L’île du temps perdu Silvana Gandolfi

L’île du temps perdu
Silvana Gandolfi
Traduit (italien) par Faustina Fiore
(Les Grandes Personnes), ‘2014

Le temps en conserve

Par Anne-Marie.Mercier

Où vont tous cesL’île du temps perdu objets perdus, ces souvenirs égarés, ces heures « perdues », car inutiles ? Silvana Gandolfi donne une belle réponse : sur l’île du temps perdu.

Deux enfants y échouent après s’être perdues lors d’une visite de classe dans une mine. Elles découvrent une île peuplée essentiellement d’enfants (on pense à Sa Majesté des mouches et on frémit, comme elles frémissent devant la bizarrerie de ces bandes et leurs façons). La suite est passionnante autant qu’originale.

On découvre peu à peu la spécificité de ce lieu, ses dangers, ses liens avec le monde actuel et la nécessité de savoir perdre son gandolfitempstemps… Belle leçon pour tous !

Ce livre est une réédition: il avait paru en 2004 dans la belle collection de romans en grands formats de Seuil jeunesse.

 

 

 

 

Petit somme

Petit somme
Anne Brouillard
Seuil Jeunesse, 2014

 Un instant d’éternité

par Christine Moulin

petit sommeTout l’univers d’Anne Brouillard, magiquement fidèle, est présent dans cet album à la fois semblable et différent des précédents. On retrouve les décors et les thèmes qui sont chers à l’auteur: une maisonnette cachée dans les bois, le sommeil d’un enfant, la symbiose entre hommes et animaux, la présence affectueuse d’un merle, l’évocation des moments merveilleux de l’existence, ténus, fragiles mais forts des forces essentielles de la vie.

Il ne se passe strictement rien: une grand-mère confie aux bêtes de la forêt le sommeil d’un bébé et prépare un goûter, que tout le monde partage à la fin. Mais on n’est pas dans le monde de Disney : les animaux ne sont pas humanisés, les hommes les côtoient, les accueillent mais n’interagissent pas avec eux, partageant avec eux « une intimité secrète et affectueuse, quoique presque toujours silencieuse » (1). Le zoom grâce auquel le regard s’approche progressivement des événements imperceptibles de l’unique scène de cet album permet d’un côté, de deviner l’épaisseur d’une histoire humaine à travers les photos accrochées au mur et de l’autre, de partager l’attente des animaux : la grand-mère va-t-elle parvenir à terminer la préparation du goûter sans être interrompue par les cris du bébé?

On referme les pages de ce livre magnifique, avec l’impression d’avoir pénétré dans un paradis fait de simplicité et de sérénité, tout bruissant d’ailes, doux de la douceur de la fourrure et du duvet.

(1) Cécile Boulaire, article « Anne Brouillard », in Dictionnaire du livre de jeunesse, Editions du Cercle de la Librairie, 2013.

Avant Maintenant Après

Avant Maintenant Après
Catherine Grive, Gilles Rapapport
Seuil jeunesse, 2014

Héraclite et lapinou

Par Anne-Marie Mercier

Avant Maintenant ApresAvant, maintenant, après… Aujourd’hui, demain, hier… Comment expliquer aux enfants toutes ces notions extrêmement complexes, liées à la question de l’énonciation?

Les auteurs ont choisi un dispositif en triptyque : l’album s’ouvre en trois volets cartonnés comportant chacun un petit album souple portant le titre de la notion qu’il illustre. Ce n’est pas seulement une leçon de repérage et de langage mais aussi une petite leçon de philosophie, qui permet de se projeter dans le futur proche comme dans un avenir plus lointain, dans le passé récent et dans le temps où l’on n’existait pas encore.

Et derrière ce vertige Héraclitéen, il reste une permanence, un point fixe proposé à ce petit lapin inquiet : celle de l’amour des parents. Inquiéter et rassurer, voilà une belle leçon de philosophie à l’usage des petits.

Ligne 135

Ligne 135
Germano Zullo, Albertine
La Joie de lire, 2013

Espace-temps

Par Anne-Marie Mercier

Ligne 135L’espace, le temps, deux notions à la fois normées relatives, sont explorés dans cet album avec beaucoup de simplicité et de richesse. Une enfant voyage en monorail (japonais) entre le lieu où elle habite, la ville, et celui où réside sa grand-mère, la campagne. C’est un voyage.

Le paysage s’étire sur un format très allongé, tracé à la plume ; seul le train est coloré et il l’est avec des couleurs qui claquent : jaune fluo, orange, vert. II montre divers états de la ville, de la zone, de la vraie et de la fausse campagne ; des architectures réalistes ou biscornues, des animaux étranges, jalonnent un parcours qui frise parfois l’impossible. Le texte évoque les discours des adultes sur le monde qui serait trop vaste pour un enfant, sur le temps qui s’écoulerait de plus en plus vite, sur la vie insaisissable…

A quoi l’enfant répond par la puissance du désir et de l’imaginaire.

Toute une année

Toute une année
Etsuko Watanabe
Seuil jeunesse (Clac book), 2012

Les livres qui savent se tenir

par Yann Leblanc

Selon le principe du Clac book, ce livre se déplie en accordéon en faisant un beau bruit, et il peut tenir ouvert tout seul. Ce que l’on y trouve est assez décevant : il y a certes toute une année mais on va de cliché en cliché (oui, certes, en décembre il y a Noêl, et en mai on peut cueillir du muguet dans les bois). Mais on a l’impression que l’année entière se passe dans un jardin, au ski et à la plage : où est la  vie quotidienne ? On sait que les repères sont utiles, et donc les clichés, mais un peu d’originalité n’est pas interdit, même pour les tout petits.

Matilda à l’heure d’été

Matilda à l’heure d’été
Marie-Christophe Ruata-Arn
La joie de lire (Hibouk), 2012

Esprit frappeur ?

Par Chantal Magne-Ville

Avec Matilda, jeune fille bien sous tous rapports, mais qui aime mener des enquêtes, à l’instar de son policier de père, le lecteur se trouve plongé dans une intrigue à rebondissements, qui retrace les péripéties d’une broche appartenant à un ancêtre qui est volée et réapparaît à plusieurs reprises, au point que les explications rationnelles finiront par ne plus suffire, rendant le recours aux esprits nécessaire. D’où le titre qui interroge sans en avoir l’air : que fait le temps durant le passage à l’heure d’été ? Que peut-il se passer pendant « l’heure escamotée » ?

L’intérêt du livre vient curieusement du cadre, pourtant banal, d’une Cité, de la personnalité de Matilda, si différente des autres jeunes qui l’entourent, au point qu’elle est le rédacteur en chef incontesté du journal de l’école, et surtout des personnages attachants qu’elle côtoie, camarades de classe, vieilles demoiselles désargentées et un peu folles dont elle promène le chien, personnel municipal…

Ecrit de manière fluide et rythmée, le livre est cependant long, au risque de voir parfois la tension retomber un peu. Cependant, les titres des trente-cinq chapitres, commençant tous invariablement par : «le jour où…», demeurent suffisamment généraux ou énigmatiques pour attiser la curiosité du lecteur, qui trouve vite réponse à ses interrogations. Ces courts chapitres balisent la progression de l’enquête, ce qui favorise singulièrement la mémorisation des faits.

Pour les lecteurs à partir de 9 ans, qui aiment que l’héroïne soit une fille et que l’histoire au long cours lui fasse vivre plein d’aventures tout en demeurant relativement sage.

Une Petite Heure perdue, Coeur de lierre

Une Petite Heure perdue
Nathalie Hense

mØtus (mouchoir de poche), 2011

Eloge de l’attente

Par Anne-Marie Mercier

 Dédié « à tous les enfants dont les agendas de ministre ne laissent jamais de place aux petites heures perdues », ce livre est un éloge du temps «mort », un temps plein de vie pour qui sait s’y prendre.

Un garçon attend, regarde au sol, tortille ses doigts, chantonne, rêve. L’attente se meuble de merveilles et les dessins, en blanc sur noir font exploser le monde. Ces mini-livres de mØtus sont un concentré de pensée et de beauté.

Dans la même collection, Coeur de lierre de Michel Besnier, propose des variations autour de l’image d’une feuille de lierre et des mots et jeux associés.

 

Ça s’est passé là

Ça s’est passé là
Emmanuel Bourdier
 

Thierry Magnier, 2010   

Récit, portraits, fresque ? …en collection « petite poche »

par Dominique Perrin


Ça s’est passé là  Emmanuel Bourdier.gifCe texte d’une trentaine de pages, publié dans une collection de « romans de petite poche », évoque la destruction du « bâtiment E de la cité Marcel Pagnol ».

Les huit premiers chapitres égrènent chacun l’une des minutes qui précèdent la détonation, précisément entre 13h23 et 13h30 ; tandis que les deux derniers chapitres étendent (vertigineusement, en comparaison des précédents) la chronologie jusqu’à 14h.

Il s’agit donc bien d’un récit, assez singulier et ambitieux pour prétendre rendre compte  d’un minuscule segment de temps pendant lequel, au vrai, rien ne se passe : des spectateurs attendent un événement qui n’est finalement nullement décrit en tant que tel. Mais il s’agit aussi d’un portrait collectif, qui cherche à rendre la densité de ces minutes vides d’action au sens hollywoodien du terme. L’enjeu est de faire constater que quelques minutes de suspens vécues par une petite foule portent en elles-mêmes plus d’histoires singulières et plus de profondeur temporelle que bien des aventures convenues. L’enjeu est aussi, bien sûr, de faire apparaître le décalage entre les regards de ceux qui ont vécu là et les paroles de ceux qui décident. Un incanalisable humour n’est pas absent, loin s’en faut, chez les premiers, qui ont pour une fois « la parole ».

 

Quelle journée !

Quelle journée !
Cécile Gabriel

Mila éditions, décembre 2010

Voyage photographique en pays d’enfance

par Sophie Genin

 photos,journée,cécile gabrielLa photographe et comédienne Cécile Gabriel avait déjà, avec grand talent, proposé Quelle Emotion ! chez le même éditeur. Le fonctionnement de son avant-dernier-né (depuis est sorti Quelle est ton ombre ?) est le même que celui du premier : sur une double page avec fonds très colorés, bariolés, un bout de phrase commençant par « pour » à gauche et, dans un carré découpé à droite un morceau de photo en noir et blanc. On tourne et on découvre l’ensemble de la photo et de la phrase, comme par exemple : « je m »habille pour ne pas sortir tout(e) nu(e) » face à une petite fille accroupie la tête cachée par la robe qu’elle enfile en la tirant sur les côtés. Si cet album est très riche, déclinant tous les moments importants de la journée d’un enfant, sa portée est un peu moindre que celle de Quelle Emotion ! qui ouvrait davantage de perspectives en allant du côté des sentiments, des impressions, avec des nuances entre « envieux » et « jaloux » par exemple. Néanmoins, la qualité des photos et ce choix de la journée permet aux jeunes lecteurs de s’y retrouver dans le temps, cette notion si abstraite et, à leurs « accompagnateurs » de retrouver, avec nostalgie, des instants spécifiques à l’enfance, atemporels tout à coup grâce au noir et blanc.