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Manon Fargetton

Rageot, 2014

Le suivant sur la liste…des romans à lire

Par Matthieu Freyheit

LesuivantsurlalisteNathan est un mordu d’informatique, un petit génie et hacker prodigieux, fidèle à l’image fictionnelle du hacker. Morgane est une reine de popularité : ne pas l’aimer est semble-t-il impossible. Timothée, le cousin de Nathan, est protégé de son empathie maladive par les murs de la clinique des Cigognes. Izia, rebelle solitaire, et Samuel, rebelle solitaire (bis), ne sont pas tout à fait communs non plus. Vous découvrirez que tout cela n’a rien de naturel. Mais il ne faut pas attendre jusque là pour que s’emballent les choses : dans les premières pages déjà, on comprend que Nathan est sur la piste d’un secret dérangeant qui ne concerne pas que lui. Dans les premières pages déjà, la voiture fonce à vive allure, mettant un terme définitif (pense-t-on) aux recherches du jeune adolescent. Mystères, complots, faux accidents et courses-poursuites, la vie de cette poignée de collégiens bascule avec la mort de Nathan et l’envoi d’étranges emails posthumes… Dans ce roman palpitant, l’univers du thriller se mêle efficacement à celui de la science-fiction et du marvel. Un art du mélange et de l’hybridation (une association du fond et de la forme qui dans ce roman fonctionne parfaitement) que Manon Fargetton avait déjà initié dans Aussi libres qu’un rêve (2013).

Ici, la convoitise des uns fait le malheur des autres, et le potentiel révélé devient un fardeau à cacher, tandis que la solidarité du groupe est mise à rude épreuve. Ce qui n’empêche pas l’auteure de dessiner, parallèlement, les contours d’une belle et cruelle histoire tantôt d’amour, tantôt d’amitié. Tantôt de trahison. Le motif classique du superhéros, assez peu représenté en France, trouve ici une application intéressante parce que discrète : sans spectacle, Manon Fargetton crée du rythme, de l’aventure, de la tension, presque du cinéma, tant l’écriture restitue ici un mouvement continuel (des corps, mais aussi des sens).

C’est, en somme, un très bon roman qui confirme la qualité de la série Thriller de Rageot qui s’affirme comme une collection incontournable du thriller dans la littérature adolescente. Quant au roman de Manon Fargetton, il s’achève sur la promesse d’une suite, que l’on ne peut qu’attendre avec avidité.

 

 

E-machination

E-machination
Arthur Ténor

Seuil 2013

Un livre dont le jeu est le héros

par Christine Moulin

49172Arthur Ténor aime à explorer les limites entre fiction et réalité, notamment dans le registre du fantastique. Il renouvelle ici son interrogation favorite en s’inscrivant dans le genre émergent (mais émerge-t-il encore ? à force…) des romans de jeunesse consacrés aux jeux video. Comme d’habitude, pourrait-on dire, le héros (un informaticien, un geek -1-), affublé du prénom de Clotaire, se laisse séduire par une annonce commerciale qui permet d’essayer, pour trois minutes seulement, un jeu en immersion totale, évidemment « bluffant », évidemment révolutionnaire, qui donne l’illusion d’être transporté dans un autre monde. Parallèlement, l’héroïne, Lucile, prof de français (eh oui, il faut bien que la littérature soit représentée) se laisse également séduire. Malgré l’interdiction absolue de se rencontrer dans la vraie vie (encore une constante du genre), ils formeront bientôt un couple à la Marvel, « dégommant » candidement toutes sortes d’ennemis plus dangereux les uns que les autres car, et c’est là un des premiers intérêts du roman, ce qui se passe dans la réalité virtuelle déborde, en quelque sorte, dans la réalité… réelle.

A partir de ce scénario, pour mieux piéger le lecteur, l’auteur évite certains pièges. Celui de diaboliser les jeux video : certes, Arthur Ténor évoque bien l’enfer du jeu (« En vous laissant piéger par le jeu, vous avez basculé dans un monde d’où il est impossible de revenir par l’oubli ») mais il résiste à la tentation de délivrer une leçon de morale simpliste, comme le prouve le dénouement. Il refuse également de se prendre au sérieux : l’humour est constant, évoquant le second degré des comics.

Ce qui n’exclut pas une réflexion sur les timidités de l’adolescence: ce n’est pas un hasard si Lucile fait étudier Cyrano de Bergerac à ses élèves de Troisième car le thème de la laideur, du masque qui colle à la peau traverse tout le roman, modernisé en avatar.

Enfin, Arthur Ténor, habile prestidigitateur, comme il aime à le faire, joue sur les mises en abyme et en profite pour « glisser » quelques définitions bien senties de la littérature, à moins que ce ne soit du jeu video (et cette assimilation même est bienvenue), comme « pouvoir d’agir sur le réel par l’intermédiaire de chimères qui ne devraient exister que dans notre imagination ».

Bref, voilà un roman qui cesse de dresser les unes contre les autres les différentes manifestations de la culture et qui, à travers un jeu sur le jeu fait de la lecture un jeu. Même si le propos n’est pas neuf (et c’est ce qui est un peu décevant), même s’il n’est pas totalement abouti (les allusions à la culture geek restent superficielles), le traitement est habile et prenant.

(1) : note de bas de page en forme de « SPOIL » : comment se fait-il qu’un geek n’ait pas été alerté par le nom de Ghoster?

Lune et l’ombre

Lune et l’Ombre
1 Fuir Malco
Charlotte Bousquet
Gulf Stream, 2014

 

  Voyager à travers les tableaux des génies oubliés

                                                                         Par Maryse Vuillermet

 lune et l'ombre image 2 Premier tome d’une série. Lune, adolescente de treize ans, artiste et solitaire,  a des problèmes familiaux. Le nouveau compagnon de sa mère Malco exerce une emprise maléfique sur les deux femmes. Elle a aussi de mystérieux problèmes physiques, elle perd la vue des couleurs puis du gout. Seuls,  certains tableaux sont encore colorés à ses yeux et en particulier ceux d’une exposition Femmes peintres des XIX° et XX°, les génies oubliés.  Elle veut aller voir l’exposition mais Malco l’en empêche.Terrorisée,  elle décide de fuir la maison mais Malco est à ses trousses. Il est accompagné ou précédé d’ombres, des créatures indéfinissables, dont elle sent la présence autour d’elle. Après une fuite et une course poursuite mouvementée,  elle parvient au musée, elle s’y réfugie mais là, stupeur ! Malco est toujours derrière elle et, au moment où il allait la rattraper, elle plonge ou est happée par l’univers du tableau intitulé Marché aux chevaux. Là, elle se met à vivre l’époque et la scène du tableau, elle y rencontre un jeune palefrenier Léo, devient son amie mais s’aperçoit que lui n’est qu’une créature de peinture. A nouveau, les ombres la poursuivent dans ce monde, elle parvient à leur échapper et à connaitre une partie de son histoire et en particulier l’origine de son prénom Lune.

L’univers de ce roman est très original, c’est à la fois un roman d’héroîc fantasy, avec ombres, maléfices, créatures du mal, métamorphoses, voyage dans le temps… c’est un roman d’initiation à la peinture car chaque toile où plonge Lune est décrite en détail avec gourmandise et passion par l’auteure, et les tableaux sont tous des œuvres de femmes peintres, les génies oubliés, donc c’est aussi un roman de revendication pour ces artistes, injustement méconnus parce que femmes, et c’est enfin un roman d’apprentissage où l’héroïne cherche à se libérer de l’emprise d’un homme brutal, à comprendre ce qu’il lui veut et donc à savoir qui elle est.

 On se demande comment l’auteur va tenir le rythme et le souffle sur trois tomes mais Charlotte Bousquet, avec Princesse des os et Vénénum, nous a prouvé qu’elle excellait à faire revivre des univers historiques en y plaçant des héroïnes pleines de vie, de curiosité et de courage.

La mort préfère Ava

La mort préfère Ava
Maïté Bernard

Syros, 2013

Consolatrice tu seras

par Christine Moulin

cvt_La-mort-prefere-Ava_3036Depuis Harry Potter, le lecteur apprécie que le héros d’une série évolue, grandisse, mûrisse. C’est le cas pour Ava, et c’est tant mieux car la maturation de l’écriture accompagne celle de l’héroïne.

D’abord changement d’île. Nous voici à Guernesey, ce qui nous permet de visiter la demeure de Victor Hugo, Hauteville House, ou plutôt, dans un premier temps, de ne pas la visiter, les horaires étant confidentiels (ce qui correspond assez bien à la réalité!) pour ensuite apprendre ou retrouver toutes sortes d’anecdotes sur le célèbre écrivain, bien amenées et bien choisies, en accord avec le cadre fictionnel: c’est ainsi que l’auteur insiste sur l’inscription gravée sur un mur, Absentes adsunt (les absents sont présents), ce qui fait écho au destin d’Ava, sans cesse confrontée à des fantômes. Dans le même ordre d’idées, l’auteur donne une explication toute personnelle du phénomène des Tables tournantes. C’est une des connaissances d’Ava, Joséphine, qui répondait, en fait, au grand homme: « pendant que Victor Hugo croyait parler avec Chateaubriand, Dante, Racine, Marat, Charlotte Corday, Robespierre, Louis XVI, Napoléon 1er, Mahomet, Jésus, des animaux bibliques et les fantômes de sa maison, il a parlait à Joséphine qui avait la culture, l’imagination, la versatilité et l’à-propos nécessaires pour tromper un des esprits les plus  brillants de son temps ». Voilà un mystère d’éclairci!

Mais de façon moins périphérique, le roman développe deux dimensions qui lui donnent tout son intérêt : la dimension sentimentale, Ava ayant du mal à concilier sa « vocation » de consolatrice et ses histoires d’amour, ce qui, mutatis mutandis, ne la distingue guère des jeunes femmes d’aujourd’hui; la dimension politique: Ava essaye toujours d’organiser le système d’aide à apporter aux âmes errantes et se heurte à des factions et des luttes pour le pouvoir dignes des entreprises modernes. Le côté fantastique renvoie assez « naturellement » à des faits de société actuels. Maïté Bernard est, en quelque sorte, notre JKR à nous, sans pour autant la plagier.

Enfin, comme dans les tomes précédents, un mystère est au cœur du livre: le projecteur éclaire progressivement le passé de Cécilia, le mentor d’Ava.

On a donc affaire à une véritable série, qui n’est pas artificiellement divisée en plusieurs tomes, tous plus épais les uns que les autres, pour obéir aux nouvelles lois du « marketing », une série qui progresse véritablement, prend de l’ampleur et de l’épaisseur.

 

Lune Mauve. Tome 3 : L’affranchie

Lune Mauve. Tome 3 : L’affranchie
Marilou Aznar

Casterman, 2014

@psychotiquetweets

Par Matthieu Freyheit

lunemauve3Troisième tome de la tétralogie (voir les chroniques des tome 2 et tome 1). Séléné a quitté Viridan et un mariage imposé par des sardines magiques (ou quelque chose comme ça) messagères d’Isthar. Le retour à Darcourt signe le retour des personnages auxquels le lecteur s’est attaché. L’auteure assume elle-même ses préférences en éclipsant quelques figures moins percutantes (on pense à l’excentrique Rimbaud), tandis qu’elle donne une épaisseur nouvelle à Alexia, définitivement très réussie, ou à Thomas, dont la relation avec Séléné capte très bien l’intérêt.

Il reste que le titre de ce troisième volume est trompeur : Marilou Aznar nous rappelle que Séléné s’affranchit de Viridan à la fin du deuxième tome, sans nous laisser anticiper que c’est d’un autre monde que l’héroïne s’affranchit au terme du troisième. C’est donc très bien joué. Entre ces deux moments de tension et de passage d’un monde vers un autre, d’une existence vers une autre, Séléné (dite « la Sigismonstre », il faut dire que c’est plutôt amusant et bien trouvé) tente de reprendre le cours de sa vie, sans voir que malgré elle tout concourt à la ramener à ce qu’elle a jusque là cherché à quitter. Mais la machinerie est en route : quête d’un objet destructeur, manipulations diverses, rencontres étranges, meurtres non élucidés. Ajoutez à cela un voyage au Japon, et l’aventure est complète. Parallèlement, si l’on retrouve au début du volume un peu de l’humour développé dans le premier, la tension prend peu à peu le dessus, soulignant l’impossibilité pour l’héroïne d’échapper à son ‘destin’. Un thème vu et revu, c’est vrai, qui ne semble peut-être pas révolutionner le roman adolescent. Mais enfin, ce n’est pas ce que l’on demande nécessairement. L’écriture de Marilou Aznar n’est pas seulement efficace mais intelligente, prenant le pouls discret des différents usages qui peuvent être faits des réseaux sociaux (loin des clichés dans le cas des psychotiquetweets d’Alexia), tandis qu’elle parvient tout à la fois à prendre le rythme de l’aventure et celui de l’aventure amoureuse. Une série à défendre et à lire, dont il n’y a qu’à attendre le dernier volume.

14 auteurs racontent… Les chroniques de Harris Burdick

14 auteurs racontent… Les chroniques de Harris Burdick
Chris van Allsburg, Lemony Snicket, Tabitha King, Jon Scieszka, Sherman Alexie, Gregory Maguire, Cory Doctorow, Jules Feiffer, Linda Sue Park, Walter Dean Myers, Lois Lowry, Kate DiCamillo, M.T Anderson, Louis Sachar, Stephen King
L’école des loisirs, 2013

Quand le rêve devient réalité

Par Anne-Marie Mercier

chroniques-de-harris-burdick-van-allsburg-199x300Le très célèbre album d’images de Chris van Allsburg, Les Mystères de Harris Burdick, paru en 1985 à L’école des loisirs, trouve ici son texte à travers ces « chroniques » ; il s’agissait d’un manuscrit fictif abandonné par un auteur de nouvelles, contenant des images en tons de gris accompagnées chacune uniquement d’une légende et d’un titre. Le jeu du lecteur était de s’inventer des histoires à partir de ces univers apparemment réels où quelque chose d’étrange détonnait.

Ce jeu a été poursuivi par une pléiade d’écrivains reconnus en jeunesse ou dans le genre de l’étrange, et le résultat est assez réussi, toujours surprenant, ceux-ci ayant mis un point d’honneur à ne pas aller dans le sens le plus attendu. Chacune de ces nouvelles est très réussie, mais curieusement, il en va comme d’un film adaptant un livre très aimé : on ressent une pointe de déception à voir ainsi figé ce qui restait une rêverie jamais terminée. Pour ceux qui découvrent l’album, ce sera une belle découverte, pour les autres, cela dépend, d’eux, de la nouvelle elle-même, et de leur envie de poursuivre le jeu sans garde-fou.

Pour poursuivre (ou commencer), voir sur le site de l’école des loisirs le concours d’écriture sur Harris Burdick avec les nouvelles de collégiens primées : http://www.ecoledesloisirs.fr/harrisburdick

Même chose sur le site de l’école des lettres.

La guerre des livres

La guerre des livres
Alain Grousset

Gallimard, Folio Junior, 2009, 2013

Book wars

Par Christine Moulin

product_9782070651009_244x0Voici une réédition d’un roman d’Alain Grousset. Le problème qu’il abordait il y a quatre ans en est encore un: faut-il craindre la disparition des « vrais » livres, sur papier? le tout numérique est-il dangereux? On se doute un peu de la réponse… Mais l’argumentation n’est pas pesante. Parce qu’elle se développe au sein d’un récit de science-fiction digne des aventures de Lucas avec combats (celui qui ouvre le roman est un modèle…), factions, empereur, fille d’empereur, héros en forme de Jedi (Shadi), faux traîtres, vrais traîtres, et même quelques maîtres (certes moins pittoresques que Maître Yoda mais quand même…). Autre charme: le décor est un labyrinthe borgésien, une immense bibliothèque qui renferme tous les livres (ou presque) de l’univers. De quoi rêver… Enfin, en exergue de chaque chapitre, figurent des citations sur la lecture, certaines assez connues (« Quand je pense à tous les livres qu’il me reste à lire, j’ai la certitude d’être encore heureux », Jules Renard), d’autres peut-être moins (?) (« Les livres nous obligent à perdre notre temps de manière intelligente », Mircea Eliade), en tout cas, toutes très belles (« Lire, c’est aller à la rencontre d’une chose qui va exister », Italo Calvino).

Dans la peau d’une autre

Dans la peau d’une autre
Johan Heliot
Rageot (thriller), 2013

Métamorphose diabolico-show bizique

Par Anne-Marie Mercier

danslapeauduneautreCe roman, publié dans la catégorie des thrillers, exploite une belle idée : une société qui assoit sa fortune dans l’industrie du spectacle se met en cheville avec un médecin génial et véreux pour créer des icônes médiatiques et les exploiter… à mort. L’héroïne du récit est une très jeune pop star (15 ans), blonde et mince, qui mène une vie à un rythme infernal, craque nerveusement et est placée dans une clinique suisse, non  pour s’y reposer comme elle le croit, mais pour subir une opération de chirurgie esthétique qui la rend méconnaissable afin de laisser le champ libre à une réplique d’elle-même fabriquée artificiellement.

En dehors de cette idée et de quelques personnages secondaires originaux, dont une animatrice de blog de fans, cet ouvrage est lui-même quelque peu formaté. Il est fait avec une certaine efficacité et propose des situations et des personnages plus qu’improbables. Mais l’idée est belle, qui consiste à s’interroger sur les « icônes » médiatiques, au point de poser la question de leur existence réelle – ou celle de leur appartenance à l’humanité –  et au lien entre apparence et identité.

La Nuit du Nécromancien (Un Livre dont vous êtes le héros)

La Nuit du Nécromancien (Un Livre dont vous êtes le héros)
Steve Jackson et Ian Livingstone
Traduit (anglais) par C. Degolf
Gallimard Jeunesse (Défis fantastiques), 2012 [1982]

Petit dictionnaire (lassant) des synonymes

Par Matthieu Freyheit

La NuitdunecromanienLa Nuit du Nécromancien (tout un programme) a l’originalité de vous faire mourir très vite. Non, je ne viens pas de ruiner le suspens, puisque l’un des ressorts de ce volume concerne la possibilité de regagner votre enveloppe charnelle. En attendant, profitez de vos heures comme spectre pour voler dans les airs ou prendre possession du corps d’un autre. Petit topo : après avoir gagné une bataille contre les seigneurs des ténèbres (ils sont de tous les mauvais coups), vous rentrez en votre pays, fier de votre victoire sur les loups-garous et autres vierges des sépulcres (???). Votre joie est de courte durée puisque, sur le point d’arriver, une embuscade vous fait affronter un sinistre Disciple de la mort (dans les LDVEH, on ne lésine pas sur le champ lexical de la mort et de la démonologie). Résultat : vous voilà spectre. Et l’aventure commence.

C’est vrai : les Livres dont vous êtes le héros ne manquent pas de clichés. Allons plus loin : ils les accumulent, de manière parfois malheureuse. La Nuit du Nécromancien va peut-être trop loin dans l’usage des créatures ténébreuses et des adjectifs perpétuellement adjoints à toutes choses. Jusqu’à votre épée (magique, bien sûr) qui porte le doux nom de Fléau de la Nuit. FLÉAU DE LA NUIT. Rien que ça. À la multiplication des qualificatifs, le livre ajoute une multiplication des combats. Pour les habitués des jeux vidéos qui ont hurlé de se trouver projetés dans une arène de combat tous les trois pas, la sensation est ici un peu la même. Araignées de la mort, roi des ombres, faucheurs d’âmes, goule putride, chevaliers de la terreur, ‘putrescent’ (oui, simplement ‘putrescent’) et j’en passe, tout y est, de manière un peu lassante. Une curiosité quand même au détour de votre route : une apparition toute gandalfienne qui, bâton à la main, empêche l’accès d’un pont et vous assène fièrement : « Aucun spectre ne peut passer ici ». Ça vous rappelle quelque chose ?

Vous l’aurez compris, il s’agit bien pour une fois de mettre en avant les limites d’un genre basé sur l’incomplétude et sur une esthétique sans doute trop assumée et donc limitée pour être pérenne. L’incomplétude du personnage demeure sans doute l’une des plus fondamentales. Le plaisir d’entrer dans la peau d’un chevalier ou d’un mage n’est pas remis en question, mais peut être empêché en grande partie par l’absence d’investissement de ces figures. La lecture du LDVEH en appelle à une mémoire concrète matérialisée par notre feuille de route. Elle évacue, en revanche, la mémoire affective qui permettrait une adhésion plus profonde au système mis en place. Il n’est pas étonnant à ce titre que ces livres n’aient pas dépassé la fin des années 1980, balayés par les jeux vidéos qui ont peu à peu permis, précisément, d’offrir à la fois l’espace du choix et celui de l’affect (les fans gardent à l’esprit l’exemple de Final Fantasy VII). Art sans mémoire parce que privé de sentiments (et souvent – cela est évidemment lié – de style), le LDVEH se lit et s’oublie comme s’oublient le nom de leurs auteurs, hormis aujourd’hui dans un cercle d’internautes nostalgiques qui font de ces livres des objets de collection. Formulons à nouveau le vœu exprimé dans une notice déjà consacrée au LDVEH : il serait heureux qu’un auteur doué d’imagination et de style s’empare des richesses techniques offertes par ce genre, et fasse ainsi la démonstration de sa valeur critique. Même si, il faut bien l’avouer, la nostalgie a ses délices.

 

 

Mathieu Hidalf et la Foudre Fantôme

Mathieu Hidalf et la Foudre Fantôme
Christophe Mauri

Gallimard Jeunesse, 2011

Petit manuel du parfait aventurier égoïste ?

 

Par Matthieu Freyheit

Mathieu Hidalf 2Dans une chronique précédente, l’auteure s’interrogeait sobrement : « Cet enfant est-il totalement stupide ? » On aurait envie de répondre tout aussi sobrement : oui. Jusqu’à un certain point, seulement. Au mot désopilant employé par les critiques pour évoquer les aventures du jeune Mathieu Hidalf, on voudrait substituer celui d’horripilant. D’un égoïsme forcené, le héros gâche parfois de sa présence un livre bien écrit et au rythme soutenu. Toutefois, ce deuxième épisode des aventures de Mathieu implique une évolution du personnage qui quitte peu à peu (on espère définitivement) l’âge exclusivement égoïste pour développer une personnalité plus complexe. On aimerait en effet que l’égocentrisme du jeune garçon soit rendu plus jouissif et décomplexant pour le lecteur par le retour qu’autorise le second degré. Mais l’égoïsme enfantin est peut-être celui-ci qui, précisément, n’intègre pas encore cette complexité.

Ainsi Mathieu Hidalf grandit-il dans ce volume. C’est bien toute son importance d’ailleurs, psychologique et narrative. Parvenu à l’âge de onze ans, Mathieu peut enfin se présenter aux épreuves d’entrée de l’école de l’Élite. Son ambition n’est pourtant pas glorieuse en intégrant cette école : acquérir une liberté telle qu’il pourra assouvir pleinement les volontés de sa formidable personne. La suite des événements va partiellement transformer cette ambition. Si l’on est tenté de rayer les répliques souvent agaçantes du héros, on est aussi agréablement surpris de voir l’auteur amener des changements discrets et subtils dans le caractère de son personnage. D’autant plus que le lecteur a la chance de pouvoir s’attacher à des personnages secondaires bien construits : Juliette d’Or, sœur de Mathieu ; Juliette D’Airain, sœur de Mathieu ; Rigor Hidalf, père de Mathieu ; ainsi que ses compagnons directs d’aventure. Au contact de ces différentes figures, l’égoïsme du héros connaît ses premières limites, et c’est tant mieux. Car en sous-main, le livre reprend le motif agaçant et éculé de l’originalité, armé du cliché selon lequel c’est en débordant des cadres et des conventions que l’enfant construit sa personnalité… Rien de nouveau sous le soleil. À moins – on l’espère – que ce deuxième volume ne soit pour l’auteur l’occasion de défendre l’idée que le cadre sert précisément à complexifier une personnalité qui, sans limites et sans conventions, demeure monolithique, donc inintéressante. On peut douter cependant que cette interprétation fasse sens auprès des jeunes lecteurs, tant elle ne parvient pas à s’imposer dans le roman devant l’égoïsme de Mathieu. C’est, peut-être, l’une des intelligences de Christophe Mauri : nous donner l’envie de plonger dans le volume suivant pour confirmer ou infirmer cette évolution. Tout en ramenant l’enfant à ce qu’il est et doit être : un enfant, dont il ne faut pas attendre des comportements d’adulte. Pas encore.