Le Royaume de minuit

Le Royaume de minuit
Max Ducos
Sarbacane, 2016

Architecture la nuit

 

Par Anne-Marie Mercier

Max Ducos a renoué ici avec son grand succès, Jeu de piste à Volubilis, dans lequel le parcours d’un enfant coïncide avec l’exploration d’un bâtiment d’une belle architecture moderne. Ici, ce sont deux garçons qui jouent à des aventures rêvées dans une école déserte, la nuit. L’un est un enfant turbulent qui s’y est caché pour la découvrir, l’autre est le fils du directeur, un enfant solitaire qui découvre la joie de faire des bêtises et d’avoir un ami.

 L’école a été réalisée par Jean Prouvé, et elle est entièrement meublée et décorée selon son style et ses créations. Elle est aussi un jeu de piste pour le lecteur car les affiches sur les murs et les objets sur les étagères sont autant de citations d’artistes, ou d’architectes.
Achille, qui a fait de son compagnon son « Sancho Pança » l’entraîne dans ses fantaisies, dans l’école, puis dans les bois, où la peur les saisit. Leur parcours est l’occasion de superbes images nocturnes, d’ombres allongées, de noirs éblouissants.

On trouve quelques images avec de belles ombres sur le site de l’éditeur

 

 

Simon la Gadouille

Simon la Gadouille
Rob Evans
Traduit de l’anglais par Séverine Magois
L’Arche, 2012

Par Clara Adrados

Dans cette pièce de théâtre on suit l’histoire de Martin, histoire somme toute banale : celle d’un enfant, le nouveau de sa classe, un peu perdu, un peu seul, qui va se lier d’amitié avec l’autre nouveau de la classe, Simon.

L’histoire se passe dans une école primaire, les enfants se cherchent, se chamaillent… Martin est la risée de ses camarades qui s’empressent de se moquer dès qu’une légère différence pointe son nez chez l’un de leurs camarades. Pour Martin, c’est le fait de venir de Birmingham et peut-être d’être un peu timide, en manque d’attention. Simon le sauve et lui permet de rêver, de rire, de s’inventer une vie qui lui correspond, où les moqueries glissent sur lui. Jusqu’au jour où Simon tombe dans la boue et se ridiculise devant tout le monde. Martin ne réagit pas, ne va pas vers son ami pour l’aider. Et c’est le surnom de « Simon la Gadouille » qui poursuit le pauvre garçon où qu’il aille. Les enfants répètent en chœur ce surnom. Le lecteur ressent alors l’oppression à laquelle la victime doit faire face. La narration constituée de très peu de dialogue contribue à rendre ce sentiment d’envahissement, d’étouffement subi par Simon. Peu de mots sont dits, peu de dialogues mais des chuchotements incessants qui constituent une rengaine malveillante dans sa vie. Martin est déchiré entre la culpabilité de renier son ami, et l’envie de faire partie du groupe des « populaires », de ceux à qui on ne donne pas de surnoms dégradants. Il choisira l’entente avec tout le monde plutôt que de garder son ami d’enfance. Les années passent et Martin souhaite revoir son vieil ami. La culpabilité et la peur de le retrouver et de voir qu’il ne lui a toujours pas pardonné hantent ce quarantenaire. Les deux hommes se donnent rendez-vous pour se revoir : une façon de retrouver un vieil ami ? Un moment propice aux excuses, au pardon ? Ou un instant pour se redécouvrir, adulte, dégagé de ces schémas de martyr / groupe dominant ?

Le lecteur peut se faire sa propre fin.

Cette pièce aborde avec justesse un sujet précieux pour les enfants scolarisés : le harcèlement à l’école. Martin semble avoir autant souffert que Simon de cette situation, même s’il a intégré le parti des harceleurs à un moment donné. Cela a détruit une part de lui-même pour que trente ans plus tard il ne se le soit toujours pas pardonné. Le personnage de Martin faisant office de narrateur, nous n’avons pas le point de vue de Simon, et cela donne toute sa force au texte. Simon accepte de revoir son vieil ami et on peut imaginer que ce dernier a bien réussi dans la vie, qu’il s’est construit malgré les maux auxquels il a été soumis, peut-être même que sa force vient du fait de ne s’être jamais plié à ses bourreaux. Une pièce qui ne laisse personne sur le côté : bourreau, martyr … Une ligne facile à franchir.

Perdus de vue

Perdus de vue
Yaël Hassan – Rachel Hausfater
Flammarion jeunesse

La vieille dame et l’enfant

Par Michel Driol

perdusPrivée pour un temps de sa dame de compagnie, Régine, vieille dame aveugle et cultivée, fille d’un marchand de tableaux, engage Sofiane, adolescent un peu perdu. Petit à petit, entre les deux, se partagent les joies, les visites, les promenades, et les blessures qui deviennent de moins en moins secrètes. Entre l’adolescent dont le père est parti et la mère a démissionné, et la vielle dame qui a tout sacrifié – y compris ses propres enfants – pour un père dont elle a découvert, après coup, qu’il ne l’aimait pas, les parcours de vie se croisent. Peut-on réparer les erreurs et reconstruire les vivants ?

Le roman est construit  selon les points de vue des deux personnages principaux, l’un écrit par Yaël Hasan (Régine), l’autre par Rachel Hausfater (Sofiane).  Sans doute peut-on lui reprocher parfois l’optimisme et la confiance en la culture (Sofiane découvre et adore Chagall, se reconnait dans l’Attrape-cœur de Salinger), la cécité de Régine disparaît à la fin, mais c’est à une belle rencontre entre deux univers différents qui vont apprendre, tous les deux, à faire un pas vers l’autre pour accepter les différences, s’enrichir, et finalement se réconcilier avec les monde des vivants. L’humour des deux personnages – le sens de la répartie de Régine qui fascine Sofiane – ne gâche rien au plaisir du lecteur. La petite histoire des personnages croise bien sûr la grande – sur fond d’holocauste, d’immigration et de couples qui se déchirent, de cités glauques et de trafics de drogue.

Un livre plein d’optimisme à lire en ces temps troublés où les liens sociaux ont plutôt tendance à se déliter, comme pour montrer que tout est toujours à remailler du monde.

Voici l’histoire

Voici l’histoire
Sara Donati
Rouergue, 2015

Graines d’amitié

 Par Clara Adrados

Voici l'histoire« Voici l’histoire… », ainsi commence cet album très poétique de Sara Donati, qui invite le lecteur à suivre le narrateur dans l’histoire de Fante, Hydromel, d’une graine de plante, et d’une théière incomplète.

C’est une histoire qui ne se dit pas… Le narrateur introduit les personnages, puis laisse parler l’image. Les motifs, couleurs, accessoires, participent pleinement à la narration. Le lecteur est celui qui recompose les séquences illustrées pour les faire parler. Ainsi, l’histoire commence avant la page de titre, avec l’apparition des petits pois rose sur fond blanc, tels qu’on les retrouvera sura théière d’Hydromel et le « chapeau » de Fante. La graine, premier personnage, entraîne le lecteur dans l’histoire. Les plantes tissent un fil entre les personnages, jusqu’à les amener à se rencontrer, elles sont le moteur de l’action. Les plantes symbolisent aussi l’acte de lecture, le fil narratif que le lecteur se doit de recréer.

Place est faite à l’imagination, donc. L’image raconte. Nous sommes face à deux solitudes, face à une théière incomplète : uniquement le chapeau d’un côté, et seulement le bol de l’autre. Arrêtons-nous un instant sur les prénoms donnés aux personnages : Fante et Hydromel. La première a un prénom, homonyme du mot « fente ». Une fente est un espace qui laisse entrevoir un ailleurs, une possibilité. C’est aussi une ouverture par laquelle on peut sortir. La seconde, Hydromel, a un prénom à consonance magique. L’hydromel est une boisson composée d’eau et de miel, boisson douce, sucrée, rassurante. Boisson venant de la forêt, où habite Hydromel. Ces prénoms donnent le ton à l’histoire, emmènent le lecteur dans un univers magique, poétique.

Fante s’ennuie chez elle. Une plante fait son apparition à travers sa fenêtre, elle décide de la suivre. La teinte grisée des images dessinées au crayon à papier vont de pair avec une ambiance, un peu triste, comme éteinte, qui se dégage de la ville et de la maison de Fante. Seule cette dernière, avec son chapeau blanc à petit pois rose détonne et lui donne un air fantaisiste, joyeux. La forêt apporte sa couleur, verte. Petit à petit on laisse le gris pour le vert, couleur apaisante, couleur de l’espoir. Une fleur rose surgit sur une double page : la graine a germée, l’amitié est née. Jusqu’à la maison d’Hydromel, d’où sort la plante. Le jeu des couleurs prend son importance ici, avec un jeu sur les ombres (celle de Fante dans l’encadrement de la porte et celle d’Hydromel), un jeu sur la présence de Fante dans l’univers d’Hydromel. Les couleurs se mêlent, les ombres ne font plus qu’une. Une présence amicale, tant espérée par Hydromel.

Le narrateur reprend la parole pour dire ce que le lecteur a déjà deviné : la naissance d’une longue amitié entre Fante et Hydromel … et la théière qui retrouve son chapeau.

 

La petite Maison de bois

La petite Maison de bois
Christopher Corr
Gallimard Jeunesse 2016

Amitié, partage et solidarité au sein de la forêt

Par Michel Driol

Ce document a été créé et certifié chez IGS-CP, Charente (16)

Ce document a été créé et certifié chez IGS-CP, Charente (16)

Une souris trouve, au cœur de la forêt, une petite maison de bois, à la porte rouge et aux neuf fenêtres. Elle s’y installe, puis y accueille successivement une grenouille, un lapin, un castor, un renard, un coq, un cerf, un écureuil, une chouette, deux pies, un pic-vert.  Dans une joyeuse entente, ils font la fête et attirent ainsi un ours brun. Mais, pour l’ours, pas de place. Pour entrer malgré tout, ce dernier grimpe sur le toit, et casse la maison. Après un moment de tristesse collective, l’ours prend l’initiative de rebâtir une maison plus grande où tous font la fête !

Voici une belle adaptation d’un conte russe en randonnée (déjà adapté en 2001 par Robert Giraud, Gérard Franquin sous le titre Brise-cabane au Père Castor). Ecrit dans une langue simple et rythmée, favorisant la lecture orale du texte, cet album respecte les lois de la randonnée (répétition de formules soit à l’identique, soit avec d’infimes variations). Peut-être lui trouvera-t-on sur le fond un côté Bisounours, tous les animaux, prédateurs et proies, à poils et à plume, vivant ensemble dans une harmonie universelle. Mais se distille ainsi une vision de tolérance et d’accueil dont notre époque a bien besoin.

Les illustrations, gaies et colorées, à la limite de la fluorescence, accompagnent au plus près le texte. La représentation des animaux les anthropomorphise plus ou moins dans leur pose. Les yeux, humains et expressifs, favorisent l’identification du lecteur à cette communauté animale. Chacun joue d’un instrument, et on cherchera la balalaïka, le violon, l’harmonica… Alternent enfin les scènes de jour (sous le regard bienveillant du soleil) et de nuit (sous la protection de la lune), puissances tutélaires qui se retrouvent réunies dans la dernière illustration.

Un bel album, plein de vie et de couleurs !

Ma vie sans mes parents

Ma vie sans mes parents
Myriam Gallot
Syros, 2016 (Tempo)

Un roman sobre et brillant

Par Caroline Scandale

Afficher l'image d'origine Éléonore découvre un petit chat sur son balcon. Il appartient à son voisin de palier, un vieux monsieur très seul, prénommé Aimée. Dès lors se tisse un beau lien d’amitié, entre l’homme âgé et la jeune fille. Sa solitude rencontre celle d’Éléonore, dont les parents sont boulangers et travaillent énormément.

La vie suit son cours et la mort survient. Passée la tristesse, l’existence reprend du sens, surtout lorsque l’on est une jeune ado de 12 ans, bien entourée, épanouie et prête à croquer la vie.

Les valeurs de l’amitié, de la rencontre et des plaisirs simples sont mises en avant. L’héroïne et tous les protagonistes du roman ont des préoccupations saines et une vie normale, qui fait écho à celle des adolescents.

Le sujet est profond mais il est traité si délicatement que le roman n’est jamais triste longtemps. Il propose, au contraire, une vision optimiste de l’adolescence. De sa plume délicieusement littéraire, Myriam Gallot signe un récit ultra délicat sur l’importance du lien intergénérationnel et du lien entre l’homme et l’animal, deux thèmes qui lui tiennent à cœur.

 

La fille qui parle à la mer — Le garçon au chien parlant

La fille qui parle à la mer

Le garçon au chien parlant

Claudine Galea (ill. Aurélie Petit)

Éditions du Rouergue, 2013

La mer, dans ses bras

par François Quet

D’une part, c’est Oyana qui passe « de l’autre côté » sur le dos agité de la mer. De l’autre, c’est Loïc qui ne sait pas ce que sont les « réfugiés ». L’histoire de Loïc prend la suite de celle d’Oyana à laquelle elle propose une issue heureuse : ils seront tous deux, l’un pour l’autre, princesse et prince.

lafillequiparlait

Belle histoire certes que celle de cette adoption, dont on aimerait sans doute qu’elle condense la réalité. Claudine Galea raconte ces deux récits, qui ne font qu’un, au présent la plupart du temps (« Maintenant ils marchent le long de la plage »). Elle enferme le lecteur avec ses personnages dont elle donne à entendre la voix, limitant la représentation de l’extérieur (le décor, les autres…) au strict nécessaire (la voix du passeur, quelques mots des parents de Loïc). Et les nombreux récitatifs donnent une grande puissance aux événements.Il y a une forme de théâtralité dans cette présentation des personnages, ; tout cela donne en tout cas, le sentiment d’une grande présence, intense et rayonnante : « Et elle se dit, J’ai perdu mes chaussures. J’ai perdu le bateau, j’ai perdu les autres (…) et Oyona entend sa propre voix murmurer, Tu n’es pas perdue, Oyana, tu es de l’autre côté de la mer, regarde comme c’est beau ». Les accents durassiens se retrouvent encore dans la brièveté des phrases, la fréquence des reprises anaphoriques, les retours à la ligne, le sens du silence :

« Cette année, c’est différent.

Cette année, il n’est plus seul.

Cette année, il voudrait rester à la maison.

Il voudrait que l’été recommence.

Il voudrait aller courir sur la plage avec Oyona. Il voudrait ramasser les coquillages avec elle. Il voudrait nager avec elle. Il voudrait tout faire avec elle. »

Ces deux petits récits de Claudine Galea constituent donc une belle histoire d’amitié et d’accueil, mais on retiendra surtout la grâce d’une écriture qui force l’attention et suggère l’aventure intérieure au delà des événements et de l’anecdote.

Alex Cousseau et les histoires doubles de la collection Boomerang

Le roi des fous, & La licorne invisible
Alex Cousseau, Valie Le Gall

Éditions du Rouergue, 2015

Totem, & Je t’aime

Alex Cousseau (ill. Aurélie Petit)

Éditions du Rouergue, 2013

Près des étoiles

par François Quet 

897-1-zDepuis quelques années, les petits livres de la collection Boomerang réunissent deux courts récits. Une fois le premier terminé, on retourne le livre, et hop ! c’est reparti. Les histoires que raconte Alex Cousseau se conjuguent heureusement, sur un détail : deux initiales gravées sur un tronc d’arbre, une corne de narval (ou de sirène) sur une plage. À partir de ce point commun, le récit rapproche des espaces, des époques, des personnages dont les destins semblent devoir se croiser pour le seul lecteur. Le rêve est toujours central : « J’ai envie de croire en nos rêves » dit la petite héroïne de La Licorne invisible au vieux fou qui l’accompagne sur la falaise, tandis que très loin de là, de l’autre côté de l’océan, un petit garçon (Le roi des fous) « imagine [son] grand-père, vivant, assis sur une plage, qui regarde vers [lui] ». « Je m’appelle Victor, je suis indien et j’habite près des étoiles. Ma maison touche le ciel. Je dors en compagnie des étoiles » soupire le personnage principal de Totem, alors que Vasco, le héros de Je t’aime, quitte son terrier solitaire pour atteindre la cime de la montagne où l’attend Alixe la géante : Vasco regarde enfin le monde et peut s’émerveiller.

La délicatesse de ces petits romans en fait tout le charme. Quand Alex Cousseau décide que le soleil se lève, ses personnages « ont tous les deux les joues qui rosissent en même temps que le ciel » (Je t’aime), Dans un arbre creux, les deux enfants de La licorne invisible cachent leurs trésors : « j’imagine, dit Enid, qu’avec la lune, l’arbre creux brille dans la nuit ». L’univers d’Alex Cousseau est généreux, porté par des enchantements dont on ne sait jamis s’il faut les attribuer à la beauté du monde, à l’imagination des héros ou à la magie d’une écriture, pourtant infiniment simple.

Le Carnet de Théo T.1; Dans ma bulle

Le Carnet de Théo T.1; Dans ma bulle
Éléonore Cannone
Illustré par Sinath
Rageot, 2011

Une héroïne androgyne, Glam Rock et Cosplay!

Par Caroline Scandale

le-carnet-de-theo-1-1Dans ma bulle est le premier tome du Carnet de Théo, une trilogie pour adolescents, dont chaque volume se déroule sur une année scolaire. Écrit à la façon d’un journal intime illustré de dessins manga, il plonge le lecteur dans l’univers original de la jeune Théo, élève de 3°, dans un collège catholique parisien.

Les premières pages du roman laissent penser que Théo est un garçon,  mais très vite on comprend que Théo(dora) est une collégienne androgyne, issue d’un milieu favorisé, qui cultive le style Cosplay et Glam Rock car elle est fan de mangas. Nous partageons son quotidien entre les cours, son meilleur ami, ses parents trop occupés, sa « nounou » à temps plein, sa passion pour le dessin et son amitié naissante avec le sage Takeshi.

Le Carnet de Théo a un supplément d’âme car la narratrice, en utilisant le vocabulaire et des surnoms propres aux mangas, nous transporte au Japon… Ce roman passionne les ados déjà fans de mangas et fait aimer à tous, cet univers qui peut paraître très lointain. L’héroïne y est pour quelque chose, car tout en étant une parfaite ado râleuse et sombre, elle irradie par son intelligence et sa maturité. Théo ne veut pas rester dans une institution privée catholique, donc elle améliore encore considérablement ses résultats, pour être acceptée dans un grand lycée public parisien. Elle montre une image positive des bons élèves. Elle est intéressante car elle n’aime pas les choses traditionnellement associées au genre féminin; Les mangas pour filles (les shojos), les cœurs, être douce et fragile mais pour autant, elle n’est pas un garçon manqué. Elle cultive un look androgyne à souhait et son amitié avec un tatoueur d’origine japonaise d’une cinquante d’années atteste de sa différence et de son ouverture d’esprit. Elle trouve en lui un père spirituel, un guide en qui elle se reconnait car elle se passionne pour la culture japonaise.

Dans ce premier tome, se dessine en filigrane, un drame passé. La mort d’un frère, le deuil impossible à faire pour sa mère, la culpabilité, le froid qui s’installe dans le couple de parents… Théo, elle, se demande pourquoi elle ne se souvient pas. Ce drame, enfui dans son inconscient, n’est pas du tout le thème principal du roman mais on pressent déjà qu’il est la clé de cette trilogie…

Le roman est agrémenté d’une playlist tendance « années 90 », où Placebo côtoie Nirvana et REM. Éléonore Cannone propose des titres de groupes méconnus des ados, mais qui gagnent à l’être. Toujours dans une logique de « faire découvrir un univers » qu’elle semble maîtriser parfaitement, le « petit dico de Théo » sur la littérature manga, à la fin de chaque volume, est une excellente idée!

Ce roman réjouissant mêle des univers totalement opposés, brouille les pistes du genre masculin/féminin, du manga et du roman, mélange les codes du Glam Rock et du Cosplay. Il nous donne à voir une héroïne à l’univers hétéroclite et enthousiasmant malgré les aléas de l’adolescence.

Avec Les petites reines de Clémentine Beauvais, Le carnet de Théo rend parfaitement compte d’un des segments de la production littéraire young adult actuelle, de qualité, positive et jamais niaise.

 

Jonas Le requin mécanique

Jonas Le requin mécanique
Bertrand Santini – Illustration de Paul Mager
Grasset Jeunesse 2014

Freaks mécaniques au cœur tendre

Par Michel Driol

jonas-1couvVieux robot rouillé allant de panne en panne, Jonas, le requin mécanique, n’effraye plus personne à Monsterland, parc d’attraction où le public vient jouer à se faire peur. Promis à la casse, il est sauvé par Krokzilla, qui l’emmène à l’océan, en y laissant sa propre vie. Jonas devient alors l’ami improbable d’un manchot. Tous les deux, ils échappent aux hommes qui tentent de capturer le requin, et réalisent le rêve le plus cher de Jonas, retrouver sa maman, grâce à la Fée bleue.

Clin d’œil aux Dents de la mer, ce roman se situe aussi dans la lignée de Pinocchio, en alliant le merveilleux et l’humour. Robots, animaux et humains sont des caricatures : comme chez Roald Dahl, les plus monstrueux physiquement ne sont ni les plus bêtes, ni les plus méchants. La naïveté et l’ingénuité du requin, qui découvre le monde réel et sa vraie cruauté permettent un regard décalé et amusant sur le monde qui nous entoure. Et, au fond, c’est l’amour et l’amitié qui vont permettre à ce grand sentimental en métal de connaitre une vraie naissance. Les illustrations de Paul Mager, dans un beau noir et blanc, accentuent encore le côté caricatural des personnages.

Un conte moderne, distrayant et drôle, qui sait aussi faire place à la tendresse et à l’émotion.