L’honneur du centurion (Les trois légions, t. 2, « The Silver Branch, 1957)

L’honneur du centurion (Les trois légions, t. 2, « The Silver Branch, 1957)
Rosemary Sutcliff
Gallimard jeunesse (hors série), 2011

Quand la série rejoint le cycle

Par Anne-Marie Mercier

rosemary sutcliff,gallimard jeunesse (hors série),romain,angleterre,roman historique,antiquité,armée,résistanceCe n’est pas tout à fait la « suite » de l’Aigle de la neuvième légion, mais ce l’est tout de même : on se trouve toujours dans la Bretagne antique occupée par les Romains, mais plus tard. Il y pleut autant. L’un des héros, le centurion Marcellus Flavius Aquila, est un descendant du héros du roman précédent et l’autre, le médecin militaire Tiberius Justus Justinianus, est un petit neveu.

Les deux jeunes gens font connaissance au moment où Justin débarque pour prendre son premier poste. Ils sympathisent immédiatement, deviennent inséparables et découvrent ensemble un complot qui se trame contre l’empereur Carausius. Celui-ci feint de ne pas les croire et les envoie pour cela aux frontières du nord. Le complot finit par réussir, et les soldats sont sommés d’obéir au nouveau maître, le traître que les deux jeunes gens avaient dénoncé. Obligés de fuir pour échapper à sa vengeance, ils désertent. L’obéissance militaire cède au devoir de résistance face à la trahison, face à l’injustice et à l’oppression.

Les deux héros « prennent le maquis », puis intègrent un mouvement de « résistance ». On l’aura deviné, tout le récit est marqué par le souvenir de la deuxième guerre mondiale, encore proche au moment de l’écriture du récit. Les militaires se traitent de « Monsieur » (« sir »), on est davantage dans l’Angleterre des années 40 que dans l’an 100 avant notre ère…

Mais c’est un beau récit héroïque, qui tranche avec la plupart des romans de ce genre par l’originalité des personnages rencontrés. Si le centurion est assez classique, son cousin bégaie, la grand-tante est pittoresque, la servante aussi ; on croise des bretons rebelles, des romains renégats, un passeur… Des vieux, des jeunes, des éclopés, des gros des maigres, des pas beaux, des maladroits… mais tous capables de  beaucoup d’héroïsme et de générosité.

Odile n’existe plus

Odile n’existe plus
Frédéric Chevaux

Ecole des Loisirs (Neuf), 2011

Quand faire face à la mort est possible

par Sophie Genin

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Odile n’existe plus n’est pas un texte thérapeutique pour faire face à la mort quand on a dix ans, c’est un roman sur les histoires qui ne sont pas toujours fausses. Odile n’existe plus n’est pas un roman de plus sur la fin de l’enfance, c’est un livre qui donne la parole à une petite fille, Emilie, en créant une voix originale, comme une mise en abîme de l’acte d’écriture. C’est un texte touchant, émouvant, dans lequel vous croiserez la Belle au Bois dormant, le Petit Poucet, Hansel et Gretel, le Petit Chaperon Rouge et son loup et, surtout, le Prince Charmant d’Emilie : Rémi. Vous comprendrez pourquoi il n’y a que lui qui peut lui convenir à elle, courageuse, mais pas tout le temps, et qui aimerait que les contes de fées ne soient que des débuts et, surtout, vrais, même si elle sait bien, au fond, que c’est impossible !

Toute seule loin de Samarcande

Toute seule loin de Samarcande
Béa Deru-Renard
L’école des loisirs (medium poche), 2011

Résiste…Prouve que tu existes…

Par Chantal Magne-Ville

 Ce roman retrace l’arrivée, dans une ville d’Europe non précisée, d’une fillette qui a dû fuir l’Ouzbékistan, où sa famille originaire d’Arménie avait trouvé refuge, après l’assassinat de son père et la séparation inexpliquée d’avec sa mère. Lorsque l’Ouzbékistan a repris son autonomie après la disparition de l’URSS, le peuple ouzbek a chassé ou exterminé ceux qui venaient d’un autre pays et parlaient russe.
Prostrée après avoir été expulsée d’une voiture par une passeuse sans scrupules, la fillette revient peu à peu à la conscience à travers de nombreux flash-backs dominés par la figure tutélaire de son grand-père, qui réunissait la famille autour des histoires du passé pour conserver leur culture arménienne. Régina, qui parle russe comme son père, a intégré une bande d’adolescents car elle aime le frère de sa meilleure amie, même si cela la conduit à commettre des vols et à un enchaînement de circonstances dramatiques.
Si l’un des intérêts de l’histoire tient à la situation historique et à la peinture des tensions entre communautés, elle vaut surtout par sa vérité psychologique, entre les non-dits avec la mère, et le sentiment de culpabilité lors de la perte du père, les renoncements et l’espoir.
Inspiré par de véritables récits d’enfants recueillis par la Croix-Rouge, comme en témoignent les remerciements, le livre illustre le pouvoir des mots qui aident ceux qui ont tout perdu à reprendre pied dans l’existence et à retrouver leur humanité. Un livre fort, qui ne peut laisser indifférent, réservé à des lecteurs de 9 à 10 ans, déjà avertis.

Il va venir

Il va venir
Marcus Malte

Syros (souris noire) (2005), 2011

Attendre le pire

Par Anne-Marie Mercier

 Sous ce titre énigmatique qui évoque une rédemption ou une attente heureuse, se cache un roman d’angoisse. C’est aussi un roman de neige et de solitude. Celle du jeune narrateur est profonde mais l’expérience qu’il vit lui montre qu’on peut toujours tomber plus bas encore. L’adolescent vit avec une vieille femme qui attend désespèremment le retour d’un fils, ce n’est pas le fils qui vient, mais un inconnu… L’écriture de Marcus Malte est belle et efficace.

 La collection souris noire qui avait publié ce roman en 2005 le republie sous sa nouvelle maquette. Ce changement d’apparence fait que la collection n’évoque plus dorénavant la collection « noire » adulte. C’est un peu dommage, même si l’image de couverture est belle (signée J. Meyer Bisch)… au fait, on a l’impression de l’avoir vue quelque part…

 

 

 

 

Les Zinzins de l’assiette

Les Zinzins de l’assiette
Audren

Ecole des Loisirs (Neuf), 2011

Mère à la dérive, enfants aux fourneaux

par Sophie Genin

9782211205092.gif« Chapitre 1 : Le Blues du supermarché, chapitre 6 : Les raviolis et les Ricains, chapitre 8 : changer les habitudes et savourer, chapitre 9 : avec 10 euros et de l’amour, chapitre 10 : les ingrédients magiques, chapitre 13 : ma mère mijote ».

Envie de découvrir ce que cachent ces titres ? Ouvrez ce drôle de petit roman et suivez les tribulations du narrateur, Milos, et de ses deux frères, Virgile, l’aîné, et Desmond, le petit qui pleure tout le temps, tous de pères différents, et de leur maman, franchement pas douée ni en cuisine ni en couple.

Ses garçons lui offrent un livre de cuisine pour son anniversaire et veulent qu’elle s’y mette mais peine perdue : ils devront le faire eux-mêmes ! Après de lourds échecs et des aventures culinaires peu ragoûtantes mais hilarantes, les garçons réussiront à faire évoluer leurs repas mais apprécieront aussi les changements familiaux et amoureux de leur mère !

Ilse est partie

Ilse est partie
Christine Nöstlinger
Traduit de l’allemand (Autriche) par
Bernard Friot
Mijade (zone J), 2010

Fugue de mineure, œuvre majeure

par Anne-Marie Mercier

Ilse est partie.jpgLes éditions Mijade ont fait un très beau choix en publiant une version française du célèbre roman de l’auteur autrichienne Christine Nöstlinger, prix Andersen (1984) et première lauréate du prix Astrid Lindgren (2003, avec Maurice Sendak). Jusqu’ici, de nombreux autres titres avaient été traduits, mais pas Die Ilse Ist Weg (1991), nouvelle édition sous le titre du film (1976) qui a été tiré de Ilse Janda,14(1974). C’est un classique de la littérature internationale souvent cité dans les ouvrages sur la littérature pour adolescents.

die Ilse.jpgC’est un très beau livre, très pudique, sur un sujet difficile. Ilse, 14 ans, est partie, c’est sa jeune sœur Erika qui raconte.  Complice, elle donne le contexte de la fugue, avec ce qu’elle croit savoir, ses raisons apparentes, comme le divorce des parents, l’éducation trop sévère et trop distante donnée par la mère, les préjugés sociaux… Mais le lecteur comprend progressivement, et un peu plus vite que la narratrice, qu’Ilse a menti à sa sœur et qu’il y a d’autres causes plus profondes, liées à sa personnalité. Il devine aussi rapidement où Ilse s’en est allée, avec qui, et le danger qu’elle court. Au contraire, Erika devra faire toute une enquête, lentement, d’indice en interrogatoire, de preuve en hypothèses, à la façon d’un détective, avant de trouver des réponses à ses questions. Chacune des sœurs fait du chemin, et celui d’Erika la mène vers une maturité qui semble inaccessible à l’aînée.

Ilsejanda.jpgLa description de la famille et de ses habitudes, les certitudes de la mère en matière d’éducation, le regard plus lucide et aimant du beau-père et surtout de la grand-mère paternelle, le portrait de l’autre grand-mère, tout cela fait une série de personnages qui sonnent vrai. Les rencontres d’Erika qui parcourt la ville à la recherche de sa soeur sont variées et ses nouveaux amis attachants.

La fin est ouverte et loin d’être heureuse : Ilse est rentrée, mais le problème demeure ; le texte s’achève sur ces mots :

« J ‘ai peur, pas seulement pour Ilse. J’ai peur pour nous tous. Pour nous tous. »

Tout en étant d’une écriture simple et d’une lecture facile, ce roman explore la complexité, l’éclaire sans la résoudre.

Un jour je suis mort

Un jour je suis mort
Kyunghye Lee
Traduit du coréen par Catherine Baudry et Sohee Kim
L’école des loisirs (Médium), 2011

L’amour, est-ce que ça se mérite?….

Par Chantal Magne-Ville

un jour je suis mort.gif« Un jour je suis mort » : un titre accrocheur que cette phrase découverte par Youmi sur la page de garde du journal intime de son copain Jaijoun, mort deux mois auparavant dans un accident de moto. La maman de ce dernier n’a pas eu la force de lire le cahier bleu et le lui a confié. L’intérêt du roman tient surtout dans la découverte, au fil des semaines, des réactions de Youmi, une adolescente écorchée vive, pétrie de culture coréenne mais aux préoccupations finalement très semblables à celles des adolescentes européennes.

La lecture fragmentée du journal intime de Jaijoun fait naître de nombreuses réflexions sur le sens de la vie et des amours rêvées ou inatteignables. Le point de vue interne rend l’émotion poignante, tout en laissant transparaître la complexité d’une amitié amoureuse qui ne dit jamais son nom. A part quelques longueurs, la tension psychologique ne retombe jamais car Youmi découvre peu à peu qui était véritablement son ami et pourquoi il est mort. Le ton n’est cependant pas pathétique malgré la gravité du sujet qui évite toujours le larmoiement et sait toucher son public.

Qui es-tu Alaska?

Qui es-tu Alaska?
John Green
traduit de l’anglais (américain) par Catherine Gibert
Gallimard (pôle fiction/filles), 2011

Vie et mort en pension

par Anne-Marie Mercier

John Green,Gallimard (pôle fiction),pension, suicide, adolescent,amitiéAvec ce roman déjà paru en collection scripto en 2005, on entre dans un univers de « collège » américain, et plus précisément de pensionnat. Bien loin de Harry Potter ou de Twilight, on est dans la réalité la plus crue, sexe quasi excepté, même si le désir du héros adolescent pour sa camarade Alaska est très présent et analysé avec précision ; le roman hésite entre crudité et pudibonderie. L’auteur a été aumônier étudiant auprès d’enfants, et on sent tout au long du livre une grande proximité avec ses personnages et beaucoup d’empathie, mais une volonté de ne pas trop choquer et sans doute d’édifier.

Le narrateur, Miles, qui sera vite surnommé « le gros » pour sa maigreur, est un garçon normal quoique un peu solitaire et habité par une passion curieuse, celle des derniers mots proférés par les hommes célèbres au moment de leur mort. Il devient l’ami de garçons et de filles un peu déjantés, très portés sur l’alcool et les cigarettes (mais pas de drogue) et les conduites à risque.

Le quotidien du pensionnat est très bien rendu : cantine, cours, angoisses des examens (les élèves se préparent à l’examen de fin d’études secondaires et misent beaucoup sur celui-ci qui doit leur permettre d’entrer ou non dans l’université de leur choix). Les clans s’affrontent parfois à travers des farces brutales, séparés souvent par des considérations de classe sociale.

Les personnages sont très attachants, chacun dans son genre et l’histoire, comique et cruelle dans ses débuts, devient vite bouleversante, à mesure que le mystère du caractère suicidaire d’Alaska s’épaissit et que le personnage du « Colonel », le camarade de chambre de Miles se complexifie.

En résumé, c’est un beau livre, touchant et intéressant, où les questions existentielles (à travers le cours de « religion ») ne sont pas absentes : à conseiller, à moins qu’on ne suive un avis plus réservé dans un bon article du site altersexualité. De nombreux blogs ados le classent comme un coup de coeur… mais il est vrai que ce sont des blogs de filles et que Gallimard l’a classé dans la série « filles », alors que le narrateur est un garçon.

Entre deux rafales: Entre deux monologues

Entre deux rafales
Arnaud Tiercelin

Rouergue (DoAdo),  2010

Entre deux monologues 

                                                                                                         par Maryse Vuillermet

 Deux monologues alternent, celui d’Emma sur son lit d’hôpital qui a perdu la mémoire et celui d’Arthur qui erre aux alentours, parce qu’il est responsable de l’accident de scooter qui a blessé Emma.Les deux voix sont celles d’adolescents déchirés, l’une dans sa chair et sa mémoire, l’autre,  depuis toujours, par la maltraitance, l’abandon de ses parents, de ses familles d’accueil, la violence des foyers, et du regard des autres.

Emma, ayant tout oublié,  sent pourtant que quelqu’un l’aime, lui,  croit qu’elle va le rejeter, le haïr mais il ne cesse d’espérer pare qu’il n’a plus que ça, il est seul,recherché par la police et le foyer.Ce roman d’Arnaud Tiercelin, parle d’adolescents blessés, de parents muets, de mère alcoolique, de préjugés de classe, de colère autodestructrice, mails il parle aussi d’espoir, d’entraide entre jeunes, et d’humanité.

Le style et le dispositif d’écriture permettent bien des surprises, des rencontres et des rebondissements.  C’est un roman touchant qu’on n’oublie pas.

Entre mes nunga-nungas mon coeur balance

Entre mes nunga-nungas mon coeur balance, le journal de Georgia Nicolson (T3)
Louise Rennison
Gallimard (Pôle Fiction Filles), 2011

Georgia Nicolson : une Bidget Jones ado   

par Sophie Genin

 

9782070635399.gifEn 2002 sortait ce nouvel opus au titre improbable du « Journal de Georgia Nicolson » dont je suivais les aventures depuis un moment (le premier était sorti en 2000). Le voilà en poche !

 Nul doute que si Bridget Jones avait tenu son journal intime quand elle était adolescente, cela aurait donné les romans à succès de l’anglaise Louise Rennison ! Les anciennes lectrices ferventes de Georgia vont pouvoir la retrouver dans une aventure au titre évocateur, les « nunga-nungas » étant ses seins ! Tout comme sa grande soeur de papier, l’adolescente nous livre ses déboires multiples. Dans cet épisode, elle nous apprend qu’elle a été exclue du « Stalag 14 » (elle nomme ainsi son collège) et que, pour éviter la colère de « Vati », son père, elle est condamnée à rester dans sa chambre, « à faire la fille qui a super mal au bide ».

 Par la suite, dans un style mordant, à la fois blasé et décalé (les originaux avaient une couverture illustrée par Claire Brétécher qui convenait parfaitement au ton de l’auteur), la jeune fille ne cessera de se plaindre de sa condition, pour le plus grand bonheur des lecteurs (plutôt lectrices ?) qui la suivront avec jouissance. En effet, le texte, bien traduit, n’est pas exagérément outrancier mais juste et drôle, sans tomber dans la caricature. L’humour anglais sauve cette peste qui n’est jamais insupportable car, malgré de nombreux traits de caractère exaspérants, cette dernière est attachante. Pouvoir l’emporter partout dans la poche va permettre de sourire un peu face aux souvenirs adolescents. L’auto-dérision sans prise de tête est essentielle pour vivre ou revivre cette délicate période de transformation !