L’Ombre qui faisait des tatastrophes

L’Ombre qui faisait des tatastrophes
Alain Serge Dzotap – Maria Gabrielle Gasparri
Sarbacane 2025

Si ce n’est moi, c’est donc…

Par Michel Driol

Bodobé est sage. Les catastrophes, c’est Karamoka, son ombre, qui les cause. C’est lui qui casse le pot de fleurs avec le ballon, ou mange ses crottes de nez… Sans doute Bodobé tente-t-il de se débarrasser de son ombre, de l’enfermer dans l’armoire. En vain. Mais quand Bodobé se fait mal aux genoux, et que papa et maman veulent consoler Karamoka, Bodobé n’est pas d’accord !

L’album propose un duo comique bien réjouissant, avec cette ombre qui prend son autonomie, agit indépendamment de son propriétaire. Cela pourrait être un beau sujet de récit fantastique, mais rien de cela ici. Bodobé s’est-il trouvé un beau bouc émissaire pour se dédouaner de toutes ses bêtises, ou est-il vraiment victime d’un sortilège, d’une ombre malicieuse plus que maléfique ? Le récit parle bien de la façon d’assumer ou pas ses responsabilités, voire sa culpabilité dans des bêtises qui restent somme toutes mineures et bien enfantines, mais il le fait à hauteur d’un enfant pour qui l’imaginaire joue un rôle de premier plan, et dans une langue aussi enfantine et  juste (n’est-il pas question de laver l’ombre avec de l’eau froide mouillée, de tatasrophes et non de catastrophes ?). Les bêtises jouent avec les interdits, le scatologique, et ont un coté carnavalesque bien réjouissant dans leur naïveté. Par ailleurs, on est bien loin de la logique cartésienne, ou d’un jugement péremptoire des parents, bien mécontents des bêtises de leur fils. Pour autant, ils entrent dans son jeu à la fin, le conduisant à comprendre en quoi son double n’est pas lui… on ne peut que saluer et admirer cette attitude qui n’a rien de punitif, mais est une belle marque d’amour, de sensibilité et d’intelligence.

Maria Gabriella Gasparri illustre ce garçon et son ombre avec beaucoup de malice, dans des illustrations qui ont un petit côté rétro dans les couleurs, les décors, les accessoires.  On est dans une famille d’origine africaine, vivant dans un pavillon entouré d’un jardin. Elle fait bien sûr de l’ombre un personnage à part entière, illustrant ce en quoi il transgresse alors que Bodobé est d’une sagesse et d’une civilité puérile bien honnête !  Elle illustre à merveille la lutte entre Bodobé et son double : scène de boxe, combat dans le bain… Et que dire du clin d’œil proposé par la dernière illustration, sans texte, montrant une ombre avec un pansement, et un Bodobé lisant un livre ? Pirouette finale qui est  une façon de dire que, contrairement à tout ce que l’on a pu croire, Karamoka est bien réel, et Bodobé bien complice de son ombre, à laquelle il adresse un malicieux clin d’œil  !

Un album piquant, plein de légèreté, qui sera l’objet de bien des discussions autour des questions qu’il soulève avec impertinence et tendresse, celles de la transgression et de la reconnaissance de culpabilité.

Maki veut tout décider

Maki veut tout décider
Claudia Bielinsky
Gallimard Jeunesse 2025

Les malheurs de Maki

Par Michel Driol

Dès la première page Maki – une espèce de petit koala humanisé – l’affirme : il est grand, il va tout décider. Puis on assiste à une série de scènes qui se répètent, avec la même structure. Page de gauche, Maki prend une décision importante : de ne pas manger, de ne pas ranger, de manger tout le gâteau, de jouer sous la pluie… et page de droite, on assiste aux conséquences funestes de ses actions : la faim, la perte du doudou, le mal au ventre, le rhume… Mais tout se termine par un gros câlin, demandé par Maki !

Beaucoup de parents reconnaitront sans doute leur enfant dans Maki, car il est un âge où les enfants veulent décider. Sans doute beaucoup d’enfants se reconnaitront-ils dans les pages de gauche. L’album tente de leur montrer les risques encourus, qu’ils reconnaitront peut-être aussi. C’est donc un album sur l’affirmation de soi, la grande époque des je veux… C’est aussi cela, grandir, vouloir faire ce qu’on a envie de faire, mais aussi apprendre les conséquences de ses actes, apprendre à différer ses désirs, apprendre la frustration. L’album accompagne avec humour les enfants sur cette voie, en leur proposant des situations simples, sans doute déjà vécues, universelles tant les désirs qui y sont exprimés sont courants. L’humour, il vient certes du texte, qui se répète de page en page, créant un comique de répétition, des échos d’une page à l’autre, renforcés par de discrètes rimes. Mais l’humour vient surtout des illustrations, pleines de couleur. Avec beaucoup d’expressivité, les doubles pages montrent l’univers familier de Maki, ses désirs, et ses déboires. Cela joue sur les détails, peu nombreux pour rendre les images lisibles par les plus jeunes. Voyez comme les joues de Maki varient entre plusieurs nuances de rose et le vert de l’indigestion. Ajoutez à cela un personnage muet, un copain peut-être de Maki, un hérisson interloqué, compatissant, apportant une pomme, dégouté par l’odeur de Maki , prêt à lui donner des tonnes de mouchoirs en papier. Personnage secondaire, muet, non pas une figure parentale compte tenu de l’espèce, de la taille, mais figure d’un doudou ou d’une conscience aidante, clin d’œil à Pinocchio ?

Un album plein d’humour pour aider les enfants – et les parents – à franchir cette étape du tout et maintenant, et tenter d’apprendre à envisager les relations de cause à conséquence dans le domaine des actions et des désirs.

La Famille Hollister, Aventures à Pine Lake

La Famille Hollister, Aventures à Pine Lake
Jerry West
Traduit (anglais, USA) par Mireille pierre, ill. de Marlène Merveilleux
Novel, 2025

Aventures blytonesques

Par Anne-Marie Mercier

Les Éditions Novel (filiale de Chattycat, maison spécialisée dans les Éditions bilingues de livres pour la jeunesse en langue anglaise, surtout américains, mais qui propose également des titres français faciles et populaires et des séries) publient des classiques de la littérature de jeunesse américaine. Ici, « classique » s’entend au sens de populaire : le bandeau qui barre la couverture annonce les aventures de la famille Hollister comme « la série adorée par 16 millions d’enfants » ; et celle-ci est, nous dit-on encore, « enfin disponible en France ».
Comment a-t-on pu vivre sans, me direz-vous (ou pas) ? Eh bien, on est quand même pas mal avec : cette série a l’allure confortable des séries anglaises des années 50, dans le genre des Club des cinq, ou d’Alice (Nancy Drew) publiée par le syndicat Stratemeyer (Tom Swift, The Bobbsey Twins, The Hardy Boys, Nancy Drew…). Contrairement à la plupart des autres séries, celle-ci a été écrite par un seul auteur, Andrew Svenson, dont l’identité n’a été révélée que quelques années après sa mort, en 1975. Cette série, initiée en 1953, a couru sur 33 titres. Il est aussi l’auteur d’autres séries sous d’autres pseudonymes, comme Hardy Boys (voir notre chronique) et, plus remarquable,  The Tollivers (sous le pseudonyme d’ Alan Stone, 1967 – la date est intéressante, en relation avec les lois sur les droits civiques), « l’une des premières séries écrites pour et sur des enfants afro américains » qui est cependant assez proche des thèmes et situations des Hollister, avec également une famille de cinq enfants.
Le monde de référence est bien celui d’« avant » : au temps où on ne se posait pas de question de genre, où on savait d’avance où était le bien et où le mal, où les adultes étaient bienveillants et les méchants rares et vite identifiés (enfin, vous avez compris, au temps où la littérature pour enfants dressait ce tableau). On ne se prend pas le chou et on admire ces beaux enfants Hollister aux joues roses, qu’on nomme les « joyeux Hollister » : « c’est comme ça qu’on nous appelle, dit l’un d’eux, parce qu’on est tout le temps heureux ».
Heureusement pour le lecteur (car les gens heureux n’ont pas d’histoire), ce bonheur lisse sera vite rompu et de bien des manières mais jamais gravement, l’optimisme et la débrouillardise étant inscrits dans les gènes de toute la famille. Ça commence par un déménagement, la disparition de la camionnette qui transportait les jouets préférés des enfants et la malle contenant les inventions du père, avec lesquelles il comptait bien gagner sa vie. Désespoir et inquiétude durent peu, remplacés par la nécessité de faire face et la découverte de la nouvelle maison, du nouveau magasin ouvert par les parents, et de leurs voisins. Pique-nique, canotage hasardeux, aventures, découverte de passages secrets dans la maison, enquête, découverte de la camionnette disparue et capture du voleur, tout s’enchaine tambour battant, le tout en 173 pages très aérées, avec de nombreuses illustration.
Et oui, ces cinq enfants Hollister (Jack 7 ans, Olive 6 ans, Peter, 12 ans, Anna 10 et enfin Rose la petite qui fait des bêtises) blonds aux yeux bleus sont bien joyeux, et leurs parents aussi. La nature est belle et préservée, les voisins sont aimables et solidaires, le père a l’esprit d’entreprise et sait attirer les gens dans sa boutique, tout va bien et ils seront prêts pour de nouvelles aventures.

Chat de gouttière

Chat de gouttière
Joana Estrela

Traduit (portugais) par H Melo
Les Grandes personnes, 2025

Une vie partagée, avec un animal « de compagnie »

Par Anne-Marie Mercier

Le titre original est « gato comum », que l’on traduit par « chat européen commun », ce qui est un peu plus relevé que « de gouttière », mais dit bien la banalité de l’animal. Il n’a rien de remarquable, l’histoire racontée non plus et c’est tant mieux : elle ressemble à celles de tous ceux et celles qui ont un jour partagé la vie d’un chat : comment il est arrivé dans votre vie, pourquoi il porte ce nom, ses habitudes, la fois où on l’a perdu, et où (ouf !) on l’a retrouvé, le moment où on s’inquiète, les visites chez le vétérinaire, la dernière visite… et la vie, une autre vie, qui reprend, sans chat (provisoirement, on ne sait).
La narratrice a 17 ans, le même âge que Manel. L’année de sa naissance marque l’année zéro de la famille à partir de laquelle on compte tout, avant (la télé couleur, 20 ans avant), ou après Elle vit avec ses parents et son frère, une vie simple avec les trajets en voiture, les jeux télévisés qu’on regarde pendant le repas, le téléphone portable sur lequel on consulte google pour poser des questions sur l’état du chat et les soins à lui apporter, les repas… La présence du chat organise la géographie de la maison et le rythme de la vie ; portes ouvertes ou fermées, c’est pour lui. Coussins ici ou là, idem.
Les illustrations de ce petit roman graphique illustrent la richesse cachée de cette vie apparemment monotone. Elles sont composées tantôt en bandes, tantôt sur une pleine page dans laquelle progresse le même personnage, ou bien en carrés. Elles sont crayonnées en noir sur fond jaune, ou (pour l’évocation d’un autre chat et d’une autre enfance) en carrés disséminés sur une page blanche avec des bulles flottantes. Elles sont aussi simples que le chat et que la vie, mais quelle expressivité en peu de traits et peu de mots, simples eux aussi ! Chaque personnage est bien caractérisé, à la fois dans sa relation à la famille, dans son rapport à l’animal et dans le choix à faire au moment de la fin de vie de celui-ci : faut-il le laisser vire et souffrir, ou bien non?  Émotion, pudeur, familiarité, joies, chagrin tu, amour…

 

Un et d’autres chiffres avec Alexandre Calder

Un et d’autres chiffres avec Alexandre Calder
Cecily Kayser
Traduit (anglais) par Delphine Billaut
Phaidon (premiers pas avec les grands artistes), 2025

Un, deux, un deux…

Par Anne-Marie Mercier

C’est Phaidon qui l’a fait. Voilà l’information la plus visible. C’est imprimé en Chine, le nom de l’autrice du texte n’est pas facile à trouver, on ne sait pas qui a fait les photos (belles et précises, aux couleurs tranchées) ni qui a choisi les œuvres, mais tout cela est fait avec le copyright de la fondation Calder, comme il se doit. Bienvenus dans le monde des labels !
Sinon, c’est très beau et l’idée était intéressante et originale ; comment compter avec Calder ? Mais au bout du compte, ça ne marche pas très bien : on invite l’enfant à compter les formes, d’abord toutes, puis celles qui sont en haut ou en bas, celles qui sont rouges, etc. L’exercice n’a pas grand sens et surtout les mobiles ne bougent pas, c’est tout de même dommage, non ? Enfin, les nombres ne sont pas des « chiffres » comme le prétend le titre : ils ne sont écrits qu’en… lettres, déception !

3 secondes pour plonger

3 secondes pour plonger
Jinho Jung
CotCotCot éditions 2025

Bon à rien ?

Par Michel Driol

Je ne suis bon à rien.. Ainsi commence cet album, traduit du coréen, qui montre un enfant au pied des marches d’un plongeoir, au bord d’une piscine. Page après pages, il s’élève le long de cet escalier interminable, labyrinthique, confessant toutes ses échecs : il n’est pas doué, quel que soit le sport,, lent, nul en maths. Arrive alors sa motivation profonde : il ne veut pas gagner, parce qu’alors quelqu’un doit perdre. 3 secondes suffisent pour plonger et éclater de rire ensemble.

Voilà un album qui conjugue un texte d’une grande simplicité avec un graphisme d’une grande complexité, tout en restant éminemment lisible et symbolique. C’est la symbolique de l’escalier, figure peut-être de l’ascenseur social, de la vie, des difficultés à surmonter. Cet escalier, réalisé avec des tampons bleus, envahit progressivement tout l’espace, à la façon des prisons de Piranèse,  des escaliers d’Escher, ou du décor de certains jeux vidéos dans lesquels le héros se déplace sur un parcours semé d’embûches. Il est oppressant, ce parcours, interminable, bien délimité par des barrières qui sont autant de grilles, composé de lignes, d’arcs, de voutes de plus en plus inextricables.  Il semble infini, cet escalier, sur lesquels on retrouve le narrateur d’abord tout en bas, puis au milieu, avant qu’il ne soit en haut. Il progresse donc, mais lentement. Chemin faisant, il rencontre d’autres personnages, silhouettes dessinées au crayon : le cuisinier impatient de la voir finir,  le prof de maths assénant un « C’est pourtant facile » devant un tableau rempli de calculs, ou encore le maitre de taekwondo  exécutant un parfait coup de pied circulaire. Autant d’adultes qui renvoient le héros à sa propre dévalorisation, à son sentiment d’infériorité, à sa mésestime de soi. Autant d’adultes qui le renvoient aux codes de la réussite enfantine, sportive, scolaire. Cet escalier conduit vers le haut autant qu’il emprisonne, comme le montre la dernière page avant d’arriver au sommet, une page qui joue à la fois sur la contre plongée et le graphisme d’un jeu (de l’oie) avec ses cases et son parcours. La vie doit elle être à l’image du jeu où, si l’on gagne, d’autres perdent ? Quelle place faut-il donner à la compétition poussée à l’extrême ? Rappelons ici que cet album est signé d’un auteur coréen, et que la Corée du Sud est réputée pour son système scolaire qui pousse à la compétition, et qu’un véritable système éducatif parallèle y oblige les enfants à des journées de quinze heures de cours, voire plus l

Au final, se héros apparait donc comme un résistant, qui ne se soumet pas aux codes sociaux admis, qui promeut d’autres valeurs : celle de l’égalité (en haut, le héros retrouve deux copains qui l’attendaient), celle du rire partagé, du plongeon (mouvement du haut vers le bas) qui s’oppose à l’ascension.  On comprend dès lors que les figures d’adultes rencontrées dessinées au crayon sont autant de fantômes, de fantoches, sans consistance, vite oubliées, autant d’obstacles vers le bonheur et la joie de vivre.

Un album qui touche juste, qui dit bien les blessures de l’enfance, les échecs et le sentiment de dévalorisation poignant qu’ils suscitent, mais qui promeut aussi d’autres valeurs, plus solidaires, plus liées au plaisir de l’instant présent, ne dût-il durer que 3 secondes… Enfin un album dont la construction graphique, très maitrisée, très symbolique, lui confère un aspect universel.

Fort Ressac, t. 1 : La prophétie de la vague

Fort Ressac, t. 1 : La prophétie de la vague
Pauline Aupied
Gallimard jeunesse, 2025

La guerre des éléments

Par Anne-Marie Mercier

Gallimard jeunesse, RTL et Télérama, à travers leur concours du premier roman, découvrent des auteures intéressantes, surtout en fantasy, depuis leur première trouvaille avec Carole Dabos et son monde glacé des Fiancés de l’hiver. Si l’écriture est parfois moins tenue ici (sans doute avec l’excuse d’une narration à la première personne menée par un personnage adolescent un peu fruste), l’imaginaire y est bien développé, foisonnant, juste ce qu’il faut mais pas trop… Et l’illustration de couverture, signée Patrick Connan, est encore parfaite.
Les personnages sont assiégés depuis des années dans la forteresse de Fort Ressac épuisés par la famine et la misère. Les premiers enfants qui y sont nés, enfants des survivants de la guerre réfugiés dans le fort, arrivent à l’adolescence au moment où le roman commence. Les uns, comme notre héros, sont pour la plupart orphelins, parfois aussi nés de père inconnu, ce qui les mène à de belles spéculations. Plus d’animaux, tous ont été mangés, il ne reste plus qu’un cheval, bien vieux. Ils n’ont jamais vu la mer de près alors que le roc sur lequel a été construit le fort y baigne et que toute leur civilisation repose sur un univers marin. Les noms propres évoquent la mer : Capelan, Esturgeon, le roi Abalone, souverain d’Azurie, la princesse Pélagie (bien sûr le héros a un faible pour elle…), Dame Ablette la guérisseuse qui instruit le héros. Lui-même s’appelle Nérée. Son nom, faisant référence à un dieu de la mer, semble le prédestiner à un avenir glorieux… les soldats sont nommés les cormorans, et tout le monde jure en évoquant mille morues (mais qu’a pu faire ce poisson pour être si mal traité ?). En somme, on a un bel univers cohérent, face aux autres camps que sont les Pyres, peuple du feu et les Austers, peuple de l’air, que l’on découvre en fin de roman.
Le traitement du personnage est intéressant. Il est campé au début à travers une prophétie qui semble le concerner. Orphelin d’origine inconnue, c’est lui l’élu de leur Dieu, le Grand Salé, qui sauvera son monde ; tout cela est a priori peu original, mais le lecteur – et lui-même, à son grand désespoir –, est vite surpris par des démentis successifs qui semblent indiquer que ce ne sera pas lui et qu’il devra se contenter d’un rôle de guérisseur et non de guerrier comme il se rêvait (il y a un peu de l’Assassin Royal dans ce destin dévié). Ordinaire tout d’abord (on le voit se démener courageusement malgré son dégoût) lors d’une épidémie mystérieuse qui ressemble à la peste, il affronte le pouvoir royal pour sauver les malades, s’enfuit avec quelques autres adolescents, se découvre un pouvoir (de guérison, encore) tandis que d’autres adolescents développent des talents surnaturels plus spectaculaires, et arrive enfin à la mer tant désirée.
Les surprises s’accumulent, Nérée se fortifie en se relevant de toutes ses désillusions, découvre l’amitié et la trahison, l’amour ce sera pour bientôt, on le devine (avec la jolie princesse ?), les paysages variés se multiplient, les rencontres aussi. Le passé s’éclaircit, l’avenir s’ouvre avant de se refermer… en attendant le tome suivant. Pauline Aupied tisse sa trame avec brio, et son roman s’affirme peu à peu comme une belle surprise (À suivre !)

Feuilleter sur le site de l’éditeur

Plouf et Nouille

Plouf et Nouille
Steve Small
Sarbacane2025

Rendez-vous sous la pluie

Par Michel Driol

Il y a Plouf, le canard, avec son grand ciré jaune et son parapluie : c’est qu’il n’aime pas l’eau, Plouf. Et quand une nuit de tempête un gros trou apparait dans son toit arrive Nouille, une grenouille qui adore l’eau. Mais comment retrouver la maison de Nouille, en vélo ou en bateau ? Finalement, c’est Jo Pélican, le facteur, qui raccompagne Nouille. Mais, pour Plouf, il manque quelque chose : Nouille. Et, bravant le vent et la tempête, il va retrouver Nouille et l’inviter chez lui.

Cet album catonné propose  une histoire qui repose sur un schéma bien classique en littérature de jeunesse : deux personnages que tout oppose et qui vont devenir amis, en dépit de leurs différences, grâce au partage de quelque chose : un repas, une aventure, ou ici l’hospitalité, deux personnages qui font un pas vers l’autre. Sans revisiter ce schéma, Steve Small , à la fois dessinateur de dessins animés et concepteur de livres pour enfants, croque des personnages identifiables et visuellement réussis. Plouf, impayable sur ses deux pattes dans son grand ciré jaune qui l’accompagne à chacune de ses sorties, qui a tout du marin pécheur. Nouille, minuscule, large sourire, et canotier sur la tête, qui ne dit que Craôa. Sans compter les comparses : le castor couvreur, le pélican facteur, la taupe, les lapins, rencontrés au fil des recherches, tous dessinent un univers drôle vivant, animé et coloré. IEt que dire de la maison de Plouf, maison de bois sur pilotis, maison cosy avec son poêle, son fauteuil à bascule, ses livres et son thé… Tous les détails sont pleins de saveur et de signification : par exemple les bottes de Plouf, qu’il échange contre de confortables charentaises bleues à la maison. Le texte se conjugue avec les onomatopées de l’image, les plocs de la pluie, les crôas de Nouille à qui il donne toujours du sens, mais jamais le même.  Il suit le point de vue de Plouf (ce que suggère le titre original, (The duck who didn’t like water), nous entraine dans ses phobies, ses pensées, et son sentiment de manque lorsque Nouille n’est pas là. Enchainant des propositions courtes, il est facilement compréhensible par les plus petits. On notera que le texte, répétant à loisir les noms de Plouf et Nouille, réussit le tour de force de ne pas genrer ses personnages, laissant au lecteur le choix (tout comme la version originale où il est question de Duck et Frog).

Humour, tendresse, douceur, et joie de lire ensemble définissent l’atmosphère de cet album réconfortant dans lequel l’expressivité des personnages s’accorde avec les couleurs acidulées et gaies d’un graphisme très cartoonesque !

Les Follets

Les Follets
Camille Romanetto
Little Urban 2024

A la recherche du Criquidibou

Par Michel Driol

En vacances chez ses grands-parents, Madenn ramasse un minuscule bonnet rouge au milieu d’un bois. Quand le propriétaire vient le récupérer, la voilà mise sur la voie de la découverte d’un peuple de créatures minuscules, les follets. Ces derniers ont perdu un objet plein de prix pour eux, le Criquidibou, et ils cherchent Madenn de le retrouver.

Ce roman illustré, découpé en 14 chapitres, entraine ses lecteurs dans un univers enchanteur et des personnages qui évoquent Alice de Lewis Caroll, Hippolène  ou Adèle de Claude Ponti, voire la Baba Yaga. Un univers proche, avec ces vacances chez les grands-parents, leurs rituels, leurs manies, leur amour aussi. Un univers féérique, avec ses mystères, ses créatures étranges, et les conversations qu’on peut y tenir avec un héron trop bavard, un lapin prolixe mais ignorant, et une Dame Grelette à la fonction bien définie. On est dans un univers de conte, avec cette maison des grands parents dans la foret, une maison qui a des allures d’isba dans l’illustration, avec la magie des créatures qu’on rencontre, ces follets d’apparence enfantine, pleins de sagesse, avec la quête surtout d’un objet dont on ignore tout, mais dont on laissera le lecteur découvrir à la fin quel il est et à quoi il sert. L’autrice joue avec l’intertextualité pour s’inscrire dans un certain de type de littérature, mais créer aussi un univers bien à elle, un univers dans lequel l’aventure vécue a quelque chose d’initiatique et sert à faire grandir l’héroïne, qui, avec son caractère bien trempé, mais son incapacité à prêter, va découvrir le sens de l’amitié, de l’amour, mais aussi se découvrir loin de sa famille, trouvant ainsi sa propre identité. Ainsi l’autrice propose un conte qui s’affirme comme tel, avec sa structure très archétypale, où tendresse et amitié sont les maitres mots. Le texte est d’abord un récit, qui fait la part belle à l’évocation des lieux, des créatures, des sentiments, des émotions. Il laisse place à quelques bouts rimés, des comptines pour se donner du courage, des formes de sagesse populaire, sorte de parenthèses amusantes. Il pourrait se suffire à lui-même, mais il constitue avec les illustrations un magnifique objet « à l’ancienne ».Outre quelques pages encadrées par des arbres, ou encadrant des fleurs, les illustrations pleine page évoquent, en particulier par les bordures et encadrements, les anciens livres pour enfants, ou, plus spécifiquement, les contes russes illustrés par Bilibine. Des couleurs tendres, des détails précis, des décors fouillés, autant de qualités de ces illustrations qui sont parfois de véritables tableaux.

Un roman illustré à l’écriture pleine de charme, aux illustrations pleines de poésie, qui entraine le lecteur dans un univers très enfantin, très féérique, un univers où tout est sérieux, même le jeu, un univers plein d’une tendre et douce fantaisie.

Ööfrreut la chouette

Ööfrreut la chouette
Cécile Roumiguière – Clémence Monnet
Seuil’issime 2025

Prom’nons nous dans les bois…

Par Michel Driol

Du haut de son arbre, Ööfrreut observe une maison de vacances, et une petite fille, enfant unique, passant ses journées à lire. Elle assiste à l’anniversaire de la fillette, une nuit, dans la forêt. C’est là que la fillette la repère. Puis la chouette, les nuits suivantes, se laisse approcher par cette enfant. Et lorsque la fillette se retrouve menacée par une laie, Ööfrreut n’hésite pas à ralentir cette dernière, puis à guider la fillette jusqu’à chez elle.

Voici la réédition méritée d’un ouvrage paru en 2020, un album plein de poésie dans lequel la narratrice est la chouette. Une chouette qui dit le monde des humains avec ses propres mots. Le temps se mesure en couvées, la bougie d’anniversaire devient un bâtonnet, et les bottes rouges de la fillette des coquilles rouges sur le bout de ses pattes.  La fillette est, pour elle, la dernière de sa couvée, et a toutes les qualités pour devenir une excellente chasseuse. Il y a là, de la part de l’autrice, une réelle volonté d’imaginer le monde vu par une chouette effraie, et, de ce fait, d’en montrer l’étrangeté sauvage, l’altérité profonde par rapport aux humains. Pour autant, elle partage quelques traits bien humains : ses petits ont quitté le nid, et elle se sent seule. Elle perçoit la fillette non pas comme une menace, mais comme une amie. On est donc dans un entre deux intéressant, entre animal sauvage, chasseresse, et le monde des hommes. De là vient, sans doute, la poésie dans la façon de mettre en mots cette histoire dont le cadre est une forêt, une forêt à respecter, menacée par le feu, refuge d’animaux sauvages qui protègent leurs petits, une forêt dans laquelle il faut savoir prendre le temps de saluer les arbres et d’observer, en silence. Autant de qualités possédées par la fillette.

Cette histoire d’amitié entre un animal et une chouette effraie permet de dépasser deux solitudes. Tout est fait pour qu’on imagine les sentiments de la fillette à travers le regard, forcément déformé, de la chouette, mais aussi à travers les aquarelles de Clémence Monnet qui donnent à voir ce que voit la chouette dans toute la première partie de l’album. Des aquarelles qui évoquent la poésie de Marie Laurencin dans la naïveté de la représentation de la forêt, qui se font un lointain écho aux peintures pariétales dans la figuration du sanglier. Des aquarelles qui montrent la beauté essentielle de la nature, de la forêt, de la nuit. Et, au milieu de tout cela, une sympathique petite fille libre, audacieuse, cheveux bleus, bottes rouges, pleine d’énergie, de curiosité et d’intrépidité.

Un album très original par son écriture, par le point de vue qui y est suivi de façon magistrale, un album pour évoquer la liberté des enfants au milieu des bois… Liberté perdue aujourd’hui, à l’ère des smartphones et des villes ?