Le chevalier à la courte cervelle

Le chevalier à la courte cervelle
Anne Jonas, Bérangère Delaporte
Milan, 2012

Conte à l’envers

par Anne-Marie Mercier

Les chevaliers n’ont décidément pas bonne presse aujourd’hui : on traque les stéréotypes partout et l’on pastiche à tour de bras. D’où cette histoire comique d’un chevalier qui part vers son destin et rate la princesse, le trésor, mais pas le dragon (qui, lui, ne le rate pas). C’est assez léger, pas inoubliable. Mais les étapes du conte traditionnel sont bien mises en valeur.

Milton chez le vétérinaire, Mais où est passé Milton? Les vacances de Milton

Mais où est passé Milton?
Milton chez le vétérinaire,
Les vacances de Milton
Haydé
La Joie de Lire, 2007, 2000, 2012

Encore lui! Et tant mieux!

par Christine Moulin

 b9a3347f802b2a1f303f23d6d22d3608-300x300Milton, dont nous avons déjà chroniqué les hauts faits (voir La fugue de Milton et Quand j’étais petit…), ne nous déçoit jamais: il est tellement vrai…!

Comme tous les chats, il se niche dans les endroits les plus improbables, ce qui permet au jeune lecteur, bien mieux qu’avec tous les albums ad hoc, de s’initier au vocabulaire spatial ainsi qu’aux adverbes de manière!! Mais en fait, pour notre plus grand bonheur, Milton n’a que faire du lexique : il ne cherche que son confort (ou sa sécurité! je vous laisse découvrir ses démêlés avec une abeille!), en des positions hilarantes et délicieusement félines qui permettent de constater, une fois encore, que lorsqu’un chat se cache quelque part, il y a toujours un bout qui dépasse!

Comme tous les chats, il vit la visite chez le vétérinaire comme un calvaire et résiste de toutes ses griffes : les maîtres qui ont déjà essayé d’arracher leur animal préféré à sa cage pour le déposer sur la table de torture se reconnaîtront! Et la mauvaise foi dont la bête fait preuve, une fois l’examen terminé, leur rappellera certainement quelque chose.

Comme tous les chats, Milton adore la chasse : voilà que pendant ses vacances, il découvre un lézard, un serpent, une araignée, les grillons, les grenouilles, une libellule, un poisson rouge et… la couleur (les bestioles en question sont colorées et contrastent avec le noir et le blanc habituels de la collection). Dans cet opus, la verve coutumière de l’auteure est peut-être quelque peu en berne mais la couverture montrant Milton affalé, tel Snoopy sur sa niche, sur un mur de pierres sèches justifierait à elle seule l’existence du volume tout entier!

L’étrange aventure du courageux chevalier très peureux

L’étrange aventure du courageux chevalier très peureux
Arnaud Alméras, Jacques Azam
Sarbacane, 2012

Histoire d’oxymores

par Anne-Marie Mercier

Petit Paul est mal aimé, petit, faible, peureux, nul enfin. Sa famille le vend à des pirates ; il se sauve à la nage et arrive à l’île Impossible où il rencontre la sorcière adorable, la belle princesse affreuse, le nain géant… et est déclaré « courageux chevalier très peureux ». Après bien des aventures, dignes de tout séjour sur une île inconnue, il épouse… la sorcière, dont il a de nombreux enfants uniques !

La fantaisie des aventures se mêle à la loufoquerie des images et au jeu de l’illogisme ; l’ensemble forme un conte savoureux. La famille indigne est définitivement mise hors-jeu, contrairement à ce qui se passe dans les contes traditionnels, mas c’est de son propre fait : les enfants peuvent enfin jouer tranquillement, la conscience en paix.

Louise et la grenouille en robe des champs

Markus Majaluoma
Louise et la grenouille en robe des champs

La Joie de lire, 2012
Traduit du finnois par Lucie Labreuille

Antimanuel de persuasion alimentaire
à l’usage des enfants et parents

Par Dominique Perrin

 Quand les pères optent pour l’imagination et la tendresse à tous crins au moment d’initier leur enfant – ici la jeune Louise – au plaisir et à la nécessité de manger des carottes… Cela donne Louise et la grenouille en robe des champs, une épopée domestique intergénérationnelle où de nombreux parents peuvent se retrouver, quitte à conclure soulagés, le livre refermé et les plaisirs de la fabulation quittés, que l’imagination et la tendresse ne sont et ne peuvent pas tout dans la relation adulte-enfant. Ce petit album cartonné offre un temps d’exploration et de rigolade qui permet sans doute, du nord au sud de l’Europe, de distinguer d’autant plus posément principe de plaisir et principe de réalité.

 

Pipi! Crotte! Prout!

Pipi! Crotte! Prout!
Pittau et Gervais
Seuil jeunesse, 2012

Pipicacaprout!

Par Caroline Scandale

Pittau et Gervais, auteur/illustratrice de cet ouvrage et couple à la ville, ont à leur actif des dizaines d’albums en commun. L’originalité de leur travail est qu’ils ne prennent pas les enfants pour des idiots. A travers des thèmes en apparence légers, et de manière toujours décalée, ils font passer des messages intelligents dénués de toute moralisation pesante. On leur doit par exemple, Les interdits des petits et des grands où ils dressent l’inventaire leger de ce que les enfants ne doivent pas faire (pipi dans la piscine…) Et surtout, celui beaucoup plus serieux, de ce que les adultes n’ont absolument pas le droit de faire, comme toucher leur zizi ou zezette… Leur volonté de parler de choses qui dérangent est claire et réussie.
Concernant Pipi! Crotte! Prout!, il s’agit d’une réédition de trois albums cultes, réunis en un seul, à l’occasion des 20 ans de Seuil jeunesse. Le titre évocateur colle parfaitement au contenu… Phobiques d’humour scatologique s’abstenir!

Et pourtant… Comment faire rire un enfant si ce n’est en lui parlant de prout-pipi-caca? Et quoi de plus naturel et vital que cela? L’histoire transposée dans le monde animal permet à l’auteur de transgresser les règles de bienséance, obtenant ainsi des scènes cocasses. La plus marquante est celle du zèbre dans un restaurant, qui urine dans l’assiette d’un hôte installé à la table d’à côté, faute de pouvoir juguler ce besoin naturel…

Un ouvrage à posséder dans sa petite bibliothèque idéale des moins de 5 ans.

Asdiwal, l’indien qui avait faim tout le temps

Asdiwal, l’indien qui avait faim tout le temps
Manchette et Loustal

Gallimard jeunesse, 2011

Par Marianne Mondel (Master MESFC Lyon 1)

Quelle caractéristique incarne le mieux notre jeune héros Asdiwal ? Son incommensurable appétit bien sûr ! C’est durant l’été 1966 que ce personnage a été mis en scène par un père pour son fils, alors en vacances en Provence loin de lui, à Paris. Cette œuvre est la première et seule incursion de Manchette au sein de la littérature de jeunesse. Lorsque que l’on songe à cet auteur, polyvalent dans ses fonctions de critique littéraire et de cinéma, scénariste et dialoguiste, traducteur, et surtout père de nombreux romans policiers, on aurait tendance à penser noirceur, violence, crimes… mais bien au contraire, le ton reste résolument comique et décalé !

Malgré une histoire semblant sortir tout droit de l’imagination de son auteur, les indiens Tsimshian, peuple d’Asdiwal, existent bel et bien dans de lointaines contrées. Ce dernier fait figure de héros dans leur mythologie. Manchette puise ses sources dans le l’ethnologie des peuples amérindiens, connue chez nous depuis Claude Lévi-Strauss (ASDIWAL est le nom d’une revue d’anthropologie et d’histoire des religions).

La langue employée par l’auteur est très inventive et frappe le lecteur par sa vivacité et son naturel. Celui-ci s’adresse ainsi aux enfants en s’exprimant comme eux. Les répétitions sont un élément récurrent qui accroche le petit lecteur à l’ouvrage. Manchette joue joyeusement entre le réel et le fantastique, nous entrainant doucement dans l’imaginaire. La dynamique de l’œuvre par ses enchainements d’actions entraîne attention et réflexion. Le loufoque pointe le bout de son nez par la succession brutale des évènements, sans beaucoup de transition ou de logique. Les dessins, quant à eux, accrochent l’œil par la vivacité des couleurs et l’impression de mouvement qui s’en dégage.

L’attachement à ces petits indiens ne parvenant plus à voir leurs mocassins, dissimulés par un ventre grassouillet, est inévitable. Ce joyeux bazar indéniablement original permet une fin heureuse à Asdiwal, devenant un mari comblé… et obèse !

10 P’tits pingouins autour du monde

10 P’tits pingouins autour du monde
Jean Luc Fromental, Joëlle Jolivet

Hélium, 2011

L’énergie-pingouin

Par Anne-Marie Mercier

Ces dix P’tits pingouins, tous absolument semblables, un peu raides, et toujours 10  (on joue à les compter sur les images, histoire de voir s’il en manque), tantôt alignés, tantôt dans le plus complet désordre, vivent 10 aventures dans 10 lieux différents, racontées toutes en 11 pages et précédées d’une page de titre. Si les titres imitent les romans noirs (« Panique en Atarctique », « Crash en Chine »…), les sous-titres sont une série de conseils, numérotés de 1 à 10, pour éviter les catastrophes en forme de grosses bêtises pingouinesques – qui arrivent forcément.

De la barrière de Ross à Paris, de New York au Cap, en passant par Tokyo, les p’tits pingouins sont le mouvement incarné tout en gardant une allure placide (en cela, ils sont radicalement différents des poussins de Ponti auxquels on serait tenté de les rapprocher). Ils mettent un beau bazar partout où ils passent. Enlevés à leur banquise, transportés en avion, bateau, Montgolfière…, naufragés, vendus, kidnappés à nouveau (par un sous marin chinois…), ils sont tour à tour vedettes de défilé de mode (Paris), musiciens de music-hall (New York), cosmonautes ratés, joueurs de foot, rats d’hôtel, justiciers de township (Le Cap), sauveteurs de la fille d’un oligarque russe… On n’en finirait pas d’accumuler les détails et les trouvailles. Ce tour du monde des clichés, très drôle, se fait parfois plus sérieux.

Les dessins sont drôles, charmants et très colorés (en dehors des pingouins !) et jouent sur de beaux contrastes. Le texte est très travaillé, bourré d’assonances et de beaux rythmes. Il est aussi plein d’humour et va de la fausse naïveté à l’accumulation d’allusions qui feront rire les adultes. Ces dix histoires loufoques sont une merveille de fantaisie.

Un album précédent, 365 pingouins (Naïve) avait obtenu le Prix sorcière en 2008 (voir le blog de Stéphanie Devanssay, professeure des écoles qui l’utilise pour travailler les nombres). On trouve aussi dans cette série un livre pop-up et des magnets pour compter dans la joie sinon dans le désordre: 10 p’tits pingouins sur le frigo (Hélium).

voir aussi une vidéo sur le blog Kidissimo

Milton : quand j’étais petit

Quand j’étais petit
Haydé
La Joie de Lire, 2012

Autobiographie féline

Par Christine Moulin

Cela manquait, c’est fait : Milton, revenu parmi nous après une longue absence, prend la parole et nous raconte son enfance. Dès la couverture, le charme agit : il est « trop mimi », comme disent les admirateurs irrécupérables du célèbre félin, englouti dans son grand fauteuil, entouré de ses jouets préférés. Le reste est à l’avenant : attention, aucune révélation ne sera faite sur la lignée de l’animal (d’autres épisodes à venir ? en même temps, comme on dit maintenant, Milton n’est qu’un chat de gouttière. C’est ce qui fait tout son  charme et explique sans doute que silence soit fait sur les circonstances de sa naissance).

Le récit de sa vie commence dans la rue, où il est perdu et recueilli par une famille aimante. Il se poursuit par la série de ses découvertes, qui sont autant d’occasions de le montrer dans des attitudes aussi drôles que touchantes : son premier collier, l’eau du robinet, son premier bouchon, ses premières bêtises, et surtout, son coussin. Rouge. Qui fait le lien avec le présent du narrateur, devenu adulte, sage et nostalgique et garantit la permanence de son identité. Celle qui fait qu’on l’aime et qu’on attend le prochain « Milton » avec impatience.

Aventuriers malgré eux, t. 1 (1 Yack, 2 yétis, 3 explorateurs)

Aventuriers malgré eux, t. 1 (1 Yack, 2 yétis, 3 explorateurs)
C. Alexander London
traduit (américain) par Valérie Le Plouhinec
Les Grandes personnes, 2012

Aventures en vrac

Par Anne-Marie Mercier

Comme le titre l’indique, les héros (frère et sœur jumeaux) n’ont pas le goût de l’aventure. Ils aiment surtout (et exclusivement) la télévision, essentiellement les séries ou à la rigueur les documentaires animaliers ou les jeux. Pour leur malheur, leurs parents sont des explorateurs. Et pour leur malheur encore plus grand, leur mère a disparu et ils sont contraints de partir à sa recherche au Tibet, à la poursuite de Shangri-La et des tablettes de la Bibliothèque d’Alexandrie… Ils doivent vivre les aventures les plus extravagantes que leurs séries les plus décoiffées n’auraient pas imaginées:  yétis, sorcières empoisonneuses, moines et lama les attendent au-dela d’une cascade gigantesque…

Chaque chapitre offre une situation nouvelle, un obstacle inattendu, des rencontres qui sont la plupart du temps des retrouvailles avec les méchants qui sont à leurs trousses. L’humour domine à travers les échanges entre les jumeaux. Ils restent eux-mêmes quelles que soient les circonstances et traînent des pieds autant qu’ils peuvent ; c’est d’ailleurs souvent en faisant référence à un épisode d’une de leurs séries télé qu’ils trouvent des solutions aux situations les plus désespérées. Enfin, l’ensemble ressemble à un jeu où l’on saute de case en case, revient sur ses pas, retrouve les mêmes personnes sous d’autres apparences… un genre de série humoristico-aventureuse (les Orphelins Baudelaire en plus agité). Ce côté décousu et forcément répétitif gênera certains lecteurs et plaira aux lecteurs moins habiles sur les histoires au long cours.

C’est, évidemment le premier tome d’une série : à la fin du premier volume, les jumeaux se retrouvent liés par contrat à leur pire ennemi, on frémit d’avance…

Mademoiselle météo

Mademoiselle météo
Susie Morgenstern
L’Ecole des loisirs (neuf), 2011

 L’école, contre vents et marées

par Anne-Marie Mercier

Trop mince, trop jolie, trop fantaisiste, Alizée Tramontane est seule. Elle a deux passions dans sa vie, la météo et ses élèves de CM1; elle a également deux ennemies, une collègue méchante et jalouse et une inspectrice qui n’aime pas son inventivité pédagogique.

Deux intrigues se déroulent en parallèle, la tentative de ses proches pour la marier (le candidat s’avère être un jeune businessman incapable d’exprimer une émotion), et une expérimentation pédagogique qui l’amènera à faire réaliser des bulletins météo théatralisés par ses élèves, en costumes et en actions, puis à une classe de mer « météo », chaque volet se terminant en catastrophe, du moins provisoirement. La vision du monde enseignant est assez noire, celle de la vie des hommes d’affaires n’est guère meilleure, mais le roman est constamment porté par l’humour et le style de Suzie Morgenstern, autant dire qu’on se régale.

À noter particulièrement : le récit de la visite d’un auteur dans l’école avec deux types de préparation, l’une scolaire et ennuyeuse, menée par la méchante institutrice, l’autre inventive et intelligente, menée par la jeune, jolie, gentille et parfaite héroïne… Du vécu, Susie?