve un œuf, le couve, élève le petit qui en sort et qui grandit, grandit, la faisant se sentir de plus en plus petite. Elle constate des hésitations : sait-il qu’il (ou elle) est un canard ? la quittera-t-il bientôt ?
Grand format, aquarelles très mouillées, dessins flous, ombres denses ou lumières délicates, les pages développent une atmosphère étrange et belle sur laquelle se déplient toutes sortes d’interrogations. Conte, poème, méditation, c’est un peu tout cela.

 

 

 

 

Je m’appelle Forêt

Je m’appelle Forêt
Anne Maussion – Alain Simon
Editions du Pourquoi Pas ?? 2024

Symphonie sylvestre

Par Michel Driol

En un long poème symphonique en trois mouvements, la forêt s’adresse au lecteur. Dans un premier mouvement, allegro, elle donne à entendre tous les sons qui la caractérisent, des plus éclatants aux plus secrets. Dans un deuxième mouvement, largo, elle déplore son espace de plus en plus restreint, sa force perdue, et ses tentatives pour se défendre. Dans un dernier mouvement, vivace, elle appelle à s’unir pour la préserver. Les illustrations accompagnent les trois mouvements dans des tonalités différentes. Un jaune éclatant pour le premier, le sombre de la nuit et le rouge de l’incendie pour le deuxième, et un blanc porteur de paix et d’espoir pour le troisième.

A la richesse écologique de la forêt correspond la richesse du lexique déployé par l’autrice. Carcophores, mycélium, nématodes, autant de mots rares, scientifiques, qui valent ici autant pour leurs sonorités que pour leur façon de nommer, de façon précise, tout le vivant qui trouve refuge dans la forêt. Mots dont on ne connait peut-être pas la signification, mais qu’importe ? Ils sont là pour dire la diversité du monde menacé. L’originalité de ce texte est de faire la part belle au registre musical, comme une façon de faire prêter l’oreille aux multiples sons de la forêt. Dès lors se multiplie le vocabulaire de la musique, notes, partition, pulsation…, comme une façon de faire de la forêt, du nom de la forêt, un chef d’œuvre aux multiples solistes qui s’accordent.  Mais cette poésie contemplative, laisse place à un chant de révolte dans lequel le lexique charge de tonalité. Il est question de cacophonie, de cris, de produits phytosanitaires.  La poésie s’engage aux côtés de la forêt face des adversaires dépeints sans ménagement, aveuglés du profit, grands humains en uniformes de politiciens. Le ton se fait amer face à l’impuissance de la forêt à se défendre, à se faire entendre, ce qu’une strophe dénonce avec vigueur :

Mais il est difficile de faire
entendre le chant de la nature
face au brouhaha des intérêts personnels.

Comment rester insensible à ce cri de détresse d’une forêt menacée, sans appuis, isolée, malmenée, encerclée ?

La fin du texte, le troisième mouvement, ouvre le choix entre la disparition de la forêt, dont la voix ne serait pas plus forte que la stridulation d’un criquet et un final tonitruant, dans lequel s’uniraient toutes les voix afin que la chanson devienne un hymne à préserver.  Cette métaphore filée de la musique assure au texte une grande cohésion et lui permet de se terminer sur une note de paix, d’harmonie universelle scellant la réconciliation de l’homme et de la nature.

L’autrice, dans sa note d’intention, évoque une écriture à voix haute. Et c’est bien de cela qu’il est question dans ce texte fait pour l’oralisation, avec ses anaphores, ses reprises, ses rythmes particuliers, ses jeux sur les sonorités. Un texte qui s’adresse à toutes et à tous pour que résonne encore longtemps le nom de la forêt vivante.

Liberté

Liberté
Paul Eluard – 15 illustratrices et illustrateurs
Rue du Monde 2024

Sur mes cahiers d’écolier…

Par Michel Driol

Chacun, bien sûr, connait ce poème célèbre de Paul Eluard. Mais, si 80 ans ont passé depuis la Libération, on peut toujours aujourd’hui mesurer et apprécier la force, le souffle, de cette ode à la liberté, sans cesse menacée, bafouée si souvent dans le monde. Pour que les enfants en mesurent le prix, et replacent dans son contexte historique le poème et son auteur, les éditions Rue du Monde le republient aujourd’hui, illustré par une quinzaine d’illustrateurs, comme une façon de montrer son universalité.

On saluera d’abord la diversité des illustrateurs, venus de France, d’Iran ou de Berlin. Chacun a la charge d’une double page, format à l’italienne, pour illustrer une ou deux  strophes, voire un seul mot. Chaque strophe prend ainsi une couleur différente, et entraine le lecteur dans des imaginaires très différents, des imaginaires qui, pour beaucoup, sont des hommages au mouvement surréaliste, à ses collages, à la rencontre d’objets incongrus, à un univers qui fait la part belle au rêve. Chacun a tenu à établir un lien entre les vers illustrés et l’illustration, sans servilité, mais en offrant une réelle lecture du poème. Certains nous plongent dans un univers très enfantin, comme la jungle de Marc Majewski où cohabitent tigres, léopards et enfants, ou comme les cerfs-volants de Vanessa Hié. D’autres jouent sur la couleur, comme Nathalie Novi avec cet univers bleu où la barque vogue en plein ciel, ou Sandra Poirot Cherif avec le jaune éclatant et lumineux d’un ciel africain traversé d’oiseaux. Mais d’autres proposent des images plus graves, comme la jeune Iranienne Noushin Sadeghian, qui propose un face à face parfaitement construit à partir de deux compositions en triangle entre des puissants et des soldats, d’une part, noirs sur fond blanc, menaçants, et un vol de colombes blanches sur fond noir qui vient vers eux… Illustration sombre aussi proposée par Zaü, paysage marin sous un ciel menaçant, avec barbelés et bateau échoué, d’où s’échappe un vol d’oiseaux blancs… Impossible ici de citer les techniques utilisées par tous, la déconstruction cubiste de Javier Zabala, l’orientalisme de Bei Lynn qui suggère les choses… Les trois dernières pages, soit la dernière strophe et la chute Liberté, sont illustrées par Laurent Corvaisier, dans des compositions aux teintes très fauves, très lumineuses qui associent la femme, la nature et les animaux et où l’on devine parfois comme le trait ou les motifs de Matisse. Autant d’illustrations qui prolongent les mots d’Eluard dans ce qu’ils ont d’intemporel et d’universel.

Au poème, Alain Serres ajoute un cahier documentaire qui replace Eluard et le poème dans leur contexte historique. Ce sont des pages superbement illustrées de photographies d’Eluard, de Gala, de Nusch, mais aussi de reproductions de la première édition (octobre 42, antidaté à avril 42), ou d’archives historiques. Alain Serres présente ainsi une biographie d’Éluard, le replace dans son milieu familial, puis dans le monde de l’après première guerre mondiale, celui du dadaïsme et du surréalisme. S’il évoque l’engagement communiste d’Eluard, il préfère insister sur l’histoire du poème Liberté, de son écriture à sa publication, de son rôle dans la Résistance. Enfin, une double page présente chacun des illustrateurs de l’album.

Quoi de mieux, pour clore cette chronique, que de reprendre la conclusion d’Alain Serres, s’adressant aux enfants, aux lecteurs ? La liberté n’aura-t-elle pas toujours besoin de poésie, besoin de vous pour exister ?