Maudite guerre

Maudite guerre
Sylvie Arnoux – Anouk Alliot
Editions du pourquoi pas ?? 2025

Un homme, une femme pendant la 1ère guerre mondiale

Par Michel Driol

Louison et Léon sont un couple d’instituteurs dans un village du Causse. Maudite Guerre donne à lire leurs lettres, échangées entre le 20 janvier 1917 et le 1er septembre 1917. Un épilogue relate le retour de Léon au pays, en janvier 1919. En contrepoint, et en relation avec les thèmes abordés par les lettres, l’ouvrage donne à lire des extraits des textes de Marcelle Capy, journaliste, socialiste, féministe, écrits durant cette période.

Ouvrage hybride, Maudite guerre tient de la fiction et du documentaire. La fiction est clairement annoncée dès la préface, l’autrice expliquant que ces lettres, ainsi écrites, n’auraient pas franchi le couperet de la censure. Fiction aussi dans la construction des deux héros, elle révoltée, exaltée, admiratrice de Marcelle Capy, amoureuse. Lui ouvert au progrès, aux idées nouvelles quant à l’égalité homme/femme, à une société plus juste. On est dans le Tarn, et l’ombre de Jaurès plane sur les personnages, dont certains vont travailler à Carmaux. Le documentaire, ce sont les faits relatés, précis, relatifs aux conditions de travail des femmes durant la guerre, aux conditions de vie dans les tranchées, ou à l’arrière, tels qu’ils sont relatés par la journaliste Marcelle Capy, tels qu’ils sont éclairés par les lettres des deux protagonistes. L’ensemble forme ainsi un récit à trois voix accordées sur l’essentiel.

L’essentiel, c’est le discours cohérent construit autour de quelques thèmes forts et dont l’actualité n’est plus à démontrer. D’abord la question de la guerre, du pacifisme, du nationalisme. Il n’y a pas de différence de nature entre les Français et les Allemands, ils sont hommes et femmes, des semblables qui souffrent autant. Sont alors critiquées et condamnées toutes les manifestations de chauvinisme, de nationalisme, de haine des Boches. Ensuite la question du travail des femmes, contraintes par l’absence des hommes, mobilisés, des animaux, réquisitionnés, à se faire bêtes de somme à la campagne, ou ouvrières dans les usines. Le récit évoque les grèves de femmes, qui réclament un salaire égal à celui des hommes, et l’usure des corps qui veulent des conditions de travail dignes. Enfin c’est la question de l’éducation, des valeurs d’émancipation que l’école peut transmettre, en particulier aux filles, des valeurs guerrières aussi que propagent les jouets. Trois questions fondamentales qui, depuis plus d’un siècle, se posent, et n’ont toujours pas trouvé de réponse satisfaisante. Face à ces volontés progressistes, le récit se fait l’écho de la soumission de celles et ceux qui subissent la propagande, l’idéologie dominante, imposées par les élites, loin du réel. Toute ressemblance avec une époque plus contemporaine ne serait pas fortuite…

L’un des intérêts de l’ouvrage est de faire (re)découvrir la figure de Marcelle Capy, à travers les riches annexes, dont sa biographie. Militante, féministe, pacifiste, amie de Séverine (autre journaliste du début du XXème siècle plus connue qu’elle), elle a pratiqué, tout comme Albert Londres, un journalisme d’investigation et d’immersion. Amie de Romain Rolland, elle a été directrice de la Ligue des Droits de l’Homme.

Un roman par lettres sincère, émouvant, qui sait mettre l’accent sur la place des femmes durant la 1ère guerre mondiale, sur les relations hommes / femmes, et poser, sans didactisme, des questions sociétales toujours actuelles.

Grenouillette Grenouillon et le parapluie noir

Grenouillette Grenouillon et le parapluie noir
Denis Vanhecke – Audrey Martin
De temps à autre 2024

Deux grenouilles dans le vent

Par Michel Driol

Grenouillette et Grenouillon sont deux grenouilles frère et sœur. Un jour d’orage, agrippés à un parapluie, ils sont emportés dans les airs et atterrissent loin de leur mare. Un scarabée et des fourmis les reconduisent tandis que leur famille part à leur recherche. Tout se terminera autour d’une tarte aux pucerons.

Le récit s’inscrit dans une tradition de la littérature jeunesse qui cherche à distraire – en donnant vie, pensées et émotions à des batraciens et autres animaux aquatiques – et à instruire en nommant nombre de ces animaux qui vivent près de l’eau. Le récit prend l’aspect du conte, avec un narrateur s’adressant à son public, voire l’invitant à chercher tel ou tel détail sur l’illustration. Le tout a un côté délicieusement rétro, dans la caractérisation des personnages – une sœur posée et réfléchie, un frère intrépide, une maman grenouille à la cuisine, un papa chasseur cueilleur – dans l’utilisation du déterminant « nos » pour actualiser les personnages, ou encore dans la description de certains animaux peu connus, comme le scarabée. Cette fable animalière reprend les codes du roman d’aventure, d’une expérience loin de chez soi, et d’un retour à la maison, retour dont on tire une morale à double sens, faite de sagesse et de prudence et du plaisir de la découverte de nouveaux amis.

Les illustrations sont pleines de gaité et évoquent assez bien les films d’animation. On s’attend à voir bouger les personnages, insectes et batraciens anthropomorphisés, dans des couleurs très complémentaires, rouge et bleu, personnages saisis dans des poses pittoresques sur des fonds dessinés avec une vraie originalité.

L’ouvrage se veut peut-être un peu trop pédagogique, avec des mots écrits en rouge à chercher dans le dictionnaire, mais on prend plaisir à suivre ces deux petits personnages perdus dans le vaste monde, où tout le monde se décarcasse pour les aider. Belle leçon de fraternité entre les espèces!

Vivre la ville

Vivre la ville
Pauline Ferrand
Grasset jeunesse, 2024

Ville en jeu

Par Anne-Marie Mercier

Vivre la ville met son projet en action : en dépliant ce leporello, court mais dense, on entre dans le mouvement : carrefours, immeubles, devantures de magasins, terrasses de bistrots, fenêtres ouvertes d’immeubles ou de voitures, autobus, vélos, piétons de tous âges, animaux… La ville, tout en étant plate, en se contentant de trois couleurs peu urbaines sur fond blanc, est vivante et peuplée.

Vous pouvez l’animer encore plus en prenant l’une des nombreuses propositions énoncées par des cartons ajourés qui permettent d’isoler un détail : ainsi, une histoire commence, une réflexion s’amorce sur nos manières de vivre ensemble (ou non), un moment de poésie plane. Le tout est de trouver le bon emplacement, même si plusieurs sont possibles.

A vous de jouer !

Ce qui sera

Ce qui sera
Johanna Schaible
La Partie 2024

Passé – présent – futur

Par Michel Driol

Ce qui sera est un album très original pour évoquer le temps qui passe. Dans un premier temps, des pages qui sont de plus en plus petites, illustrant des phrases commençant par « Il y a ». L’échelle du temps commence avec la formation de la terre, il y des milliards d’années, se poursuit avec les dinosaures, les pyramides, puis tout s’accélère : il y a 100 ans, 10 ans, 1 an, un mois, une semaine, un jour, une minute. Au centre de l’album, l’injonction, « fais un vœu » fait émerger la figure du lecteur, absente jusqu’alors. Puis, alors que les pages grandissent à nouveau, le futur est évoqué, reprenant d’abord la même échelle de temps, pour se terminer sur l’âge adulte du lecteur, et son vœu le plus cher pour l’avenir.

A la fois poétique et philosophique, l’album rend presque palpable la mesure du temps,  construite à partir des événements, proches ou lointains, qui permettent de la fixer. Des grandes migrations à la fête du quartier jusqu’à l’extinction de la lumière sont ainsi convoqués à la fois les grands repères temporels, mais aussi ceux qui font sens à l’échelle d’une vie d’enfant. Entre les deux infinis du passé et présent, symbolisés par les plus grandes pages, se glisse le présent, fugace, matérialisé par la plus petite page. Si le passé est sûr, marqué grammaticalement par le « il y a », les phrases affirmatives, l’avenir, lui, est incertain et reste à construire. De ce fait, ce sont des phrases interrogatives, adressées à l’enfant, qui l’invitent à se questionner à la fois sur le minuscule, l’heure du lever du lendemain, et le plus sérieux, les enfants que tu auras, les souvenirs qui resteront, lorsque tu auras vieilli. Autant de questions qui touchent à l’intime et prennent un côté philosophique, invitant chaque lectrice, chaque lecteur à se situer dans un temps plus long que lui.

Graphiquement, l’album est très construit et très réussi. Au milieu, la page du présent se retrouve encadrée par les couleurs différentes des époques passées et à venir, qui lui font comme un écrin. Les pages du passé et du futur se font écho : ainsi, aux ptérodactyles correspondent les cerfs-volants de l’avenir… Plus le temps avance, plus les univers représentés  se resserrent. On passe ainsi, progressivement, de la création du monde, brossée à grands traits, figurée par du magma en fusion, à la porte entrebâillée de la chambre. Plus on avance dans le temps, plus les détails sont précis. Ce mouvement de zoom n’est pas tout à fait symétrique dans le futur, afin d’en rester à l’échelle d’une vie humaine, mais on notera qu’on passe d’un univers urbain à la campagne et à l’espace, fondant ainsi le personnage dans une nature qui l’enveloppe.

Un album qui est un véritable livre objet, pour rendre perceptible le concept de temps, et inciter, par les questions finales, à se projeter dans un avenir, en touchant à la fois à l’intime, au sensible, et à l’universel.

Petites sorcières : Maud Champignon

Petites sorcières : Maud Champignon
Anne-Fleur Multon, Nina Six
Sarbacane (Pocus, premiers romans), 2024

Prince formidable : l’attaque des Trowls !
Katerine et Florian Ferrier
Sarbacane (Pocus, premiers romans), 2024

Sérieux s’abstenir

Par Anne-Marie Mercier

La nouvelle collection de Sarbacane « Pocus, premiers romans » a bien des atouts, sans annoncer de futurs chefs-d’œuvre : elle traite de thèmes qui plaisent aux enfants (l’analyse des titres suffirait à le prouver), les illustrations sont nombreuses, colorées, aux traits accusés, simples. Enfin, tout cela est sans prétention et l’humour domine, au-delà des aventures horrifiques qui guettent les héros. Ceux-ci sont décrits comme proches des jeunes lecteurs : tout prince qu’il est dans le royaume de Skyr, donc des fromages, le prince Formidable préfère regarder par la fenêtre plutôt qu’apprendre ses leçons. Maud la sorcière apprentie est gourmande et se régale des plats africains confectionnés par les sœurs de sa mère – au passage on peut célébrer le choix de cette héroïne issue d’un couple mixte, ce n’est pas si fréquent.
Néanmoins, tous vont affronter de grands périls, accompagnés de leur assistant animal (une pie nommée Watsonne pour Maud, pour Formidable c’est Goudada la ponette et Chat-ours le chat – j’espère que vous avez remarqué les calembours).
J’ai une préférence pour la petite sorcière, à cause de sa cohérence et de son pari sur l’interculturalité, mais certains aimeront peut-être davantage Formidable, qui accumule les épreuves, les dangers et les grosses ficelles. À la fin, c’est sa mère, la reine Ricotta, qui intervient à grands coups de sabre, car son père le roi Pélardon est un peu fainéant, voilà pour la touche féministe à présent indispensable.
Si les « Petites sorcières » en sont à leur deuxième volume, le « Prince Formidable » initie sa série, un deuxième volume est en préparation pour 2025.

Ida et Martha des bois

Ida et Martha des bois
Ilya Green
Didier Jeunesse 2024

Deux petites filles en quête de liberté

Par Michel Driol

A l’orée du bois, Ida et Martha s’interrogent. Y a-t-il des enfants comme elles qui y vivent ? C’et alors que surgit un renard qui les conduit au cœur de la forêt, à la rencontre d’autres enfants aux tenues chamarrées qui s’empressent de peindre les belles robes blanches.  De retour à la maison, elles voient leur mère désapprouver leur tenue, et, le lendemain, une clôture entoure le jardin Le renard creuse un tunnel pour leur permettre de retourner dans la forêt. Le soir, elles sont punies, et la clôture est devenue infranchissable. Elles écrivent une lettre à leurs parents, et s’évadent pour rejoindre leurs amis de la forêt. La lecture de cette lettre conduit les parents à comprendre et à renouer le lien avec leurs fillettes.

Ce bel album évoque avec force et poésie la tension entre le besoin de sécurité et celui de liberté des enfants, entre l’ordre familial et le désordre du monde extérieur. D’un côté, il y a la maison, qu’on devine bourgeoise, un peu caricaturale, avec des parents et une cuisinière, un parquet brillant au point de Hongrie, une maison où tout est à sa place, à l’image du chat sur le fauteuil. Maison rassurante aussi, celle de la bonne odeur du diner et des câlins du soir. Face à cela, la forêt, lieu de l’interdit, lieu des mystères, lieu à découvrir, lieu du désordre des lianes et des branches, lieu des enfants libres, libres de se rouler dans la boue, de danser ou de se baigner. Entre les deux, il y a les deux sœurs partagées entre ces deux lieux, entre ces deux besoins, qui décideront de partir, de trouver la liberté qui leur manque à la maison.  C’est ce moment-clef de l’enfance que l’autrice saisit et dépeint, ce moment d’hésitation entre le confort du nid qu’on hésite à quitter et l’appel du large.

Le texte, écrit dans une langue sensible, est particulièrement travaillé pour suivre le point de vue des deux fillettes dans leur découverte d’un autre monde possible. A l’image de l’incipit « Ida regardait Martha. Et Martha regardait la forêt », un double regard qui donne à lire à la fois la bulle dans laquelle vivent les deux fillettes et l’ouverture vers le dehors. Par la suite, le texte évoque les représentations des fillettes sur la forêt, représentations qu’on devine dictées par les propos de parents qui en interdisent l’accès, les sentiments, les émotions, les joies et des peurs des héroïnes, afin qu’on soit au plus près d’elles lorsqu’elles prennent la décision de partir.

Les illustrations, essentiellement à partir de papiers découpés, donnent à voir ces univers. Celui de la forêt, représenté de façon quelque peu naïve, à la façon d’un douanier Rousseau, lieu de la couleur, des formes chatoyantes, celui de la maison plus géométrique.  Il faut voir aussi la façon dont sont rendues les attitudes de tous les personnages, celle de la bande d’enfants des bois, pleins de vie, saisis dans des postures qui contrastent avec l’aspect hiératique de parents, et voir défiler sur le visage des deux fillettes toute une gamme variée d’émotions. La force des illustrations vient aussi des cadrages choisis et de la composition, toujours maitrisée, des planches, magnifiées par le grand format de l’album qui permet de percevoir tous les détails, et, en particulier, les nombreux animaux qui peuplent cette forêt, dont le magnifique renard.

Un album qui pose la question de l’éducation, et de la voie que doit choisir chaque individu entre les normes sociales, les bienséances, le respect des convenances et son émancipation, ici son épanouissement au plus près de la nature, de sa nature peut-être. Tout en les opposant, l’album appelle à ne pas rompre les liens familiaux et se termine par la manifestation de l’amour qui va au-delà des façons de vivre et de sentir. Eduquer, c’est, étymologiquement, faire sortir de. Ce n’est donc pas entourer de barrières aussi protectrices qu’aliénantes, mais permettre de les franchir.

Une Ile

Une Ile
Alice Brière Haquet, CSL
À pas de loups, 2024

Robinson… et compagnie

Par Anne-Marie Mercier

« Certains matins j’aimerais bien partir ». C’est ce que dit cette petite dame frisée aux joues roses. Partir, tout quitter, c’est un rêve d’ile, bien sûr.
Mais le sourire de la petite dame dit d’emblée que partir n’est pas vivre seule. Il faudrait emmener le chien d’abord, « et puis quelques amis », et puis la famille, et puis les gentils voisins, mais aussi quelques crétins, « pour l’équilibre », des animaux, des enfants, et. Page après page, l’image du départ, lisse, qui nous plonge dans le rose et le bleu, se remplit de formes sommaires en noir et blanc qui représentent toute notre humanité et la vie qui l’accompagne, pour se vider à nouveau : c’est comme une respiration.

C’est simple, frais, vrai et rempli d’amour de l’humanité… à condition de pouvoir parfois la quitter un peu…

La Terre, notre combat

La Terre, notre combat. Rencontre avec six jeunes autochtones engagés
Louise Pluyaud, Elodie Flavenot
Sarbacane, 2024

Bien d’autres Greta Thunberg

Par Anne-Marie Mercier

Six jeunes autochtones, pour six continents. On les découvre dans leur combat pour l’eau, l’air, la propriété des terres…, combats qu’ils ont pour la plupart initiés très jeunes, parfois autour de douze / treize ans, allant à la rencontre de politiques, créant un mouvement, etc. Mais on découvre aussi l’ancienneté de ces luttes, et on en apprend beaucoup sur les peuples autochtones auxquels ils appartiennent : 6% de la population mondiale, avec un capital culturel énorme, de nombreuses langues, des mythes, des arts, mais aussi des savoirs positifs utilisés et récupérés par les sociétés dites avancées. Chaque continent est abordé par une double page qui présente ses populations, son histoire, ses premiers héros pour l’affirmation d’une identité.
Cette introduction est suivie par le portrait des six jeunes gens : Autumn Peltier, Anishinaabe (Amérique du Nord, Canada), Bitaté Juma, Uru-Eu-Wau-Wau (Amérique du Sud, Brésil), Fitimata Hamadalher, Afrique, Niger, Touareg), Shivu Ja, Jenu Kuruba (Asie, Inde) Dujuan Hoosan (Océanie, Australie, Aborigène) Áila Elise Gamst (Europe, Norvège, Samie). Chacun a développé un moyen de lutte. Notons l’arme de la dernière, la jeune Samie, qui se sert de la mode pour sensibiliser le monde à son combat.
La fin de l’album propose divers moyens de s’engager :  s’informer, partager, échanger, aider les ONG, manifester, ou s’émerveiller… Ainsi chacun peut se sentir acteur, selon le lieu où il vit, la famille dans laquelle il est né, ses envies. Enfin, on propose un temps « pour aller plus loin » avec des titres de livres, des podcast, des liens et même un jeu vidéo. S’engager devient presque un jeu d’enfant, mais un serious game tout de même. La lecture de cet album, sérieux et très documenté est aussi un parcours superbe dans des images chargées en couleurs et une belle exploration  des origines : langues, sports, végétaux, animaux…  on apprend beaucoup.

 

 

 

 

 

Peau d’âne – Un opéra de papier

Peau d’âne – Un opéra de papier
Clémentine Sourdais
Seuil Jeunesse 2024

Un conte dépoussiéré

Par Michel Driol

Clémentine Sourdais adapte le célèbre conte de Perrault pour en faire, ainsi que l’indique le sous-titre, un opéra de papier, c’est-à-dire un album qui conjugue illustrations gaies aux couleurs fluos, pop-ups, et dialogues théâtralisés.
Adaptant le texte, l’autrice reste fidèle aux péripéties initiales de Perrault, ainsi qu’aux personnages du conte, et l’on retrouvera ainsi le roi, la mort de la reine, l’âne magique, la fée marraine et le mariage final. Avec deux libertés prises par Clémentine Sourdais. On le sait, Peau d’Ane est un conte sur l’inceste, et cette dimension du désir du père à l’égard de l’adolescente est ici modifiée. C’est le conseil du roi qui propose le mariage contre nature, mariage qui révulse la jeune fille, et étonne le roi, présenté alors comme atteint de folie. De ce fait, à la fin, la princesse et son père peuvent se retrouver, elle consciente de n’avoir qu’un seul père, lui ayant retrouvé la raison. Double happy end donc, mariage et réconciliation faisant rentrer dans l’ordre ordinaire des choses ce qui avait été déréglé par le récit. La langue de l’adaptation est une langue porteuse de quelques marques d’oralité, la conteuse s’adressant au public, bruitant son texte de quelques onomatopées et inventant une formule magique assez pittoresque pour faire apparaitre la cassette pleine des riches vêtements de la princesse. Pour autant, c’est une langue qui reste classique, et porte quelques marques plus littéraires, comme les inversions syntaxiques, l’emploi de certains termes un peu surannés (souffrir cette idée) qui rappellent ainsi, de loin, la langue du conte initial. Enfin, c’est une langue qui fait la part belle aux dialogues, certes déjà présents chez Perrault, mais ici amplifiés, donnant corps aux voix des différents personnages.
La princesse de Clémentine Sourdais devient une héroïne forte. C’est elle qui tente de faire entendre raison à son père, qui va demander l’aide de sa marraine pour se tirer de ce mauvais pas, qui découvre le monde sauvage et élargit son horizon. Loin d’être anéantie par son déguisement obligé, son exil, sa fuite, elle y puise comme une seconde force en lien avec la nature. Pour autant, elle reste humaine, fragile, atteinte parfois de nostalgie et de regret de sa magnificence passée. En cela, elle devient une héroïne du XXIème siècle, féministe, humaine, complexe.
Les illustrations sont traitées dans des couleurs très flashy, fluo, et nous entrainent dans un « il était une fois » qui mêle le présent (voir les maisons, les pylônes, les voitures de la couverture) et le passé (voir les vêtements des médecins). Quatre pop-up s’ouvrent, à la façon des décors de théâtre de papier, montrant quelques lieux de l’action. Les fameuses trois robes merveilleuses sont, elles aussi, traitées en pop-up, façon de leur donner du relief, tout en laissant l’imaginaire intact. Quant aux autres illustrations, elles ne mettent pas trop l’accent sur le côté misérabiliste que pourrait avoir la représentation de la jeune fille vêtue de sa peau d’âne. Comme sur la couverture, elle devient une alerte héroïne prête à parcourir le monde, avec sa longue chevelure rousse, et ses bottes qu’on dirait de sept lieues… Elle n’est pas victimisée, mais pleine d’allant !
Clémentine Sourdais continue ici avec talent son travail d’adaptation des contes traditionnels dans des formes très contemporaines, gaies, pleines de joie, montrant en quoi ils ont encore des choses à dire aux jeunes lecteurs et lectrices d’aujourd’hui.

Satomi et le souffle de vie

Satomi et le souffle de vie
Sissi Briche
Sarbacane, 2024

Paralympique japonaise asssitée

Par Anne-Marie Mercier

Cet album propose un amalgame des clichés du Japon traditionnel : un père samouraï, une fillette attentive aux saisons, le cadre du dojo, un shogun… Mais fort heureusement il en ajoute d’autres, moins rebattus. La fillette est aveugle. Malgré cela elle est experte de tir à l’arc, et même invincible à partir du moment où elle fait la connaissance d’un yokaï, « malicieux esprit de la nature », qui guide ses flèches. On murmure devant ce talent mystérieux, on prononce le mot de sorcière… Tout se dénoue lors d’un concours de tir à l’arc organisé par le shogun, avec quelques péripéties.
Les illustrations multiplient les angles de vue, les cadrages variés et dynamiques, donnant au yokaï, esprit du vent, une place centrale. Les coloris bistres et bruns, ternes, mettent en valeur le vêtement rouge de la fillette, le hakama de sa mère morte.