Grizzli et moi

Grizzli et moi
Alex Cousseau
Editions du Rouergue, 2017

Un pays traversé par des courants d’air qui ronronnent

Par Christine Moulin

Dans la série des narrateurs originaux, Alex Cousseau a choisi de faire parler une chaussette, isolée (il suffit d’avoir fait quelques lessives pour comprendre…), du nom de Dorothée qui, en courts chapitres indépendants, raconte la vie de son grand ami chat, Grizzli: « […] à l’heure qu’il est, j’ai mieux à faire que raconter ma vie de chaussette. Grizzli, mon ami, je te rappelle que ce livre est à ta gloire! ».

On découvre alors qu’Alex Cousseau est un fin connaisseur des chats (et des chaussettes, sans doute, mais les éléments nous manquent pour l’affirmer), quand, par exemple, il nous indique que si le chat rapporte des mulots aux humains, c’est parce qu’il les trouve bien piètres chasseurs; quand il décrit la passion de Grizzli pour le thon : « La boîte glisse sur le carrelage, le chat suit derrière, le museau dedans, cela peut durer longtemps. »; quand il déclare: « […] Grizzli ne boit jamais dans le bol qu’on lui a réservé près du frigo. Pourquoi? Parce que l’eau y est trop propre. »; quand il nous révèle les fantasmes héroïques du félin aux prises avec une feuille morte…

L’humour de l’auteur fait merveille : souvent, il côtoie l’absurde (par exemple, quand le lecteur est amené à imaginer un instant la visite d’un appareil à raclette blessé  chez le vétérinaire!) et construit des raisonnements imparables et loufoques, mais il n’est jamais aussi délicieux que dans les moments où il se fait tendrement réaliste pour évoquer toutes les attitudes que reconnaîtront les amoureux des chats, petits ou grands.

Le dernier chapitre, très joli, laisse craindre qu’il ne soit arrivé quelque chose à Grizzli mais rien n’est sûr, n’est-ce pas ?

PS: si vous avez une vieille cafetière avec « une anse plus ou moins large à l’arrière, un bec verseur plus ou moins allongé à l’avant, et un couvercle bombé sur le dessus » dont vous ne vous servez plus, envoyez-la aux éditions du Rouergue !

Le Voyage du chat à travers la France

Le Voyage du chat à travers la France
Kate Banks, Georg Hallensleben
Traduction (anglais) de Pascale  Jusforgues
Gallimard jeunesse (l’heure des histoires), 2016

Il était une fois, deux enfants? – non, un chat

Par Anne-Marie Mercier

C’est une histoire simple et charmante, qui reprend les schémas des livres  prenant pour prétexte une fiction pour transmettre des savoirs géographiques et culturels (comme Le Tour de France de deux enfants et le Voyage de Nils Holgersson à travers la Suède). Ici, on a un seul personnage, un chat ; s’ajoutent quelques humains sur la première et l’avant dernière double page, et quelques silhouettes à peine entrevues, fuies.

Au début, le chat mène une vie paisible et heureuse, dans le sud de la France, « dans une jolie maison au bord de la mer », qu’il partage avec une vielle dame. A la mort de celle-ci, le chat est expédié avec tout le déménagement dans le Nord, où il est oublié. Affamé et triste, il prend la route et traverse la France afin de retrouver la « jolie maison au bord de la mer » dont le souvenir le hante et l’accompagne tout au long de son périple, difficile et plein de frayeurs. Il le ramène à son point de départ – où il est accueilli par des enfants.

C’est aussi un parcours touristique : notre chat ne va pas en ligne droite mais passe, comme par hasard, par des lieux emblématiques de la France, que l’on reconnait sans qu’ils soient nommés (ils le sont en quatrième de couverture) : Paris, les châteaux de la Loire, le canal de Bourgogne, les Alpes, le Pont du Gard…), occasion d’instruire tout en amusant, et de proposer de belles images aux pastel gras colorés.

Mignon et Chérie

Mignon et Chérie
Nadja
Ecole des Loisirs, 2017

« Trop » mignon ! 

Par Christine Moulin

C’est Nadja l’auteure de cette histoire, si bien qu’habitué à certains de ses ouvrages un peu « rosses », on a peur, tout au long de la lecture: qui va être le berné,  le déçu? Chérie va-t-elle être mangée? Au risque de « divulgâcher » la fin, personne! On a là un vrai « feel good » album, adorable, mignon comme tout, qui met de bonne humeur, sans bêtifier: les deux animaux sont très attendrissants et militent doucement pour l’amitié, le partage et l’entraide, même entre « ennemis héréditaires ». Leurs attitudes sont drôles (il faut voir Chérie s’enfuir après son larcin!) et leurs expressions permettent bien de partager leurs émotions (comme on voudrait pouvoir consoler Mignon quand il est triste!).

Chat et chien

Chat et chien
Jeanne Boyer
Ecole des Loisirs, 2015

Comme chien et chat

Par Christine Moulin

Tout semble destiner cet ouvrage aux plus petits: c’est un album cartonné, les illustrations ne montrent que l’essentiel et n’emploient que deux couleurs, le bleu pour le chien et l’orange pour le chat (du moins au début), l’histoire est linéaire (un chien et chat sont amis, le chat mange le chien, le chien ressort de l’estomac du chat, les deux animaux se réconcilient). Et pourtant…

Les illustrations privilégient un trait brouillon, très éloigné du « mignon » et tout entier dévoué à l’expressivité. Les couleurs débordent du trait et donnent encore plus de dynamisme à l’ensemble. L’histoire, quant à elle, sous ses airs innocents, remet en cause un certain nombre de stéréotypes, comme le suggère le titre qui inverse la formule habituelle: ce n’est pas le chien qui mange le chat  et dans ce récit, « on s’aime comme chien et chat ». On peut même penser que l’auteur nous invite à une réflexion sur l’amitié ou l’amour: on peut aimer quelqu’un et le dévorer au risque alors de n’être plus confronté qu’à soi-même, en un narcissisme délétère (quand il se retrouve tout seul, le chat se regarde dans un miroir mais sombre très vite dans le désespoir). Il faut accepter de ne pas comprendre l’autre, de ne pas l’absorber pour en faire un autre soi, afin de mieux être son ami, tout en se laissant transformer (est-ce ce qu’il faut voir dans l’échange de couleurs entre les deux animaux?).

La littérature de jeunesse seule sait ainsi s’adresser à tous les âges…

Le chat

Le chat
Charlotte Mollet
Editions du Rouergue, 2017

(Le) chat

Par Christine Moulin

 L’album attire d’abord par ses illustrations, réalisées en linogravure, et jouent sur un petit nombre de couleurs franches et contrastées. La couverture laisse éclater, en guise de titre, le mot « chat » en orange mais rend beaucoup plus discrets le déterminant « le » devant le mot ainsi que l’image même de l’animal, en bleu sombre sur fond noir. C’est qu’effectivement nous allons partir à la recherche du félin en question à qui le livre semble dédié, puisqu’il s’ouvre, en lieu et place de la page de garde et de la page de titre, sur la vision d’un chat installé sur les genoux de sa maîtresse, accompagnée d’un texte à la tonalité poétique: « […] lové sur mes genoux, tu rêves sans dormir ». Plus précisément, nous allons partir à la recherche de son nom, mystérieux, forcément, comme celui de tous les chats: « Dis-moi le chat, comment t’appelles-tu? ». Suivent une série de suggestions, reliées au cosmos: Ciel, Lune, Nuage, etc. A chaque appellation correspondent un pouvoir attribué au chat (« tu changerais la nuit en jour »), mais également un fragment de son corps. On songe alors au conte La plus mignonne des petites souris, dans la collection du Père Castor, car chaque élément évoqué voit sa puissance battue en brèche par celle de l’élément qui suit. La présentation de l’éditeur confirme cette réminiscence tout en la rendant plus exotique : c’est là le fonctionnement, nous dit-il, d’un conte vietnamien. L’album se termine sur une chute et un jeu de mots, qui font sourire et le chat et le lecteur. Voilà donc un bel ouvrage, élégant, suggestif, serein et sage, à l’image de celui qu’il décrit.

Nuage

 

Nuage
Alice Brière-Haquet, Monica Barrengo (ill.)
Passe Partout

Nuage et Spleen…

Par Christine Moulin

Curieusement, depuis quelque temps, le nuage a le vent en poupe en littérature de jeunesse: c’est le cas dans le dernier album d’Anthony Browne, Marcel et le nuageet dans La Bulle de Thimothée de Fombelle. C’est aussi le cas dans l’album d’Alice Brière-Haquet. Dans les trois ouvrages, même si aucun n’appelle une lecture univoque, le nuage (ou l’ombre menaçante) peut être assimilé à une représentation symbolique des émotions négatives et intrusives, ou même de la dépression, thème relativement peu traité mais  susceptible, surtout si l’auteur adopte la stratégie du détour, d’aider des enfants qui seraient confrontés à cette maladie dans leur entourage ou qui auraient à l’affronter eux-mêmes. Il y faut de la délicatesse…

Nuage n’en manque pas. Le texte, peu bavard, analyse, sans pathos, l’impression de pesanteur, de découragement absolu attaché à cet état: « un nuage dans la tête nous cache le soleil », « son ombre se pose sur les plus jolies choses » (ces choses, en l’espèce, sont les chats et la musique). Il finit sur une note d’espoir tout en soulignant la fragilité qui perdure.

Les illustrations sépia sont à l’unisson. Elles construisent leur propre discours, en écho avec celui du texte : des horloges, des montres, décalées, suggèrent que le temps a perdu sa fluidité pour le personnage principal, une femme, apparemment seule, voire solitaire. Trois chats, par leurs attitudes, réagissent à la détresse de leur maîtresse: souvent paisibles et rassurants, ils laissent parfois sourdre leur inquiétude en se frottant contre les jambes de leur « humaine » ou en attendant, figés, devant la porte de la chambre, qui reste fermée. Ils saluent finalement la sérénité retrouvée.

On voit combien tout est mesuré, feutré, sans pour autant éluder l’essentiel.

Ma vie sans mes parents

Ma vie sans mes parents
Myriam Gallot
Syros, 2016 (Tempo)

Un roman sobre et brillant

Par Caroline Scandale

Afficher l'image d'origine Éléonore découvre un petit chat sur son balcon. Il appartient à son voisin de palier, un vieux monsieur très seul, prénommé Aimée. Dès lors se tisse un beau lien d’amitié, entre l’homme âgé et la jeune fille. Sa solitude rencontre celle d’Éléonore, dont les parents sont boulangers et travaillent énormément.

La vie suit son cours et la mort survient. Passée la tristesse, l’existence reprend du sens, surtout lorsque l’on est une jeune ado de 12 ans, bien entourée, épanouie et prête à croquer la vie.

Les valeurs de l’amitié, de la rencontre et des plaisirs simples sont mises en avant. L’héroïne et tous les protagonistes du roman ont des préoccupations saines et une vie normale, qui fait écho à celle des adolescents.

Le sujet est profond mais il est traité si délicatement que le roman n’est jamais triste longtemps. Il propose, au contraire, une vision optimiste de l’adolescence. De sa plume délicieusement littéraire, Myriam Gallot signe un récit ultra délicat sur l’importance du lien intergénérationnel et du lien entre l’homme et l’animal, deux thèmes qui lui tiennent à cœur.

 

Le pirate et l’acrobate

Le pirate et l’acrobate
Valie Le Gall et Alex Cousseau (Ill. Max de Radiguès)

Éditions du Rouergue, 2015

Doux comme une plume

par François Quet

couv-pirate-ok.inddC’est l’anniversaire de la maman de Noé. Il sait déjà ce qu’il lui offrira : une boite à trésor, comme dans les films de pirate. Et dans cette boite il cachera ce qu’il y a de plus doux : une plume. Seulement voilà… où trouver une plume ?

L’aventure de Noé, c’est cela : trouver une plume avant le retour de sa maman, quitter l’appartement où il passe seul sa journée pendant qu’elle travaille aux conserveries, échapper aux dangers ordinaires qui attendent un enfant rêveur dans la circulation des engins de chantier, croiser une photographe qui ne prend en photos que les détails : « ce que les autres ne voient pas », suivre un chat, pister un goéland…

Au fil de la matinée, la boite se remplit de trésors minuscules (un bout de filet vert, un caillou beau comme une pépite…) et l’enfant-pirate au foulard rouge se laisse guider par le chat acrobate qui semble savoir où se cachent les objets précieux qui combleront sa maman.

Une histoire toute en douceur (sous les cris perçants des goélands) dont on apprécie particulièrement qu’elle mette en scène un enfant ordinaire dont la mère n’est ni écrivain ni journaliste, qu’elle valorise une piraterie aussi commune dans la vraie vie qu’elle est absente dans les romans : celle qui consiste à faire des trésors avec des bouts de ficelle

Le Chat rouge

Le Chat rouge
Grégoire Solotareff
L’école des loisirs, 201

Chat rouge, chat blanc, nuit bleue

Par Anne-Marie Mercier

« Valentin Le Chat rougeétait un chat comme tous les autres chats. Mais c’était un chat rouge. Et tout le monde se moquait de lui ». Ce début reprend un thème cher à Solotareff, celui de la différence et de l’appartenance : qu’est-ce qu’être « comme tous les autres, mais… » ?

Ce début grave est vite estompé par les aventures de Valentin : la rencontre avec Blanche-Neige la chatte blanche, avec qui il affronte un loup qui a mal aux dents, une sorcière… Ces éléments du folklore ne sont là que pour pimenter les étapes du récit, récit un peu lâche qui se résout vite par un constat sur l’indépendance des chats et leur incapacité à s’enfermer dans un rôle : « chat qui s’en va tout seul », disait Kipling.

L’intérêt principal de l’album est dans les illustrations, toujours superbes, proches du style ordinaire de Solotareff, mais avec un usage de l’aquarelle plus doux. Enfin, le traitement de l’espace, très stylisé est symbolique de l’histoire : le réel avec un paysage de village et de route, fils électriques, voiture…, et un espace d’aventure dans la forêt où erre le loup et où se trouve la petite maison de la sorcière, caractérisée par de superbes paysages de neige et de nuit, noirs, blancs, bleus.

La route des vacances

La route des vacances
Eric Battut
Autrement, 2014

Chien (et chat) perdus sans collier

par Christine Moulin

9782746736139FSLa couverture et les premières pages sont trompeuses: les couleurs vives et le trait naïf nous transportent dans un dessin d’enfant dédié à la représentation du départ en vacances. Rien ne manque, ni la voiture d’un autre âge, ni les hirondelles en virgules dans le ciel, ni Chien et Chat, les héros de l’histoire. Pourtant, très vite, les choses dérapent: Chien et Chat ont mal au cœur, se disputent, trouvent le temps long (toute ressemblance avec des petits d’humains…). Dans l’illustration, toujours idyllique, se glissent toutefois, tel un mauvais présage, un renard et un lapin, l’un poursuivant l’autre. Arrêt pipi. Arrive alors l’impensable, ce que redoutent, sans toujours le formuler, bien des enfants: les parents, pardon, le patron et la patronne s’en vont, sans se retourner, et abandonnent Chat et Chien.

Ceux-ci, après un moment de flottement, s’organisent et découvrent que solidaires, ils peuvent profiter de leur liberté et découvrir le monde. Mais Battut n’étant pas adepte de l’eau tiède, il introduit la vengeance dans son histoire, dont le ton se fait grinçant. Si bien que le « happy end » semble plus ironique que rassurant: Chat et Chien abordent sur une île. Certes, leurs semblables y semblent heureux et ils les accueillent avec un large sourire. Mais la violence et l’abandon n’ont pas été réparés, juste écartés, oubliés. Cette île, d’ailleurs, « ne figure sur aucune carte ». Et si au fond, ce dénouement, faisant du titre une antiphrase, était bien plus terrible qu’il n’y paraît?

Comme souvent, Battut, sous un dehors lisse, insignifiant, amène ses lecteurs à douter de la fausse quiétude dans laquelle nous pourrions nous enfermer et lézarde le quotidien, sans imposer toutefois une interprétation que nous ne serions pas prêts à assumer. On peut, en effet, de manière bien plus optimiste, voir dans cet album une dénonciation des maîtres cruels qui laissent sans scrupules leurs animaux derrière eux pour les vacances et se réjouir qu’ils soient punis et que tout se termine bien (bien?).

Un exemple (parmi tant d’autres) d’une lecture positive de l’album.