Pikkeli Mimou

Pikkeli Mimou
Anne Brouillard
L’école des loisirs (Pastel), 2020

Philosophie de confinement

Par Anne-Marie Mercier

« Je sais que tous les autres sont quelque part.
Et puis, il y a tous les arbres près de moi »

Cela faisait longtemps qu’on était sans nouvelles du pays des Chintiens : La Grande Forêt nous avait éblouis (2016), et on n’avait pas vu passer Les Iles (2019). C’est un plaisir de retrouver ce petit monde, ses personnages, pleins de simplicité et de chaleur et les superbes images d’Anne Brouillard, lumineuses même quand il fait nuit.
Ici, dans cet album au format plus réduit, il est question de souhaiter son anniversaire à un ami que l’on n’a pas vu depuis longtemps : faire un gâteau la veille, quitter sa petite maison tôt le lendemain, sous la neige, en tirant un  traineau, en espérant arriver avant la nuit après avoir traversé le lac gelé et la forêt, s’y perdre même jusqu’au moment où on tombe sur les traces laissés par les skis de l’amie Veronika, voilà tout ce que doit faire Killiok pour arriver chez Pikkeli Mimou.
Retrouvailles chaleureuses de tous ces isolés. À ses amis qui lui demandent s’il ne se sent pas seul, isolé au milieu des bois, Pikkeli Mimou répond : « Jamais ! Je sais que tous les autres sont quelque part. Et puis, il y a tous les arbres près de moi ». Et le lendemain, tout le monde rentre chez soi.
Ces propos de Pikkeli Mimou peuvent être une explication au fait que l’album ait pour titre son nom alors qu’on ne le voit que sur quatre doubles pages : le cœur de l’histoire est le trajet à faire pour le rejoindre, la poésie de la forêt, de la neige, de la nuit. Cet album évoque aussi le bonheur de la solitude, loin de tous, auprès du poêle, avec un livre offert par un ami, bien au chaud grâce à la couverture donnée par un autre ami : quand on a des amis et qu’on est seul, on ne l’est pas vraiment car « tous les autres sont quelque part». Et si par malheur on n’avait pas d’amis, il y aurait encore les arbres.

 

La Grande Forêt. Le pays des Chintiens

Trilogie de la poussière, t. 2 : La Communauté des esprits

La Communauté des esprits
Philip Pullman
Traduction (anglais) de Jean Esch
Gallimard jeunesse, 2020

L’imaginaire comme une essence de rose

Par Anne-Marie Mercier

On retrouve dans ce volume, le deuxième de la nouvelle série intitulée « Trilogie de la poussière », l’art de la narration de Pullman, son univers riche, son style fluide, et tout cela parfaitement traduit. On retrouve aussi le personnage de Lyra et son dæmon Pantalaimon. On retrouvera aussi au cours du roman le héros du premier volume (La Belle Sauvage), Malcom. Mais la situation a bien changé : Lyra a 20 ans et Malcolm a une trentaine d’années. C’est la première étrangeté de ce roman : au lieu de filer tranquillement l’histoire antérieure (antépisode ou ou préquelle) qui montrait l’héroïne de la superbe trilogie de La Croisée des mondes (His dark materials) en bébé sauvé du déluge par un jeune garçon (Malcolm) et confiée enfin à Jordan college (où on la retrouvait dans la série suivante), Pullman fait le choix de passer par-dessus les trois tomes de la série précédente et de retrouver les héros bien plus tard, à l’âge adulte, et toujours à Jordan college : l’une comme étudiante et l’autre comme professeur.
L’effet intéressant de ce choix est qu’il multiplie les entrées à l’œuvre et fait un tri dans son lectorat : Autant La Belle sauvage, bien que sombre et parfois violent, pouvait s’adresser à des jeunes lecteurs par l’âge des personnages, la simplicité de l’intrigue, la poésie des lieux, autant ce tome s’adresse davantage à de grands adolescents et adultes et serait une lecture difficile pour les plus jeunes, par la complexité de l’intrigue, les ramifications diverses, la multiplication des lieux, la cruauté de certains passage (le viol, à peine suggéré dans La Belle sauvage est évoqué de façon beaucoup plus explicite) et… l’absence de Pantalaimon.
En effet, rien ne va plus entre Pantalaimon et Lyra et la rupture, amorcée à la fin de la trilogie précédente, est consommée par la fuite de Pan. Certes, il part en quête de l’imagination de Lyra, volée selon lui par certaines théories par trop rationalistes. De son côté, Lyra part à sa recherche, sans bien savoir où aller pour cela et tombe sur un mystérieux et dangereux trafic d’essence de rose, en Orient dans lequel trempe le Magisterium. La deuxième partie du livre se rapproche d’un roman d’espionnage à multiples rebondissements dans lequel Lyra, traquée doit fuir sans cesse.
L’atmosphère est sombre : l’histoire commence par un assassinat, suivi de plusieurs autres. L’asile de Jordan college n’existe plus face aux assauts du Magisterium et Lyra doit le fuir tandis que ses amis y sont menacés. Une tyrannie mondiale semble se mettre en place. Guerres, exodes, massacres de populations sans défense, afflux de réfugiés… le monde de Pullman rejoint bien souvent le nôtre et la part d’imaginaire se rétrécit. Mais l’aléthiomètre est toujours là pour nous faire un peu rêver et on espère que Lyra, dans un prochain épisode, retrouvera bientôt Pan et rompra ainsi sa solitude et son désespoir, et que son imagination volée lui reviendra pour lui rendre toute sa vitalité.

 

Imagier du vivant

Imagier du vivant
Martin Jarrie
Seuil, 2020

Images vivantes

Par Anne-Marie Mercier

L’album de Martin Jarrie est à lui tout seul une exposition. En ces temps où l’on est privé de la contemplation des œuvres, depuis la fermeture des musées, c’est un bonheur de s’arrêter sur ses images, reproductions de vrais tableaux de l’artiste qu’est Martin Jarrie, dans lesquelles on devine l’épaisseur de la matière à travers la richesse de la palette. Certaines images ont la précision du trompe l’œil, d’autres la beauté d’une nature morte, parfois celle d’un tableau abstrait. Les fonds vont du noir le plus profond au rouge le plus éclatant, en passant par des verts, des blancs, des jaunes aux multiples nuances.
Selon le principe de l’imagier, des animaux et des plantes sont présentés, seuls, sans décor, et avec pour seul accompagnement textuel leur nom. Certains occupent toute une double page, le plus souvent ce sont de gros animaux (la vache, le mouton, le cochon, le cerf – superbe sur un fond de vert tendre – le maquereau, si bleu). D’autres occupent une seule page et jouent au jeu des correspondances avec leur vis-à-vis : complémentarité (un citron entier et un citron en coupe), rapprochement de couleurs (le radis et l’œillet rouge) ; parfois c’est juste un détail (la crête de la poule et la fraise), parfois c’est le début d’une histoire (un coq face à un renard) ; parfois c’est plus mystérieux : que va faire le chat avec le raisin? ou drôle (le cheval et le poivron).

On ne se lasse pas de contempler chaque détail, de se rassasier de ces couleurs : c’est magnifique, vibrant… vivant.

Feuilleter sur le site de l’éditeur

Taupe et Mulot : Tome 3 – Notre part de ciel

Taupe et Mulot : Tome 3 – Notre part de ciel
Henri Meunier illustrations de Benjamin Chaud
Hélium 2020

Amitié, poésie et fantaisie

Par Michel Driol

Trois histoires indépendantes pour ce tome 3 des aventures de Taupe et Mulot. L’un n’y voit pas beaucoup, l’autre est aux petits soins pour son ami. Comment se baigner quand on a oublié son maillot ? Comment faire le nettoyage de printemps en aout  sur des airs de Django Renard ? Comment repérer tout ce qu’il y a sur le chemin et faire l’inventaire de tous les cailloux qu’on nomme et qu’on reconnait intimement ?

Trois histoires et trois personnages qui font penser à l’univers d’Arnold Lobel par la façon de révéler une vision et une approche poétiques du monde, pleine de fantaisie. D’abord, on a l’amitié indéfectible entre deux animaux de race différente, et pourtant liés par ce qu’ils ont en commun et ce que chacun peut apporter à l’autre : une vision du monde particulière, un enthousiasme et un souci de l’autre. Car, si Taupe y voit peu, il poétise le monde qui l’entoure, et a une attention particulière pour tous les petits riens. Il vit à son rythme et a sa façon bien à lui de profiter de chaque instant. Le calendrier du cœur compte plus pour lui que le calendrier des autres. Ces deux personnages sont dépeints avec humour, à travers des dialogues savoureux, dans une écriture pleine de malice. Les illustrations, aux couleurs chaudes, donnent à voir deux animaux très anthropomorphisés, d’emblée sympathiques pour le lecteur, dans des décors soignés, qu’il s’agisse de la nature luxuriante ou de la maison très confortable de Taupe.

Trois histoires courtes, enlevées, pleines d’optimisme et de joie de vivre pour conforter le sens de l’amitié et aiguiser le regard sur le monde.

Poussin

Poussin
Davide Cali, David Merveille
Sarbacane, 2019

Par Anne-Marie Mercier

«  à tous ceux qui rêvent de devenir de grands auteurs »

Dans cet album très drôle, il y a de  grands sujets : comment devient-on écrivain ? Et écrivain pour enfants ? Qu’est-ce que la vocation, l’inspiration, et que pèsent ces mots face à l’édition, à l’économie, à la loi du marché ?
Le héros de cette histoire veut depuis son enfance devenir écrivain, il sent qu’il en a la fibre, s’imagine un destin. On le voit faire plusieurs tentatives, se remettre sans cesse à l’ouvrage, persuadé chaque fois d’avoir créé un chef-d’œuvre, et découragé par les refus successifs des éditeurs auxquels il envoie ses romans.
Pour se venger de l’un d’eux qui lui a écrit qu’il fallait « simplifier son écriture », il envoie un torchon absurde, avec un héros idiot et banal (un poussin), illustré par ses soins, c’est-à-dire n’importe comment. Poussin fait du ski est un succès, il y a des suites, malgré ses tentatives pour décourager l’éditeur : Poussin fait un gâteau, Poussin fait du vélo, Poussin fait pipi au lit, etc. L’écrivain est invité dans les écoles, à l’étranger. Poussin est adapté à la télévision, fait vendre des produits dérivés et est traduit en 60 langues. L’écrivain apprivoise peu à peu sa créature et son succès en voyant ce qu’il apporte à ses petits lecteurs : la joie partagée, l’amitié d’un héros récurrent placé dans des situations simples.

L’album réussit à être à la fois une satire très drôle du monde des séries populaires pour enfants et à poser des questions graves sur ce qu’est l’écriture, la création, et la réception de ces œuvres.

Feuilleter sur le site de Sarbacane.

La petite boîte

La petite boîte
Yuichi Kasano, Diane Durocher (trad. du Japonais)
L’Ecole des Loisirs, 2021

La moufle, euh, non… la boîte

Par Christine Moulin

On ne compte plus les adaptations du conte slave La moufle. En voici une pour les tout-petits, de format carré, en carton résistant, qui met en scène non pas une moufle, mais un objet très riche, fantasmatiquement: une boîte!
L’histoire par accumulation est courte: peu d’animaux se présentent pour entrer dans la boîte et pour que cela aille plus vite, certains, tels les canards, viennent trois par trois. Ces animaux sont des classiques du répertoire de la maternelle: renard, élan, canards, donc, et ours. La situation est réduite à sa plus simple expression: on ne sait pas vraiment pourquoi tout le monde veut entrer dans la boîte, les conditions météorologiques ne semblant jouer aucun rôle, à la différence de ce qui se passe dans le conte originel. Pour le plaisir, sans doute?
Mais malgré ce dépouillement, cet album a de nombreux atouts: les animaux sont très mignons, avec leurs grands yeux malicieux, leur bouche souriante et leur expression très lisible. Le texte est varié: la narration est animée par des onomatopées et des dialogues enlevés.
Ce qui peut surprendre l’adulte qui connaît l’histoire, c’est la fin: la boîte n’explose pas, si bien que l’on peut chercher une nouvelle interprétation. Cela signifierait-il que l’on peut toujours accueillir autrui, même si les conditions matérielles ne semblent pas favorables? L’air réjoui des animaux, sur la dernière double page, laisse entendre que même serrés, on est bien, ensemble.

Carmin, t.1

Carmin, t. 1: Le garçon au pied-sabot
Amélie Sarn

Seuil jeunesse, 2020

Chasse à l’enfant

Par Anne-Marie Mercier

Si le début de ce roman est assez classique et même un peu attendu (un orphelin martyrisé par un garçon brutal, dans une institution qui n’est guidée que par le souci du gain), la suite est beaucoup plus originale : l’enfant est recueilli (acheté) par un couple extrêmement riche. Ceux-ci sont des chasseurs et collectionnent des spécimens de chaque espèce que l’on voit, empaillés dans toutes les pièces de leur château sinistre. On se demande vite, avec Carmin, s’il n’est pas le prochain spécimen de leur collection.
La narration est entrecoupée de passage du journal de la femme du couple (la plus diabolique) et de dialogues entre eux (assez artificiels et agaçants – mais on devine que cela sert à désamorcer par des traits comiques ce que ces personnages pourraient avoir d’inquiétant). Bien vite, Carmin redoute de finir mal, mais la suite se complique encore… On voit paraitre de nouveaux personnages, les uns favorables, les autres hostiles, d’autres incertains, et l’on découvre que ce garçon voit des êtres étranges, minuscules, lutins ou fées, et que ce sont eux que le couple traque en espérant se servir du garçon.
A la fin du roman, après bien des catastrophes, il semble que l’auteure en ait eu assez de toute cette noirceur ; l’amie morte n’est plus morte, les méchants sont (provisoirement?) mis hors d’état de nuire, et une autre aventure commence, avec un projet de voyage lointain à la recherche des fées et du paysage de son enfance qui hante Carmin… La suite promet de belles échappées.

Ce roman a fait partie des « pépites » du Salon de Montreuil en 2020.

 

Princesse Pimprenelle se marie

Princesse Pimprenelle se marie
Brigitte Minne – Trui Chielens
Cotcotcot éditions 2020

Elles se marièrent et eurent beaucoup d’enfants…

Par Michel Driol

Toutes les servantes préparent Princesse Primprenelle qui doit choisir un prince sur son cheval blanc. Mais aucun ne fait battre son cœur jusqu’à ce qu’arrive Princesse Aliénor sur son cheval noir. C’est le coup de foudre. Mais quand Aliénor demande à Pimprenelle de l’épouser, c’est un scandale au palais. Heureusement, la sage Sophie assure au roi et à la reine que l’important, c’est qu’elles s’aiment. Convaincus, les parents autorisent le mariage. Quant à avoir des enfants, Sophie explique qu’il y a deux façons, l’adoption, ou la PMA… dans des termes compréhensibles pour les enfants !

L’album utilise les ressources et les stéréotypes du conte – la princesse, les rituels de recherche du Prince parfait, la cour – pour lutter contre les préjugés. Il oppose la foule des courtisans, serviteurs, prompts à se rallier à l’opinion royale et la sagesse, incarnée par Sophie, qui éclaire le pouvoir, et légitime le mariage. Le dispositif permet ainsi de mettre en abyme les lecteurs et leur opinion, qui pourront se reconnaitre dans l’un ou l’autre des personnages, et, s’ils se reconnaissent dans la foule des courtisans, de comprendre leurs propres préjugés. Ce sujet sérieux est traité avec fantaisie et une légèreté de ton qui vise à le dédramatiser : on rate des plats en cuisine, on bredouille, on joue sur les clichés de la passion et de l’amour (dans l’expression du coup de foudre ou l’amour entre le roi et la reine), sur les stéréotypes du mariage et de la préparation de la femme (dans les premières pages où l’on fait belle la Princesse pour le grand jour). On le voit, l’album ne manque pas d’humour ! Les illustrations, sur papier volontairement vieilli, allient un côté très traditionnel et très contemporain où l’on semble croiser Chagall ou Picasso dans des décors de château fort ou d’oasis – façon de jouer avec l’intemporel.

Un texte pour toutes les princesses qui veulent sortir les sentiers battus, et pour toutes celles et ceux qui souhaitent aborder avec les enfants la question des personnes LGBT en faisant un pas de côté plein d’humour et de tendresse.

Parapluie d’Automne et Souffle d’hiver

Parapluie d’Automne
Souffle d’hiver

Jo Witek, Emmanuelle Halgand, Flavia Perez (musique)
Flammarion (Père Castor, « areuh, l’éveil en mots et en musique »), 2020

Musiques pour les quatre saisons

Par Anne-Marie Mercier

Comme les précédents volumes (Chapeau d’été et L’Air du Printemps), ces deux petits albums cartonnés proposent des images et de la musique (en CD ou via un lien internet) pour accompagner une saison. Bruitages, chants et onomatopées accompagnent le rappel de sensations : la pluie pour l’automne, la neige et le froid pour l’hiver.
Les images sont belles, colorées, sobres et élégantes et chaque livre décline une gamme de couleurs qui lui sont propres (les tons rouge, ocre, jaune pour l’automne, blanc et bleu pour l’hiver).
Par ailleurs, un point est à remarquer: les auteurs ont eu la belle idée, trop rare, de montrer une mère et son enfant qui n’ont pas la même couleur de peau.

Une belle collection pour voir passer le temps, le lire, le chanter et le danser peut-être.

 

Chapeau d’été et L’Air du Printemps

 

 

 

 

L’Ickabog

L’Ickabog
J.K. Rowling
Gallimard Jeunesse 2020

La petite fille dans les eaux boueuses du marécage…

Par Michel Driol

Cornucopia est un véritable royaume de Cocagne, dirigé par son roi Fred sans Effroi, si l’on omet les marécages du Nord où sévit l’Ickabog, un monstre légendaire auquel personne ne croit. Jusqu’au jour où un berger annonce au roi qu’il l’a vu. Afin d’accroitre sa popularité, le roi lance une désastreuse campagne militaire contre le monstre : désastreuse car elle révèle la lâcheté du roi et de ses deux amis, dont l’un tue, par manque de sang-froid, le chef de la garde. Comment cacher au roi et à la population cet épisode peu glorieux ?

Ecrit en parallèle de la saga Harry Potter, repris à l’occasion du confinement, L’Ickabog laissera peut-être un peu sur leur faim ceux dont l’horizon d’attente a été façonné par Harry Potter, sa complexité narrative, ses différents niveaux de lecture. On a affaire ici à un conte, assumé comme tel dans son énonciation : une conteuse s’adressant de façon directe à son public, dans une langue particulièrement simple. Comme toujours avec l’autrice qui maitrise le rythme, l’imaginaire, la progression narrative, les rebondissements,  le livre est un véritable page-turner que l’on lit d’une traite. Mais qu’on ne s’y trompe pas : ce conte parle de notre époque, des mensonges d’état, des fake-news, de la façon de tromper le peuple par la peur afin d’instaurer un pouvoir autoritaire et personnel. C’est bien de la naissance du fascisme qu’il est question ici, de la façon d’instaurer une dictature, du rôle de l’information et de son contrôle dans ces phénomènes. Comme tout conte, il a sa part de manichéisme : un roi sans envergure, préoccupé plus par son apparence que par le réel souci de l’Etat, deux amis caricaturaux, l’un par sa maigreur, l’autre par sa grosseur, qui vont prendre le pouvoir afin de s’enrichir, véritables esprit du mal, et les gens du peuple, plutôt caractérisés par la bonté, en particulier une fillette, Daisy, qui sera celle qui sauve le pays. Plus finement, cette « fracture » entre le bien et le mal n’est pas sociale : tous les nobles présents ne sont pas mauvais, et dans les gens du peuple, il y a aussi des arrivistes, des mouchards…

Autant que politique, la portée du récit est humaniste : il s’agit de mieux connaitre ceux que l’on prend pour des adversaires, de trouver le moyen de s’allier avec eux pour être plus fort dans un monde plus juste. Il y a là à la fois affaire de sensibilité et de lucidité, en particulier portée par Daisy, véritable héroïne du récit. Il y a là aussi toute une réflexion quasi métaphysique sur ce qu’est donner la vie, sur la façon dont une génération doit mourir pour que l’autre vive, sur les conditions dans lesquelles les premiers instants de la vie sont décisifs sur la façon de se comporter et de voir le monde.

Un récit dans lequel on trouvera l’univers parallèle et de l’autrice dans les noms des villes, des pâtisseries, afin de mieux faire réfléchir le lecteur, même jeune, sur  le monde dans lequel nous vivons.