Dans les poches de l’astronaute, du plombier, de l’apiculteur et des autres métiers…

Dans les poches de l’astronaute, du plombier, de l’apiculteur et des autres métiers…
isabelle Simler
Éditions courtes et longues, 2023

C’est à qui ?

Par Anne-Marie Mercier

Après avoir exploré les poches des personnages de fiction, Isabelle Simler nous propose un jeu du même type : il s’agit d’observer une double page sur laquelle, sur fond blanc apparaissent plusieurs objets. Ils sont représentés de manière réaliste, juxtaposés sans ordre apparent. Parfois il est facile de deviner à qui ils appartiennent ; certains métiers sont familiers aux enfants : chirurgienne, instituteur, apicultrice, policière… (on voit que l’auteure a songé à féminiser de nombreux noms, même si quasi rien dans les images ne suggère le genre du ou de la professionnel/le). D’autres sont moins connus (roboticienne, agent immobilier, océanologue…) ou moins faciles à deviner : pour le luthier, des objets et outils étranges, pour le chef d’orchestre, juste une baguette.
Les traits crayonnés laissent parfois la place à des représentations proches de l’hyperréalisme. C’est joli comme un trompe l’œil de collection d’objets (le musée de Lille en a un bel exemple, de Boilly, de la fin du 19e s., un autre du 17e s., de Le Motte, se trouve dans dans celui de Saint-Omer.
Tout cela présente une grande et belle variété de couleurs et de formes ; et que de jolis mots inconnus à découvrir dans la liste des outils !

Le Creux de ma main

Le Creux de ma main
Laetitia Bourget, Alice Gravier
Sarbacane (Sarbabb), 2024

Expériences sensibles

Par Anne-Marie Mercier

Les éditions Sarbacane publient une collection pour les plus petit, nommée « Sarbabb ». Ses petits albums, carrés et cartonnés proposent aux tout petits des expériences sensibles à leur portée ou des histoires aux thèmes et aux rythmes adaptés.
« Dans le creux de ma main j’ai recueilli… » L’album énumère ce qu’un enfant peut saisir ou plutôt accueillir dans sa main : un flocon de neige, un oiseau blessé, un têtard, de l’eau, une luciole, un coquillage, de la farine…, toutes choses légères et délicates, jusqu’au bébé nouveau-né de la dernière page. Chaque chose apporte une connaissance : le temps qui passe, la croissance des plantes et des animaux, le savoir-faire de la pâtissière, le début d’une collection…
À chaque page de gauche, montrant sur fond blanc la fillette en action, correspond, à droite, l’animal enfui, le flocon fondu, la collection…, dans une image à fond perdu remplie de couleurs et de formes, jusqu’à la dernière double page qui présente une seule image, réunissant la fillette et le bébé. L’enfant qui tient ce livre est lui-même invité à se saisir de ces formes et de ces expériences.

Comment ratatiner les dinosaures ?

Comment ratatiner les dinosaures ?
Catherine Leblanc, Roland Garrigue
Gallimard jeunesse (l’heure des histoires), 2024

Qui a peur du méchant dinosaure?

Par Anne-Marie Mercier

Stégosaure, diplodocus, ptéranodon, vélociraptor à grandes griffes, tyrannosaure à grandes dents… tous ces animaux hantent l’imaginaire enfantin. Ils pourraient faire peur : comment se fait-il d’ailleurs qu’ils n’y ont pas remplacé le loup ? sans doute pas défaut de tradition et de chaperons rouges à l’horizon. Mais on ne sait jamais, certains enfants sont plus craintifs que d’autres ou ont des terreurs plus géantes, alors voici l’antidote : chaque dinosaure est ici représenté de façon à le rendre à la fois effrayant et ridicule. Ils sont gigantesques, ils ont de grandes dents, de grandes griffes, des cornes, des pois, des rayures, de gros sourcils, bref de quoi faire peur, mais…
Le texte, en vers de mirliton, ne se prend pas au sérieux et ajoute de la cocasserie aux images. Chaque double page montre un spécimen « ratatiné » par un ou deux mini personnages, avec des méthodes radicale et douces à la fois : on peut neutraliser ces grosses bêtes avec des mots, des contraventions, des virelangues (« les chaussettes de l’archiduchesse »), avec des chiffres (indigestion d’opérations), en leur tordant le cou, en les faisant glisser sur des billes… un jeu d’enfant, donc ! Les pages sans texte, au début et à la fin, ne sont pas les moins appréciées des jeunes auditeurs-spectateurs.
C’est une réédition en format poche et souple d’un album paru chez Glénat en 2009 (avec toute une série de « comment ratatiner les »… dragons,  pirates, etc.) et devenu un livre CD en 2019.

Vacances d’hiver

Vacances d’hiver
Mori
HongFei, 2024

La France en vitrine

Par Anne-Marie Mercier

Après ses Vacances d’été, Mori nous emmène en voyage d’hiver. Son petit personnage part cette fois du Japon (au lieu d’y aller comme c’était le cas dans l’album précédent), toujours avec son chat et toujours avec des tenues appropriées, pour l’une comme pour l’autre. Coiffés de jolis couvre-chefs, tous différents, choisis selon les circonstances, arborant des tenues rayées de bleu, blanc, rouge, ou de gros blousons (on songe aux poupée de carton à habiller dans les journaux d’autrefois), ils nous entrainent vers les plaisirs de l’hiver : visiter Paris (ah, l’opéra, les quais de Seine et Notre Dame…), glisser sur les patinoires, contempler la montagne avec ses téléphériques, faire de la luge… s’éblouir avec les cadeaux, les illuminations, tout cela émerveille… avant un retour sage chez soi, sur son tatami, une jolie tour Eiffel en souvenir sur une étagère et des images plein la tête.
Les très belles images de cet album sans texte (hors les pages de garde) qui sont autant de cartes postales, ou de capsules de mémoire, font aussi sourire par leurs détails  (les boulangeries fermées le lundi, un chat de neige à côté d’un bonhomme de neige contemplé, en miroir, par les deux amis, le lion de Béatrice Alemagna qui marche en bord de Seine… tout un voyage !

Mythiques. Icones de légende

Mythiques. Icônes de légende
Françoise Rachmühl, François Roca
Flammarion jeunesse, 2023

Comme des stars

Par Anne-Marie Mercier

 « Pourquoi consacrer un livre aux femmes de la mythologie ? ».
La préface de Françoise Rachmühl, qui a beaucoup adapté la mythologie pour la jeunesse, répond intelligemment à la question : elles sont en effet peu mises en avant dans les récits, mais ont un rôle « primordial », « maitresses ou servantes, de noble naissance ou d’origine servile ». La seule héroïne active qui tienne un rôle de premier plan pose problème : il s’agit de Médée, femme délaissée, meurtrière de ses propres enfants.

La vie de chaque héroïne est relatée en deux ou trois pages accompagnées d’un très beau portrait, une peinture subtile réalisée par François Roca qui leur donne à toutes une allure différente et une parenté : elles ont superbes. Hélène, Andromaque, Pénélope, Euryclée (représentée, comme Pénélope, dans sa belle jeunesse), Antigone, Ariane, Antiopé (l’amazone), Médée, Alceste, Electre, toutes ont une belle prestance, fière, douce, rêveuse, selon l’histoire racontée. Leurs vies sont bien résumées, y compris celle de Médée, qui révèle la finesse et l’intelligence de l’auteure qui parvient à tout dire sans édulcorer ni condamner.
C’est une belle « galerie » d’images attachantes pour s’initier à une partie de la mythologie.

De 0 à dix

De 0 à dix
Christian Demilly, Alice de Nussy
Grasset jeunesse, 2023

Jeux de maths en ronds

Par Anne-Marie Mercier

C’est un petit livre à compter qui fonctionne comme bien d’autres : chaque double page présente un chiffre avec le mot qui le désigne, dans l’ordre croissant, « de zéro à dix ». Mais il propose quelques petits éléments supplémentaires.

Au bas de chaque page on voit une ligne de ronds, au nombre de dix, qui permet de se repérer dans la suite : s’ils sont tous blancs avec le zéro, ils prennent des couleurs au fil des pages, le 1 avec un rond rouge, le 2 avec le rond rouge suivi d’un rond orange, le 3 avec les deux précédents suivis d’un rond orange, etc. Cela permet de faire discrètement un sort au zéro, qui ne « compte pas ».
Aux notions de quantité s’ajoutent des notions d’espace inscrites dans différents cercles colorés : près/ loin, en haut/ en bas , dernier/ avant-dernier, et cela jusqu’au neuf où tout explose avant de revenir à l’unité avec des cercles concentrique : 10 = ensemble… C’est joliment fait et bien pensé. Reste à savoir si l’abstraction aide mieux à compter que les empilements de lapins, carottes, etc.

Mes Saisons

Mes Saisons
Bernadette Gervais
Les grandes personnes, 2023

Entre photos et pochoirs

Par Hélène Davoine

Avec cet imagier Bernadette Gervais nous invite à savourer avec elle ce qu’elle désigne, avec son titre, comme « ses » saisons et c’est bien à un parcours personnel que nous sommes invités : les saisons apparaissent photographiées en noir et blanc ou dessinées avec force détails et couleurs. Quand on observe ces animaux, ces plantes, ces champignons, on a l’impression de la suivre en balade. En cheminant, elle prend en photo ou dessine ce qu’elle croise sur sa route : des bourgeons, des insectes jaunes et noirs, des champignons, des araignées, des feuilles.
Les pages se suivent et ne se ressemblent pas. On regarde la terre et ses traces d’animaux. On regarde le ciel, ses nuages et la voie lactée. Une photo du brouillard suit le dessin d’un cerf et d’une biche et on se surprend à les chercher dans la brume. Les sujets sont parfois rapprochés parce qu’ils se ressemblent, par leur nom ou par leur aspect. La photo des graminées est striée comme l’est le dessin du cirrostratus de la page d’en face. Le chardon a pour voisin le chardonneret. On suit son parcours mental à travers les images et son cheminement dans la nature. On se laisse entraîner, on repense à nos propres marches champêtres, on admire ses photos et ses illustrations. Rarement, imagier n’aura été aussi propice à la rêverie.
La dernière image du livre représente deux traces de pas dans la neige et cette seule image résume très bien cet ouvrage : une belle invitation au voyage.

 

 

Aux Oiseaux

Aux Oiseaux
Anaïs Massimi
Grasset, 2023

Force fragile

Anne-Marie Mercier

C’est à quarante oiseaux différents que s’adressent les poèmes de l’album;ce sont des oiseaux bien connus dans nos climats, presque banals (pinson, roitelet, grive, mésange, chouette…). L’autrice s’adresse à eux au fil des saisons et des heures, évoquant tantôt leur chant, tantôt leur vol, leurs habitudes et leurs espoirs de survie dans ce monde dominé par les humains. Parfois ils brillent même par leur absence. Le ton est léger, la poésie sans prétention. Elle s’attache au sensible et à l’intime.
Les images montrent les oiseaux sur un fond naturel dont le flou évoque le mouvement. Leur œil brille au milieu de crayonnés légers parfaits pour évoquer la plume et l’air. Le réalisme est tempéré par le flou, rien de très original, mais c’est une légèreté qui va bien avec l’ensemble.
L’ensemble est charmant et convainc du « courage des oiseaux », évoqué dans l’extrait de Dominique A., cité en tête d’album.

Crabe

Crabe
Géraldine Collet, Olivia Cosneau
Sarbacane, 2023

Mystère orangé

Par Anne-Marie Mercier

Cet album documentaire cartonné, de format carré arrondi aux angles est un livre à rabats adressé aux plus petits. Les concepteurs ont pris grand soin à arrondir également les découpes et systèmes afin de ne pas blesser les petites mains qui le manipuleront et assurer davantage de longévité à l’objet.
On apprend l’essentiel, et tout cela en vers de mirliton : combien de pattes, sa démarche, son habitat, ses prédateurs… Tout cela avec un système de questions dont les réponses en général se trouvent sous les rabats. Attention, pour que cela fonctionne il faut prendre soin à replier par avance certains qui se présentent parfois ouverts quand le livre est neuf, brisant le suspense et la logique de lecture qui par ailleurs sont parfaits.
Belles couleurs (quoique… cet orangé superbe de Crabe irait mieux à du cuit que du cru, mais c’est si joli…), formes épurées, ensemble lisible et dynamique, une belle occasion de renouer avec la plage.
Pour ramener les plus grands à la plage avec un crabe, on pourra lire Mademoiselle Princesse coquette veut être grande.

Le Jardin secret du dernier comte de Bounty

Le Jardin secret du dernier comte de Bounty
Philippe Mignon
Les Grandes Personnes, 2023

Lecture -voyage dans un jardin

Par Anne-Marie Mercier

Voilà un autre album étonnant au catalogue des Grandes Personnes qui nous avaient déjà ravis avec de multiples chefs-d’œuvre. Celui-ci ne ressemble à aucun autre et il a s’inscrit dans différents genres : encyclopédie imaginaire, livre-jeu, traité de l’histoire des jardins, histoire d’un personnage…
« Nous sommes en 1842 » … Henry Blackwood est le dernier comte de Bounty : il a perdu son fils unique, un savant naturaliste, mort dans le naufrage de son bateau en mer de Chine. Henry Blackwood, sachant sa fin proche, fait venir un ami, savant comme lui, pour lui faire visiter son jardin, l’œuvre de toute sa vie, avant de disparaitre et faire disparaitre son jardin avec lui. En effet, cette visite d’un lieu plein de vie, de sève et d’eau est aussi un chant funèbre, un testament.
Nous visitons, comme l’ami, avec Henry pour guide. On suit leur progression. On admire les statues. On passe d’un ruisseau à un étang, puis à une fontaine, un lac, une île… Henry explique comment il a procédé et où il a trouvé les matériaux. On dévoile de nouvelles perspectives en soulevant des rabats, on se perd dans le labyrinthe (oui, il y a un vrai labyrinthe). Notre gondole passe sous une bouche de monstre. On découvre le gigantesque poisson des abysses qui servira de tombeau au comte. L’album est un livre à systèmes : le poisson surgit au milieu d’une double page, ouvrant sa gueule devant nous. C’est une expérience de lecture étonnante qui mime celle d’une promenade dans un jardin spectaculaire (l’auteur s’est inspiré de jardins existants : Méréville, Bomarzo, Ambras, le parc Querini de Vicenza, le jardin de la perspective de Nanjing).
Le livre a une dimension historique et encyclopédique : on y trouve différentes techniques imaginées par les grands jardiniers pour donner une impression d’espace, créer de la surprise, déformer le réel. Le jardin est situé en Irlande, vers Killarney, avec un climat qui autorise tous les rapprochements ; des jardins italiens et français y côtoient un jardin chinois et des pagodes.
Des oiseaux exotiques s’y sont multipliés et le comte élève des espèces rares dont on comprend vite que la plupart sont fantaisistes. Mais là encore, le livre à système autorise de multiples variations. Les illustrations délicates imitent les aquarelles des naturalistes classiques, avec une finesse de trait et une délicatesse de couleurs superbes. Une quadruple page (la page de droite se replie en trois) développe une imitation de planches de zoologie, pour nous présenter des animaux fantastiques à l’allure sage et aux noms latins, mis en relation avec Linné, le grand naturaliste suédois : le Kamichi tête d’euphorbe (qu’on peut voir sur la couverture), l’Ibis Rococo, etc. Mêlant règne animal et règne végétal, jouant avec les espèces, ce dépliant fait face à une page dans laquelle un disque permet de faire varier le bec d’un oiseau : le lecteur pourrait lui-aussi inventer des animaux et leur donner des noms…
En somme l’album nous entraine dans un jardin fantastique (on songe au Jardin d’Abdul Gasazi de Van Allsburg) qui nous apprend beaucoup sur les jardins réels et nous fait voir des animaux proches des plus étranges qui existent, et plus étranges encore. C’est aussi une promenade qui ouvre sur un temps long : à la mort du comte, selon ses volontés, le jardin sera fermé à tous les visiteurs et abandonné pendant cent ans. Le palais de la belle au bois dormant connaît ici une version végétale paisible : après cent ans, il n’y aura personne à réveiller et sans doute plus de jardin autre que dans nos rêves, suscités par cet  album fascinant.

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