Hulul

Hulul
Arnold Lobel
Traduit (anglais, USA) par Geneviève Brisac
L’école des loisirs (Mouche), 2020

On révise les classiques (4)

Par Anne-Marie Mercier

Traduit et publié en 1976, un an après sa première édition en langue anglaise (Owl at home), ce petit recueil d’histoires de Lobel, fait partie, avec Oncle Éléphant du même auteur, des grands classiques pour la jeunesse : les quelques nouvelles qui présentent le hibou Hulul sont toutes de petits bijoux d’absurde léger, de tendresse, de nostalgie (« Le thé aux larmes »).
Les images montrent un Hulul tout en rondeurs, constamment en pyjama et robe de chambre à rayures (normal, c’est un hibou), tantôt alangui dans son fauteuil, près du feu, tantôt se ruant en haut et en bas des escaliers de sa petite maison. L’atmosphère nocturne (normal, c’est un hibou) constante est à son plus haut dans la dernière nouvelle, dans laquelle Hulul met enfin un costume et un chapeau melon pour se promener dans une campagne qui ressemble à un jardin japonais, pour trouver enfin une amie… on vous laisse découvrir qui.

 

Pour faire un oiseau

Pour faire un oiseau
Mag McKinlay, Matt Oatley
Traduit (anglais, Australie) par Rose-Marie Vasallo
Kaléidoscope, 2022

Rêve d’ailes

Par Anne-Marie Mercier

Avec ce titre qui évoque le poème de Prévert, on retrouve le mélange entre réel et imaginaire, détails concrets et envol de la pensée.
Ici, c’est à une seule enfant qu’on s’adresse : on lui propose de reconstruire un oiseau à partir de ses parties : les petits os, les plumes, un bec, des griffes en crochet… le résultat est un peu pitoyable mais…
Ouvrir la fenêtre, respirer, souffler, rêver d’espace et la magie opère.

C’est très beau. On a envie d’y croire (mais on n’y croit pas vraiment tant les os, les plumes, l’absence de chair et de cœur et de chant disent la mort de ce qui fut l’oiseau). C’est un bel hommage à un oiseau disparu, et à un oiseau rêvé. Les images sont magnifiques et nous emportent dans les nuages et puis dans le bleu d’une plage immense et déserte.
C’est un beau voyage, et un éloge de l’imaginaire paradoxal, un peu étrange mais saisissant.

Aliénor, fille de Merlin, 1ère partie

Aliénor, fille de Merlin, 1ère partie
Séverine Gauthier,
L’école des loisirs (neuf), 2021

L’enchanteur pourrissant ?

Par Anne-Marie Mercier

La légende de Merlin est ici bien revisitée, et mise à disposition de jeunes lecteurs à travers le personnage inédit de sa fille, Aliénor. C’est elle qui a le rôle principal, son enchanteur de père étant mis rapidement hors circuit, tué par un cri de mandragore, et ne subsistant que sous la forme d’un fantôme, fort envahissant au demeurant. Lorsque l’histoire commence, Aliénor parcourt la forêt et les champignonnières, lassée des leçons sempiternelles de Merlin sur cet écosystème et l’on peut se demander si cette omniprésence des champignons a un rôle autre que parodique.
Parallèlement, on suit l’histoire d’un ami d’Aliénor, le très jeune Lancelot, qui vit encore chez sa maman adoptive (Viviane, la dame du Lac) : le cadre arthurien est donc en partie mis en place, avec la forêt de Brocéliande et les fées rivales qui la hantent (Viviane et Morgane), toutes deux liées à Merlin par d’anciennes histoires.

Aliénor a pour mission de gagner la confiance de Morgane afin de trouver un sort de résurrection pour son père. Les descriptions éblouies de la maison de la fée et de ses pouvoirs ajoutent du merveilleux à une histoire qui met en scène de nombreux conflits de loyauté entre parents et enfants, tradition et modernité. Le récit est drôle, bien enlevé, et le suspense reste entier à la fin du premier volume : l’enchanteur vieillissant reviendra-t-il à la vie ou devra-t-il céder définitivement le pouvoir et sa fille aux femmes fées ?

La sorcière de la bouche d’égout

 La sorcière de la bouche d’égout 
 Isabelle Renaud,  Juliette Barbanègre, (Ill)
Rouergue, dacodac, 2021,

 

 Les sorcières existent vraiment, il suffit de les voir !

 Maryse Vuillermet

 

 

 

Maud et Melinda ont découvert une sorcière dans la bouche d’égout de leur cour d’école.  Elles la nourrissent de fleurs et lui offrent des cadeaux.  Elles ont une maîtresse formidable qui leur apprend les danses indiennes et qui prépare avec toute l’école un pow-wow pour la fête de fin d’année, mais cette maîtresse adorée se blesse, justement en s’entrainant à la danse du bison. Elle est remplacée par Madame Tric qui, comme son nom l’indique, est très sévère, et  ne s’intéresse qu’aux dissections d’animaux. Plus question de pow-wow !

Quand madame Tric exige des dissections d’animaux vivants, c’en est trop, Maud demande à la sorcière de les sortir de ce malheur. La sorcière va  lui obéir au-delà de ses espérances.

C’est drôle, c’est enlevé, c’est un peu barré, c’est à mettre entre toutes les mains.

 

René.e aux bois dormants

René.e aux bois dormants
Elen Usdin
Sarbacane, 2021

Parcours initiatique

Par Anne-Marie Mercier

Ce superbe roman graphique aux couleurs sidérantes commence de manière presque enfantine (même si le dessin et les couleurs ne le sont pas) : à Toronto, un enfant, appelé René, dont on nous dit de manière très allusive qu’il a été adopté et qu’il est d’origine amérindienne, cherche sa place. Il part dans ses rêves pour éviter une réalité difficile, des moments d’humiliation. Dans l’un de ses rêves, il perd son doudou, un lapin.
La quête du doudou fait dériver l’album vers d’autres genres, à tous les sens du terme. René rencontre un être grand comme une statue de l’île de Pâques et rouge comme le feu qui se dit « Deux-esprits », homme et femme à la fois. Réfugié dans le monde des aoriens, des êtres primitifs et sans mémoire traqués par les humains et obligés de se cacher dans l’ombre, de l’autre côté du réel, il entraine René dans le monde des mythes, celui de l’ogre mangeur de lumière, de la fleur essentielle (où René devient Renée), et il lui fait rencontrer Isba, une sorcière au passé sanglant, qui doit lui permettre de retrouver son lapin… puis tout dérape: les générations et les sexes s’inversent, le monde de la ville se superpose au monde imaginaire, celui des morts avec celui des vivants.
On l’aura compris, ce n’est pas une « histoire de lapin » (au sens où l’entend Christophe Honoré dans Le Livre pour enfants), ni de doudou perdu, mais une plongée dans un imaginaire fondé sur les archétypes, une tentative pour neutraliser la dureté du monde des hommes et la cruauté de leur histoire, une quête d’identité vertigineuse. Ce n’est pas non plus une simple réécriture  du conte de la Belle au bois dormant : la thématique du passage de l’enfance à l’adolescence est entrelacée à de nombreux autres motifs, dont celui du masculin et du féminin, de la recherche des origines et enfin celui du sort tragique des Premières Nations du Canada.
Explorer, sur le site de l’éditeur.

 

 

Ash House

Ash House
Angharad Walker
Traduit par Maud Ortalda
Casterman, 2021

Belle et inquiétante étrangeté

Par Anne-Marie Mercier

Souvent, les quatrièmes de couverture exagèrent. Celle-ci m’avait laissée dubitative : « Un roman exceptionnel à l’inquiétante étrangeté, « dans la lignée de Miss Peregrine et les enfants particuliers et Sa Majesté des mouches » (Goodreads) ». Eh bien, une fois le livre refermé, on se dit que ces propos sont justes, peut-être davantage du côté de Miss Peregrine que du roman de Golding plus ancré dans la réalité.
Ash House est étrange : la maison faite de cendres, les enfants, garçons et filles, dépenaillés qui y sont pensionnaires depuis des années, le directeur, absent depuis un certain temps, le docteur inquiétant, qui semble le remplacer temporairement, les animaux monstrueux gardés dans des cages et laissés libre la nuit, la frontière infranchissable entre le dehors et le dedans. Les efnants vivent dans une serre envahie par la végétation à certains endroits ; le manoir leur est interdit : c’est le domaine du directeur et du docteur.
Le héros de l’histoire, qui d’emblée a oublié son nom et à qui on a donné celui de Sol, pour Solitude, arrive de l’hôpital où il était soigné pour des douleurs récurrentes et incurables : il doit, lui a-t-on dit trouver le salut dans cette institution. Il découvre un univers étrange, sans adultes tout d’abord, dans lequel il peine à trouver sa place. Il est d’abord rejeté par cette communauté dont il ne respecte pas les codes (les « Obligeances) malgré l’aide de son ami, Dom (pour Freedom).
Les autres enfants se nomment Concord, Harmony, Verity, Merit, Justice, etc. Noms de vertus qui sont autant d’ « Obligeances ». Une fille, Clem, manque, morte sans doute, personne ne veut en parler. Elle apparait à Dom et lui souffle des avertissements, conseils pour rompre avec la malédiction qui semble les enchainer à l’attente d’un coup de téléphone du directeur qui ne vient pas. Tous ces personnages d’enfants fantomatiques sont à peine esquissés et pourtant ils prennent corps. Leurs gestes, intonations, réactions, souvent à peine indiqués, leur donnent vie.
Leurs «leçons» sont étranges, répétitions des Obligeances à n’en plus finir comme un mantra. Chacun est assigné en dehors des « cours » à une tâche : cuisine (des vivres leurs sont livrés, puis la livraison s’arrête), nettoyage, soins aux animaux… Sol fait équipe avec Dom pour la surveillance des drones qui filment le domaine.  Tout s’emballe quand le docteur fou commence à s’intéresser à Sol…
Histoire toute en nuances de gris de cendre ou de noir de cauchemar, parfois terrifiante, le roman est d’une étrange beauté, pour s’achever dans un suspens haletant et sur une étrangeté qui reste irrésolue.
Feuilleter et voir la bande-annonce (bien gothique, à l’image de la couverture, parfaite).

Odyssée

Odyssée
Peter van den Ende
Sarbacane, 2021

Tour du monde sans escale

Par Anne-Marie Mercier

Un format adapté et 96 pages, voilà de quoi déplier un beau voyage imaginaire, sans texte, mais avec de nombreuses péripéties. Peter van den Ende propose une succession d’images en noir et blanc, tracées à l’encre et ombrés de multiples dégradés de gris. Elles se déploient sur chaque double page, proposant à chaque tourne de page un moment différent, avec de nouveaux lieux et de nouvelles rencontres fantastiques.
L’Ulysse de ce voyage semble être un petit bateau de papier, issu d’un pliage fait moitié par un diable cornu, moitié par un humain ordinaire ; ou bien serait-ce l’ombre qui s’en extrait à la fin du livre, un génie maritime élégant ? Le petit bateau fragile est ballotté en tous sens, rencontre de nombreux obstacles, part dans les airs, plonge au fond des abysses. Une carte en fin d’ouvrage montre le trajet parcouru, comme dans les éditions de l’Odyssée d’Homère, mais avec un monde plus vaste, du Pacifique au Golfe persique, de l’Antarctique à l’Écosse, doublant le Cap Horn et le Cap de Bonne espérance. Mais cet ancrage dans le réel est bien sûr fantaisiste : à travers lui, c’est surtout l’univers mythique de la mer que l’on rencontre, avec ses monstres, ses plantes, ses machines étranges aussi. Chaque page est pleine de détails curieux, drôles ou inquiétants. En somme ça vit, ça coule, c’est merveilleux.
On peut voir quelques images sur le site de l’éditeur.

Peter van den Ende est aussi, dans une autre vie, guide naturaliste sur les îles Caïman. La précision de son trait en témoigne. Odyssée est son premier album, fruit, on le devine, d’un long travail.

 

L’Incroyable bibliothèque Almayer

L’Incroyable bibliothèque Almayer
Philippe Debongnie, Cyndia Izzarelli, et…
À pas de loups, 2020

 

Pension pour êtres de fiction

Par Anne-Marie Mercier

Cet album de format moyen est tiré du grand projet de la pension Almayer, autour des images du graphiste belge Philippe Debongnie. Il a collecté toute une série de portraits photographiques anciens, et a remplacé leurs têtes humaines par celles d’animaux. La rigidité du portrait ancien et l’allure digne de ces animaux en posture dressée et en costumes raides leur donne un air nostalgique particulier. Les vêtements ont été coloriés par des collages aux motifs colorés (papiers peints, impressions anciennes) ou repeints. L’ensemble est chatoyant et la mélancolie des ‘visages’ est compensée par le raffinement des couleurs.
Divers auteurs ont proposé de courtes histoires pour accompagner ces portraits dans une version pour adultes, mais aussi des musiques. Dans cette édition pour la jeunesse, on a fait appel à des auteurs bien connus dans ce secteur comme  Annie Agopian, Marie Chartres, Marie Colot, Anne Cortey, Alex Cousseau, Rapahële Frier, Anne Loyer, Carl Norac, Cécile Roumiguière, Marie Warnant et Cathy Ytac. Cyndia Izzarelli a elle aussi illustré de ses mots plusieurs portraits.
Les histoires racontées ici sont souvent étranges, parfois loufoques, ou un peu effrayantes, révélant comment le personnage est arrivé dans la pension, ce qu’il y a fait, comment il en est parti, ou non. Cela fait une belle galerie inclassable et poétique. Elles se recoupent, avec le retour de personnages, l’allusion à des pièces de la pension, à des chambres, créant  tout un univers organisé par des  thèmes : Amour, Courage, Passion, Rêve, Voyage…

 

Le Projet

L’Attrape-Malheur, tome 1 : Entre la meule et les couteaux

L’Attrape-Malheur, tome 1 : Entre la meule et les couteaux
Fabrice Hadjadj, illustrations de Tom Tirabosco
La Joie de lire, 2020

Sombre, très sombre

Par Anne-Marie Mercier

L’intrigue du roman tient à ce qu’est le personnage inventé par Fabrice Hadjadj : à lui tout seul il contient le cahier des charges du projet d’écriture. Un attrape-Malheur est un être que rien ne peut atteindre ni blesser directement. Inversement, il souffre à la place de ceux qu’il aime. La deuxième caractéristique fait le malheur du héros : après avoir compris qu’il pourrait mourir à leur place, ses deux parents font tout pour détruire l’amour qu’il a pour eux, pour son chien, pour une petite voisine… Se croyant trahi par tous, écrasé par la cruauté des êtres qui lui étaient les plus proches, l’enfant est recruté par un cirque ambulant. Il y développe la première caractéristique de sa nature : sous le nom de scène du « Môme même pas mal » il se produit sur la piste pour subir toute sorte d’avanies. Coupé en morceaux, jeté du haut d’une tour, noyé… rien ne l’atteint mais son cœur reste de glace, jusqu’à ce qu’il rencontre le regard d’une princesse…
Le récit est mené dans un univers médiéval sombre et cruel, dans un contexte de lutte entre différents rois (le môme en sera l’enjeu futur) et de sombres complots. La galerie de monstres du cirque est d’abord inquiétante avant de révéler des êtres qui peuvent être chaleureux (mais dont il faut tout de même se méfier). Quant au directeur du cirque, le mentor du jeune homme, il cache plus d’un secret.
Ce récit très sombre est éclairé par de beaux passages, souvent contemplatifs, comme celui-ci : « Jakob ne regarde pas les ponts mais au-dessus, dans le ciel bleu et blanc.  Des étourneaux se rassemblent pour migrer vers le sud. Ils forment une masse de points noirs qui se plie, se déplie, se replie sur elle-même, forme des volutes toujours neuves, se soulève et s’abat telle une vague en pointillé échappée de l’océan, libérée du littoral et de toute pesanteur. C’est un immense filet pour attraper les oiseaux qui s’est changé en un filet d’oiseaux qui attrape le ciel « . Les illustrations en noir et blanc (bois gravés, fusain ?) traitent l’histoire et les personnages de manière tout aussi contrastée, entre émerveillement et noirceur.
L’ensemble est très original et de plus en plus prenant. Si un héros sans affection peine à produire de l’empathie, Jakob devient au fil du roman une figure complexe et entraine le lecteur dans la confusion de ses sentiment.

 

Trois histoires vraiment bien

Trois histoires vraiment bien
Julien Bauer, Magali Le Huche
Les Fourmis rouges, 2019

Vrai de vrai…

Par Anne-Marie Mercier

Voilà effectivement, comme le titre l’annonce, trois histoires, toutes trois très énigmatiques et toutes trois « vraiment bien » qui jouent avec la vérité et l’absurde.

Un jour de neige, dans un jardin public, on trouve des traces de pieds de géant, des objets qui semblent appartenir à un géant, une énorme clé avec une adresse ; on y va, une voix énorme répond, on entre et on trouve… Piplo ! Il manque les images pour accompagner cette chasse au trésor comique et mignonne dans une ville qui semble croquée par Peynet.

« Coquin Colin », est nous dit-on « une histoire vraie », celle des époux qui figurent sur le célèbre tableau de Grant Wood, « American Gothic » (1930), l’un des tableaux les plus détournés au monde : ils auraient eu un fils, Colin, très coquin, qui aurait fait leur désespoir et ils seraient tombés sur la recette d’un élixir pour enfants agités, et, de là, auraient créé une boisson elle aussi iconique des USA (celle qu’évoque le titre…). Encore une fois, l’image donne son sens plein à l’histoire comme elle la rattache à l’Histoire, la culture américaine est ici saisie dans un grand raccourci.

L’incroyable mystère est celui de la disparition conjointe du poisson rouge de Romain (Paris, 6 ans), du lama d’Ezéchiel (Pérou, 7 ans) et du chien de Mme Baxter (USA, 83 ans)… on les retrouve sur la photo officielle des dirigeants du G7 : que s’est-il passé ? et que nous dit ce miracle ? Cette histoire dit-elle quelque chose de l’Histoire ? Ou n’est-ce « que » pour en rire ?

Sous la désinvolture du titre qui fait penser à celui de l’album de Christian Voltz intitulé « Le Livre le plus génial que j’ai jamais lu », et qui semble une facilité pour un recueil de récits séparés, il y a pourtant une unité ; d’abord l’univers de Magali Le Huche et sa façon de déplacer ses personnages sur la page blanche ou dans des décors simplement esquissés, aux  coloris délicats ; ensuite le jeu entre les mots et les images, les apparences et le réel, l’humour, et une façon de ne pas se prendre au sérieux tout en affirmant le contraire.