Cher Dylan

Cher Dylan
Siobhan Curham
traduit de l’anglais par Marie Hermet
Flammarion, 2012

Un produit bien calibré

Par Christine Moulin

9782081264809_1_75Tous les ingrédients d’un roman sentimental (mais sentimental de chez sentimental, comme on ne dit déjà plus aujourd’hui…) sont là : une héroïne belle, courageuse, drôle, douée (pour la comédie musicale), qui ne « se la raconte pas », exempte de tout défaut, bref, merveilleuse, Georgie ;  le souvenir d’un père beau, drôle, doué, tendre, bref, merveilleux ; une mère fragile et émouvante mais complètement dépassée par les évènements ; une petite sœur mignonne à croquer ; un beau-père odieux ; une fausse amie, odieuse ; une véritable amie, merveilleuse (lisez le début, vous comprendrez) ; un faux amour, pas odieux, vite expédié ; un véritable amour, merveilleux, Jamie. Le tout sur fond de répétitions théâtrales. Le tout assaisonné de préceptes éclairants : « ne perds pas de vue qui tu es » (c’est l’italique qui fait la profondeur du message), « chaque page assombrie par une tragédie est suivie par une page de bonheur », « n’abandonnez jamais vos rêves »… Le tout sur fond de problèmes sociaux : la maltraitance, l’alcoolisme, les femmes battues. Le tout sous forme de roman épistolaire par mails (ce qui ajoute parfois du piment au récit, dans la mesure où Georgie n’a pas toujours accès à un ordinateur).

Allez, comme on dit encore, « ça mange pas de pain »: les filles de 6e vont adorer. Et pourquoi pas, au fond, pourquoi pas?

Les Colombes du Roi Soleil, t. 7 : Un Corsaire nommé Henriette

Les Colombes du Roi Soleil, t. 7 : Un Corsaire nommé Henriette
Anne-Marie Desplat-Duc
Flammarion, 2008

L’émancipation manquée de la donzelle

 Par Matthieu Freyheit

uncorsairenommehenrietteAnne-Marie Desplat-Duc, c’est Pirate Rouge et Stephi la star, c’est le bon et… le moins bon. Avec ce septième tome de la série des Colombes du Roi Soleil, nous sommes malheureusement du mauvais côté de la balance. Explications. Henriette, révèle la quatrième de couverture, « a tout d’un garçon manqué ». Tout est là, Henriette va cristalliser les oppositions nées de la constitution genrée des identités. Partir en mer, vivre des aventures, reconquérir l’honneur familial et faire la preuve qu’elle n’est pas « une faible donzelle » (dixit), voilà comment la jeune héroïne assure son oscillation vers le masculin. Parallèlement, une histoire d’amour édulcorée et haletante lui assure une féminité pérenne. Un double accomplissement du genre pour un seul personnage, donc. Et si vous percevez l’ironie du ton, c’est normal.

Ajoutez à cela un vocabulaire sucré dont la fonction supposée est de restituer à nos jeunes lecteurs les beautés du grand siècle, une couverture aussi rose que possible et une happy end à vous couper le souffle, et vous aurez saisi la teneur essentielle de ce volume. Certes, l’aventure est au rendez-vous, un peu de suspens même – un peu –, et l’auteure conserve le talent d’une écriture efficace. Mais enfin, il faut bien le dire, voilà un roman qui ne rend pas justice à d’autres, tellement plus réussis, d’Anne-Marie Desplat-Duc ; et ne rend pas justice non plus aux problématiques du genre. Car la tendance à percevoir dans le travestissement et dans le surinvestissement des codes masculins la seule voie d’héroïsation du féminin devient tout doucement inquiétante. L’inverse est-il seulement imaginé ?

Il ne s’agit certes pas de révolutionner avec Les Colombes du Roi Soleil les théories d’émancipation du féminin, mais il s’agirait aussi de ne pas donner le sentiment d’une régression généralisée. Par ailleurs, il ne s’agit pas non plus de réinterpréter les codes de l’aventure, ni même les possibilités de l’histoire. Ce qu’il nous reste ? D’aller à la rencontre d’une héroïne qui, dans la même veine, est capable de nous en apprendre bien davantage. Peut-être, pour n’en citer qu’une, la Mary Tempête d’Alain Surget.

Un autre article sur notre site, sur un autre volume des Colombes: Jeanne, parfumeur du roi.

 

Liberté

Liberté
Paul Eluard, Anouck Boisrobert et Louis Rigaud
Flammarion, 2012

Liberté, je déploie ton nom

Par Dominique Perrin

On sait que ce plus fameux des poèmes d’Eluard semble ne jamais devoir s’avouer fini. Dans cet album aux tons à la fois doux et tranchés, à la matérialité  surprenante et signifiante, la continuité des vers obstinés et lumineux et la superposition patiente des pages esquisse la complexité d’un paysage – substrat géologique, milieu végétal, présence humaine et animale, verbe inscrit dans la calligraphie du monde. Mais ce paysage se déplie aussi, et l’album s’allonge alors encore et encore – comme pour faire le tour de la table familiale autour de laquelle les enfants courent autant de fois qu’ils ont d’années pour fêter leur naissance. Cette épure iconopoétique a pour point d’orgue la photographie d’un groupe de maquisards du Vercors en 1943, dont les sourires percutent l’esprit autant que l’œil – sans paratexte superfétatoire.

 

Les Folles Aventures d’Eulalie de Potimaron, 3

Les Folles Aventures d’Eulalie de Potimaron, t. 3 : secrets et présages
Anne-Sophie Silvestre

Flammarion, 2012

Capes, épées et un soupçon de falbalas

Par Anne-Marie Mercier

Si le deuxième tome manquait un peu de rythme, le troisième a retrouvé de l’allant et de la verve : amours aventures, mystères, amitiés et trahisons, déguisements et masculinisation, rien ne manque à ce volume. Mieux encore, les personnages ont de l’épaisseur, contrairement à ce que l’on voit dans de nombreux romans historiques : Eulalie est bien vivante, et on s’intéresse à Monsieur, le frère du roi Louis XIV, souvent injustement considéré, et surtout à son fils, le jeune Philippe d’Orléans, futur régent.

Les moeurs du temps, et notamment ce qui annonce l’ « affaire des  poisons », sont remarquablement bien rendues et l’auteur évite avec aisance les clichés et ridicules enchainés par ses devancières sur cette histoire.

Pour une fois qu’on a un récit pour de jeunes lecteurs qui allie humour, allant, suspens et vérité historique, on ne va pas s’arrêter en si bon chemin, j’espère ? et que ce tome 3 ne soit pas le dernier  (le 4 vient de paraître) est une heureuse nouvelle.

Jeanne, parfumeur du roi

Jeanne, parfumeur du roi
Anne-Marie Desplat-Duc
Flammarion, 2012

Inodore et incolore

par Anne-Marie Mercier

Malgré un titre prometteur (on s’attend à la description d’une ascension problématique d’une jeune fille dans le milieu des artisans parisiens) et son inscription dans une série célèbre, les Colombes du roi soleil, ce roman n’a éveillé en moi aucun intérêt : le passage par la maison des demoiselles de Saint-Cyr est escamoté (sujet usé, sans doute ?), l’ancrage dans le 17e siècle très sommaire (on voit passer Mme de Grignan, mais à quoi bon?), la psychologie des personnages et les dialogues sont d’une extrême pauvreté. A part cela, mystères, enlèvements, révélations, dons innés et invraisemblances plairont aux amateurs de ce genre, mais à tout prendre, pourquoi ne pas lire un BON roman qui réunit les mêmes ingrédients (Waterloo nécropolis, par exemple, ou Vango) ?

A ceux et celles qui en douteraient encore, ce volume montre que cette série est un avatar de mauvais romans sentimentaux pour jeunes filles avec un alibi culturel qui ne fait guère illusion. Voir les articles d’Anne Arzoumanov  (« Parler XVIIe : étude d’une fiction linguistique ») et de Christine Mangenot (« Jeunes filles du XVIIe siècle pour jeunes lectrices d’aujourd’hui, ou la fabrique du féminin en littérature de jeunesse ») dans un volume paru récemment, dirigé par Edwige Keller  et Marie Pérouse : Les représentations du XVIIe siècle dans la littérature pour la jeunesse contemporaine : patrimoine, symbolique, imaginaire

 

100 princesses à créer

100 princesses à créer
Ia Chhuy-Ing, Raphaël Hadid
Père Castor – Flammarion, 2012

100% princesses

Par Caroline Scandale

On le sait, les petites filles aiment le rose, s’habillent en princesses et rêvent du prince charmant. Elles sont plus sages que les garçons, aiment les jeux calmes d’intérieur, notamment dessiner des princesses… L’idée est un peu usée mais toujours vivace. La nature imposerait des rôles et des comportements aux hommes et aux femmes. Selon ce principe ancestral et rassurant, de nombreux parents achèteront 100 princesses à créer à leurs petites lolitas…

Père Castor-Flammarion propose ici une collection intitulée « 100… à créer ». Déclinée pour l’instant en quatre thématiques trés appréciées des jeunes lecteurs: les chevaliers, les dinosaures, les chevaux et donc les princesses. Le principe est d’apprendre à dessiner des modèles de personnages ou d’animaux, en plusieurs étapes, puis de les créer à partir de pochoirs et d’autocollants. Au verso de chaque page, des anecdotes historiques garantissent un minimum syndical de culture. Ces ouvrages jouent sur des codes couleurs stéréotypés pour les deux thèmes sexués que sont les princesses et les chevaliers. Les dinosaures et les chevaux, qui le sont moins, bénéficient de coloris plus neutres comme le vert et le orange.

Ce que l’on peut reprocher principalement à ce livre d’activités est qu’il ne surprend pas. On ne croise pas des princesses rebelles, décalées ou loufoques mais uniquement des modèles de princesses délicates et charmantes, que l’on devine sensibles et secrètement amoureuses. De ce fait il véhicule la panoplie complète des stéréotypes de sexes. Étape par étape la jeune lectrice découvre un seul modèle féminin abrutissant, la princesse, ici, lisse à souhait. Au lieu de prendre à contre pieds ce stéréotype, 100 princesses à créer en fait une icône superficielle et donc soumise. Ainsi, les petites filles intègrent une image peu valorisée d’elles-mêmes. Dommage…

Graal Noir

Graal Noir
Christian de Montella

Flammarion, 2011

Graal Noir I : « la menace fantôme »

Par Christine Moulin

Tous les ingrédients médiévaux et bien connus sont là. La légende est, à quelques variantes près, intacte. Tout se met en place, mais rien n’a vraiment commencé. C’est ainsi qu’on assiste à la naissance de Merlin et à sa montée en puissance mais aussi à tous les stratagèmes et détours qui ont rendu possible la naissance d’Arthur. Les indispensables objets sont évoqués: l’épée dans la pierre, mais aussi le Graal. La maléfique Morgane est prête à nuire. Tout cela sur fond de lutte entre la nouvelle religion, chrétienne, et l’ancienne, celle des Druides. Sans qu’on sache exactement où se situe Merlin: il est le fils du Diable, certes, mais aussi d’une femme, qui lui a fait don de son humanité, part de lui-même qu’il a la liberté de développer, s’il en fait le choix. D’un autre côté, c’est d’une druidesse qu’il doit recevoir (au tome 2, si tout va bien?) la plénitude de ses pouvoirs.

Pour l’instant, il n’est encore qu’un beau jeune homme, très doué, très agaçant, plein de morgue et de charme, flanqué d’une espèce de Sancho Pança, prêtre rondelet et gourmand, comme dans les farces du Moyen Age, qui se damnerait pour un poulet mais qui, en tant que chroniqueur, représente l’auteur au sein même de la fiction, de façon distanciée et comique, tout en jouant le rôle de protecteur pour Merlin. C’est que celui-ci, quoique capable de lire dans le passé et dans l’avenir, de se métamorphoser en n’importe quoi, de réaliser d’extraordinaires tours de magie,  n’est pas encore tout à fait maître de lui-même. Il n’a que dix-huit ans (à peine) et il dépense sans compter son énergie en prodiges inutiles destinés à ébaudir qui veut bien l’admirer. Il s’amuse et même s’il a connu l’amertume d’un chagrin d’amour, il manque de profondeur, d’expérience, de sagesse. On  croirait Harry Potter dans ses pires années.

Ce côté adolescent et, en général, les analyses psychologiques, nombreuses, contribuent largement à la modernisation du mythe. Nous avons souvent accès à l’intériorité des personnages, qui ne sont plus des figures légendaires mais des hommes et des femmes proches de nous, des individus qui ont une vie plus qu’un destin, même si celui-ci frappe à la porte avec insistance. Un autre élément qui modernise, mais en même temps, il faut l’avouer, désacralise quelque peu l’histoire du Graal, c’est l’écriture elle-même, cinématographique, faite de montages alternés, de « scènes », de raccourcis qui confèrent à la lecture un rythme haletant de « blockbuster ».  Enfin, l’érotisme, assez torride et explicite (éloignez les très jeunes), les désirs clairement exposés des personnages (je ne me rappelais pas que Morgane ait eu une attirance incestueuse pour son père) marquent la différence avec les romans de Chrétien de Troyes! On est plus proche de l’univers de Marion Zimmer Bradley et de ses Dames du lac.

Néanmoins, si j’osais, je dirais que « ça dépote » et que ce roman peut très bien donner l’envie de se plonger dans la geste arthurienne, quitte à retourner vers son origine et y découvrir d’autres joies, moins immédiates, mais tout aussi intenses.

PS : l’avis de Ricochet

L’ami de toujours

L’ami de toujours
Xavier Mauméjean
Flammarion,2011

L’ami  de toujours

                                                                                                             par Maryse Vuillermet

David, un jeune geek,  mélancolique et asocial, réussit à se faire remarquer et embaucher par la plus grande entreprise de jeux vidéo des Etats-Unis, dans l’agence de New-York. Mais il y rencontre son ami d’enfance oublié,  Richard. En  fait, on comprend qu’il s’était inventé un ami imaginaire pour supporter sa solitude et ses problèmes psychologiques. Et soudain, cet ami imaginaire est incarné. Richard est violent, sûr de lui, fort et beau, tout ce que n’est pas David et il agit parfois à sa place ou en son nom.

Nous voilà happés par un duel entre Richard et David, qui devient peu à peu une lutte à mort. David, alias Richard,  invente un jeu vidéo qui ressemble à l’univers imaginaire d’enfance qu’ils avaient créé. Et, nous lecteurs sommes entraînés dans  le vertige du virtuel,  on ne sait plus qui est le vrai, qui est le virtuel, qui est l’ami imaginaire, qui est le double, qui est le bon, qui est le méchant. Chaque fois que nous croyons comprendre, nous replongeons dans la perplexité. En même temps que le récit nous entraine dans le monde fascinant des games programmeurs, dans l’énergie de New-York, dans l’amitié entre jeunes,  il nous intrigue et nous dérange. Les traumatismes d’enfance, la mort d’un frère, un incendie criminel hantent la mémoire de David, un psychothérapeute tente de comprendre mais n’explique pas tout.

La fin du roman semble résoudre l’énigme, encore que…

Le roman a su recréer le vertige du virtuel qui  menace bien des jeunes trop plongés dans l’univers des jeux, ils s’y retrouveront donc peut-être !

Chevalier d’Eon agent secret du roi. T.1 : Le Masque

Chevalier d’Eon agent secret du roi. T.1 : Le Masque
Anne-Sophie Silvestre
Flammarion, 2011

L’Histoire idéale

Par Anne-Marie Mercier

Chevalier d’Eon.gifLe chevalier d’Eon n’en finit pas de faire rêver ; ce nouveau roman d’Anne-Sophie Silvestre est à la hauteur du mythe : quiproquos, déguisements, voyages, dangers, mystères… on ne s’ennuie pas. Le personnage est hautement romanesque et ce premier volume amorce une série prometteuse. On y relate la jeunesse de celui que plus tard on appellera « la chevalière », ses débuts dans le monde, ses premiers pas comme travesti involontaire, puis espion du roi.
Pour commencer et se débarrasser vite de l’esprit de sérieux, on peut objecter que, certes, la réalité, même passée, n’est pas le mythe. L’auteur prend des libertés avec ce que des recherches récentes ont dévoilé de la véritable histoire du chevalier. C’est plutôt en habit de capitaine de dragons qu’en costume de femme qu’il se plaisait à être et il ne finit par revêtir celui-ci que parce que c’était la condition édictée par Louis XVI pour son retour en France en 1777. Il n’a pas, contrairement au héros de ce livre, bénéficié de leçons de maintien féminin (les contemporains se sont moqués des manières militaires et hommasses de la « chevalière »). Il n’a sans doute pas fait ce voyage précoce en Russie ni rencontré la tsarine : les travaux d’Alexandre Stroev ont dissipé la légende répandue par le chevalier lui-même, dans les mémoires très fantasmés qu’il a rédigées sous une identité féminine à Londres, à la fin de sa vie.
Mais qu’importe ! une  vérité est tout de même là. C’est celle du personnage et non des faits, une vérité romanesque, donc. Comme le chevalier de l’Histoire, celui du roman a un corps d’homme peu marqué par la masculinité. Il est un jeune homme doté de multiples talents et portant de grandes ambitions. Il est « féministe » avant l’heure aussi, en découvrant  ce que c’est qu’être une femme, que vivre avec ces habits gênants et être une perpétuelle proie pour les hommes. Cette modernité n’est pas un anachronisme absolu : d’Eon a fait plus tard dans sa vie « réelle » des déclarations très modernes sur la condition féminine et s’est dit fier de sa féminité. Lui attribuer ces idées plus tôt est un arrangement, mais pas du tout un contresens.
Anne-Sophie Silvestre avait déjà exploré le dix-huitième siècle avec un récit de la jeunesse de Marie-Antoinette et elle nous promène dans ce temps comme dans son jardin. Elle a l’intelligence de ne pas chercher à imiter au plus près la langue du dix-huitième siècle, mais en donne bien le goût (juste deux ou trois  passages gênants avec du langage familier ou un juron trop marqués de notre temps). On va au bal, on s’habille (pas facile pour le chevalier) on roule sur des routes défoncées, on fait antichambre…  on s’inquiète aussi de la politique étrangère du temps, et des alliances européennes.  On est dans l’esprit du temps et les aventures d’Eon font parcourir un dix-huitième siècle charmant et facile.
Le ton est allègre et le rythme enlevé. Le jeune homme d’Anne-Sophie Silvestre est terriblement sympathique, compréhensif avec les femmes, sincère et amical, un peu étourdi, maladroit. Il ressemble somme toute à un jeune homme dont beaucoup d’adolescents des deux sexes se sentiront proches.