Peter, le chat debout

Peter, le chat debout
Nadine Robert, Jean Jullien (ill.)
Little Urban, 2017

A toi, qui n’en as jamais assez des chats

Par Christine Moulin

Phil, le petit garçon qui est le héros de l’histoire, reçoit un jour, dans un paquet, un chat noir et blanc, à l’air étonné, qui s’appelle Peter (comme l’indique l’étiquette) et qui se tient debout. Pourquoi pas? La suite de l’histoire décline ce que ne sait pas faire Peter, à la différence de ses congénères (chasser les souris, jouer avec une pelote, etc.) et, en regard, ce qu’il sait faire, grâce à sa particularité déambulatoire. L’ensemble est plutôt agréable: la partie « négative » témoigne d’une bonne connaissance des chats et la partie positive laisse libre cours à une fantaisie qui frise le « nonsense » (en cohérence avec la consonance « british » du prénom de notre félin). La chute est un peu décevante car on attendrait quelque chose qui explique l’attachement de Phil pour son chat ou qui ouvrirait davantage vers le champ des émotions (même si on sent bien que c’est le caractère unique de l’animal qui plaît à l’enfant). Reste que les illustrations, très lisibles, sont drôles: Peter est très mignon…

(NB : cet album a d’abord été publié au Canada (Comme des géants, 2017).

Alexandre a trop grandi

Alexandre a trop grandi
Caroline Lechevallier – Didier Jean & Zad
Utopique 2018

Avec le temps…

Par Michel Driol

Quand Alexandre entend maman Lapin dire à Madame Chat que son bébé est tellement mignon « Si seulement il pouvait rester tout petit », il est triste. Il se souvient de ce qui se passait lorsqu’il était bébé : le bain, les promenades en poussette. Mais revient comme un refrain « Alexandre a trop grandi ». Alors il prend ses affaires et décide de quitter la maison. Heureusement maman est là pour lui dire à quel point elle apprécie qu’il ait grandi, et qu’il restera toujours son bébé, même quand il sera grand.

Voilà un album qui aborde avec douceur et tendresse des questions angoissantes pour les enfants : grandir, est-ce perdre l’affection des parents ? Surtout quand arrive dans la famille un nouvel enfant. Grandir, apprendre, c’est à la fois souhaité et redouté : sera-t-on toujours aimé ? Avec des mots simples, reprenant le point de vue d’Alexandre, des situations qui se répètent, l’album dit ce trouble des enfants à voir grandir leur corps qui ne rentre plus dans la poussette ou dans la baignoire. Les illustrations à la ligne claire les commentent avec humour et une grande expressivité : il suffit de voir par exemple les visages d’Alexandre ou la variation de sa taille, telle qu’il est, telle qu’il se voit, tel qu’il sera plus tard lorsqu’il dépassera sa maman d’une tête et portera une cravate. L’album fait le choix de traiter par des animaux anthropomorphisés, mais nus, la problématique du corps qui grandit : c’est à la fois une façon de mettre de la distance, de dédramatiser, mais aussi de dire l’universalité du phénomène, quelle que soit la couleur de sa peau ou son sexe.

Si les adultes seront sensibles à l’allusion que fait le titre à Alexandre le Grand, les enfants se reconnaitront dans ce petit lapin attachant et dans les situations qu’ils auront vécues, eux-aussi.

La princesse au bois se cachait

La princesse au bois se cachait
Dedieu
Seuil Jeunesse, 2018

Choix et sacrifice tragiques

Par Maryse Vuillermet

La famille royale est heureuse, Alaric et Hilda, deux jumeaux sont nés et font son bonheur.
Mais Alaric, le garçon tombe malade, aucun remède n’est efficace. La Reine se résout à aller consulter la sorcière dans le bois. Celle-ci accepte de fournir un remède en échange de la princesse, car elle-même n’a pas d’enfant. La reine,  désespérée,  accepte pour sauver son fils ce terrible sacrifice : Deux enfants vivants mais séparés ou la mort de l’un deux »
Hilda est élevée dans les bois, la sorcière lui transmet le don de se transformer en animal, elle devient une vraie fille de la forêt.
Alaric devient un grand chasseur.
Un jour, inévitablement, ils se rencontrent en forêt, ils se reconnaissent mais Hilda doit le fuir.

Un texte magnifique élégant et tragique comme un conte très ancien poli par les ans et les versions successives.
Les illustrations en noir, or et rouge pour le sang et la mort, lui confèrent grâce et tragique. C’est aussi une méditation sur le choix et le sacrifice.

Concentre-toi

Concentre-toi
Catherine Grive – Frédérique Bertrand
Rouergue 2018

Etre ou ne pas être… là

Par Michel Driol

La narratrice de l’album expose son problème : il lui est si facile d’être déconcentrée par un oiseau qui passe ou une vache qui meugle, et de devenir l’oiseau ou la vache. Elle est prise dans un mouvement de va et vient entre les injonctions maternelles « Concentre-toi » qui la ramènent ici et le rêve et les distractions qui la font s’envoler dans une autre réalité. « C’est simple, dit la maman. Concentre-toi sur une seule chose à la fois ». Pas si simple, en fait… tant qu’on n’a pas choisi d’être là, maintenant. Mais quel est vraiment la signification de cet ultime choix de la fillette ?

Qui n’a jamais entendu cette injonction ? Qui ne l’a jamais prononcée : parent, enseignant, éducateur, entraineur ? Voilà un album qui illustre la complexité de l’univers enfantin, pris entre le réel et l’imaginaire. Les illustrations de Frédérique Bertrand, tout en douceur, nous introduisent dans un appartement où la mère repasse tandis que la fillette tente de lire. Illustrations à la perspective très enfantine.  Trois pages de zoom progressif sur la fillette, illustrant le « Je me concentre ». Puis l’univers familier se transforme : la table, le canapé, la planche à repasser deviennent des vaches,  la maman un arbre, les chaises forment une échelle pour accéder au ciel. Puis l’univers se brouille, sous l’effet des injonctions maternelles, et devient un mélange d’appartement et de nature, désordonné, ludique, mais aussi plein de taches blanches  et de lacunes. Les dernières pages illustrent une tête géante d’adulte, véritable surmoi, donnant ses instructions à une enfant minuscule, interloquée. Puis on voit la silhouette de la tête de la fillette, tandis qu’elle se multiplie sur l’image, illustrant cette incapacité à être partout à la fois, avant qu’on ne la voie de face, en gros plan, fière de sa résolution, de son choix, personnel et non dicté par l’adulte, d’être là. On pardonnera dans cette chronique la longue description du système des illustrations : mais c’est rendre hommage à l’illustratrice dont le travail tout en finesse rend perceptible et sensible la difficulté qu’éprouve l’enfant de renoncer à ses rêves pour être là.

Face à la dispersion et à l’imaginaire, l’école privilégie la concentration et la raison…  Mais être là, est-ce renoncer à tout ce qui nous entoure ? L’album laisse la question ouverte, et permet donc à chacun d’y répondre, tout en comprenant mieux ce qui se joue dans la tête d’un enfant ouvert au monde, et en dédramatisant pour l’enfant ses difficultés de concentration.

Brune & White

Brune & White
Pascale Moutte-Bour
Atelier du Poisson soluble 2018

Quand l’autre petit à petit se révèle…

Par Michel Driol

Page de gauche : ce qui semble être une tenue de camouflage. Page de droite, des taches bleues clair sur fond blanc. De quoi s’agit-il ? Émergent, petit à petit, sur les autres pages de gauche, des animaux, ours brun, poisson, oiseau… Tandis que les autres pages de droite les taches se complexifient, devenant pingouin, otarie, phoque, ours blanc. Peu à peu les deux univers s’interpénètrent, accompagnés de phrases simples, tantôt en français, tantôt en anglais. Formules de salutation, d’abord. Puis présentation de White et Brune, qui construisent leur maison et s’endorment, tenant chacun le petit ourson de l’autre. L’album se termine sur un imagier bilingue.

Décidément, l’album est un genre qui ne cesse de se réinventer et dont les propositions artistiques, littéraires, graphiques, sont souvent particulièrement innovantes. Voici un album qui évoque la rencontre de l’autre, de celui qui vient d’un autre monde, qui parle une autre langue que l’on ne parle pas.  Sujet souvent traité, on en conviendra, en littérature de jeunesse.  Mais ici, c’est l’image – aux formes évoquant les premiers puzzles de bois qu’on donne aux enfants – plus que le texte qui conduit le lecteur à faire l’expérience de cette découverte progressive, où chacun se révèle petit à petit et accepte l’autre avec ses différences afin de vivre avec lui.

Les pages cartonnées de l’album le destinent aux tout-petits, et c’est une belle proposition pour aborder le thème de l’interculturalité sans préjugé et de manière ludique. Vivre ensemble devient ainsi une évidence qui met de l’ordre dans le chaos du monde.

La Rentrée de Pinpin

La Rentrée de Pinpin
He Zhihong
Seuil jeunesse, 2018

L’art du câlin chez les animaux

Par Anne-Marie Mercier

Pinpin le petit Pingouin, lors de son premier jour d’école (eh oui, les pingouins vont à l’école dans les albums…), a du vague à l’âme : ses camarades le consolent en lui donnant la recette contre le manque : penser aux gestes tendres de sa mère (ah, où sont les pères ?) qui l’une frotte sa joue contre la leur (l’ânon), l’autre lui caresse ou lèche les oreilles (la girafe), etc. Chacun sa manière, et Pinpin trouve les démonstrations en actes de ses camarades bien agréables.

L’intérêt de cet album peu réaliste tant sur la situation que sur la recette, réside dans les illustrations, merveilleuses aquarelles, à la fois belles et drôles, formant un premier bestiaire et répertoire de gestes pour les tout petits.

Si j’étais une souris

Si j’étais une souris
Mapi – Susumu Fujimoto
Grasset 2018

Bestiaire chinois

Par Michel Driol

L’album commence par une série de 12 portraits chinois – une formule d’ouverture « si j’étais », suivie d’un animal – qui reprennent avec bonheur les 12 signes de l’horoscope chinois. Puis une chute, avec  un animal qui n’appartient pas à cet horoscope : mais je suis un chat. Chaque double page comporte à la fois un court texte, évoquant les qualités et l’imaginaire liés à l’animal en question, et une illustration, dans un style dépouillé, simple et rétro. A noter le sens particulier de lecture de ce livre : format  à l’italienne qui se lit verticalement (texte en haut, illustration en bas).

Les textes – sous forme de comptines – évoquent les qualités des animaux : la discrétion de la souris, la fidélité du chien, la générosité de la chèvre…, mais aussi des associations étonnantes (le cochon poète, noble et distingué). Cet ouvrage renoue avec la tradition du bestiaire, qui vise à donner une valeur allégorique et symbolique aux animaux : on parcourt ainsi les grandes qualités humaines, dans des domaines variés (morale, comportement, savoir, transmission…), avant que la chute, avec l’intrus qu’est le chat, conduise à se contenter et à se satisfaire de sa condition (Et je me sens très bien comme ça). Les plus petits verront dans cet album une façon de parcourir les animaux, sauvages ou familiers, représentés tantôt au naturel, tantôt habillés et dotés d’accessoires (une mention spéciale pour le singe troubadour), tantôt dans les postures traditionnelles avec des humains.  Mais, bien sûr, les plus grands liront dans cet album la question de l’identité : Qui suis-je ? Qui rêverais-je d’être ? Quel totem pourrais-je choisir ? A quel animal m’identifier ?

Un ouvrage poétique proposant dans une langue simple une réflexion sur les différences entre les espèces et le rapport ancestral entre les animaux et nous.

 

Le bout du bout (du bout)

Le bout du bout
François David, Henri Galeron
Motus, 2018

Je me suis décidé(e): j’ai tiré! 

Par Christine Moulin

L’auteur comme l’illustrateur du superbe objet qu’est Le bout du bout sont deux grands: François David, Henri Galeron, excusez du peu! Et ce qu’il y a de mieux, c’est qu’on n’est pas déçu: en effet, cet ouvrage (peut-on encore parler d’album?) se tire et s’étire pour atteindre un bon mètre de long et pour le prix d’une, on a deux histoires. Côté jaune (côté mille-pattes?), la lecture se donne à lire: le plaisir que l’on éprouve à découvrir les successifs morceaux emboîtés du livre est décrit au fur et à mesure par un « je » dont on ne sait plus s’il est l’auteur ou le lecteur! La fin nous ramenant au début, on peut parcourir Le bout du bout du bout, côté rouge (côté perroquet): se déroule une forme de fable visuelle, inspirée du nez de Pinocchio,  sur les dangers de la parole étourdie. Le ravissement est aussi au rendez-vous grâce aux dessins splendides d’Henri Galeron, toujours aussi poétiques et précis, surréels et ressemblants. Bref, nous voilà devant un grand petit livre !

 

Oddvin, le prince qui vivait dans deux mondes

Oddvin, le prince qui vivait dans deux mondes Frank Prévost, Régis Lejonc HongFei, 2018

De l’aveuglement des princes

Par Anne-Marie Mercier

C’est une belle histoire que celle d’Oddvin ; c’est aussi une histoire complexe et sombre. Oddvin est le second d’un groupe de triplés, chacun né avec un handicap sensoriel et chacun accompagné d’un animal qui l’aide à le surmonter. Aveugle, Oddvin voit à travers les yeux de son renne, dont il comprend la langue. Ignoré de ses parents, qui préfèrent l’un l’ainé, l’autre le benjamin, il est seul et parcourt le pays. C’est ainsi qu’il comprend la misère du peuple, oppressé par son tyran de père et qu’il échappe au massacre de sa famille lors d’une révolte sanglante qui laisse le pays dévasté. Loin des hommes, Oddvin apprend par les animaux ; son itinéraire le conduit dans des paysages divers et grandioses. Ce parcours initiatique l’amène aussi à la sagesse ; le peuple reconnaitra en lui son futur sauveur. Cette fin a un petit air désuet – après avoir été tyrannisé par le père pourquoi le peuple ferait-il confiance au fils ? Mais cet air désuet est parfaitement assumé par les illustrations qui imitent le style des albums russes du début du siècle dernier. Combinées avec des passages plus proches de la bande dessinée, elles proposent un récit qui oscille entre le conte et la chronique, dans un mélange réussi de cultures et de thèmes.

Les conjugouillons

Les conjugouillons
Claudine Desmarteau
Flammarion Jeunesse, 2018

Des temps bien de notre temps

Par Christine Moulin

Un lecteur pressé pourrait s’écrier: « Pfff! Encore des albums qui, sous couvert de jeu, veulent faire avaler de force la conjugaison aux pauvres enfants », d’autant que la couverture rappelle les feuilles quadrillées en usage à l’école. Les personnages qu’on y voit pourraient rassurer quelque peu ce lecteur (ce sont des espèces d’extraterrestres ridicules) mais il sait combien les éditeurs ont l’art de déguiser leurs manœuvres subreptices sous des abords avenants, « ludiques » comme ils disent. S’il regarde le nom de l’auteure, il peut donc se demander ce qu’elle est allée faire dans cette galère. C’est oublier l’impertinence de Claudine Desmarteau: quelqu’un qui a écrit Maman était petite avant d’être grande ne peut pas sombrer dans le parascolaire amélioré. C’est alors que le titre de la collection (les conjugouillons) met notre lecteur pressé en alerte: la rime est riche…

De fait, il suffit de lire les premières pages de, mettons, Qui vivra verra (dédié, comme chacun l’a deviné, au futur), pour être soulagé: Claudine Desmarteau n’a rien perdu de sa verve iconoclaste et les conjugouillons ne sont pas des manuels! Le principe? Les drôles de bestioles dont il a été question plus haut discutent dans la rue, ados désœuvrés au langage, comment dire? …dru, mais chacune ne parle qu’en employant un seul temps: contrainte d’écriture fructueuse et hilarante. Mais, et c’est là le tour de force, elles ne parlent pas pour ne rien dire: Qui vivra verra est, en somme, une petite fable sur nos insatisfactions, sur les rêves qui nous tiennent lieu d’aventures mais aussi sur le prix de l’amitié, sur les obstacles qui nous empêchent de partir conquérir le monde mais aussi sur la douceur du quotidien que nous dénigrons tant. J’aime donc je suis est une sorte d’art sentimental qui met en scène trois personnages aux caractères bien distincts: Présent, prompt à tomber amoureux, un peu naïf, peut-être superficiel, est un romantique qui se heurte à la misogynie d’Imparfait. Passé composé, lui, joue les arbitres et mène un jeu subtil et un tantinet destructeur, sans doute motivé par une inconsciente jalousie. Finalement, comme dans Qui vivra verra, c’est la bande de copains qui l’emporte et tout se termine par le pot qu’on va boire à la fin, semblable au banquet d’Astérix, qu’on retrouve donc dans Faudrait se bouger, consacré aux interminables discussions qui président au choix d’un film! Bref, derrière la conjugaison, se cache le quotidien d’ados drôles, agaçants, attachants, d’ados, quoi… Ce qui laisse d’ailleurs perplexe sur le classement de Flammarion qui range ces albums dans les « albums documentaires »…

Cerise sur le gâteau, tous les ouvrages de la collection s’ouvrent sur une double page où sont récapitulés tous les temps de la conjugaison. On peut alors encore mieux apprécier leurs caractéristiques: tous les temps composés sont bicolores, le futur est muni d’un tentacule terminé par un œil qu’il peut jeter sur l’avenir, l’impératif ressemble à un gendarme, l’imparfait du subjonctif tient un monocle du plus bel effet, etc. Deuxième cerise: une autre double page, qui clôt le livre, où les créatures conjugouillonnes profèrent un exemple. Seul bémol: on peut se demander si l’exemple pour le passé antérieur (« j’eus préféré un steack saignant ») est judicieux. N’aurait-on pas plutôt fait appel au plus-que-parfait du subjonctif? Mais, est-ce si important?

On peut feuilleter certains des « conjugouillons » sur le site de Flammarion.