La fille aux doigts d’or

La fille aux doigts d’or   
Benjamin et Julien Guérif
Syros, 2013,  Rat Noir

Affaires de famille  d’aujourd’hui

Par Maryse Vuillermet

 

 

 

la fille aux doigts d'orLéo mène une vie tranquille avec son père,  journaliste sportif et cinéphile. Ils regardent ensemble des tonnes de film, Léo va au lycée,  y a sa bande de copains. Jusqu’au jour où son père rencontre Marianne, une jeune étudiante. Il se met à lui mentir, elle envahit l’appartement, se moque de Léo.

Léo apprend par hasard le passé sulfureux de la jeune femme et décide d’élaborer un plan pour s’en débarrasser.  Il ne voit que cette solution pour retrouver l’harmonie de sa vie ancienne et protéger son père. Entre temps, il rencontre Nadia,  une fille de son lycée, belle et intelligente, qui lui  ouvre les yeux sur les rapports garçons-filles, sur le monde en général.  Nous suivons Léo dans la préparation de son piège. L’atmosphère est assez glauque, la tension palpable. Tout au long du récit, la passion du cinéma accompagne les personnages et illustre certains événements.  Léo ment à tout le monde et surtout à Nadia.

La fin est plus conventionnelle.

Guerre. Et si ça nous arrivait ?

Guerre. Et si ça nous arrivait ?
Janne Teller
Illustré par Jean-François Martin
Traduit (danois) par L W. O. Larsen
(Les grandes personnes), 2013

Comment peut-on être réfugié ?

Par Anne-Marie Mercier

Guerre-GP« Et si aujourd’hui il y avait la guerre en France… Où irais-tu ? » Tout ce petit livre est dans cette question-programme.

Imagine, dit le livre au lecteur, imagine la France gouvernée par un régime autoritaire et tentant d’imposer sa loi à l’Europe. Imagine les démocratie libres du nord liguées contre elle et ses alliés du sud, la guerre, les maisons détruites, des personnes emprisonnées, le pays déstructuré, la terreur, le froid et la faim : où aller ? Le récit raconte au lecteur son itinéraire possible. Réfugié avec sa famille au Moyen Orient, mal accepté dans un pays dont il ne parle pas la langue, d’une culture et d’une religion différente, qui se méfie de la sienne, il ne peut pas faire d’études, doit se résigner à des emplois qui le rebutent ; il rêve de retour, mais le pays qu’il a quitté ne veut plus de lui.

Janne Teller a transposé le quotidien banal d’un réfugié en se contentant de décaler les situations et de faire vivre (par le tu et le vous : le texte est écrit du début à la fin à la deuxième personne) cela par ceux qui regardent les choses de l’extérieur. La forme du livre est-elle même exemplaire : il imite le format et la couverture d’un passeport européen ; les dessins stylisés illustrent la simplicité et la rigueur de la situation.

Un tout petit livre, un grand choc et une belle leçon.

Voir la présentation par l’auteur 

demanderl’impossible.com

demanderl’impossible.com
Irène Cohen-Janca

Rouergue, 2012

Révolutions muettes

Par Matthieu Freyheit

demanderl’impossible.comMuettes, comme les nombreux silences qui tissent ce roman nourri de non-dits et de dialogues en creux. Voilà un livre plutôt subtil qui mérite de s’y arrêter et de passer un premier malaise : car c’est bien un malaise, et non de l’ennui. Mais sans abricela, il faut le découvrir, comme on découvre peu à peu tout ce qui, dans la vie d’Antonin, va de travers.

Antonin a quelque chose du loser : c’est en ces termes en tout cas qu’il se présente au lecteur. Loser, il n’a cependant que le sentiment de l’être. En réalité, c’est un adolescent comme les autres, et c’est peut-être ce qui pose problème. Car Antonin se réfère parfois malgré lui aux idées de son oncle Max, celles de mai 68. Là, ça y est, vous avez compris le titre. Mai 68 ? Il était temps, c’est vrai, qu’un roman intelligent y revienne. Car mai 68, il y a ceux qui l’ont vécu, et il y a les autres. Entre les deux, un fossé, un on-ne-sait-quoi d’inexplicable. Et pourtant, c’est bien mai 68 qui, de ses relents libertaires, gangrène l’existence d’Antonin et celle de sa famille. Ce qui ne va pas ? Mai 68, qui fait penser à Antonin qu’il n’est peut-être pas à la hauteur. Et la grande révolution étudiante de donner naissance à de muettes révolutions familiales, et personnelles.

Au départ, rien que de très normal. Antonin va au lycée. Il sort avec Léa. Se sépare de Léa. Sa sœur, parfaite (ou presque), est la première à introduire le bouleversement dans la famille. Sa mère, parfaite (ou presque, bis), nie le réel jusqu’à ce qu’il s’impose violemment à elle. Son père… RAS. Et sur le trottoir en face de la maison, ce sans abri qui s’est installé et qui intrigue tant Antonin. Antonin qui, dans une belle sensibilité, comprend et nous fait comprendre les maux et les silences, et qui devant l’écran de son ordinateur jouit d’autres formes de révolutions : sur le web, l’existence fait jour, le rêve se poursuit, et le réel des sentiments s’impose bien plus que dans un quotidien désespérément tacite. Il faut en passer par là pour que les mots surgissent, et que la vie reprenne ses droits. Pour que l’anorexie de sa sœur soit enfin chose dite, et que la tristesse de sa mère soit chose du passé. Pour balayer l’ombre de mai 68, et bâtir des rêves nouveaux.

Manquer la joie, c’est manquer tout, écrit Stevenson. C’est le fond du discours délicatement mené par Irène Cohen-Janca, qui derrière quelques lieux communs parvient à tisser une trame d’une belle finesse. Et de rappeler que si l’on nous parle sans cesse de révolutions technologiques, notre temps connaît aussi des révolutions de sensibilité, plus discrètes mais peut-être plus profondes.

La Meilleure nuit de tous les temps

La Meilleure nuit de tous les temps
Séverine Vidal
Rouergue (dacodac), 2012

Premier amour fantasque

par Sophie Genin

LameilleurenuitdetouslestempsLa meilleure nuit de tous les temps, c’est celle où le narrateur, Raph, se marie avec Colombe, rencontrée un mois auparavant : coup de foudre, amour fou, interdiction de se voir par les parents, chef et employés dans un même magasin de bricolage et, finalement, fugue chez la mamie et dans le cabanon de jardin de l’amoureux !

Ce livre, bref mais riche en rebondissements, adopte le point de vue du héros, garçon de 11 ans, pas dénué d’humour, arrivant en sixième et foudroyé par l’amour d’une jeune fille étonnante, surprenante et douée d’une imagination débordante !

Séverine Vidal a su adopter un ton très juste et son écriture s’adapte parfaitement à la collection « Dacodac », réussite éditoriale, adaptée à tous types de lecteurs et traitant de sujets vrais et profonds.

Comme mise en bouche, un extrait du mariage des amoureux :

« Colombe a crié un énorme oui, qui venait de loin, genre du coeur ou des environs.

 Quand ça a été à moi de dire oui, j’ai eu le hoquet. Le stress sans doute. » (p. 55)

 

Plus tard je serai moi

Plus tard je serai moi
Martin Page
Rouergue,  2013

« Qu’est-ce que tu veux faire plus tard ? »

Par Anne-Marie Mercier

Plus tard je serai moiMartin Page s’est fait une spécialité de situations familiales cauchemardesques ou absurdes. Ici, une jeune fille tout à fait ordinaire, sans problèmes, connaît l’enfer parce que ses parents ont décidé que plus tard elle sera artiste. Cadeaux orientés, emploi du temps contraint, régime alimentaire, tout y passe, jusqu’à la conviction qu’un artiste doit avoir eu une enfance difficile…

On retrouve ici un monde à l’envers, les parents étant ceux qui poussent vers une profession qu’ils déconseillent souvent à leurs enfants. Mais cette histoire plaira aux adolescents indécis sur leur avenir. Elle leur dira qu’il faut « être patient avec les parents » et, en attendant, trouver des alliés : les amis, le principal amateur de rock, la tante de Bretagne…

La Drôle De Vie de Bibow Bradley

La Drôle De Vie de Bibow Bradley
Axl Cendres
Sarbacane (Exprim’), 2012

Chienne de vie

Par Anne-Marie Mercier

ledroledeviedebibowDestiné aux grands adolescents (la collection Exprim’ s’est débarrassée du label de la loi de 1949 sur les productions pour la jeunesse), ce livre raconté à la première personne par le roi des tocards – qui devient à la fin un total clochard – est aussi drôle que tragique. Mal aimé, fils et arrière petit fils de ratés alcooliques, Bibow est engagé dans la guerre du Viet Nam. Par lassitude plus que par conviction, il massacre ses propres camarades, mais échappe au tribunal militaire car il est recruté par la CIA à cause de son talent particulier et exceptionnel, découvert au moment de son interrogatoire : il est incapable de ressentir la peur et est donc capable de tout et de n’importe quoi.

Dans cette histoire d’espion, c’est surtout le n’importe quoi qui domine, des opérations absurdes, en Amérique chez les Hippies ou en URSS, qui laissent toujours le roman en deçà de la réalité: celle-ci est représentée par les personnages de William Colby (directeur de la CIA de 1973 à 1976, il causa la mort de dizaines de milliers de personnes au Viet Nam) et de Richard Helms, son prédécesseur. Bibow les décrit comme « juste deux psychopathes qui avaient le pouvoir de faire tout ce qu’ils voulaient ». Le héros est donc un double burlesque des grands personnages.

Malgré cela, le roman n’est pas totalement nihiliste : peu à peu (et il y met le temps), Bibow découvre l’amour, l’empathie, la compassion et offre un portrait d’homme sans foi ni loi, mais libre et lucide. C’est une belle lecture, souvent drôle, et toujours édifiante par les réalités qu’elle révèle ou rappelle.

Prends garde à toi

Prends garde à toi
Fanny Chiarello
Ecole des Loisirs, 2013

L’inspiration est un oiseau rebelle

Par Christine Moulin

chiarelloVoici le pendant de Holden, mon frère (selon l’auteur elle-même, ce n’est pas une coïncidence). Louise est aussi bourgeoise que … Kevin ne l’est pas. Et c’est là que l’on se rend compte que Fanny Chiarello sait à merveille rendre compte des variations langagières! Toutefois, la truculence du style de Kévin était beaucoup plus séduisante que l’écriture gourmée, très « Auteuil-Neuilly-Passy » de la jeune narratrice. Et puis, il faut le dire, Kévin était tellement émouvant alors que Louise est une pimbêche odieuse à laquelle on a du mal à s’attacher (je sais, c’est voulu, mais quand même).

Même l’intrigue est plus superficielle (en plus, elle comporte, pour les habitués de l’univers scolaire, quelques invraisemblances: a-t-on déjà vu un professeur demander, dès les premiers jours de l’année, à des parents de participer à un atelier d’écriture pour aider leurs enfants à monter une comédie musicale, adaptée de Carmen ?): Louise aime la lecture, elle! (« […] j’ai toujours rêvé de faire partie des rares initiés. C’est pourquoi je suis tant attirée par les livres dont maman, papa ou les documentalistes me disent qu’ils sont trop compliqués pour mon âge. », dit-elle dès la page 11). Mais c’est à l’amitié, à l’humilité et… à l’opéra qu’elle doit s’initier (grâce à son professeur de musique, l’équivalent de la vieille dame de Kévin dans Holden), après toute une série d’épisodes « bac à sable » qui la confrontent à sa grande rivale, Manon, qui, elle, est délicieuse. Tout cela est un peu convenu et bien-pensant.

Une analyse plus indulgente sur le blog « Les riches heures de Fantasia » . Une autre analyse qui va plutôt dans notre sens: celle de Ricochet.

Mon père est une saucisse

 Mon père est une saucisse
Agnès de Lestrade
Rouergue, Dacodac, 2013

 

Deviens ce que tu es…

 Par Caroline Scandale

 

Le père de Séraphine s’ennuie profondément dans sa vie d’expert comptable. Décidé à changer de voie professionnelle, il annonce à sa famille interloquée qu’il veut devenir comédien. S’en suivent de vives réactions et de l’incompréhension mais au final tout le monde soutient ce papa et mari hors norme et fantasque… Il débute tout de même sa carrière d’acteur en incarnant une saucisse Knacki!

Ce petit roman sur l’accomplissement de soi délivre une belle image de la famille et de la relation père-fille. De surcroît, Il montre en filigrane la difficulté à sortir du système surtout par temps de crise… L’antithèse du titre reflète parfaitement l’image que la société ou la famille se fait d’un homme non carriériste qui préfère s’accoutrer en chipolata pour une publicité plutôt que de brasser les chiffres dans son cabinet de comptable.

 Un roman nietzschéen dès 7 ans!

 

 

 

Norlande

Norlande
Jérôme Leroy
Syros, 2013, collection Rat noir

 Accepter de regarder la vérité  en  face !

Par Maryse Vuillermet

 

 

 

norlande image Un sujet horrible traité  avec délicatesse et de l’intérieur.

Clara, la narratrice, blessée, terrifiée, vit  dans une clinique depuis des mois, n’arrive plus à parler aux médecins, ni à sa mère, elle a perdu le goût de vivre.  Elle essaye  alors de s’exprimer en écrivant à sa meilleure amie, Emilie, une française. La culpabilité l’étouffe, l’écrase, mais on ne sait pas de quelle horreur elle  revient, de quoi elle est  victime ou coupable. Peu à peu, son récit nous éclaire et libère sa parole et ses souvenirs.

 Avant, elle était une jeune fille insouciante et heureuse, fille d’une mère formidable,  ancienne sportive et ministre des affaires étrangères de Norlande, un pays imaginaire mais qui ressemble beaucoup à la Norvège, En effet, c’est un  pays  prospère grâce aux revenus du  pétrole, calme, où les ministres se déplacent sans gardes du corps et très accueillant avec les étrangers qui y viennent très nombreux.

 Clara,  en   découvrant  qui est son père,   un homme  politique assassiné pour ses idées,  et en prenant conscience  de l’existence du racisme dans son pays, commence à militer dans un groupe pacifiste. Elle est alors contactée sur facebook par un garçon plus âgé qu’elle, un peu bizarre mais très séduisant et  dont elle tombe amoureuse, impatiente qu’elle est de vivre une vraie aventure. Elle ne voit rien quand il lui demande les codes secrets du parking du ministère.  Elle ne comprendra qu’après qu’il  y a fait sauter une voiture piégée qui tuera huit personnes et blessera sa mère. Mais,  lors du carnage de l’ile  de Clamarnic, où sont rassemblés tous les  jeunes militants de son groupe, elle voit son visage de fou et elle assiste à la mort de beaucoup de ses amis.

Etant enfin parvenu à dire son secret, elle ira mieux mais son innocence et sa jeunesse ont pris fin. De même que la croyance en la beauté et l’harmonie paisibles de Norlande.

Brunehilde d’en face

Brunehilde d’en face
Ingrid Thobois
Thierry Magnier (Petite Poche Premières lectures), 2012

Ce que m’apprend mon double

Par Claudy De Melo, MESFC Saint-Etienne

BrunehildedenfaceCe court roman pour enfants à partir de 7ans, dont la lecture est facilitée par les gros caractères, le format ainsi que le découpage en petits chapitres a un côté pratique et maniable. Petite fille surdouée de 6 ans, Brunhilde ne s’intéresse pas aux autres enfants de son âge. Elle préfère rester chez elle avec ses sœurs et ses parents.  Mais voici qu’un jour, une famille emménage à côté de chez elle, et cette famille ressemble beaucoup à la sienne : des parents de même profession, quatre filles dont la dernière de six ans se prénomme Brunhilde elle aussi. Il s’avère que rien ne différencie Brunhilde de Brunhilde d’en face, à part leur façon de voir le monde. Brunhilde qui n’aime pas la présence d’autres enfants de son âge trouve alors en Brunhilde d’en face quelque chose de passionnant : elle ne voit pas les choses de la même manière qu’elle, et rêve souvent les yeux dans le vague. Bien sûr, les autres élèves se moquent d’elle, mais Brunhilde la défend car elle est son amie.

Suite à une longue absence à l’école de Brunhilde d’en face, Brunhilde se rend compte que la cause de cette absence est la différence de son amie. Brunhilde d’en face est atteinte d’une maladie (comme le dit son père), mais pour elle, c’est simplement qu’elle n’est pas pareille.

C’est une histoire racontée avec beaucoup de simplicité, dans une écriture adaptée aux enfants de l’école élémentaire. Le début du roman s’articule autour de Brunhilde et de son quotidien, raconté avec quelques touches d’humour. La suite de l’histoire est consacrée à l’amitié et à la différence ; ainsi prennent place les sentiments et émotions qui touchent le lecteur. L’humour apparait avec parcimonie au début du roman, à travers un langage  parsemé d’expressions «de jeunes» : « Qu’est-ce que j’en ai à faire », « la honte » … et la façon dont la petite fille s’exprime, entre naïveté et profondeur : « je frôle la perfection », « bientôt je ferai le trajet toute seule à pied, dès qu’elle aura cessé de voir des pédophiles partout »… Cela rend l’histoire d’autant plus plaisante pour les enfants qui peuvent facilement  s’’identifier à Brunhilde.