Princesse Pimprenelle se marie

Princesse Pimprenelle se marie
Brigitte Minne – Trui Chielens
Cotcotcot éditions 2020

Elles se marièrent et eurent beaucoup d’enfants…

Par Michel Driol

Toutes les servantes préparent Princesse Primprenelle qui doit choisir un prince sur son cheval blanc. Mais aucun ne fait battre son cœur jusqu’à ce qu’arrive Princesse Aliénor sur son cheval noir. C’est le coup de foudre. Mais quand Aliénor demande à Pimprenelle de l’épouser, c’est un scandale au palais. Heureusement, la sage Sophie assure au roi et à la reine que l’important, c’est qu’elles s’aiment. Convaincus, les parents autorisent le mariage. Quant à avoir des enfants, Sophie explique qu’il y a deux façons, l’adoption, ou la PMA… dans des termes compréhensibles pour les enfants !

L’album utilise les ressources et les stéréotypes du conte – la princesse, les rituels de recherche du Prince parfait, la cour – pour lutter contre les préjugés. Il oppose la foule des courtisans, serviteurs, prompts à se rallier à l’opinion royale et la sagesse, incarnée par Sophie, qui éclaire le pouvoir, et légitime le mariage. Le dispositif permet ainsi de mettre en abyme les lecteurs et leur opinion, qui pourront se reconnaitre dans l’un ou l’autre des personnages, et, s’ils se reconnaissent dans la foule des courtisans, de comprendre leurs propres préjugés. Ce sujet sérieux est traité avec fantaisie et une légèreté de ton qui vise à le dédramatiser : on rate des plats en cuisine, on bredouille, on joue sur les clichés de la passion et de l’amour (dans l’expression du coup de foudre ou l’amour entre le roi et la reine), sur les stéréotypes du mariage et de la préparation de la femme (dans les premières pages où l’on fait belle la Princesse pour le grand jour). On le voit, l’album ne manque pas d’humour ! Les illustrations, sur papier volontairement vieilli, allient un côté très traditionnel et très contemporain où l’on semble croiser Chagall ou Picasso dans des décors de château fort ou d’oasis – façon de jouer avec l’intemporel.

Un texte pour toutes les princesses qui veulent sortir les sentiers battus, et pour toutes celles et ceux qui souhaitent aborder avec les enfants la question des personnes LGBT en faisant un pas de côté plein d’humour et de tendresse.

Parapluie d’Automne et Souffle d’hiver

Parapluie d’Automne
Souffle d’hiver

Jo Witek, Emmanuelle Halgand, Flavia Perez (musique)
Flammarion (Père Castor, « areuh, l’éveil en mots et en musique »), 2020

Musiques pour les quatre saisons

Par Anne-Marie Mercier

Comme les précédents volumes (Chapeau d’été et L’Air du Printemps), ces deux petits albums cartonnés proposent des images et de la musique (en CD ou via un lien internet) pour accompagner une saison. Bruitages, chants et onomatopées accompagnent le rappel de sensations : la pluie pour l’automne, la neige et le froid pour l’hiver.
Les images sont belles, colorées, sobres et élégantes et chaque livre décline une gamme de couleurs qui lui sont propres (les tons rouge, ocre, jaune pour l’automne, blanc et bleu pour l’hiver).
Par ailleurs, un point est à remarquer: les auteurs ont eu la belle idée, trop rare, de montrer une mère et son enfant qui n’ont pas la même couleur de peau.

Une belle collection pour voir passer le temps, le lire, le chanter et le danser peut-être.

 

Chapeau d’été et L’Air du Printemps

 

 

 

 

L’Ickabog

L’Ickabog
J.K. Rowling
Gallimard Jeunesse 2020

La petite fille dans les eaux boueuses du marécage…

Par Michel Driol

Cornucopia est un véritable royaume de Cocagne, dirigé par son roi Fred sans Effroi, si l’on omet les marécages du Nord où sévit l’Ickabog, un monstre légendaire auquel personne ne croit. Jusqu’au jour où un berger annonce au roi qu’il l’a vu. Afin d’accroitre sa popularité, le roi lance une désastreuse campagne militaire contre le monstre : désastreuse car elle révèle la lâcheté du roi et de ses deux amis, dont l’un tue, par manque de sang-froid, le chef de la garde. Comment cacher au roi et à la population cet épisode peu glorieux ?

Ecrit en parallèle de la saga Harry Potter, repris à l’occasion du confinement, L’Ickabog laissera peut-être un peu sur leur faim ceux dont l’horizon d’attente a été façonné par Harry Potter, sa complexité narrative, ses différents niveaux de lecture. On a affaire ici à un conte, assumé comme tel dans son énonciation : une conteuse s’adressant de façon directe à son public, dans une langue particulièrement simple. Comme toujours avec l’autrice qui maitrise le rythme, l’imaginaire, la progression narrative, les rebondissements,  le livre est un véritable page-turner que l’on lit d’une traite. Mais qu’on ne s’y trompe pas : ce conte parle de notre époque, des mensonges d’état, des fake-news, de la façon de tromper le peuple par la peur afin d’instaurer un pouvoir autoritaire et personnel. C’est bien de la naissance du fascisme qu’il est question ici, de la façon d’instaurer une dictature, du rôle de l’information et de son contrôle dans ces phénomènes. Comme tout conte, il a sa part de manichéisme : un roi sans envergure, préoccupé plus par son apparence que par le réel souci de l’Etat, deux amis caricaturaux, l’un par sa maigreur, l’autre par sa grosseur, qui vont prendre le pouvoir afin de s’enrichir, véritables esprit du mal, et les gens du peuple, plutôt caractérisés par la bonté, en particulier une fillette, Daisy, qui sera celle qui sauve le pays. Plus finement, cette « fracture » entre le bien et le mal n’est pas sociale : tous les nobles présents ne sont pas mauvais, et dans les gens du peuple, il y a aussi des arrivistes, des mouchards…

Autant que politique, la portée du récit est humaniste : il s’agit de mieux connaitre ceux que l’on prend pour des adversaires, de trouver le moyen de s’allier avec eux pour être plus fort dans un monde plus juste. Il y a là à la fois affaire de sensibilité et de lucidité, en particulier portée par Daisy, véritable héroïne du récit. Il y a là aussi toute une réflexion quasi métaphysique sur ce qu’est donner la vie, sur la façon dont une génération doit mourir pour que l’autre vive, sur les conditions dans lesquelles les premiers instants de la vie sont décisifs sur la façon de se comporter et de voir le monde.

Un récit dans lequel on trouvera l’univers parallèle et de l’autrice dans les noms des villes, des pâtisseries, afin de mieux faire réfléchir le lecteur, même jeune, sur  le monde dans lequel nous vivons.

les derniers des branleurs, Vincent Mondiot

 Les derniers des branleurs
Vincent Mondiot,
Actes-Sud Junior, 2020

On se souvient tous des derniers mois du lycée

 Maryse Vuillermet 

Minh Tuan, Chloé et Gaspard trainent leur spleen au lycée, ils sèchent les cours, fument des joints, avalent toutes sortes de substances planantes, et aiment se faire détester par tous, élèves, profs et parents. Ils sont amis inséparables et d’accord pour penser qu’ils n’ont pas d’avenir, donc qu’il est inutile de travailler et de faire des efforts.
Mais dans leur classe, il y a Tina, une jeune Congolaise migrante, qui, elle, est sérieuse et douée, elle est seule comme eux, et cette solitude et leur différence vont les rapprocher. Avec elle, ils s’ouvrent à d’autres réalités que leur petit monde confortable.
Le titre n’est pas engageant mais on est vite happé par ce roman. On ne peut que s’identifier à ces adolescents loosers, bavards, capables de palabrer à l’infini sur rien, (tellement qu’ils rappellent à Mina les palabres africaines), et en révolte continue mais aussi en recherche, d’absolu, de sens à la vie et tellement tristes de quitter leur adolescence pour entrer dans un monde adulte qui les dégoute et leur fait peur.
Et puis c’est très, très drôle, les notes en marge, très nombreuses expliquent de façon docte, leur monde, leur culture, leurs manies, comme si c’était une peuplade étrange à faire découvrir au lecteur. Eux-mêmes manient un humour féroce dans un langage « djeun », dialogues sans fin ponctués de « genre, » « grave », « connard » et autres insultes, le tout à prendre au second degré bien souvent. Cette rudesse de langage, cette paresse incommensurable cachent une sensibilité à fleur de peau et un désespoir sincère, on le sait bien, quand on a été adolescent.
Un beau personnage de professeur, une amie plus âgée de Mina rachètent un peu le monde adulte.

J’ai beaucoup aimé l’atmosphère, la peinture sociale et générationnelle, un peu moins l’intrigue autour du bac, qui a du mal à trouver sa fin, mais ce roman reste une belle découverte pour moi qui ne connaissais pas cet auteur.

Ce roman a obtenu le prix Vendredi, et c’est bien mérité !

 

 

Un nom de bête féroce

Un nom de bête féroce
Jean-Baptiste Labrune, Marine Rivoal
Rouergue, 2020

Liberté animale

Par Anne-Marie Mercier

Le chat de l’enfant qui narre l’histoire s’appelle Belzébuth, «un nom de bête féroce », mais l’enfant l’appelle Minou et le voit comme une gentille peluche protectrice. Il grandit avec lui. Puis, arrivé à l’âge de sept ans, l’enfant s‘en désintéresse un peu : il est pris par ses livres, et le chat se met à regarder par la fenêtre. Un jour, le chat disparait. Quand il réapparait, bien plus tard, il refuse de se laisser domestiquer à nouveau. Mais il est là, pas très loin.
Les images de Marine Rivoal sont remarquables dans leur traitement de l’histoire : le chat est posé avec une très belle encre de Chine dans les premières étapes, ce qui lui donne douceur et chaleur. Dans les pages suivantes, il disparait, se fond dans le paysage. La technique du pochoir et les tons de gris rehaussés d’orange créent une atmosphère obscure où le regard cherche, comme l’enfant, à discerner une ombre parmi les herbes ou les branches. La fin évoque un pacte d’amitié lointaine et respectueuse de la nature de chacun (chacun offrant à l’autre ce qu’il pense devoir lui être agréable).
Récit d’amour puis de deuil, et enfin d’acceptation de la liberté reprise, cet album est étonnant tant il sonne juste là où beaucoup d’autres sont faux : même si l’animal ne correspond pas toujours à ce que l’on attend de lui, sa proximité apporte beauté, tendresse, mystère, ce qui vaut bien quelques coups de griffe.
Feuilleter sur le site de l’éditeur

 

Mona aux doigts de miel

Mona aux doigts de miel
Marie Zimmer illustrations de Madeleine Pereira
Editions du Pourquoi pas ? 2020

Le merveilleux voyage de Mona au sein de la ruche

Par Michel Driol

En visite avec sa classe chez un apiculteur, Mona se retrouve sur le dos de Meline, qui la conduit au sein de la ruche dont elle est reine et où on a besoin d’elle pour un travail bien spécifique : écrire des slogans sur les banderoles que les abeilles utiliseront pour manifester et dire qu’elles sont en danger.

A travers ce récit merveilleux se pose la question de l’urgence de la sauvegarde des insectes, des abeilles en particulier, menacées par les insecticides. Pourtant, le texte est plein de légèreté. Mona, la narratrice, est une enfant ordinaire que rien ne prédisposait à vivre cette aventure. Chacun pourra donc s’identifier à elle. Avec une certaine naïveté, elle subit sa miniaturisation, et découvre dans la ruche un univers organisé, où chacun a un travail à accomplir. Il y a là comme un clin d’œil à tout un pan de la littérature de jeunesse qui vise d’abord à instruire en faisant découvrir un univers étranger, et on retrouve là les techniques et les codes de nombreux récits. Mais, tout en respectant l’univers des insectes, il y a aussi comme une façon de les anthropomorphiser et de rapprocher leur univers de celui des hommes, mieux connu par l’enfant lecteur : si la ruche est une usine, pour la sauvegarder, il convient de manifester, de se chercher des alliés (Mona, choisie pour ses qualités d’écriture). Enfin, la conclusion, explicite, incite à faire un pas vers l’autre pour dominer ses peurs en le connaissant mieux. Les illustrations mettent l’accent sur le côté enfantin de l’univers représenté (abeilles qui sourient…), mais aident aussi à prendre conscience de la transformation des campagnes par une agriculture chimique mécanisée.

Un récit fantastique destiné aux jeunes enfants, au service de la défense de la cause des abeilles.

 

Rosie

Rosie
Gaëtan Dorémus
Rouergue, 2020

Où est ma maman ?

Par Anne-Marie Mercier

L’argument de ce très bel album pourrait sembler mince, puisqu’il tient à un fil : celui qu’une petite araignée cherche désespérément.
En fait il est lourd de sens, puisqu’au bout de ce fil, à la fin de l’album, on découvre la mère de Rosie qui s’exclame à l’avant dernière double page « Ma fille ! », en écho aux « où est mon fil ? » répétés de page en page par Rosie.  Ce jeu sur les mots rend la métaphore de la fil-iation bien claire pour tous et rattache cet album à tous ceux, bien connus, où l’on voit un petit chercher sa maman (et parfois son père), avec de l’originalité en plus : un insecte, et encore plus une araignée comme héroïne, ce n’est pas courant. Les arachnophobes n’ont rien à craindre d’ailleurs : Rosie est très mignonne ; c’est une petite boule rose aux grands yeux étonnés (où perle, à la fin, une larme) et aux pattes en bâtonnets qui la font ressembler à une boule hérissée d’épingles.
L’autre mérite de cet album tient à la dynamique des pages qui font rebondir la lecture de l’une à l’autre : en suivant un fil, un geste (l’épisode avec les moustaches du chat est superbe), une plante, on suit les aventures de Rosie, tantôt jubilatoires, tantôt effrayantes. Pour ajouter à ce continuum, chaque décor placé à droite des doubles pages pourrait se coller à celui qui s’inscrit à gauche dans la page suivante pour former un leporello continu. Les paysages étranges, tantôt tracés délicatement sur fond blanc, tantôt envahissant tout l’espace comme la forêt de champignons, les créatures géantes rencontrées (à l’échelle d’une toute petite araignée), tout cela propose un beau voyage en images et une histoire captivante et… attachante.

C’est le troisième album de G. Dorémus proposé aux tout-petits, après les jolis Quatre pattes et Tout doux, tous aux éditions du Rouergue.

 

Mon petit carré de terre

Mon petit carré de terre
Cathy Ytak Illustrations de Christelle Diale
Editions du Pourquoi pas ? 2020

Il faut cultiver notre jardin

Par Michel Driol

Pour son anniversaire, Tilo fait construire, par sa mère, un petit jardin dans une caisse en bois sur le balcon de l’appartement qu’ils occupent, avec sa sœur, au 9ème étage d’une cité de béton. Malgré les sarcasmes de sa sœur, qui souhaiterait un jardin potager, il plante quatre bégonias, et voit, avec surprise une cinquième fleur pousser… qui s’avère être une carotte que l’on mange en famille.

Publié dans la collection [Pourquoi pas la terre ?], ce récit familial à la première personne – le narrateur est Tilo – repose sur une intrigue minimaliste pour aborder les problématiques liées à notre rapport avec la nature. Devant la plante inconnue qui apparait sans son jardin, Tilo est condamné à choisir entre la laisser pousser et la traiter comme une mauvaise herbe. D’un côté, il y a la grande sœur, dont toutes les paroles semblent motivées par l’envie de s’opposer à son frère, qui propose de l’arracher. De l’autre, il y a Tilo, qui cherche quelle peut être cette plante sans grâce, et qui lui laisse une chance. De façon simple, c’est le thème d’une certaine  biodiversité qui est ici abordé, en incitant à laisser la nature libre de se développer, pour, finalement, apporter aux hommes plus que ce qu’ils en ont souhaité. Cette parabole vaut aussi par l’arrière-plan parfaitement évoqué par Cathy Ytak, avec un soin apporté à l’évocation des petits détails de la vie quotidienne dans un immeuble (balcon servant à faire sécher le linge, ascenseur souvent en panne…), et dans la peinture des relations au sein de cette famille monoparentale au travers de dialogues vivants, souvent plein d’humour et expressifs. Les illustrations de Christelle Diale, très colorées, jouent à la fois sur le réalisme dans la représentation de la ville, des plantes, et l’imaginaire en exprimant le lien entre les plantes et l’homme. Elles se découpent souvent en petites vignettes qui mettent l’accent sur le travail, ou le temps qui passe. Enfin, elles proposent un parcours entre une ville grise au début et une ville où poussent les fleurs à la fin.

Un récit simple et efficace pour contribuer à sensibiliser les enfants à l’importance du jardin… qui se termine par une recette de salade de carottes à l’orange !

Sur le chemin de l’école

Sur le chemin de l’école
Anne Loyer Lili la baleine
Maison Eliza 2020

Parenthèse enchantée

Par Michel Driol

Qui n’a jamais dit à un enfant « Dépêche-toi ! » ou « Tu vas être en retard ? » ? C’est ce qu’entend Ada, tous les matins, dans la bouche de ses parents, de la dame qui fait traverser la rue, du maitre. Pourtant, le temps passe vite sur le chemin de l’école, surtout quand on le connait par cœur, qu’on peut le faire les yeux fermés. Et alors il devient tellement plus beau tellement plus fou.

Cet album se structure en trois parties bien marquées. Le réveil, le chemin de l’école, l’arrivée à l’école. La première et la troisième partie sont les lieux du réel, des injonctions adressées à l’enfant, autant de refrains quotidiens graphiquement inscrits dans des phylactères, imprimés en gros caractères. La deuxième partie est pratiquement sans texte, elle montre surtout Asa sur le chemin de l’école, rencontrant des situations et des êtres étonnants : personnages à tête d’animaux, fleurs géantes, poissons volants qui dessinent tout un monde surréaliste, à l’image du rêve où tout peut arriver. Des cocottes en papier s’envolent, les animaux se combinent entre eux comme une ode à l’imaginaire enfantin qui transforme tout. Cette réalité enfantine se révèle dès la sortie de la maison, mais ne disparait pas complètement dans la salle de classe où l’on retrouve la cocotte en papier et surtout un écolier à l’étrange queue animale… Alors qu’Anna court sans arrêt de la maison à l’école, le lecteur, lui, devra prendre le temps d’observer les images dans lesquelles il découvrira tant et tant de détails surprenants, dans des couleurs pastel pleines de tendresse. Voilà un album qui évoque avec bonheur l’imaginaire enfantin et la tension que subit chaque enfant entre la pression sociale, la peur d’être en retard, la maitrise du temps et l’envie de s’évader, de vagabonder dans un autre monde. De tout cela, de cette vision de l’enfance, un certain Jacques Prévert parlait aussi…

Un album qui invite à sortir du monde quotidien des injonctions pour aller flâner dans la liberté individuelle du rêve.

Le Livre du rien

Le Livre du rien
Rémi Courgeon
Seuil Jeunesse 2020

Et si rien n’était écrit…

Par Michel Driol

Quelques jours avant sa mort, son grand-père offre à Alicia le livre du Rien : un bien étrange ouvrage, dont toutes les pages sont blanches, et qui devra rester immaculé.  Ce livre permettra à Alicia, dès qu’elle l’ouvrira, d’avoir des idées, petites, grandes ou géniales… En grandissant, Alicia se découvre une passion pour la cuisine, en fait son métier avec son amoureux, jusqu’au jour où un incendie détruit ce livre. Alicia en fait fabriquer un nouveau, ce que l’imprimeur n’arrive pas à faire. Car, ce qu’il lui livre, c’est l’album que le lecteur tient entre ses mains.

Que transmettre sans influencer ? Comment permettre à chacun d’avoir confiance en lui et de bien remplir sa vie ? Voilà un album qui dit que rien n’est écrit, que c’est à chacun d’écrire sa propre histoire, de réaliser ses propres rêves, d’avoir ses propres idées, tout en gardant un lien avec le passé, avec ses ancêtres. La force du livre offert par le grand-père, c’est de laisser au lecteur toute sa place d’acteur de sa vie, mais de l’accompagner, d’être là, comme un objet transitionnel dont il faut préserver l’intégrité. Au-delà de l’histoire d’Alicia, c’est de l’humanité toute entière qu’il est question, en particulier avec cette illustration montrant des hommes préhistoriques étonnés par une fermeture éclair, invention aussi géniale que la mousse au chocolat. Qu’est-ce qu’une idée qui change réellement la face du monde ? Par ailleurs, l’ouvrage évoque la création : comment, à partir de rien, faire naitre quelque chose ? C’est bien là le sens de poiein en grec, qui donnera le mot poésie. Ces problématiques profondes et sérieuses sont traitées ici sous forme de parabole, avec un humour qui se ne dément pas. Humour du cadeau paradoxal du grand père, humour des dialogues, humour des illustrations, humour de la pirouette finale, humour de la couverture (lettres dorées sur fond rouge) qui évoque les livres publiés par Hetzel, livres savants destinés à transmettre un savoir encyclopédique. Comme si on avait changé d’époque dans la relation au savoir et au livre, comme une façon de dire que les réponses ne sont pas forcément dans les livres, mais dans l’individu qui les lit.

Un drôle d’album plein d’originalité, qui se met en abyme, pour dire que l’imagination et de la création sont à la portée de chacun.