Des Contraires

Des Contraires
Jennifer Bouron
Maison Eliza, 2020

Art de la contradiction

Par Anne-Marie Mercier

Ce petit album carré dédié à la question classique des contraires, un thème fréquent adressé aux tout petits, semble avoir pris le contre-pied de ce qui se fait d’habitude : au lieu de se concentrer sur les termes habituels (celles du grand/ petit, vide / plein, etc.), il aborde des questions plus subtiles (habile / maladroite, concentrés/ détendus) ou emploie des mots plus longs, allant vers les extrêmes (minuscule/ immense).
Tout aussi surprenant est le choix chromatique fait par l’artiste : là où, pour les tout petits lecteurs, on propose le plus souvent des couleurs primaires éclatantes sur fond blanc, on trouve ici des fonds rosés, bleu-nuit ou beiges et des motifs dans les mêmes tons étouffés. Certains couples demandent une réflexion pour être identifiés : dans le duo uni/multicolore qui montre une plante en pot d’une part et un vase avec un bouquet d’autre part, on peut s’interroger sur ce qui est désigné : le contenant, beige dans les deux cas et simplement rayé de bleu marine dans le deuxième ? ou la plante verte et les fleurs diverses de l’autre, qui déclinent des tons étouffés de roses avec quelques touches de bleu marine ?
Ainsi, ce n’est pas un album qui s’adresse aux tout petits (comment associeraient-ils le camion de glace à la notion de froid et le feu au-dessus duquel cuisent des brochettes de chamallows à celle de chaud ?) mais plutôt une jolie déclinaison graphique, une proposition de voyages autour de représentations de sensations, de motifs, d’expériences, un support pour se souvenir et parler.

Comment allez-vous ? Les expressions populaires expliquées par l’histoire

Comment allez-vous ? Les expressions populaires expliquées par l’histoire
Anne Jonas, Aurore Petit
De La Martinière jeunesse, 2019

Expressions « à la queu leu leu »

Par Anne-Marie Mercier

« Être sur la sellette », passer «  à tour de rôle », être « lauréat », toutes sortes d’expressions usuelles sont expliquées ici par leur histoire, ramenant à des objets disparus ou inaperçus (comme le laurier du lauréat). D’autres auraient leur origine dans un événement historique (« pour des prunes » ferait allusion à la seconde croisade à l’issue de laquelle les croisés n’auraient ramené que des pieds de prunier de Damas). Draconien, poubelle, Laïus renvoient à des personnages historiques ou mythiques.
Moins savant que l’un de ses plus illustres devanciers, le livre de Claude Duneton, Anthologie des expressions populaires avec leur origine, La Puce à l’oreille, paru dans sa première forme en 1978, plus rapide, accompagné d’illustrations aux couleurs vives qui prennent les expressions au pied de la lettre de manière comique, ce petit ouvrage est une introduction amusante et intéressante à l’histoire de la langue.

Imagier du vivant

Imagier du vivant
Martin Jarrie
Seuil, 2020

Images vivantes

Par Anne-Marie Mercier

L’album de Martin Jarrie est à lui tout seul une exposition. En ces temps où l’on est privé de la contemplation des œuvres, depuis la fermeture des musées, c’est un bonheur de s’arrêter sur ses images, reproductions de vrais tableaux de l’artiste qu’est Martin Jarrie, dans lesquelles on devine l’épaisseur de la matière à travers la richesse de la palette. Certaines images ont la précision du trompe l’œil, d’autres la beauté d’une nature morte, parfois celle d’un tableau abstrait. Les fonds vont du noir le plus profond au rouge le plus éclatant, en passant par des verts, des blancs, des jaunes aux multiples nuances.
Selon le principe de l’imagier, des animaux et des plantes sont présentés, seuls, sans décor, et avec pour seul accompagnement textuel leur nom. Certains occupent toute une double page, le plus souvent ce sont de gros animaux (la vache, le mouton, le cochon, le cerf – superbe sur un fond de vert tendre – le maquereau, si bleu). D’autres occupent une seule page et jouent au jeu des correspondances avec leur vis-à-vis : complémentarité (un citron entier et un citron en coupe), rapprochement de couleurs (le radis et l’œillet rouge) ; parfois c’est juste un détail (la crête de la poule et la fraise), parfois c’est le début d’une histoire (un coq face à un renard) ; parfois c’est plus mystérieux : que va faire le chat avec le raisin? ou drôle (le cheval et le poivron).

On ne se lasse pas de contempler chaque détail, de se rassasier de ces couleurs : c’est magnifique, vibrant… vivant.

Feuilleter sur le site de l’éditeur

La Fabuleuse histoire de la terre

La Fabuleuse histoire de la terre
Aina Bestard
Traduit (espagnol) par Philippe Godard
Saltimbanque Éditions, 2020

Quand la science est fabuleuse

Par Anne-Marie Mercier

Publié en collaboration avec le muséum des sciences naturelles de Barcelone, ce superbe album est aussi un livre sérieux et bien documenté. Il nous entraine tout au long de ce qu’on appelle l’histoire de la terre, s’arrêtant à l’apparition des hominidés. Histoire géologique, traces du passé (fossiles), Big Bang, progressive rotondité de la terre, débuts de la vie, premières espèces des fonds marins, premières plantes et animaux qui commencent à apparaitre sur la terre ferme, vie aquatique, grands reptiles (dinosaures), mammifères (les mammouths, les ancêtres des tigres et des buffles,…). Il nous entraine de l’Eon hadéen au mésozoïque, accumulant tous ces noms étranges et fascinants. C’est un long chemin, tout au long des doubles pages de cet album au format à l’italienne, très allongé.

Rien de rébarbatif à ces savoirs : la mise en page intelligente, les procédés pour varier les effets (rabats, calques…) et la beauté des illustrations suffiraient, s’il en était besoin, à rendre tout cela passionnant.
Aina Bestard et les éditions Saltimbanque ont choisi d’imiter l’esthétique d’albums anciens, avec une couverture cartonnées et toilée, des papiers forts aux fonds verts, beiges. Les illustrations ressemblent aux gravures scientifiques anciennes, coloriées de couleurs éclatantes ou sourdes selon le thème. Elles font surgir des paysages extraordinaires qui semblent issus de voyages imaginaires. Aina Bestard illustre avec une certaine liberté (et cela est précisé par le texte) ce que nous dit la science  de notre temps sur ce passé lointain, et cette place laissée à l’imaginaire, paradoxalement, rend plus proche cette extrême ancienneté.

Mercredi

Mercredi
Anne Bertier
MeMo (2010), 2018

Du jeu, de la géométrie, de la créativité : MeMo dans les pas du Père Castor

Par Anne-Marie Mercier

Bel hommage à Nathalie Parain, cet album carré, au format original (que l’on ne peut qualifier ni de petit ni de grand : que dire donc, sinon qu’il est parfait ?), propose les jeux de deux personnages : Petit Rond et Grand Carré. On l’aura compris, ce sont des formes géométriques, l’une est bleue et l’autre orange, couleurs complémentaires – mais rien à voir avec l’album Petit Bleu et Petit Jaune de Léo Lionni qui travaillait sur la couleur. Ici, seule la forme compte et elle est travaillée à merveille.
Il faudrait ajouter à la forme les mots, car c’est aussi un imagier associant mots et choses, formes graphiques et décodage de celles-ci : « Il leur suffit de prononcer un mot et ils se transforment aussitôt ». Grand Carré (il mène le jeu) lance le thème ; Petit Rond l’imite, d’abord en essayant de reproduire la même forme (un papillon avec deux triangles pour l’un, deux demi-cercles pour l’autre), une fleur, un champignon… On en aura une idée plus précise en feuilletant sur le site de l’éditeur.
Mais le jeu a des limites et on ne peut pas tout faire quand on est petit. Après une brouille, les deux amis coopèrent harmonieusement et longuement, preuve que le jeu en collaboration est plus intéressant que le jeu en compétition : ils forment ensemble un « i », un bonbon, un clown… et ce temps de jeu se termine bien évidemment par un goûter. Voilà une belle façon d’occuper les mercredis.

On retrouve ici les principes qui animaient Nathalie Parain et l’équipe des débuts du Père Castor : proposer de beaux albums, à la lisibilité travaillée (la typographie et la mise en page de l’album vont dans ce sens), qui sollicitent l’imagination et développent la créativité de l’enfant. Mercredi est une invitation à poursuivre en jouant au tangram, ou en créant de nouvelles formes, comme les tout premiers albums du Père Castor signés par Nathalie Parain, Je fais mes masques (Paris : Flammarion (Albums du Père Castor), 1931 / Mes masques, 2004 ; 2006) et surtout Je découpe (Paris : Flammarion (Albums du Père Castor), 1931 ; Nantes : MeMo, 2012).
Avec le même principe de collages, Anne Bertier a travaillé également sur les opérations arithmétiques, dans  la série « Signes jeux » de MeMo, pour « donner un sens graphique aux opérations de l’arithmétique élémentaire. Elle traite ainsi l’addition et la soustraction, mais également multiplication, division et égalité » (Je divise, Je multiplie, Je soustrais, C’est égal).
Saluons encore une fois le magnifique travail des éditions MeMo qui font reparaitre des classiques (ceux du père Castor, les albums de Sendak, etc.) et parfois les traduisent, ouvrant l’accès des français une histoire plus large de la littérature de jeunesse, et qui proposent également des albums contemporains inspirés de ceux-ci.
Les éditions MeMo ont également publié des monographies sur de grands artistes de ce domaine, comme Nathalie Parain, Paul Cox, ou Elisabeth Ivanovsky.

L’Herbier philosophe

L’Herbier philosophe
Agnès Domergue, Cécile Hudrisier
Grasset jeunesse, 2020

Méditations végétales

Par Anne-Marie Mercier

Allier science et philosophie, c’est possible. Les relier avec de la poésie, c’est plus rare. Cet herbier d’un nouveau genre réussit ce pari à travers un choix de plantes inspiré par le nom plutôt que par la chose : l’éphémère, l’arbre du voyageur, l’amour en  cage, l’immortelle et la pensée côtoient le souci et la misère, le cosmos et le perce-neige, et d’autres. C’est une jolie de façon de nous ressouvenir du sens premier de ces noms.
Chacun est accompagné de son nom latin et de deux représentations, l’une au crayon, petite et précise, l’autre en aquarelles colorées et encres. Un texte, souvent en forme d’interrogation, invite à la réflexion :
« Si je te demande de na penser à rien, à quoi penses-tu ? » (pensée)
« Se soucier de quelqu’un change-t-il son destin ? » (souci)
« Quand la passion prend racine dans ton cœur, peut-on l’arracher en douceur ? (passiflore)
Et parfois à la méditation poétique :
« Le diable est aux anges ce que la nuit est aux étoiles » (le diable dans le buisson et l’angélique).
Les aquarelles délicates et vives sur fond blanc sont très bien rendues ; l’album est parfaitement harmonieux.

Le Livre du trésor

Le Livre du trésor
Brunetto Latini, Rébecca Dautremer
Trad. (français du XIIIe s.) de Gabriel Bianciotto
Grasset jeunesse (La collection), 2020

 Livre merveille

Par Anne-Marie Mercier

La collection de Grasset jeunesse qui réédite des textes classiques, justement nommée «La collection» propose de belles surprises, notamment pour cette toute nouvelle année : Le Livre du trésor nous permet d’allier l’ancien et le moderne, avec des extraits d’un texte du XIIIe siècle, publié par Brunetto Latini, un florentin exilé en France. La traduction en français moderne est due  à Gabriel Bianciotto, spécialiste de langue médiévale. Les illustrations sont de la toujours parfaite et toujours nouvelle Rebecca Dautremer, qui a su parfaitement jouer de la contrainte de la collection (une palette limitée à 4 couleurs).
Les merveilles sont le cœur de l’ouvrage : merveilles du vivant (la fourmi, la baleine, le singe, le caméléon, le loup, la cigogne…) mais aussi de ce qui en faisait partie dans la pensée médiévale et est aujourd’hui rangé dans le bestiaire fabuleux (la licorne,  le phénix, le dragon…).
Saviez-vous que le phénix a le corps rose, que la licorne est dangereuse et a des pieds d’éléphant ? mais aussi que la baleine reste immobile assez longtemps pour qu’un banc de sable se forme autour d’elle et que des marins y accostent, croyant trouver une île de terre ferme ? Que les fourmis d’Éthiopie récoltent de l’or, et comment on peut arriver (par la ruse) à le leur subtiliser ?
On ne dira pas toutes les merveilles de ce livre, elles sont nombreuses et les dessins qui les prennent au pied de la lettre (comme on doit lire les textes) sont chacun une œuvre d’art à contempler.

L’Art des Geeks

L’Art des Geeks
Floriane Herrero
De la Martinière, 2018

L’art pixelisé

Par Anne-Marie Mercier

Le titre peut tromper ceux qui n’ont pas suivi l’évolution du mot : désignant à l’origine des fondus d’informatique asociaux, le mot est devenu positif, et désigne aussi les adeptes des écrans. Parmi eux, des créateurs qui détournent les images de la culture populaire portée par la télévision, les animés, les jeux vidéo… mais aussi les produits dits dérivés. On y trouve aussi bien des icônes modernes comme Batman, Mario, les Simpson, les Playmobil… que des icônes religieuses, des personnages de contes (Cendrillon victime d’un accident de carrosse filmé par des paparazzi)…

L’ensemble est étonnant d’inventivité, de liberté joueuse, de détournements cocasses… que ce soit sous la forme de photo, d’objets, de meubles même (ceux imité de Star wars par Superlife et Eyal Rosenthal, par exemple). Il se présente comme un livre d’art : grand format, doubles pages, photos en pleine page, belle impression).

La Face cachée des insectes

La Face cachée des insectes
Clara Corman
Amaterra, 2018

A la loupe

Par Anne-Marie Mercier

Cette encyclopédie fait partie de celles qui, au grand agacement ou émerveillement des parents, rendent les enfants plus savants que la plupart des adultes. Sur la question des insectes, peu sont très au fait, même ceux qui ont vu l’exposition récente du musée des Confluences de Lyon sur ce thème.
Dans cet album carré de grand format, les insectes se rangent en différentes catégories d’une même classe (coléoptères, lépidoptères, blattoptères, , etc.) sur la page de gauche, tandis qu’un des leurs est mis en vedette, seul et accompagné de sa larve dans la page de droite.

Les couleurs sont éclatantes, les détails minutieux, des rabats permettent de soulever les ailes des « vedettes » (ce qui n’apporte pas grand-chose, mais c’est du beau travail). Les textes, courts, sont pleins d’informations intéressantes sur les mœurs et étrangetés de ces animaux : comment ils se nourrissent, échappent aux prédateurs, ou comment ils chassent leurs proies, mais aussi les circonstances de leur identification, leur réputation, les dégâts qu’ils provoquent ou leurs effets bénéfiques : tout un monde !

Chut ! Il ne faut pas réveiller les petits lapins qui dorment

Chut ! Il ne faut pas réveiller les petits lapins qui dorment
Amélie Jackowski
Rouergue, 2019

Berceuse

Par Anne-Marie Mercier

Chut ! est un album cartonné et carré, qui évoque l’endormissement, des images floues, détachées, des formes, comme un rêve qui vient.  Il évoque pour les tout-petits la journée finie, celle qui se prépare, la tendresse et la douceur… Formes colorées, lisses ou à mettre en volume par l’imagination, tout cela forme un bel imagier nocturne : une belle idée.
Mais tout cela ne serait rien sans la matière sonore que porte le texte : chuchoté, il mâche les sons, les ch, les f, les p… (ceux des petits lapins…). Ainsi, « on sort le bol rond du lait frais de demain » égrène les ‘r’, et répartit des sonorités assourdies (des ‘o’ et ‘on’) en début de phrase, des sons plus ouverts en fin de phrase (les è et les ain) : la berceuse tient à la fois au repos de l’oeil sur des formes simples, à l’évocation de choses douces et à l’écoute de la musique de la voix.